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Compte rendu N°8 pages 104 a 107.


Compte rendu n°8 - D’un entretien de la parole de Martin Heidegger-
Corinne Simon, Frédérique Remaud, Marie Christine Chartier, Edith Blanquet - Laffite - Mars 2019 p 104 à 107

Où en étions-nous ? La différence entre la manière européenne et japonaise de penser le vide. Le vide estdu même ordre que le rien, ils sont l’un et l’autre pur déploiement, ce qui n’est pas néant. Nous européens, voyons d’emblée le vide comme une absence d’objet alors que pour les japonais il est dimension de l’ouvert... ouverture... ça amène à espace, ça appelle à prendre place. Cela évoque le travail de calligraphie où ce n’est pas la lettre que tu traces, c’est l’ouvert que tu préserves, il s’agit de préserver, ménager l’ouvert, ce n’est pas le trait du « o » qui est important, c’est l’ouverture qui se révèle. Cela évoque aussi peindre le feuillage et tout le travail d’Alexandre Hollan (exposition à Montpellier) à dessiner des arbres... où il est question de traits, de tremblements, de vibrations, de toute une rythmique... impression d’être l’arbre qui frémit. Lorsqu’il parle de sa manière de dessiner les arbres, il dessine des directions de sens, des dimensions de l’ouvert qui vont faire apparaître l’arbre ("je suis ce que je vois" notes sur la peinture et le dessin 1975-2015 ; Edition Erès 2019). Nous étions restées au recueillement d’un porter qui nous appelle à prendre place, quelque chose qui nous donne possibilité de participer, d’une certaine façon de la présence. J. - Intentionnellement sans doute vous ne dites pas : d’un porter qui soit nôtre, de notre comportement.
En gros, ce n’est pas nous qui nous comportons. D. - Parce que ce qui porte à proprement parler, cela d’abord se porte jusqu’à nous .
Et en se portant jusqu’à nous, ça nous invite à prendre place (in-formation) et nous répondons dans la mesure où nous assumons la place que nous y prenons... c’est un rapport, on se répond. Cela évoque les correspondances (Baudelaire, Rimbault), co-respondre, se répondre... ça se répond mutuellement et cette réponse mutuelle fait que ça prend forme. Il faut lâcher l’idée de la substance, c’est à dire penser les objets comme substantivés, distribués dans l’espace, pour entendre la forme comme temporalisation provisoire et sans cesse en oeuvre.
Ce qui paraît, ne peut que paraître sans cesse (phénomène)... n’est jamais arrêté dans une forme figée... même un canapé ! Nous avons dans notre culture, une manière de lier, de cueillir qui se situe selon la table des catégories : la hauteur, la largeur, l’effectivité, principe de non-contradiction. Cela existe aussi dans la philosophie et c’est ce qui va amener à la démarche particulière de la phénoménologie. C’est toute la question de l’être et de l’apparaître :selon la métaphysique, le vrai c’est l’être, le plus général, l’idée pure, qui serait sans contradiction puisque l’apparaître est contradictoire (il est comme cela ou comme cela). On a posé l’apparaître avec l’idée de la contradiction alors que tout ce qui est de l’ordre de la présence ne peut que se poser dans la contradiction (et je suis comme ça ET je suis aussi autrement). KANT commence à poser que le même est une identité qui inclue la non-identité en soi : je suis comme cela et aussi comme cela, donc je suis identique et non identique.
La présence est temporelle... des mouvements de physis, flux jaillissants qui prennent des occurrences... comme une fleur avec un bouton et des pétales qui tombent, c’est toujours la même fleur et ce n’est pas "contradictoire". Temporaliser, c’est se manifester, c’est prendre place un certain temps, s’altérer (cf idem/ipse). Cette temporalisation inclue un changement , une altération, manifestation singulière. Ainsi une chose n’est pas matériellement arrêté mais en partance ou en provenance. 
Le propre du vivant c’est d’être toujours en changement, donc on ne peut pas dire d’un humain, d’une plante qu’elle est identique à elle même au sens d’une idée générale. Elle est sans cesse en devenir mais c’est sans cesse la même plante. Aussi, la façon dont quelque chose se manifeste modifie la manière de penser l’espace : au moment où je plante des arbres, je les trouve d’abord espacés les uns des autres de manière lointaine et trois ans après, ils se touchent presque et toujours sont espacés... c’est un peu l’idée d’un déploiement, d’une ouverture plutôt que l’idée d’une stase... c’est temporel plutôt que topique. C’est Kant qui va questionner cela, puis Hegel. Par ce fameux débat du dualisme, de la métaphysique ; pour la philosophie européenne classique, il y a l’être et l’apparaître parce que l’être doit être stable et défini, donc l’apparaître est un accident d’être, jamais complètement la vérité d’être, il est trompeur. Cela s’appuie sur l’idée qu’une chose ne peut pas se contredire... qu’une fleur ne peut pas être un bouton et ouverte et fanée... Alors que du point de vue de la phénoménologie, être et apparaître ne sont pas deux choses distinctes mais rapport, moment, modalité d’être... main-tenant. selon la pensée métaphysique, la raison est détachée de la sensibilité... plutôt que des modes l’un de l’autre, des modes d’être.
Ça reprend toute la question de la philosophie : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien, qu’est-ce que être ? (clairement déplié dans « Identité et différence » de Françoise Dastur). La pensée japonaise serait plus proche du commencement grec dans le sens où ce qui est se manifeste (physis) et où une part de mystère est respectée. On ne dit pas que l’on n’a pas accès à être mais que être c’est paraître et que « être » tout seul, c’est toujours un verbe, donc toujours en changement... ce n’est jamais quelque chose comme un concept. C’est la période moderne (Descartes) qui a amené à cette manière d’individuer... de penser en terme d’individus isolés, personnalisés, finis, avec un intérieur. Dans la religion catholique, il y a l’idée que nous sommes finis, nous sommes sur terre et n’avons pas accès au paradis (càd à l’être) et que c’est par la mort que nous accéderons à ce monde vrai qui est le paradis, avec l’idée que l’être est infini. Le monde moderne, le mythe d’Oedipe, où l’homme est délaissé par les dieux et où il doit assumer de vivre cette finitude là, que c’est là sa vie et pas une vie ailleurs mieux ou meilleure.

J. - Certes. C’est pourquoi, au Japon, nous avons aussitôt compris la conférence « Qu’est-ce-que la métaphysique ? », lorsqu’elle parvint jusqu’à nous en 1930 grâce à la traduction qu’en a risquée un étudiant japonais qui assistait alors à vos cours. Nous nous étonnons aujourd’hui encore et nous nous demandons comment les Européens ont donné dans l’idée de prendre dans un sens nihiliste le Rien dont ladite conférence entreprend la situation. Pour nous, le vide est le nom le plus haut pour cela que vous aimeriez pouvoir dire avec le mot : « être »... 
D. - ... en une tentative de pensée dont les premiers pas sont encore aujourd’hui incontournables. Elle devint, certes, l’occasion d’une grande confusion qui trouve son fond au cœur même de ce qui est en question, et se rattache à l’emploi du nom d’ « être ». Car à proprement parler, ce nom appartient à la propriété de la langue métaphysique, alors qu’avec ce nom j’intitule la tâche qui s’efforce de porter au jour le déploiement ( das wesen ) de la métaphysique, et par là seulement d’amener cette dernière à prendre place dans ses limites. La métaphysique s’ouvre sur la question du rien, l’être et le néant. Est-ce qu’il y a l’être et le non être ? Est-ce que le non être c’est le rien ? Est-ce que le rien c’est le néant ? Et le rapport entre le rien, le vide par rapport au plein, l’ouvert, le libre, le déploiement qui ne sont pas les mêmes manières de donner à penser quelque chose. Le rien est entendu comme un nihilisme, mais dire qu’il n’y a rien, c’est affirmer quelque chose, c’est affirmer le rien donc en faire une positivité ... le rien n’est pas un néant ! (Sartre : « l’être et le néant »)
 Avec Nietzsche qui s’est penché sur le sujet du nihilisme, c’est la fin de la transcendance, c’est le délaissement des dieux.
Le vide et le rien sont pour nous des choses inquiétantes que l’on essaye de remplir d’idées et de maîtriser par le concept avec l’idée que ce qui est vrai c’est ce qui se tient, que l’on peut attraper et tenir fermement : ’’c’est prouvé scientifiquement’’ ! Il dit bien qu’il s’agit de la question du rien. Que les japonais ont bien compris la conférence « Qu’est-ce que la métaphysique », que l’objet de la conférence c’est le statut du rien, du néant. Comment penser le rien ? Ou... est-ce que le rien s’oppose au quelque chose ? Il dit que pour le Japon, au-delà du rien, il y a quelque chose qui s’appelle le vide et qui est pour eux une manière de dire « être ». Dans le passage d’avant : « le vide est alors le même que le Rien, à savoir ce pur déploiement que nous tentons de penser comme l’Autre par rapport à tout ce qui vient en présence et à tout ce qui s’absente. » Cela amène à la question de la contradiction de l’identité et de la différence... le vide c’est autre que ce qui est là. Par exemple, la table est posée dans un espace vide, donc le vide est quelque chose qui se remplit de quelque chose par l’acte de conscience (variations noético-noématiques de Husserl. Comment peut-on connaître ? On peut connaître parce que la conscience a la capacité de remplir le vide d’objets... d’objets dont elle prend conscience, qu’elle peut se re-présenter... se présenter à nouveau, la chose en soi et à laquelle nous n’avons pas accès... l’être. Ce qui est posé là, c’est que la chose en soi, est inaccessible, que donc elle est autre que la chose qui apparaît ... c’est la métaphysique ! « Pour nous, le vide est le nom le plus haut pour cela que vous aimeriez pouvoir dire avec le mot « être »... » Cela évoque ce qu’Heidegger appelle ouverture et qui est un existential... ménager le libre, l’ouvert. Quand je taille un arbre soit je coupe des branches, soit je dévoile l’espace, le vide, l’ouvert, je rends libre pour... que les oiseaux circulent... que les fruits mûrissent. Ménager dans le sens de prendre soin de l’ouverture.
Ex : L’arbre qui dévoile le ciel, le libre, mais qui prend place de ce rapport. Prendre le rien dans un sens nihiliste, c’est le prendre comme un non être (étymologiquement le néant), le rien c’est ce qui n’est pas ... je cherche quelque chose, il n’y a rien : sous entendu, il n’y a pas ce que je cherche.
Donc habituellement nous prenons le rien comme la négation d’être : il n’y a plus rien dans le pot, il est vide, vu comme : il n’y a pas d’être, plutôt que : il se dévoile comme possibilité d’accueil. Dans notre culture, le rien et le néant sont d’emblée compris comme l’absence d’être, la négation d’être. Alors qu’au Japon, le vide est une manière de dire le plus haut de ce que l’on essaye de dire lorsque l’on essaye de chercher ce que nous appelons « être ». Il pose le vide non pas comme un rapport avec le nihilisme, il le pose dans sa manifestation. L’objet de « Qu’est-ce que la métaphysique ? » est d’essayer de comprendre ce que, penser le rien comme le nihilisme nous permet de cueillir et comment nous en sommes venus à l’époque métaphysique... où la vérité est pure raison, dégagée des scories, tromperies de la sensibilité.
Donc la vérité, c’est le concept, le plus général et par là, rien d’étant, rien de particulier, puisque toute particularité ne peut pas dire la générosité de « être ». J. - Quand vous parlez d’un dépassement de la métaphysique, c’est cela que vous avez en vue .
D.- Cela seulement. Il ne s’agit ni de démolir, ni même de renier la métaphysique. Vouloir de telles choses, ce serait, prétention puérile, ravaler l’histoire. J. - Pour nous, de loin, cela a toujours été un sujet d’étonnement que l’on arrête pas de vous prêter une attitude de rejet par rapport à l’histoire, jusqu’ici, de la pensée, alors que tout votre effort au contraire tend uniquement à préparer son originale appropriation. Heidegger est accusé de vouloir renier la métaphysique là où il cherche comment la pensée peut cheminer et comment elle fait de nous des Européens, comment il nous faut respecter la portée et la limite de chaque chose et notamment la métaphysique. C’est du même ordre que : « on a prouvé scientifiquement que les arbres souffrent ». On ne peut dire qu’un arbre souffre que du point de vue anthropologique : un arbre souffre ou il a des relations... si on lui prête les mêmes dispositions que nous les humains. Prouver scientifiquement veut dire rendre compte d’une certaine manière ... on ne peut pas prouver scientifiquement de la souffrance. En ce qui concerne les arbres et les autres vivants, il y a peut être une autre manière de penser que de leur attribuer des sentiments et des émotions humaines... sinon on se situe comme maîtres de tout ! Les arbres sont des vivants qui ont certainement une manière propre d’être mais nous ne pouvons pas leur attribuer nos sentiments... cela nous arrête ! Donc, la métaphysique a sa portée et il s’agit de se l’approprier convenablement c’est à dire de voir là où elle a sa finalité : nous nous sommes posés la question ’’comment faisons nous pour connaître et comment est-ce possible qu’il y ait des choses dans le monde ?’’ C’est donc bien qu’il y a un principe de création ! Dieu, ou... Ce principe est devenu quelqu’un avec l’idée qu’il fallait bien que ça commence quelque part... que cette idée est propre à l’humain et que c’est cela qui a amené à : pour connaître il faut que ce que nous voyons soit nommé. Comment nous vient l’idée de ce que nous voyons ? Est-ce-que c’est nous qui la produisons ? Ou bien est-ce-que c’est quelque chose qui nous dépasse qui nous a donné la possibilité des idées ? Il y a l’intuition des catégories : c’est une table plutôt qu’une armoire et l’intuition sensible : les qualités de cette table ou de cette armoire et qui se traduit dans une intuition des catégories : c’est du bois et pas du métal par exemple. Comment ça nous vient ça ? D’où l’hypothèse d’invoquer un Dieu... mais Dieu ne peut pas être justifié, car connaître, c’est savoir pleinement quelque chose. On en est donc venu à la science qui a levé toute la part de mystère, la dimension mystique du rapport au monde et cela a rendu le monde technique, pratique et non plus poétique. Du point de vue mystique, connaître c’est s’incliner et remercier... ce n’est pas maîtriser.
Dans l’expression « Que le ciel vous soit propice ! » : on en appelle au divin, au mystère... c’est une manière de connaître qui n’est pas la même posture que celle qui en appelle à la maîtrise et, qui n’a pas la même position eu égard à l’anxiété. Cela amène à la question de notre destin... on ne s’en remet pas à Dieu. Pour que les choses nous arrivent, on les planifie dans notre agenda... et si ça ne se passe pas comme prévu on râle... chacun de nous fait cela ! Ça nous demande un effort d’accepter que les choses nous obligent... nous remettent devant... nous remettent à notre place ! Qui sommes-nous pour prétendre... que demain il fera beau ? Reconduire la métaphysique à sa portée, c’est en comprendre la pleine dimension (révéler le struct : voir comment c’est construit : des-truire et pas démolir), et comment elle vient à un moment dans la présence des humains, pour essayer de donner à entendre quelque chose qui nous questionne sans cesse. Ce n’est ni bien ni mal, c’est une manière, une « guise d’être » en terme Heideggérien, qui fait de nous des existants (qu’on se pose des questions). Les limites de quelque chose c’est aussi là où ça peut porter... la portée de quelque chose a toujours des limites. La poutre a toujours un angle de portée au-delà duquel elle ploie et au-delà duquel elle casse. Il y a des manières de procéder qui sont bonnes pour chaque chose et où nous les humains, nous devons nous incliner. Nous pouvons faire de la confiture avec moins de sucre jusqu’au moment où ce ne sera plus de la confiture mais de la compote et où nous nous exposons à ce qu’elle se conserve moins bien. Chercher la propriété de chaque chose, c’est chercher son lieu, son propre, là où elle peut rayonner... Ce n’est pas impunément que l’on déplace quelque chose ou quelqu’un (comme planter un olivier dans le nord de la France ou bien la difficulté des migrants à se nourrir car il leur faut apprendre les saveurs qu’ils ne connaissent pas, comme nous devons apprendre celles d’autres pays). D." - Quand à savoir si cette appropriation peut réussir, cela peut et doit être mis en question.
J. - Que le débat de cette question n’ait pas encore trouvé sa bonne voie tient, à côté de beaucoup d’autres motifs, principalement à la confusion qu’a instituée votre emploi ambigu du mot « être ». D. - Vous avez raison ; mais où l’on s’embrouille, c’est quand, la confusion occasionnée, on l’impute à ma propre tentative de pensée - elle qui, sur son chemin, connaît clairement la différence entre « être » entendu comme « être de l’étant » et « être » comme « être » en vue de son propre sens, c’est à dire de sa vérité (éclaircie). J. - Dans quel dessein n’avez vous pas abandonné aussitôt et catégoriquement le mot « être », le laissant exclusivement à la langue de la métaphysique ? Pourquoi n’avez vous pas aussitôt donné son propre nom à cela que, par le détour à travers le déploiement du temps, vous cherchiez comme le « sens de l’être » ? D. - Comment peut-il donner le nom de ce qu’il cherche, celui qui en est encore à chercher ? La trouvaille a lieu quand le mot qui nomme vient vous interpeller.
J. - Ainsi donc, la confusion engendrée, il faut tenir bon et la soutenir. L’endurer, l’aimer, la goûter pour ce qu’elle a à nous donner à penser. D. - Sans contredit, et peut être pour longtemps, et seulement de telle sorte que nous tâchions soigneusement à débrouiller la confusion."
 Heidegger dit que ce qui prête à cette confusion, c’est notamment cette manière d’utiliser le verbe « être » et qu’il n’y a pas d’autres verbes, d’autres manières de dire qui se présentent. Cette confusion est positive, elle a sa portée. La question n’est pas d’en sortir mais de l’endurer pour qu’elle prenne toute son épaisseur, sa dimension et que du coup vienne à la parole ce mot qu’il nomme et qu’il nous appelle à entendre, qui sera Ereignis. Cette confusion est précieuse, elle évoque la posture thérapeutique : amener ce qui se déploie à sa portée : si un patient ferme 15 fois la porte, il ne s’agit pas de l’amener à faire autrement que cela mais à pouvoir prendre la portée de sa geste. Par sa manière de compatir, d’endurer avec son patient, le thérapeute va l’amener à ce que cette manière là prenne sa dimension, et prenant sa portée, elle s’éclairera dans sa pertinence et s’altérera. Ce n’est pas nous qui décidons d’un comportement, il nous vient. Et ce qu’il nous donne à entendre, nous ne le savons pas... nous devons nous laisser ouvrir sans cesse comment il nous appelle à prendre part... une posture d’accueil/recueil. Il est de l’essence de l’être de s’oublier... la vérité est ici une éclaircie et non la pleine lumière de la raison, du rendre compte. « La trouvaille a lieu quand le mot qui nomme vient nous interpeler » Ce n’est pas nous qui fabriquons le mot, c’est le mot qui nous interpelle. Donc nous ne pouvons pas décider d’arrêter ce mot et d’en prendre un autre...
Et c’est aussi ce qui vient expliquer le silence d’Heidegger, il ne s’explique pas, ne se justifie pas, il assume toutes les manières de ce dont on l’affuble. Il l’endure et le porte, ni il essaye de s’opposer à ça ni il essaye de lever une confusion. J." - Cela seul mène en plein air, dans l’espace libre.
D. - Mais le chemin jusque-là ne se laisse pas jalonner ni planifier comme une route. La pensée va au gré d’une façon de bâtir le chemin que j’aimerais presque appeler prodigieuse. Heidegger parle de chemin et non d’une œuvre : Weg nicht Werke. Il parle de son travail, comme des chemins qu’il a arpenté, des tracés et pas une œuvre... "Acheminement vers la parole"... "Chemins qui mènent nulle part". J. - Sur ce chemin, il faut que les bâtisseurs retournent quelquefois aux chantiers dépassés et abandonnés, ou même qu’ils reculent plus loin derrière.
D. - Je m’émerveille de la pénétration de votre regard sur le style des chemins de pensée. J. - Nous avons en ce domaine une riche expérience ; mais elle n’est pas mise en forme de méthodologie conceptuelle, ce qui détruirait toute la vivacité native des démarches de la pensée. En outre, c’est vous-même qui m’avez donné occasion de voir plus distinctement le chemin de votre pensée. D. - Comment cela ?
J. - Bien que vous soyez économe du mot « être », vous avez récemment employé de nouveau ce nom, dans un contexte qui me devient toujours plus proche pour m’apparaître même comme ce qu’il y a de plus essentiel dans votre pensée. Dans la « lettre sur l’humanisme », vous caractérisez la parole de la langue comme la
« maison de l’être » ; aujourd’hui, au début de notre entretien vous avez vous-même fait allusion à cette tournure. Et, me remémorant cela, je dois m’aviser que notre entretien s’est fort écarté de son chemin.
D. - Ça en a l’air. Mais en vérité nous en sommes seulement à arriver sur ce chemin.
Cela évoque qu’on n’en finit pas d’approcher... jusqu’au moment où l’on se trouve au pied de la montagne et là encore une approche. J. - Je ne suis pas capable, pour l’instant, d’embrasser cela du regard. Nous tentions de parler à propos de l’interprétation esthétique de l’Iki que faisait le comte Kuki.
D. - Nous le tentions, et ce faisant nous ne pouvions éviter de prendre en considération le péril de tels entretiens. J. - Nous avons reconnu que le péril tient au déploiement, en retrait, de la parole. " Sans cesse il nous faut apprendre à lâcher, que dès que nous croyons avoir attrapé quelque chose, ça a déjà cheminé et c’est tout autre tout comme nous même sommes autre alors... un remède contre l’attitude péremptoire. La dimension périlleuse se tient dans prendre la mesure de ce que nous sommes en train de dire, comment une dite nous donne à entendre... qu’à chaque pas nous nous exposons à un péril, comme sur un chemin de montagne escarpé où il importe d’être attentif à comment il y va de nous en propre (comme dans la thérapie également).
Le péril est l’imminence aussi... avoir conscience que faire ça ou ça est lourd/riche de conséquences, conséquences que nous ne pouvons pas lister par avance et qui nous amènent à ..."je préfère ne pas" : une attitude prévenante au sens non pas de se retirer mais de se laisser le temps de mûrir, de retarder de se jeter dans quelque chose, de ne pas prendre à la légère ce qu’il se passe là. C’est ce qui amène à la résolution devançante : c’est une décision, c’est dire oui à quelque chose dont je ne peux pas imaginer ce qui va venir mais, que j’y vais de telle manière que je ne vais pas remettre en question la décision et que je vais faire avec les chemins qui viendrons.
La forme du point de vue de la gestalt-thérapie est-elle celle que le thérapeute décide ? Ou est-ce qu’elle survient et nous accorde place à chacun ? Survenue en mode ego.


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