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Compte rendu N°18

Avril 2021 P128-129


Compte rendu de lecture acheminement vers la parole n°18 - avril 2021 - St Salvy Corinne Simon, Frédérique Remaud, Marie-Christine Chartier, Edith Blanquet.

«  D. - La qualité artistique est devenue un facteur déterminant pour l’expérience moderne de l’art. J. - Pourquoi ne pas dire tout de suite : pour Ie marché de l’art. D. - La détermination de l’artistique s’effectue cependant en référence à la créativité et à la maîtrise. J. - L’art repose-t-il sur ce qui est artistique, ou bien le rapport est-il inverse ? Parler d’ « artistique », cela trahit une prééminence de l’artiste ... D. - ... compris comme sujet lié à une œuvre entendue comme objet. »

Comment on passe de « l’expérience moderne de l’art "au « marché de l’art" ! C’est dire que dans la culture moderne, l’art est devenu un marché, c’est à dire une source de placement monétaire.On achète des artistes cotés plutôt que des œuvres. Les collectionneurs ne sont pas des humains sensible à ce que l’art nous invite à éprouver. Ce sont des collectionneurs de tableaux conçus comme placement financier. Du coup des œuvres d’art sont stockées dans des coffres… et ne peuvent plus interpeller, ne font plus leur oeuvre, ne prennent plus leur dimension ouvrante. Cela invite à méditer ce que représente pour nous les modernes un musée ? il est une façon d’exposer une oeuvre qui peut la conduire à devenir objet : avec l’exposition et cette manière de regarder les œuvres d’art... car on ne les voit plus comme quelque chose qui appelle à parler, le voir dévalé devient curiosité . Elles sont conceptualisées par l’histoire de l’art qui nous explique ce que l’on doit y trouver/ chercher et leur cotation en bourse en décline une valeur marchande. L’artiste le plus cher actuellement étant par exemple « Soulage » c’est le poids monétaire de l’artiste qui est retenu. cela plutôt que sa démarche, sa manière d’être travaillé par les oeuvres qu’il produit . La question n’est plus l’a dimension langagière d’une oeuvre mais sa cotation, l’a place dans l’échelle de l’audimat… Nous sommes passés de l’idée de l’expérience qui appelle et qui éprouve… à un marché maitrisé. La détermination de l’artistique est ce qui détermine l’artistique … en référence à la créativité et à l’artistique : il y a quand même l’idée d’une créativité qui déterminerait ce qui est artistique, ce qui est par exemple autre que l’artisanat, lui-même autre que la fabrication industrielle. L’artisan est celui qui a une maitrise gestuelle, un amour du geste et de la matière avec laquelle il compose. Ce n’est pas une oeuvre d’artiste, dans le sens d’une œuvre d’art. Le propre d’une œuvre d’art est qu’elle interpelle au-delà…qu’elle résiste à tout usage . Mais aujourd’hui artistique est en référence à quelqu’un, un « sujet « humain qui est reconnu en tant qu’artiste. La créativité et la maitrise ne sont pas du même ordre dans la geste de l’artisan et celle de l’artiste. les oeuvres d’art interpellent, je m’y balade, je ne peux pas les définir, les arraisonner… Dans l’art devenu marché, dans les expos, les discours autour de l’œuvre prennent plus de place que l’œuvre elle-même. On te dit comment l’interpréter… et on va se rappeler que c’est un ‘Soulage’ plutôt que … c’est un paysage… Du coup on connaît plus le nom de l’artiste que ses œuvres ! C’est le culte de la personne, la prééminence de l’ego… tout est ramené à une personne humaine… et pas à quelque chose qui arrête et invite une parole habitante… «  compris comme sujet lié à une œuvre entendue comme objet » c’est à dire, celui qui est au fondement de quelque chose qu’il produit et qui n’est pas répondant à un appel… ça pose qu’il y a un artiste, par exemple Soulage, qui est le fondement, c’est-à-dire l’origine, la cause de cette chose-là, celui qui en est « maitre et possesseur » comme dirait Descartes. Alors que Soulage parle bien d’autre chose... de l’encre, de la matière, d’une manière d’être traversé… ce n’est pas lui qui fait, il y a un travail qui se fait avec la matière… Alors que là on pense l’homme comme sujet, subjectum, un fondement égoïque qui fait un objet, quelque chose qu’il pose devant lui et qu’il maitrise. Et pas quelqu’un qui s’incline devant un appel.

« J. - C’est dans ce montage qu’est à sa place tout l’esthétique. » Montage d’un sujet et d’un objet, donc de la maitrise par un fondement défini, substantivé de quoique ce soit qui est fabriqué, donc plutôt fabriqué que produit. Le produire est duire à l’avant, c’est donc plus de l’ordre de la fabrication. L’esthétique s’entend désormais sous l’orbe de cette conception.

« D. - Ce montage est si captieux, je veux dire si capable de prise, qu’il est en état de capturer toute expérience de l’art et de son déploiement, même autre. » Prise : saisie, capture… donc le domaine de la maitrise, de l’ego. Il n’y a plus à s’incliner devant. C’est de l’ordre d’une décision maitrisée, sécurisée par ratio. C’est une manière de concevoir tout ce qui est comme une fabrication. Une manière dans laquelle nous sommes captés et qui ne fait plus question. C’est ce qu’on fait avec l’humain aujourd’hui, avec le corps compris comme un assemblage : chirurgie esthétique, question du genre…(film « Petite fille"). Le corps devient un objet pâte à modeler. Les médecins sont devenus techniciens et oublient l’égard envers le vivant et sa singularité. l’acte du médecin ne vise plus à préserver le vivant… mais à plus d’efficacité, plus de puissance… et le corps devient un outil, avec des pièces, qu’on peut améliorer selon les valeurs du moment érigées en « besoin ». Nous sommes dans une conception mécanique et normative du corps et il n’est plus ici question d’épreuve, d’appropriation, de participation aimante… On ne questionne pas sur ce que ça veut dire : penser être un garçon ou une fille est désormais un concept. Nous voulons modeler le vivant selon nos idées et nous ne sommes plus capables de nous incliner devant le mystère et la singularité de notre présence. Nous sommes dans l’aire de la volonté d’un ego-sujet-souverain :« je veux ! » C’est une façon de concevoir et de penser.qui est lourde de conséquences impensées. La question des sexes par exemple (sujet à la mode) peut se poser, mais c’est la manière de la penser, la façon dont on s’invite à penser , dont on distingue penser et asséner une opinion : jusqu’où on va, ce qu’on se permet où pas, à quel moment on est dans la machination et plus une limite qui est donnée à l’humain ? Ces questions se posent, comme d’être bossu, d’avoir un pied-bot, un bec de lièvre… Le serment d’Hippocrate permet d’agir sur le corps quand il est en danger. L’avancée de la médecine permet d’intervenir mais je ne peux qu’être mon corps pour faire l’épreuve de ce que c’est qu’être une autre femme, ou un autre homme… Quelque chose de l’ordre d’accepter de pouvoir être : l’âge, le vieillir, la mort… endurer une finitude et une faillibilité. Avec le Covid, on met en place des interdictions de se comporter au nom de la possibilité d’être malade que l’on prétend maitriser par une série de gestes codifiés dits « gestes barrières » ! ces gestes sont conçus idéalement et en dépit d’un bon sens , d’un égard envers ce que veut dire être vivant/existant. Tout cela participe d’un glissement et de l’usure de la langue, où il n’y a plus d’épaisseur de pensée, de s’arrêter, de penser qu’on ne peut pas légiférer sur certaines choses…par exemple nous revendiquons le droit à décider de sa mort, le droit d’avoir un enfant et non plus la possibilité d’avoir un enfant éventuellement. Ce n’est pas parce qu’on est femme qu’on va pouvoir enfanter… s’incliner devant la possibilité de la nature, devant la dimension biologique du vivant. c’est cela qui est source d’ouverture, d’angoisse, d’inconnu. L’excès de la maitrise calculante aconduit à des dérives qui mettent en péril le vivant. On ne réfléchit pas, on cherche à maitriser ce qui nous échappe et nous inquiète ; on réagit au pied de la lettre et dans un discours qui dépasse, qui n’écoute pas la subtilité de ce qu’on appelle une situation, la complexité d’une situation humaine ou vivante. Exister pose question : transis de cela nous voulons déterminer des assurances, des vérités stables . On ne peut pas dire que la machination est bien à certains endroits et pas à d’autres. Ce n’est pas la même chose si j’ai un cancer et que je souffre le martyr et que l’on accompagne la fin de mon existence, que prendre rdv parce qu’à 80 ans j’ai décidé que j’avais fini ma vie… et que j’ai le droit d’en planifier la date… C’est globalement une position qui pose souci et c’est l’ouverture d’une dérive périlleuse… où nous sommes devenus le fondement de tout et que plus rien nous arrête, plus rien ne nous oblige. Il ne s’agit pas d’être passéiste, mais il y a des choses qu’on ne peut pas se permettre sans courir à notre perte. On ne médite plus ce qui est fait, ce qu’on dit !!! ça capture dans le sens d’être sidéré, de ne plus pouvoir mesurer l’épaisseur langagière qui fait la complexité de la parole, ce qui fait que c’est une parole digne d’un humain. Donc ça devient un montage technique. L’accélération témoigne de cette équivoque par laquelle le comprendre devient savoir sur et action car « le temps se gagne ou se perd » comme disent nos slogans.

« J. - De la capturer sans doute, mais jamais de se l’approprier*. C’est pourquoi je crains à présent plus qu’avant de voir tout éclaircissement sur l’Iki se prendre dans les filets de la représentation esthétique. » Note Le mot est aneignen. C’est le verbe qu’emploie Hölderlin (WW6, p.426) pour caractériser, dans sa première lettre à Casimir Ulrich Böhlendorff, la prouesse de Homère : « Faire sa proie de l’occidentale sobriété iunonienne pour son empire d’Apollon, et ainsi véritablement s’approprier l’étranger. » S’approprier l’étranger, ce n’est pas en devenir le propriétaire. C’est se rendre soi-même propre à pouvoir l’accueillir, donc se rendre autre au contact de l’autre. Ainsi voyons-nous que même l’appropriation, pour peu qu’elle soit pensée, est tout le contraire d’une prise de possession. « S’approprier l’étranger, ce n’est pas en devenir le propriétaire. C’est se rendre soi-même propre à pouvoir l’accueillir, donc se rendre autre au contact de l’autre. » Le propre d’une œuvre d’art est qu’on n’en a jamais fait le tour ! qu’elle nous invite au dépaysement, à nous ouvrir à une altérité qui ne peut que nous éprouver. S’approprier, venir à son propre, s’ouvrir à…tout aussi qu’être propriétaire de quelque chose y compris d’une individualité comprise comme fondement, cause première ! C’est dans ce sens que l’esthétique est devenu représentation, l’objet d’une maitrise pour une conscience-sujet qui en est le fondement. Le japonais demande de repréciser la conception européenne de l’esthétique pour pouvoir donner sa définition d’Iki.

« D. - Si nous tentions de voir ? J. – L’Iki, c’est ce qui vient charmer avec grâce. » Donc un autre rapport que la maitrise, quelque chose qui emporte, qui appelle, et qui ouvre le rapport de la grâce, de l’attention. Un tableau arrête, surprend, appelle…

« D. - A peine avez-vous dit cela que nous sommes déjà en pleine esthétique : pensez à l’essai de Schiller sur Grâce et dignité. Cet essai, tout comme les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme qui suivent, est écrit à partir du débat que Schiller a entretenu avec l’esthétique de Kant. J. - Si je suis bien instruit, ces deux textes eux aussi sont devenus pour l’esthétique de Hegel une impulsion essentielle. D. - C’est bien pourquoi ce serait prétention que de vouloir à présent, à l’aide de quelques remarques, nous persuader que nous nous sommes rendus maîtres du déploiement de l’esthétique. » Question de l’intuition sensible avec la sensibilité étant l’autre versant de ratio, l’entendement. Le charme et la grâce sont de l’ordre de la sensibilité, du sentir, du passible. C’est-à-dire qu’il y a quelque chose de subtil dans la poétique. C’est une parole qui invite à des sentiments, des sensations et pas à un jugement rationnel, à un rendre-compte ou à un vécu égoïque. On cherche la saveur, le goût, le tact, l’égard, la dignité plutôt que la mesure, la quantité, la rationalité. Il y a une incohérence à vouloir se rendre maitre du déploiement de l’esthétique, il y a des œuvres entières consacrées à ce thème-là… essayer de voir comment l’esthétique a été pensé demanderait de lire ces textes-là Question de l’esthétique, de la grâce dans les édifices religieux : avant d’être dans des musées, les œuvres étaient dans des édifices religieux dans les habitations ,… et permettaient d’entendre la poésie du monde et de la mystique… L’art était éprouvé, un lien autre : contexte pour témoigner d’une transcendance… recueillement, ambiance… Puis l’art s’est dégagé de la religion.

«  J. - Restant dans l’à-peu-près, je crois pourtant pouvoir essayer d’extraire l’Iki à présent traduit par le mot de « grâce » - de l’extraire hors de l’esthétique, c’est-à-dire de la relation sujet-objet. J’entends « grâce » en effet non comme séduction, non comme charme ... D. - ... donc ailleurs que dans le domaine de l’attirance, des impressions, de l’, mais ? J. - Plutôt dans la direction opposée ; mais je sais, parlant ainsi, je reste encore pris dans le domaine esthétique. D. - Tenant compte de cette restriction, vous pouvez tout de même tenter votre éclaircissement. » Iki a à voir avec grâce et charme : amène à quelque chose qu’on doit entendre ailleurs que du côté de l’esthétique, dans les sens moderne ou même du mot, ailleurs même que dans les domaines de l’attirance, des impressions... La grâce amène au-delà du domaine de la sensibilité... position de l’âme et pas du psychique… Disposition, une manière de penser au-delà de soma/psyché, quelque chose qui appelle à l’âme, du spirituel au sens mystique… « …parlant ainsi, je reste encore pris dans le domaine esthétique » car je m’oppose, je prends appui dessus, je ne me laisse pas surprendre… Et non comme une tournure… stimmung… disposition, la manière dont être nous frappe… existential… qui ouvre la possibilité des dispositions de l’étant, manière de s’y trouver disposé, d’y prendre place et part… En prenant en compte tout cela… on va quand même se permettre d’oser !

« J. - Iki, c’est le vent de la silencieuse paix du ravissement resplendissant (Iki ist das Wehen der Stille des leuchtenden Entzückens). » Leuchtenden : quelque chose de luminescent. Image de la lumière d’une pierre précieuse. Ravissement : appel, trouée au niveau de l’âme, échappée…

« D. - Le ravissement, vous le prenez au mot, l’entendant comme une échappée qui transporte, comme l’arrachée qui porte au cœur de la calme paix du silence. J. - Nulle part, là, d’attrait ni d’impression. » Ce n’est pas quelque chose qui m’attire et qui me situe d’avance, ni qui m’impressionne, qui m’imprime... C’est au-delà de ça. Il n’y a pas un qui me... ça n’appelle pas à un ego. C’est quelque chose qui ne dit pas une différentiation.

« D. - Le ravissement qui transporte est comme faire-signe au loin, un faire-signe qui invite à partir, ou invite à venir. J. – Mais le faire-signe est l’annonce que dit le voile qui couvre tandis qu’il éclaircit. » C’est alèthéia, sens grec de la vérité. Effacement de l’oubli : Léthé est le fleuve de l’oubli que traversent les morts. Quelque chose qui appelle à prendre place, à la justesse d’un instant…kairos La grâce : dans la grâce tout est en place.

« D. - Ainsi, toute venue en présence aurait sa provenance dans la grâce, entendue comme pur ravissement de la silencieuse paix et de son appel. » Laisser être, sérénité…Le moment de présence. C’est souvent dans des moments de solitude, ça s’éprouve, ça se sent, ça ne se partage pas facilement avec des mots, ça donne à entendre…


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