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Compte-rendu N°5

Lecture des pages 57 à62.


Groupe de Carcassonne du 3 novembre 2011

Lecture de « Séminaires de Zurich » par Martin HEIDEGGER éditions Gallimard

Présents : Edith BLANQUET- Marie Christine MISRAL- Marie SARDA – Yannick MARQUEZ - Guy MINAUDIER – Denis TOUZET

Compte-rendu 5 :Nous nous sommes attablés ce soir à la lecture du Séminaire du 2 novembre 1964 - P 57à62

Martin Heidegger, en guise d’introduction, rapporte une anecdote entre Socrate (le plus grand penseur de l’Occident dans la mesure où il n’a rien écrit) et un sophiste. Aussi un petit rappel du Sophisme s’impose. Les « Sophistes » (de Sophia : la sagesse) sont capables d’argumenter quelle que soit la proposition. Exemple : Dieu existe... et ils argumentent en ce sens…… Dieu n’existe pas …et ils argumentent tout autant. Le sophisme est un art de questionner et répondre, c’est une manière de rhétorique. Les sophistes ont une excellente maîtrise de la logique discursive. Le sophisme amène à une posture qui va questionner. Quel est le lieu de la vérité ? La vérité se trouve-t-elle dans la proposition ou dans la posture ; dans l’acte même de dire/ se dire à ? Vérité s’entend ici au sens grec du terme c’est à dire de ce qui se dévoile ; du comment de la venue à l’apparaître …cela s’apparente au processus d’orientation dans la théorie du self : s’identifier pas à pas ; donner forme à notre manière de tenir/ endurer/comprendre ce rapport à être par où nous nous in-formons en tant que sujet au sein d’un monde (quotidienneté).

Selon Socrate : il est difficile de dire « le même » et le plus difficile de tout : dire le même du même » Dire le même du même est-ce répéter la même idée ? Que veut dire « le même » ? Le même est-il « l’identique » ? Socrate ouvre la question. Ce qui est la difficile c’est la question de la méthode qui nous permette d’accéder au phénomène et la façon d’entendre le phénomène et notamment celui du temps, de l’espace, de l’humain. Le même n’est pas l’identique.

Et dans ce séminaire du 2 novembre 1964, M H se met lui aussi en peine de dire le même du même ; et du point de vue logique c’est un énoncé qui ne dit rien, une tautologie : comment dire le phénomène temps à partir de lui-même ? Sans toujours le présupposer ?. La logique dont il est question ici est la logique comme règle de la construction d’un jugement. Logique qui produit une règle, règle qui permet de produire un jugement. Ce que l’on est en train de faire, c’est une démarche qui en logique scientifique comprend ce que l’on fait sans méditer sur les phénomènes de l’espace , de la temporalité, de l’humain, de la causalité. Autrement dit, M Heidegger amène son auditoire à s’interroger sur ces « évidences » de ce qui nous est le plus habituel – à savoir : la pensée scientifique dans laquelle nous baignons « de prime abord et le plus souvent ».

M Heidegger poursuit : pour lui dans le raisonnement scientifique et dans notre voir habituel nous nous rapportons à la nature. La « Nature » selon le mode de penser propre aux sciences est comprise comme devant se conformer à des lois préalablement établies : conformément à la loi, la nature peut se penser à partir du calcul, de la mesure. Je dis ce qu’est la réalité : j’en défini les lois, a priori ; j’en produit une représentation vérifiable par la mesure. Et ce qui est « réel » est alors conçu comme conforme à la loi, à la représentation, et alors n’est pris en considération que ce qui est mesurable, quantifiable eu égard à la loi énoncée préalablement. Pour le raisonnement scientifique, Il y a des causes, des fins calculables. C’est le « général » qui est « vrai » et non pas la singularité : la science vise la généralité du concept. La chose étant, se mesure à partir d’une loi ou d’un mètre étalon. On mesure cette chose et on peut la quantifier. Ce faisant il nous est évident que la chose est alors définie, énoncée en son être. Par exemple l’espace est mesurable : je peux quantifier la distance entre deux objets ; ce qui est proche l’est en termes métriques mais puis-je dire que cet humain qui se situe à moins d’un mètre de moi m’est proche ? Que voulons nous dire par proche du point de vue de l’espace habité, affecté ? Est-ce réductible à une mesure ? De ce point de vue, le temps et l’espace sont des données mathématiques mesurables. Le temps est métrique ; il est un temps général, théorique ; et l’espace est conçu de même. On en arrive ainsi à des lois abstraites et à des a priori alors que l’on ne peut pas, dans la nature, trouver le temps ou l’espace eux-mêmes par exemple. Nous sommes bien là, face à une construction sur des a priori qui ne sont pas pris en considération eux-mêmes : c’est cela que l’on appelle évidence. Nous comprenons toujours sur un fond présupposé jamais pris en vue lui-même.

Puis M Heidegger nous rappelle que KANT fut le premier à énoncer explicitement que les scientifiques ont « découpé » la nature en régions et ce, sans jamais se poser la question de la relation entre elles ; sans envisager le phénomène visé sous le concept « nature ». la causalité est la loi physique qui permet de déterminer la nature selon le point de vue des sciences. Kant distingue règle et loi : la règle est de l’ordre de la possibilité, c’est une manière de poser quelque chose et quand cela devient « nécessité » alors nous avons affaire à une loi. La nécessité devant s’entendre ici comme « quand je ne peux pas m’y déroger ». Du point de vue des sciences de la nature , l’espace étudié est donc objectivé ; la nature a déjà été projeté selon un plan précis, un plan objectif et fondé sur des lois physiques : la nature est ce qui est conforme à ces lois. Ainsi l’être humain selon les sciences de la nature est un étant qui se trouve là devant, dans la nature. On le prend en vue à partir de son état d’être et non à partir de sa manière d’être.

La question pour nous : en Tant que Gestalt-thérapeute avons-nous affaire à un humain conçu à partir des lois des sciences ? Devons nous approcher l’humain lui-même dans sa propre expérience d’être humain ? Pour un être humain, l’espace et le temps ne sont pas que des translations métriques. Lorsque j’agis et que je me déplace, je n’effectue pas une translation métrique mesurable. Le mouvement humain, le se mouvoir, se comporter peut-il être regardé exclusivement à partir des lois physiques ? Il s’agit de cerner portée et limites du voir scientifique et notamment comment cela nous invite à penser nous, Gestalt-thérapeutes l’être humain, le se comporter à…

Et M. Heidegger de s’interroger : Quand, dans la science parle -t-on de l’humain ? Qu’est-ce que la pensée de la science ? Car il semble bien que dans le domaine des sciences on ne s’intéresse qu’à de la matière, on relie par exemple très vite la psyché au cerveau sans prendre conscience que la souffrance d’un être humain ne saurait se réduire à une sécrétion quantifiée de sérotonine. Le projet de la science fait de l’humain un étant généralisé sans prendre aucun égard à sa particularité, sans tenir compte de sa manière à lui d’être …La dimension de l’être humain fait état de la rencontre avec l’autre, dimension absente du projet de la science et cela ne veut pas dire qu’elle l’a oublié mais que le mode de penser propre à la science ne peut nous amener à méditer le propre de l’humain en tant qu’ayant à être : l’être-corps qui n’est pas le corps biologique ; certes le cerveau est bien un organe et les travaux scientifique nous sont précieux ; mais connaître les neurotransmetteurs est autre qu’approcher le phénomène de la sensibilité humaine. MHeidegger interroge « en quoi ce projet scientifique se fonde –t –il ? où est sa vérité ? on ne peut le démontrer. On ne peut que considérer les effets obtenus comme un critère indiquant que la méthode est légitime dans son domaine réal » Mais l’effet n’est jamais une preuve. La science mesure donc des effets, ce qui ne prouve que ses a priori et ne permet pas de comprendre l’être humain. Le projet se révèle donc de « maîtriser » l’humain et non de le comprendre d’en laisser se manifester le phénomène : par exemple la présence humaine. Car selon l’esprit scientifique, une cause entraîne un effet et ce schéma est nommé loi de la nature, c’est une pensée linéaire. Mais l’humain est il comme allant de soi à partir de scénari ? Ou alors comment peut on l’appréhender différemment ? Face à cela, qu’en est-il de la vérité de la science de la nature ? Selon Heidegger, un protocole expérimental ne vise pas à dire ce qui « est », mais à démontrer uniquement la validité d’une théorie - un présupposé – une loi – car dans une expérimentation, on ne se soucie pas de ce qu’est le propre de l’homme. Le projet d’une expérimentation est d’être relié à ce que la science a déjà projeté de ce que « doit » être la nature. Car déjà nous ne sommes plus en présence de naturalistes … mais de scientifiques.

M Heidegger souligne ainsi la portée et la limite du cheminement scientifique.

Et chacun s’accorde à dire qu’on ne peut accéder à ce qui est central dans l’être humain, à « l’essentiel » par les seuls procédés scientifiques. L’humain n’est pas que…un corps , ce qui reste cependant la conception classique et ce qui semble dominer lorsque nous regardons la gestion planifiée de nos hôpitaux…et l’exclusive du traitement chimiothérapeutique de la souffrance humaine….

Séminaire du 2 Novembre 1964 (P62)

La démarche scientifique est un comportement humain, tentons de dégager ce qui est proprement humain dans un tel comportement :

Dans l’exemple de la pomme qui tombe, Galilée, en acceptant sans barguigner l’espace, le mouvement, le temps, la causalité, Galilée accepte la LOI. Il accepte ces relations nécessaires à l’espace, au temps, à la causalité dans lesquelles il se tient. Il ne s’intéresse ni à la pomme ni à l’arbre tel qu’il se présente ; il s’intéresse à la chute en général : à sa hauteur mesurable dont il vise à extraire une loi vérifiable selon un espace compris comme homogène et mesurable : la chute d’une pomme à cet égard n’est en rien distincte de celle d’un humain ou d’une tasse : la chute est celle d’une masse conforme à une loi. Il accepte sans l’interroger : l’espace, le temps, le mouvement et la causalité. Accepter : c’est dire que il y a quelque chose a priori que je nomme espace et je me meus dedans. Il ne peut en aucun cas s’extraire de l’espace déterminé selon ces lois pour « expérimenter » l’espace. Quoique je fasse je suis toujours dans ce présupposé, je ne peux pas isoler une seule variable. Quand je dis : « il y a de l’espace », ce n’est pas que physique ; quand je dis : « je me mets près de.. » je signifie que l’humain toujours déjà se rapporte à l’espace, au temps et ce rapport est à clarifier. Tout ce qui est se rapporte à la question du temps, de l’espace. je ne peux rien voir qui soit une chose spatiale, par exemple cette table devant moi, sans aussitôt avoir déjà compris l’espace pour dire cela : que la table est devant moi, tout près. Pour autant ais-je saisi l’espace lui-même en propre ? Non.

Et Heidegger faisant référence à la distinction que faisait déjà Aristote, nous dit que le plus proche -proprement dit- est ce qui est le plus difficile à saisir : selon notre exemple « la table est juste là devant moi » le plus proche ce n’est pas la table mais l’espace et pourtant qu’en est-il de lui ? Je peux mesurer la distance entre moi et la table ? Est-ce avoir saisi l’espace ?non…le plus proche m’est le plus difficile à entendre. Il y a donc là deux ordres de priorité : a- priorité quant à ce dont il s’agit. b- priorité quant à notre capacité à le saisir.

Il y a là perte de l’évidence naturelle. Le proche se définit à partir de la priorité de ce dont il s’agit. La capacité à le saisir, c’est déjà une capacité qui m’est propre qui fait de moi un corps capable de saisir l’objet.

Et Heidegger termine par une question : quelle heure est-il ? Quand je dis l’heure, le temps est-il dans la montre ?J’éprouve le temps en mesurant la course de l’aiguille de ma montre. Mais si ma montre s’arrête ; le temps s’arrête-t-il ?...je ne peux plus dire quelle heure il est ! Mais le temps lui-même qu’en est-il ?


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