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Compte-rendu N°16

Lecture du séminaire du 14 mai 1965


Groupe de lecture de Carcassonne du 14 février 2013

Présents Edith Blanquet- Marie Christine Mistral- Marie Sarda – Guy Minaudier- Denis touzet

Ce soir lecture du séminaire IV du 14 mai 1965 Pages 143 à 147

Rappel du séminaire III :La limite du corps qui ne devient jamais elle même une limite du corps (leib) nous dit Heidegger P 140 Le phénomène du corps : le corps est à chaque fois mien (la mienneté existentiale) ; un mode d’être-le-là : le corporer témoigne de l’horizon dans lequel je séjourne. Et cela nous invite à méditer la notion de situation en Gestalt-thérapie : toujours co-ouverte comme forme de ma présence à autrui…et non pré-existante. La situation pourrait-elle se regarder comme in-formation du corporer ? De même le mouvement humain : un se mouvoir à .., un geste .., il y va à chaque fois de moi et non d’un mouvement mécanique, d’une translation matérielle d’un point à un autre.

Séminaire IV du 14 mai 1965

Il existe à l’évidence deux types de gestes qui ne sont en rien le même type de mouvement. Quand le docteur K se passe la main sur le front, cela dit tout autre chose même si l’on ne prend pas le temps de « décomposer » ce geste. C’est d’évidence un geste d’expression effectué sans se rendre compte aware en Gestalt-thérapie…Heidegger interroge ici quelque chose qui va de soi (familiarité du monde). Ce geste témoigne globalement d’une manière d’être-au-monde avec sa teneur atmosphérique.Il n’est pas compréhensible seulement en le réduisant à un déplacement. Heidegger nous interroge sur la différence entre geste et mouvement. Le changement de lieu de la montre, c’est une translation mécanique mesurable sur un plan géographique. Quand nous parlons du « déplacement » de la main nous allons alors parler de « mouvement » de la main, la main, n’étant pas une chose. Quand je m’intéresse au mouvement de la main c’est toujours avec un « en vue de.. » ; je ne me contente pas de mesurer le mouvement et de nommer le muscle qui l’effectue comme le ferait un kinésithérapeute … je ne perds pas de vue le « en vue de … » Heidegger fait une différence entre mouvement et gestes. Il n’y a que des humains qui font des gestes…. Le reste n’est que technique qui ne tient pas compte de la dimension humaine du sentir, de cette manière dont l’humain met en œuvre un pouvoir être qui l’implique d’emblée : au cœur de la totalité de l’étant qui s’in-forme avec lui-même.

Quand habituellement nous disons que le geste exprime quelque chose, nous avons, de manière non prise expressement en conscience, présupposé que ce geste est causé par un « quelque chose » qui veut s’exprimer, un quelque chose qui n’est pas le geste lui-même. Rappelons nous l’exemple du mouvement de main sur le front du participant au séminaire compris d’évidence comme : « il réfléchit ». Lorsque je dis « ce geste exprime » : je distingue le geste et le quoi qu’il exprime ; ce qui le cause ou détermine et qui n’est pas le geste par et en lui-même, et là nous sommes dans l’évidence de la pensée scientifique qui détermine et assure des causes : une cause signifie que un autre que lui détermine ce « lui » en question. Par exemple en Gestalt-thérapie nous pouvons penser selon l’a priori que ce que le patient manifeste maintenant dans le cours de la séance est causé par quelque chose d’autre qui se tient caché au sein de sa conscience et que nous devons rendre manifeste : hypothèse d’une Gestalt fixée. Nous voyons bien là la proximité d’un tel mode de penser avec la psychanalyse…même si les Gestalten fixées ne sont pas de signification sexuelle comme en psychanalyse. Néanmoins nous pensons selon une logique déterministe et nous ne prenons pas alors en vue un phénomène de présence mais un symptôme.

Quand je dis : le mouvement est un geste je dis alors un style de geste, une manière de bouger. Je ne parle plus vraiment de mouvement-translation-métrique dans un espace euclidien, je prends en vue la rythmique d’une présence singulière, là où elle trouve son lieu : auprès-d’autrui d’où elle se distingue et trouve sens. Quand je dis geste, je vise en lui-même le geste, alors que si le mouvement est expression de quelque chose d’autre, il sera donc défini par ce qu’il est présupposé exprimer. Et nous ne sommes pas là dans le phénomène mais dans l’expression causaliste du mouvement.

Si je dis que geste est une expression, je ne réponds pas à la question de : qu’est-ce qu’un geste ? Geste ici exprime alors un « Quoi ? » du geste et non pas ce que c’est. Je ne parle donc de geste que pour le mouvement d’un corps humain ; geste implique forcément un être humain.

Petite parenthèse : Soma exprime le corps en tant que organisme mort. Déma le corps vivant au sens de la figure, de la stature ou de la silhouette Chez Homère, poète épique du IXème siècle dont l’œuvre a constitué pour toute la Grèce antique le fondement même de sa conception de l’homme et du monde, il n’y a pas de pensée du corps comme une globalité. Le corps est compris comme mouvance et ainsi Homère pour dire le corps va aussi dire melea (les membres). Ce que Homère saisit « du corps », c’est son mouvement. Ce n’est que plus tard que les grecs useront de soma pour dire le corps au sens prégnant du terme (il faudra attendre Héraclite au Vème siècle qui le premier parlera de soma et psychè au sens proche de celui actuel). Homère n’utilise pas soma pour désigner le corps : Soma, à cette époque, désigne le cadavre, le corps mort qui constitue un des sens fondamentaux du latin corpus.

[S’il n’est pas de représentation du corps global comme totalité, il ne peut non plus y avoir alors de représentation de l’âme comme opposée au corps (pas de dualisme au sens moderne). Psychè existe bien mais il vient du verbe psychein qui désigne le souffle vital qui s’échappe par la bouche au moment de la mort. Pour dire l’esprit, Homère utilise thumos, ce qui est à l’origine des mouvements et des émotions, et nous ce qui est à l’origine des idées.]

P144 Ce moment sémantique conduit Heidegger à dire que notre représentation du corps scolaire est celle d’un corps animé et que celle-ci a perdu toute sa multivocité dans notre langage habituel. Le langage quotidien perd sa dimension de lier et produire, de faire apparaître. Nous nous en tenons à ce qu’il rend présent et ne prenons plus garde de la présence du présent…c’est cela qui témoigne de l’accélération de notre époque : curiosité, bavardage et équivoque. Néanmoins ce « détour » nous conduit justement à ne plus pouvoir nous contenter de bavarder- parler sans prendre garde à ce que nous donnent à entendre nos paroles ; comme dit l’expression « parler à tord et à travers »- et c’est ainsi que s’ouvre à nous la possibilité d’entendre autrement ce qu’il en est du corps comme phénomène et …ce vers quoi « dire » nous appelle. En aparté : c’est la provenance du mot réalité en allemand qui est ensuite dégagée avec les participants : Wirklichkeit : réalité effective est lié au verbe wirken : avoir un effet, effectuer. Il traduit actualitas latin lié à actus, agere. C’est Cicéron qui a traduit ainsi en latin le grec énergeia…traduire ce mot grec par réalité effective est fort éloigné de ce qu’il dit en grec. Génarélament on le traduit par efficacité, force, puissance. Petit Rappel : Aristote utilise le mot energeia, activité pour proposer une solution au problème grec de l’unité du réel auquel Platon ne répondait pas de manière satisfaisante avec sa doctrine de la participation : il propose une philosophie du mouvement/ de l’activité. Il propose diverses modalités de l’activité : metabolè (le changement) et kinesis (le mouvement) qui fondent les diverses espèces de processus : le déplacement (phora), l’accroissement (auxèris), le décroissement (phtisis), la modification qualitative ou altération (alloiozis), la génération (genesis) et la destruction ( phtora). Ceci dit, Heidegger insiste ainsi sur le nivellement propre à la mondialisation d’une langue….pensons à la tonalité époquale dans laquelle nous séjournons : la détresse de l’absence de détresse…plus rien ne nous questionne…un calme plat et désertique (voir « La dévastation » de Heidegger). Rappelons nous l’espéranto cette langue extrêmement réductrice qui nivelle.

Toujours en voie du phénomène du corps, Heidegger nous propose de revenir sur la définition anthropologique : l’homme comme animal + rationem ; Zoon ekon logos. L’homme est celui à qui un dire s’adresse : un laisser voir, rendre manifeste (legein grec : cueillir, rassembler, prendre forme et visage par l’acte de l’appellation) Et Heidegger explique : Sur quoi le dire est-il fondé ? Prenant exemple sur la perception que l’on a du verre… Pour être, par exemple un verre, il faut qu’un « être » lui soit donné. Les verres sont, ils n’existent pas. Exister est une manière d’être et non la seule. Le verre lui, il lui est donné d’être d’une certaine manière définie, claire : il est totalement là-devant , il est entièrement là, fini.. un étant-là-devant. En ce sens il n’ex-iste pas. Mais exister pour un être humain c’est être hors de. La manière d’être pour un être humain c’est qu’il existe, il est être-le-là et non être-là. La manière d’être pour un verre c’est d’être utile, un outil étant-là-devant moi, le verre est lié à la main de l’homme, il est maniable. Lorsque j’écris que le dire s’adresse à nous les humains, je suis sensible au laisser être : le dire n’est pas une propriété de la raison ou de la conscience. Il est un mode de dispensation de être (la façon dont l’être nous est donné) : dire nous donne à entendre ce qui se montre : ce qui est présent : le présent, la présence du présent. Ainsi dire, parler est rapport à l’être (voir le pli être/étant. La parole grecque prenait garde de ce pli être/étant présence du présent. Notre langue nivelée ne voit plus ce qui se montre dans sa positivité : le présent de la présence, la présence ne se montrant que comme oubli… c’est l’outil de cet oubli que notre langue moderne préserve. Le présent c’est la Wirklichkeit.. « L’être humain se tient donc dans la manifesteté de l’être, où tout ce qui est présent parait dans l’ouvert sans retrait » p 144 Heidegger nous dit là que la parole requiert un sol d’où elle nous soit donnée : ce sol c’est l’ouvert sans retrait c’est-à-dire une ouverture, une clairière qui ouvre l’espace, qui rende libre pour que quoi que ce soit se montre et trouve place. Il faut entendre le mot clairière dans son sens le plus simple. Prenons le travail du bûcheron qui élague un arbre : il taille, coupe des branches pour laisser passer la lumière.. ça ne montre rien mais juste ça ouvre l’espace, ça permet la lumière .Il ménage ainsi un espace libre. Elaguer c’est alors rendre libre, ouvert pour que quelque chose vienne à se montrer. Donc, Etre-le-là : préserver cette ouverture d’être qui laisse venir à la présence ce qui alors ce montre présent. L’ouvert sans retrait c’est la clairière : la présence d’être comme présence du présent/étant. L’être se manifeste comme donation d’être et de temps ; présence du présent.

Retour à l’idée de geste (P145) : en Allemand Gebärde : de bären= porter, apporter…. Gebärden=enfanter, « ge » c’est le préfixe pour dire un rassemblement… Gebärde : se comporter tout en se recueillant, se prendre pour quelqu’un,. Ainsi le geste définit « tout comportement où c’est l’être humain qui se comporte comme un être au monde, déterminé par l’être-corps du corps. » Définir la manière de se mouvoir de l’humain comme geste, c’est dire alors ce rassemblement qui accorde place et lieu, qui prend forme de monde : significativité, spatialité du Dasein. Nous pouvons là entendre ce que Heidegger veut dire par mondanéité du Dasein : il peut être un réseau de renvois où les choses se rapportent (se lient) les unes aux autres, à même ses agissements et où, dans ce même mouvement il s’in-forme lui-même : en se com-portant ; y trouver sa tenue-avec ; être-auprès-de… et cela c’est ce que geste nous donne à entendre .Et il serait là intéressant de penser la contacter de la Gestalt-thérapie à la lumière de la mondanéité du Dasein. Le geste est une manière de se com-porter dans une contrée (une conjoncture mondaine) toujours déjà ouverte : un en-vue-de-quoi et en-vue-de-qui toujours à l’œuvre. Cela veut dire que chaque acte nous in-forme.. nous même-et-le-monde… d’où la proposition d’Edith de relier le geste et LA geste au sens où on parle de « chanson de geste » à l’époque des troubadours..

S’appuyant sur ce qui précède nous prenons le cas par exemple de la forme langagière mélancolique : le travail thérapeutique prendra appui sur le quotidien, le mouvement, travailler le rythme , faire avec le patient, cueillir rassembler une présence, à même la mouvement qui augure une spatialité.

Si nous reprenons l’exemple du rougissement : lorsque nous le regardons comme expression il veut dire un sens psychique, intérieur qui vient à se montrer au dehors. Si nous le regardons comme geste il est une manière d’être-en-rapport : une manière de lier/dire la façon dont je suis-au-monde c’est à dire au cœur d’une contrée : tonalité et sens. Le corps comme phénomène, corporer : être-avec-autrui ; un rapport appropriant et non plus l’expression d’une intériorité ; dimension ek-statique du corps comme phénomène. P 146 Heidegger poursuit sur la définition de l’homme et la façon de le penser propre aux sciences : il s’agit d’en rendre raison, de d’en assurer et pour cela il nous faut prouver au sens déterministe ce qu’il en est de lui : déterminer et dominer le langage qui le distingue des autres animaux… et nous voilà à l’aube de la « communication comme technique »… les mots ; des assemblages sémantiques que nous composons selon certaines règles, avec des équivalences. Cela encore que tout aussi bien cela… jeux de mots ! La représentation de l’homme c’est vouloir l’arraisonner, le rendre conforme au concept que nous avons par avance établi (planifié). Ainsi en est-il de la « santé mentale » de nos jours !!


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