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CR N°6 d’un entretien de la parole. p 98 à102.


Compte-rendu n°6 - D’un entretien de la parole de Martin Heidegger – Corinne Simon, Frédérique Remaud, Marie-Christine Chartier, Edith Blanquet – Rouffach - Nov 2018 - p 98 à p 102.

J.- C’est ainsi, de fait, que nous voulions seulement savoir en quelle mesure l’esthétique européenne était susceptible d’élever à une plus grande clarté cela à partir de quoi notre art et notre poésie reçoivent leur déploiement.

Cela vient dire qu’il s’agit de se laisser questionner et pas de répondre, et que toute esquisse de réponse nourrit à nouveau la question. Il faut préserver ce qu’il est le plus digne de penser. Nous prémunir de l’idée que nous aurions certifié les choses une fois pour toute !

Thème : comment nous pouvons essayer de comprendre et élever à une plus grande clarté, ce à partir de quoi la poésie et l’art japonais reçoivent leur déploiement. Avec l’idée qu’en le mettant en rapport avec l’esthétique européenne on pourrait peut être comprendre l’esthétique orientale. C’est le rapport (la mise en tension de l’orient/ occident) qui pourrait éclairer l’esthétique orientale et peut-être en retour pourrait éclairer l’esthétique européenne.

D. - Et cela serait ? J. - Nous avons pour lui un mot qui a déjà été mentionné, le nom Iki. D. – Combien de fois ai-je entendu ce mot de la bouche de Kuki, sans toutefois pouvoir faire l’expérience de ce qui est dit en lui. J. – Cependant, pour Kuki, le Iki a dû en quelque façon parvenir dans une lumière plus vivre grâce à ce que vous entendiez par « ce qui est herméneutique. » Un mot peut éclairer, il parle du déploiement de l’art et de la poésie au Japon : c’est Iki qui nous permet d’entendre de quoi il s’agit et qu’il faut entendre dans le sens européen. Ce mot ne nous dit rien, on peut en entendre quelque chose si on le met en rapport avec ce qui est herméneutique. Cela pourrait être une manière de le traduire, de l’amener à prendre place : iki/ce qui est herméneutique. L’herméneutique : Une manière de déployer la parole et de penser qui n’est pas du même ordre que la science. L’herméneutique vient d’une manière de lire les textes sacrés. En quoi on utilise l’herméneutique pour comprendre les textes sacrés plutôt que le rendre compte propre à la science ? Pour quoi l’herméneutique est-elle d’emblée plus propice à la mystique que la science ? … est-ce que le sacré c’est la même chose que la science ? Ou est ce que ce sur quoi on se penche quand on questionne du point de vue mystique ou religieux, c’est un objet qui n’est pas distribué physiquement. ? C’est l’objet même de la quête mystique qui requiert une manière de penser que ne peut pas entendre la science ;on ne peut pas mesurer la taille de Dieu, on ne peut pas utiliser les mêmes outils, les mêmes manières de tisser le logos. Du coup, l’objet de la science ne peut pas être Dieu. Théologie : est la région du monde de ce qui n’est pas matériel... le spirituel Science : est la manière de découper le monde à partir de ce qui est matériel. Cela permet de regarder le cheminement de la pensée européenne et même comment la pensée orientale peut trouver son chemin... peut être que la pensée orientale a pensé la matière autrement ? C’est plus complexe ...même si les japonais savent faire avec du béton !! Ex : Naomi Kawasé parle du questionnement de l’humain ; que les japonais ne se posent pas de la même façon. Le Japon n’est pas assujetti à la technique ? Manières de regarder des japonais : vers où les regards sont tournés, les yeux sont levés vers les feuilles, chez nous jamais on ne regarde pas souvent les arbres comme ça …

On tente de traduire Iki.

« D. - Je présentais bien quelque chose de ce genre ; mais je n’arrivais jamais à le suivre dans ses intuitions. J. - Ce qui vous en empêchait, vous l’avez déjà désigné : la langue de l’entretien était la parole européenne ; or il s’agissait d’expérimenter et de penser le déploiement extrême-oriental de l’art japonais. D. – Ce que nous discutions était d’avance forcé à venir de ce côté-ci, dans le domaine des représentations européennes. J. - À quoi vous en rendiez-vous compte ? D. – A la manière dont Kuki élucidait ce mot fondamental : Iki. Il parlait de rayonnement sensible, par le ravissement irrésistible duquel quelque chose de suprasensible parvient à transparaître. »

Pressentir, Intuition n’est pas concept : il parlait par intuition.

« Rayonnement sensible, ravissement irrésistible... » Si je dis ainsi à un scientifique, il va me dire que je fais de la poésie...C’est une vibration, c’est une rythmique du dire de la parole qui ne peut pas être mesurable. Ça dirait « une pure opinion » ?. Il dit que la langue de l’entretien était la parole européenne. Les représentations européennes ne vont pas, pour expliquer quelque chose, parler de "rayonnement sensible" ou "ravissement irrésistible"… Traduire... arriver à le définir : c’est déjà se tenir selon les règles de la langue européenne, selon la représentation. Prendre la mesure que voulant le définir, tu vas le définir d’une manière autre ; tu peux l’éprouver… l’intuiter, mais pas le définir ... mais cela invite à comprendre ce que veut dire définir… Rapport définir/éprouver, presentir, intuition/à quelque chose qui cherche à définir… si on est dans la langue européenne on ne va pas s’en tenir aux intuitions car on imagine que l’intuition n’est pas suffisamment claire, on veut autre chose. « or il s’agissait d’expérimenter et de penser le déploiement extrême-oriental de l’art japonais. … », il y a « or » : ce dont il est question il ne s’agit pas de l’arraisonner, il s’agit de l’expérimenter, d’en faire l’épreuve... et de penser un déploiement. Dans le fait que je n’arrive pas à assumer l’intuition j’éprouve quelque chose… sauf que je ne peux pas prendre cela pour vrai puisque je cherche autre chose dans la pensée, donc je me dis que ça n’est pas suffisant parce que je suis dans la volonté de penser européen : rendre compte, représenter plutôt que éprouver.

« J. - En l’exposant ainsi, Kuki a touché, à mon avis, ce dont nous faisons l’expérience dans l’art japonais. D. – Votre expérience se meut en conséquence dans la différence d’un monde sensible et d’un monde suprasensible. Sur cette différence repose ce que l’on nomme depuis longtemps la Métaphysique occidentale. »

Comme je suis dans cette différence, si c’est intuition, ce n’est pas raison ; donc selon la logique qui nous est familière, il faut que je cherche la raison. Alors que pour la pensée japonaise, intuition/raison, sensibilité /pensée c’est le même. Je peux dire rayonnement ou rythmique de la présence : c’est suffisamment explicite, pas besoin d’en dire plus. Mais nous avons besoin d’en savoir plus : qu’est-ce que c’est la rythmique ? On n’envisage pas que de le dire ainsi, c’est déjà suffisamment élucidé.

Métaphysique : métaphysique prend sens à partir de physique, méta : par-delà la physique, la métaphysique est la science de tout ce qui est les essences par rapport aux accidences, c’est l’être, la vérité, l’idée est que les choses reposent sur des essences, le plus général, l’idée de la table ...le vrai c’est la raison, ce qui est débarrassé des scories de la manifestation, de la sensation qui nous trompe, des apparences : s’il y a plein d’armoires possibles, c’est bien qu’il y a une idée de l’armoire qui est la plus générale puisque toutes les armoires je les reconnais comme des armoires : si je dis le même à travers des choses qui n’ont rien à voir, c’est donc que la sensation me trompe et que la vérité, c’est l’idée de l’armoire, le concept, le plus général, le plus abstrait.

« J. – Renvoyant à la différence qui régit la Métaphysique, vous effleurez la source du péril, dont nous avons parlé. Notre pensée, si je puis la nommer ainsi, connait bien quelque chose qui ressemble à la différence métaphysique ; pourtant, la différenciation elle-même et avec elle ce qui, en elle, est différencié ne se laissent pas saisir à l’aide des concepts métaphysiques. Nous disons Iro, c’est-à-dire couleur, et nous disons Kouou, c’est-à-dire le vide, l’ouvert, le ciel. Nous disons : sans Iro, nul Kouou. »

Ex : représenter un « C » en calligraphie : c’est penser l’ouvert, ménager un cercle… Si on pense la lettre, la courbe n’est pas parfaite. Ménager l’espace, le libre… quand on regarde quelqu’un écrire, cela se voit s’il a pensé la lettre « c » ou s’il a pensé l’ouvert ! Les lettres sont des rapports d’espace, des manières de ménager l’espace et pas des manières de faire des traits. En calligraphie il y a des ductus : des trajectoires, des manières de cheminer à partir d’une procédure comme la gamme où il faut passer par un chemin particulier Et ce chemin te fait éprouver à la main quelque chose : mouvements, rythmes, espace…es-pace : prendre place, écarter se rapporter Ex des enfants dyspraxiques qui ont une difficulté de rapport à l’espace et une difficulté de rapport à la lettre ; leur faire répéter l’écriture ne sert pas : il faut faire travailler la geste.

« la différenciation elle-même et avec elle ce qui, en elle, est différencié » c’est dans la différentiation que quelque chose peut se différencier. Alors que nous, on parle de différencier et on perd la différentiation. «  sans Iro, nul Kouou » Il ne peut pas y avoir de couleur sans ciel. Pour eux, c’est évident, ils les pensent comme différentiation. Nous, on les pense comme 2 objets préalablements distincts.

« D. – Cela paraît exactement correspondre à ce que dit la doctrine européenne, c’est à dire métaphysique de l’art, quand elle représente esthétiquement l’art. L’αíσθητóν, le sensible qui peut être perçu, laisse transparaître le νσητóν, le non-sensible. » p100

La métaphysique ne dit pas la différentiation : elle dit qu’il y a quelque chose qui prend appui de quelque chose d’autre qui n’est pas ce qui est ...le sensible n’est pas l’intelligible. nous avons pour habitude de chercher l’intelligible derrière le sensible ! Les japonais ne se soucient pas de ce qui est derrière ou devant… il ne peut pas y avoir de devant ou de derrière, de premier ou de second, il n’y a que différentiation , rapport ouvrant site pour prendre place/ part ! Couleur fait apparaitre ciel, le trait fait apparaître le libre…ex : quand je taille un arbre, je ménage le libre, je libère l’espace, je rends libre, je ménage un passage à travers les branches, je ne taille pas juste un arbre.

«  J. – Vous comprenez à présent à quel point la tentation était grande pour Kuki de déterminer le Iki à l’aide de l’esthétique européenne, c’est-à-dire, selon votre indication, de le déterminer métaphysiquement. D. - Plus grande était et reste ma crainte que, sur ce chemin, le déploiement propre de l’art extrême-oriental soit recouvert et déplacé dans un domaine qui ne soit pas à sa mesure. J. – Je partage tout à fait votre crainte ; car Iro nomme bien la couleur, mais vise cependant essentiellement davantage que du sensiblement perceptible, quel qu’il soit. Kouou nomme bien le vide et l’ouvert, mais vise pourtant autre chose que ce qui n’est que suprasensible. »

Kouou n’est pas le sensible, pas plus que le suprasensible : on ne peut pas le découper ; c’est bien le vide et l’ouvert, mais ce n’est pas le vide et l’ouvert dans le sens où nous l’entendons, nous européens : qui n’est pas plein. Le vide … l’ouvert, c’est un mouvement, c’est une présence pas une absence. Question de la traduction : il faut beaucoup de phrases pour décrire un mot, comme Körper et Leib en allemand, il y a quelque chose qui échappe et ne rend pas possible de le réduire à une traduction aussi simple...il y a à s’ouvrir à autre chose ! Autre ex : Le quadriparti : c’est une manière dont l’humain prend place dans un jeu des quatre qui est le ciel, la terre, les divins, les mortels ...c’est un jeu comme quelque chose qui est toujours en jet, ce n’est pas une mesure métrique.

« D. – Vos indications, que je ne peux suivre que de loin, aggravent mon inquiétude. Plus grande encore que la crainte dont j’ai parlé, est en moi l’espérance que notre entretien, né du souvenir où nous pensons au comte Kuki, pourrait réussir. J. – Vous voulez dire qu’il pourrait nous porter plus près de ce qui n’est pas dit ? D. – Par là nous serait déjà accordée une richesse : beaucoup de choses dignes d’être pensées. J. – Pourquoi dites-vous « serait » ?

Quelque chose l’inquiète encore plus ! Cette inquiétude au moment où je la dit, m’amène à voir que si je m’inquiète c’est parce que j’espère bien que ça pourrait réussir cet entretien, qu’on arriverait à comprendre le déploiement de la pensée ... plus j’essaie de faire ça, plus je m’aperçois que ça s’éloigne encore plus ! C’est une épreuve ... il fait part d’une expérience. Il aimerait que ça réussisse, il croit avoir compris ce que ça voulait dire ...et le Japonais, plutôt que de le rassurer lui dit : qu’est-ce que tu veux dire par réussir ? et « Pourquoi dites-vous ce serait ? » On est typiquement dans l’herméneutique qui est mise en œuvre et dans la posture thérapeutique : avec le patient je chemine, j’arpente… au lieu de répondre, d’apaiser, de m’arrêter dessus… ce qu’il vient de dire commence à vaciller et je vais l’éprouver, y prendre part avec. On pourrait traduire Iki par la métaphysique … mais si on creuse plus, on ne peut pas dire que c’est l’ouvert au sens où on l’entend, c’est au-delà de l’ouvert… je commence à attraper quelque chose et tout d’un coup j’angoisse ... qui se traduit par l’effondrement d’un idéal : on va y arriver. En tant qu’européen je vais nommer pourquoi j’angoisse, comment j’angoisse…Mais l’angoisse permet d’explorer ce moment-même où je me déprends de : je croyais que j’allais y arriver. Cet espoir d’y arriver apparaît comme tel dans le moment où il s’effondre. S’il ne s’effondre pas, il ne peut pas apparaître comme un espoir.

C’est la posture thérapeutique : en thérapie : au lieu de dire : vous angoissez, comment ça serre ?.... plutôt : qu’est-ce que vous voulez dire par : réussir ? « Par là nous serait déjà accordée une richesse ... » , « Pourquoi dites-vous « serait » ? C’est à dire j’espère encore un petit peu ?

D. – Parce que je vois maintenant encore plus distinctement le péril : la langue de notre entretien ne cesse, à mesure, de ruiner la possibilité de dire ce dont nous parlons. J. – Parce que la langue elle-même repose sur la différence métaphysique du sensible et du non-sensible, dans la mesure où les éléments de base, son et lettre d’un côté, signification et sens de l’autre, supportent la structure de la langue. » La langue essaie de dire par des sons et des lettres quelque chose qui ne peut pas se dire par des sons et des lettres ? Exemple des enfants qui disent :Pourquoi on dit ciel et pas carotte ? ... à un moment, lorsque l’on dit ça, on dit que ça correspond au son ciel ... et qui a décidé que ça, c’était ciel et pas herbe ou... autre chose ? On a bien fait une adéquation entre un son, une manière de le prononcer et quelque chose ... et on s’en arrête là !

En tant que gestalt-thérapeute, j’essaie de voir comment ça vient dire, comment ça produit, qu’est ce que ça construit, quelle forme, la manière de dire et pas le quoi ça veut dire. Qui parle et d’où, à quelle place ça nous invite. Le parallèle avec notre posture c’est que, dire, est une manière de sentir, à travers dire, il y a une voix, des regards, des postures corporelles, une rythmique, une lumière… il n’y a pas que des sons articulés ... dire, c’est se laisser goûter à quelle place ça nous met. Par le dire je ne dis pas à un sujet qu’il s’agit de savoir, je prends place et part. Dire, c’est habiter un monde, c’est sans cesse avoir à prendre place… ça ne peut pas se comprendre, ça ne peut que s’éprouver sans cesse. Habiter un monde, c’est sans cesse avoir à prendre place.

Et lire est alors une épreuve de présence ! A un moment quelque chose arrête physiquement dans la lecture : on est sur le thème de la métaphysique… et d’un seul coup « mon inquiétude s’aggrave… » : Scansion, on fait un pas de plus… Et il demande qu’est-ce qu’il entend par réussir plutôt que voir ce qui l’inquiète. Il fait le choix d’approfondir sur un verbe et pas sur quelque chose qui est éprouvé...il y a un saut en terme du cours de la pensée ... construction de la signification, logos : comment ça cueille et rassemble… Ce saut va conduire à éprouver, à creuser… Mise en œuvre d’une sémio... comment ça peut faire signe !

Il parle de ruiner : quelque chose qui chaque fois s’effrite.

D. – Du moins dans l’horizon de la représentation européenne. En va-t-il de même chez vous ? La structure de la langue de Saussure : un signifiant : un son, correspond à un signifié. Il y a une phonétique qui dit un nom, quelque chose qui est signifié et il y a des rapports qui sont figés, fixés dans le dictionnaire entre autre… et il demande s’il en va de même dans leur langue ? C’est à dire que la langue articule signifiant et signifié. La question se pose des dictionnaires japonais... puisque le son n’est pas figé dans une seule signification et qui se transposerait dans tout contexte... car au Japon moi entrain de parler sous le soleil ne se dira pas de la même manière que moi entrain de vous parler sous la pluie.

J. - Guère. Pourtant, comme je l’ai déjà indiqué, la tentation est grande d’appeler à l’aide les modes de représentation européens et leurs concepts D. – Elle est renforcée par un processus que j’aimerais pouvoir nommer la complète européanisation de la Terre et de l’homme. p.101 J. – Beaucoup voient dans ce processus le triomphe de la Raison. N’a-t-elle pas été saluée comme une divinité à la fin du 18e siècle, lors de la Révolution française ? D. - Certes. On va même si loin dans l’idolâtrie de cette divinité que l’on peut dénigrer comme déraison toute pensée qui récuse comme non originale la prétention de la raison. J. – La domination intouchable de votre Raison européenne, on la croit consacrée par les succès de la rationalité que le progrès technique nous met heure après heure sous les yeux. D. – Cet éblouissement aveugle à ce point qu’on ne peut même plus voir comment l’européanisation de l’homme et de la terre attaque et ronge aux racines tout ce qui est essentiel. Toutes les sources paraissent devoir s’épuiser. C’est ce qu’Heidegger appelle la mondialisation. A partir du développement de la technique, tout le monde doit viser le progrès. Et le progrès, c’est devenir mondialement pareil… Par ex : tout le monde veut un tracteur et toutes les autres formes d’exploitation de la terre sont considérées comme non-évoluées. On a voulu amener la technique et le savoir à tous les gens, pour qu’ils gagnent du temps pour ceci ou cela. L’idée de la technique et du progrès vont ensemble ainsi que l’idée de la maitrise. Le monde est donc un monde européen aujourd’hui, on a perdu les particularités culturelles. « ....que l’on peut dénigrer comme déraison toute pensée qui récuse comme non originale la prétention de la raison. »

Non-originale : comme première... c’est la raison qui est le fondement de tout, on doit rendre raison de tout. Le propre de l’existence humaine est de raisonner sur les choses, de maitriser. Et s’il y a une pensée qui va dans le sens de s’incliner et de respecter, de ne pas se plier à son ego...ce n’est pas normal ! Ex : si tu as droit à 10 pour le prix d’un seul pourquoi tu ne prends pas les 10 ? puisque c’est une affaire !

J. - Un exemple frappant de ce que vous dites est le film Rashomon, bien connu dans le monde entier. Peut-être l’avez-vous vu ? D. – Par bonheur oui. Malheureusement une seule fois. J’ai cru y éprouver ce qu’il y a de fascinant dans le monde japonais, ce qui vous emporte en plein secret. Aussi je ne comprends pas pourquoi vous donnez précisément ce film comme exemple de l’européanisation qui consume tout. J. – Nous autres, japonais, nous trouvons bien trop réaliste la représentation, par exemple dans les scènes de duel. D. – Pourtant, n’y a-t-il pas aussi des gestes pleins de retenue ?

Duel : scène où quelqu’un attaque... pas où quelqu’un se retient d’attaquer

J. – Ce genre de choses peu apparentes et que le regard européen peut difficilement remarquer coule à flot dans tout le film. Je pense à une main calmement posée, en laquelle se rassemble un toucher qui demeure infiniment loin de tout palper, et qui ne peut même plus être appelé un geste, au sens où je crois comprendre ce mot dans l’usage qu’en fait votre langue. Car cette main est traversée et portée par un appel qui vient à elle depuis très loin, tout en l’appelant à aller encore plus loin. Cette main repose dans la portée d’un appel qui se porte à elle depuis le calme silence de la paix.

Le geste n’est pas la translation d’un mouvement, n’est pas le temps qu’il faut pour donner un coup… mais le « geste artisan », la geste, la manière de faire le geste au-delà d’une dimension technique et efficace mais d’une manière où l’on s’y entend.

D. – Mais à voir de tels gestes qui sont autres que nos gestes, je ne comprends plus du tout pourquoi vous pouvez prendre ce film comme exemple de l’européanisation. p.102 J. – Cela n’est pas compréhensible parce que je ne me suis exprimé qu’insuffisamment. Mais pour pouvoir le faire, j’ai justement besoin de votre langue. D. – Et vous ne prenez pas garde au péril que cela représente ? J. - Peut-être se laisse-t-il conjurer pour quelques instants.

Ça parle de l’européanisation... ce film ne peut pas être très japonais ou très européen… Ce sont les manières d’éprouver qui vont ouvrir les 2 dimensions… Si on pouvait dire qu’il y a un film qui s’exprimerait de manière japonaise et un autre de manière européenne, on pourrait découper ! On serait encore dans la maitrise. Si tu te sers de ma langue, comment on va faire ? Puisque tu dis que ça nous met au péril de la représentation… Ce n’est pas la langue qui nous met en péril, c’est l’usage que l’on en fait ! Ça ouvre à penser la portée et la limite de chaque chose. Le système binaire dirait : si c’est nul pourquoi je m’en servirais ? Du point de vue humain, l’ambivalence n’est pas une contradiction mais le lieu de la présence humaine. ET à la fois j’en ai envie ET à la fois je n’en ai pas envie ! Il faut entendre ce que ça donne à éprouver. Du point de vue de l’existence humaine, ce n’est pas contradictoire... C’est même subtil ! En tant que thérapeute, nous connaissons ça... j’ai terriblement envie de quitter ici et en même temps j’ai une peur bleue de ce à quoi ça m’expose ! Ça ne veut pas dire que je suis incohérente, mais à un moment d’une crise d’existence.

On présuppose que notre langue n’est pas bien et la sienne serait mieux ! Là, je suis encore en train de penser et de vouloir maitriser là où c’est bien et où c’est pas bien ... entrain d’avoir déjà différentié, écarté, séparé plutôt que de prendre en compte le mouvement de rapport et de me tenir dans une mutuelle affection. Je cherche là où c’est différent plutôt que là où c’est le même ! Quand on se fâche, c’est sur la base du même ! Pour qu’il y ait une différence, il faut qu’il y ait du commun, sinon on ne peut pas dire qu’on est différent… Le différent fait pousser là où il y a de la communauté… sinon comment ça peut se différentier ? Si je dis : je ne suis pas d’accord avec toi ! Il faut bien que je parte d’une question qui est commune, donc, cherchons là où il y a la communauté plutôt que là où nous ne sommes pas au même endroit. Cherchons là où nous sommes en commun pour pouvoir accueillir les nuances au lieu de dire que je ne suis pas d’accord ou que c’est différent. Lorsque je dis que la manière de penser de la science n’est pas la même que celle de la mystique, il s’agit bien de penser, donc de faire pousser quelque chose comme un monde pour des humains. Lorsque que je dis que je ne suis pas d’accord de réduire un humain à un ego ou la toute puissance, c’est bien la question de l’humain qui me préoccupe. Alors, au lieu de s’arrêter sur la question de la différence du je suis pas d’accord qui dirait qui a raison ou qui a tord, cherchons là où nous sommes dans la même préoccupation. Ainsi nous pourrions commencer à nous respecter plutôt que s’écharper pour savoir qui est le plus grand et le plus fort ! Si nous mettions en commun la préoccupation de la souffrance humaine, nous n’aurions pas besoin d’ériger des tours et des châteaux pour dire de celui qui pense autrement : il m’agresse, il me fait violence… on pourrait dire qu’il nous donne et penser et que cela nous aide à mieux accompagner les patients ...nous sommes plus occupés de notre propre valeur ajoutée que du soin des autres ! La différence est source de peur, on la prend comme une menace de notre stabilité et du coup, on ne la supporte plus.


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