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CR23

pages 138 et 139


Compte rendu de lecture -D’un entretien de la parole n°23 - avril 2022 – La Vacheresse - p138-139 Corinne Simon, Frédérique Remaud, Marie-Christine Chartier, Edith Blanquet. La parole n’est pas quelque chose de quelqu’un, elle est quelque chose qui vous vient. « Nous donne à entendre  » : ce ne sont pas des jeux de mots comme des briques qui seraient posées à l’intérieur de la tête par un algorithme de manière stratégique ou par un calcul de probabilités… C’est le but, que les gens n’aient plus à parler pour éviter les malentendus, et que l’ordinateur fasse un calcul de probabilités de ce qui est énoncé dans un contexte signifié sous forme d’images informatiques… et soient confondues en communication… Il n’y a plus d’épaisseur, d’habitation langagière…. « La parole se déploie comme dite. » La parole s’adresse aux hommes, les choses nous donnent à entendre, elles nous parlent, elles nous appellent à prendre place. C’est dans ce sens qu’il n’y a jamais de comportement uniquement technique chez l’humain. C’est important de le voir dans le quotidien, dans tous les petits gestes. Un geste dit quelque chose qui d’emblée parle, ce n’est pas une translation métrique sur laquelle on peut ajouter une signification probable.

« J. - La marche d’un tel entretien devrait avoir un caractère propre, à la mesure duquel il serait plus fait silence que parlé. D. - Fait silence avant tout sur le faire-silence ... J. - ... parce que parler et écrire sur le faire-silence occasionne le bavardage le plus pernicieux ... D. - Qui aurait le cœur, simplement, de faire silence du silence ? J. - Cela devrait être le dire proprement dit ... » Parce que dire veut dire quelque chose. Dire est une posture qui ne peut être que de silence… qui ouvre… pour que les mots prennent place… C’est à dire que nous répondions en prenant place par le verbe.

« D. - ... et demeurer le tranquille prélude à l’entretien proprement dit de la parole » L’entretien au sens de prendre soin, mais aussi s’y tenir ensemble. Définition Littré prélude : côté musical. Se préparer à jouer. XVème et XVIème siècle, servait aux musiciens pour vérifier le bon accord de l’instrument pour se lancer dans l’interprétation d’une œuvre… Ce qu’on chante pour se mettre dans le ton, pour essayer la portée de la voix. Ce qu’on joue sur un instrument pour juger si l’instrument est d’accord, et pour préparer la main. - Introduction symphonique d’un opéra… Ce qui précède et annonce. Donc le dire, le faire silence : ce tranquille qui annonce, devance, c’est-à-dire condition de possibilité de la prise en soin proprement dite de la parole. Ce n’est pas prendre parole, de la parole dans ce qu’elle nous donne à entendre… Nous devons nous préparer à l’accueillir, à l’annonce dont elle est l’augure.

« J. - Est-ce qu’ainsi nous ne tentons pas l’impossible ?  D. - Assurément - tant qu’à l’homme n’est pas accordée purement la marche à l’annonce qu’il faut pour l’annonce, l’annonce qui adresse à l’homme la parole du désabritement de la duplication.  » Il faut que quelque chose soit accordé à l’homme, il le reçoit, il en est le récipiendaire. Il faut que quelque chose lui accorde l’humanité, c’est-à-dire l’ouverture, disposition, tonalité…

«  Tant qu’à l’homme n’est pas accordée purement la marche  » c’est-à-dire cela qui le met en mouvement, en marche, qui fait qu’il se prépare à l’annonce, à quelque chose qui lui dit qu’il doit être prêt pour une annonce, pour prendre parole, pour faire annonce. Il faut qu’il se mette en mouvement pour être digne, pour prendre soin, proprement c’est-à-dire de son essence à lui… Il se met en mouvement dans lequel il se met dans la posture d’accueillir une annonce… Il ouvre les oreilles !

« Cette annonce lui adresse la parole du désabritement de la duplication » C’est une annonce qui lui donne part et place, possibilité de lieu ; qui lui donne cette capacité qui adresse à l’homme la parole, qui le rend apte ou à même de prendre soin d’une parole, la sienne, qui désabrite la duplication. Dire quoique ce soit, appelé par le nom, c’est rendre présent ! Nous sommes loin d’un bagage verbal à l’intérieur d’un cerveau, de la parole comme jeu de brique… mais plutôt la posture de recueil/accueil, donc passible qui permet le désabritement de la duplication. Duplication est le rapport être/étant, si on le dit selon la métaphysique. C’est-à-dire que tout ce qui se manifeste, se désabrite, s’abrite un même temps, se retire en même temps. Ça donne à entendre quelque chose qui nous échappe et prend une forme possible : je dis ça, je vois ça… plutôt que, à la place de… Il y a à nourrir la profusion, ce désabritement sans cesse, cette duplication… et de ne pas rabattre cette question de l’être sur l’étant. Ce qu’a fait la métaphysique en essayant de définir, d’arraisonner l’être. Donc quelque chose qui prend soin de ce qui est toujours dans l’ombre, qui toujours s’abrite ; et pour que ça s’abrite, ça s’abrite d’un désabritement : c’est une posture, une dimension de la présence.

Ça fait penser à l’éducation quand on était enfant. Il y avait la table des enfants et la table des adultes. On passait à la table des adultes à un moment… au passage de la puberté. Il y avait aussi des rituels… Quand les enfants étaient à la table des enfants, ils pouvaient jouer et se lever sans rester avec les adultes à table. A la table des adultes, ils prenaient le temps d’écouter. Aujourd’hui les enfants monopolisent la parole sans rien dire de précis, comme une foire d’empoigne pour avoir le bâton de la parole ! L’écoute n’est pas présente, souvent les adultes parlent à tord et à travers et ils ne prennent pas le temps, ne font pas assez attention à leur écoute.

Dans les rituels maçonniques, les novices pendant la première année, n’ont pas le droit de parler ; ils apprennent à écouter, entendre. C’est ainsi qu’ils sont parlant. Ensuite il produit une planche et quelqu’un la lit pour lui… cela convie à prendre la mesure de ce que dit parler, proférer, faire ce chemin de l’annonce préalable, préambule pour l’annonce… Cette annonce qui fait de moi quelqu’un de parlant et qui m’adresse, en tant qu’homme, la parole du désabritement de la duplication, dans lequel je prends part, je prends place. C’est à dire rendre présent ce qu’on appelle le monde, un monde, une manière de se rapporter. Ça amène à ralentir, approfondir, écouter, laisser parler, laisser résonner… Ça donne à entendre. La dite n’est que dans faire silence. Et c’est aussi pour ça que la tonalité fondamentale, angoisse, c’est à dire l’ouvert, l’existential, cette disposition fondamentale qu’on appelle angoisse, condition de possibilités, toute émotion éventuellement, vient d’un faire silence. L’angoisse ne dit rien, rien d’étant. Ce rien n’est pas un néant. Il y a tout un dépli de ce rien dans « « Qu’est-ce que la métaphysique ».

«  Tant qu’à l’homme n’est pas accordée… » tant que quelque chose n’est pas accordé, c’est-à-dire une faveur, qui signe de nous notre humanité. Quelque chose nous est toujours accordé, à chaque fois, dont nous avons à prendre la mesure, à prendre charge, responsabilité, soin, Sorge. C’est ce faisant que nous nous approchons de cette dimension qui préserve l’humanité de l’homme ou la met en péril. Ce n’est pas une annonce bavarde. Le bavardage est une disposition, une tournure mondaine dans laquelle nous devrons nous y trouver disposés. Et nous devons prendre charge de cette manière de nous y trouver disposés qui est au quotidien oubliée. La manière de nous y trouver disposés affecte, devient, par la prise en charge, émotion. La charge nous charge, une intensité pathique qui peut devenir une é-motion, une manière de désabriter la duplication. C’est-à-dire faire venir un monde, une manière d’y être partie prenante. Nous ne sommes plus dans l’idée du vécu d’un ego qui serait affecté secondairement...

«  J. - Provoquer cette marche à l’annonce  » : Qui peut provoquer ? On cherche une cause.

«  J. - Provoquer cette marche à l’annonce, mieux encore, marcher cette marche, me paraît encore plus difficile, sans comparaison, que de situer le déploiement de l’Iki.  » C’est à dire que cette provocation : pro-vocation, pro en avant, vocare : le métier auquel je suis appelé… et que je fais avec saveur… Donc se laisser appeler, se laisser devancer vers une annonce, un faire silence, et plus encore accomplir, endurer cette marche… J’entends l’angoisse, le vertige, se laisser happer dans une forme vertigineuse où plus rien n’irait de soi, dans le sens de l’effondrement de la conjointure de monde, de ce qui fait sens d’évidence, une épreuve de l’épaisseur de ce que veut dire le sens : direction, dimension, signification, mort…

« D. - Certes. Car quelque chose devrait advenir, quelque coup de foudre, par quoi, à cette marche à l’annonce, s’ouvrirait et pour elle s’illuminerait le large dans lequel le déploiement de la Dite vient faire apparition. » Le large plutôt que l’ouvert. Conditionnel : quelque chose te tombe dessus… si ça arrive… C’est quelque chose qui demande une forme de préparatif mais qui ne garantit rien. Comme l’illumination qui vient, on ne peut pas la pressentir, la calculer… et mesurer à quelle distance nous sommes d’elle… Elle advient en un éclair, quand elle advient ! C’est un rien qui résiste-insiste et qui tient. Le coup de foudre : quelque chose qui saisit, le kaïros, le moment de la juste décision, le moment où quelque chose accorde à l’homme ce mouvement qui permet d’y être pleinement en présence. Comme dans le travail en thérapie où nous allons prendre soin des rapports ce ça plutôt que.. à tous niveaux, dans les attitudes, les comportements... pour appeler à la survenue en mode ego, un moment d’accord, qui nous vient, « je peux prendre charge », pas un ego de structure… C’est un moment de déprise, d’ouverture, de large par rapport à l’étroitesse de la raison. C’est dans le contexte de la pensée de ce philosophe, où il y a cette question de l’ouvert… Une forme de méditation sereine. Pas dans la haute intensité si nous référons au dire de la Gestalt-thérapie. Cela définie la pensée parlante, la pensée digne d’un humain, la pensée qui signe l’humanité de l’homme. Conditionnel : s’il s’agit de provoquer cette marche, il faudrait que quelque chose la provoque ! nous pensons quelque chose ou quelqu’un devrait provoquer cela ! Et il dit : le coup de foudre, ça nous déroute. Tiens quelque chose ? Un coup de foudre ? Le grondement du tonnerre qui nous saisit et nous arrête… qui met une saveur ou une manière particulière qui permet que cette marche s’ouvrirait et pour elle s’illuminerait. Ce n’est pas le vertige de l’angoisse humaine, l’anxiété humaine émotive… et plutôt la sérénité, ça éclaire. Ce large, l’immensité… Pour quoi/qui ce mot plutôt qu’un autre ? Pourquoi parle-t-il d’un coup de foudre ? Un mot est duplice : il donne à entendre le coup de foudre dans le ciel, l’orage, le tonnerre… et le coup de foudre qui peut transir deux amants… On ne peut pas trancher/maitriser. C’est le propre de la poésie. Selon les subtilités, cela ouvre des paysages différents et il ne s’agit pas de savoir ce qui est vrai au sens scientifique.

Donc le large : au sens de ce qui est généreux et aussi dans ce qui est ouvert et vaste. Au sein duquel, au cœur duquel… pas un espace géométrique ; dans qui n’est pas d’inclusion, c’est comme être dans le monde, une dimension de rapport, dans un endroit… une dimension qui déploie une dite. C’est à dire faire silence, car il faut que ça déploie un silence pour qu’un mot vienne s’épanouir. Comme les silences qui font la musique… C’est ce qui fait que ce n’est pas un bruit et que ça fait un rythme, une mélodie. Qui permet à chaque mot de se déployer, témoigner de son épaisseur, prendre sa place… Comme la levure qui a besoin d’une certaine chaleur pour venir à sa levée… Sinon cela fait des paroles ratatinées : le langage SMS en est exemplaire. Cette lecture s’affine, se précise petit à petit : une broderie. C’est-à-dire dire de se mettre dans cette situation de nous accorder cette marche vers l’annonce qui fait que ça va nous parler et que nous allons en préserver l’abritement. Et comme la marche, pas comme une progression mais comme arpenter. Donc une compréhension est aussi une marche, un mouvement qui élève ! Une progression, périgrination mais pas dans le sens du progrès d’aujourd’hui.

Ça parle du quadripartite (das Geviert), de la mondanéité du Dasein, quelque part entre ciel et terre, entre divins et mortels… C’est pour cela que la tonalité fondamentale est angoisse, dans le sens de cet ouvert qui transi d’effroi, qui stoppe tout, qui fait silence. C’est la définition de l’angoisse par rapport à la peur. L’angoisse ouvre être, ce rien qui dit tout, qui donne à entendre et qui lui-même n’a pas un contenu en tant qu’étant. Cette articulation respirante qui permet tout, qui n’est pas un lieu métrique, qui est une dimension. Di-mension : qui dit la mention, la mesure… mentionner, dire d’une manière attentive, souligner, appeler à une attention particulière. Je ne bavarde pas, ça intensifie… c’est ce qui donne place, mesure et qui intensifie ! Di – qui donne rapport, qui permet un rapport, pas qui divise ! Une manière d’être plus d’un ! Mais seul ça rend présent quelqu’un qui n’est pas là, non un additionable mais toujours plus-d’un … Quand je dis il n’y a qu’une tasse, ça désabrite une tasse et ça désabrite toutes les autres tasses, ça désabrite l’absence, celle-ci qui s’éclaire du retrait des autres … ça rend présent l’absence de l’autre, ça fait apparaître la tasse en creux, pas la tasse elle-même… Le vide prend sa patence, il devient plus patent, ça dit-mention, il n’est pas un objet, il n’est pas une chose, on ne peut pas le mesurer, et c’est un rien qui est fondamental… c’est presque rien.

« J. - Quelque chose d’apaisant devrait s’approprier, qui calmerait la véhémence du large dans l’ajointement d’un appel : la Dite. D. - Partout joue le rapport voilé de l’annonce et de la marche qui la porte. J. - Dans notre ancienne poésie japonaise, un poète inconnu chante les parfums au même rameau s’entremêlant des fleurs de cerisier et des fleurs de prunier. D. - C’est ainsi que je pense le déploiement réciproque, l’un en direction de l’autre, du large et de l’apaisement dans le même appropriement de l’annonce du désabritement de la duplication. » C’est comme l’arbre avec des fleurs roses et une branche avec des fleurs blanches… et la question de ce qu’est la réalité. Est-ce que la réalité est de l’ordre de la logique ou du principe de non-contradiction. Est-ce que je peux parler du même parfum sur le même rameau ?

C’est ce que nous faisons avec le vin, qui a un goût de fruits rouges, boisé… Dans cette dimension, on se le permet, dans d’autres dimensions, on dirait que ce n’est pas possible, principe d’identité. C’est ce qui a fait logos, legein qui est devenu logos, logique… qui est devenu logos et s’est usé en logistique. La véhémence du large donne à entendre le ton de la vanité de tout propos, tu ne peux plus trouver le mot, cette ouverture qui échappe, qu’on appelle l’angoisse, qui est que tout d’un coup on ne peut plus rien dire, il n’y a plus de parole, il n’y a plus de direction, de direction de sens, c’est un mouvement… l’ouvert, l’abîme… Cela (ce là) qui transi d’humanité, ouvert dans son intensité, qui pulse et qui fait toucher la vanité d’un sens arrêté.

Ça nous expose au péril, à cette charge de préserver notre humanité, et c’est au péril de ça chaque fois, d’une parole qui vient en son propre et qu’on y vienne en notre propre, c’est au péril de ça. Et quand on se risque à vraiment parler, souvent on dit qu’on a rien d’intéressant à dire… on mesure le danger qu’il y a. Dans notre société de communication, manière d’habiter la parole qui s’emporte et qui ne veut plus rien entendre, ni dire… parler c’est le bazar !

« L’ajointement d’un appel » quelque chose qui va faire lien, cueillir et rassembler, qui va prendre dimension d’un appel et pas d’un abîme. S’exposer à ce péril de l’ouvert, donc la question de ce qu’on appelle l’angoisse, qui n’a rien à voir avec le psychologique ! L’angoisse, la vanité, la défaillance, le défenestré qui fout en l’air tous les principes qui tissent le maitrisé du monde, du logos : principes de non-contradiction, d’identité, de causalité, règles pour cueillir et rassembler d’une manière pertinente… ce qui est devenu les critères scientifiques… puis algorithmiques. Les espaces comptables où tout est dématérialisé….


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