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Compte-rendu N°4

lecture des pages 48 à56


Groupe de lecture "Martin Heidegger - Séminaire de Zurich"

Edith Blanquet, Yannick Marques, Guy Minaudier, Marie-Christine Mistral, Marie Sarda, Denis Touzet.

CR 4 : séminaire du 9 juillet 1964 (page 48à 56) Groupe de lecture du 15 avril 2011

Il s’agit de distinguer l’être et l’étant ainsi que le rappelle Heidegger…projet délicat, d’autant plus, à l’aune de la pensée contemporaine déterminée par la science : celle-ci ne se « préoccupe plus » de la question ontologique et ne vise que l’étant, la pleine lumière de l’explication scientifique. Depuis la mort de Dieu, la science est devenue notre nouvelle église et hors de son mode de penser point de vérité. Entendez bien ici que ce propos ne veut pas disqualifier la pensée scientifique mais vise à susciter un arrêt à notre affairement pour se donner le temps de questionner la portée et donc aussi les limites, de la science. (Pour petite digression, dans « Qu’appellle-t-on penser ? » Heidegger questionne cette évidence pour nous que est vrai ce qui est prouvé par la démarche scientifique : la science détermine ce qui est vrai : adaquatio intellectus et res ; ce qui est doit être tel que le concept le présuppose ; tel que représenté. Ce qui nous invite à méditer quant à la question de la vérité elle-même : vérité comme adéquation ; vérité comme dévoilement….) Dans notre contexte ou la vérité est « prouvée par la science », la question ontologique prend des allures de question sulfureuse, mystique, ésotérique…car non fondable en raison. Or l’être n’est pas un quelque chose que nous pouvons observer, disséquer à la manière d’un tabouret et il ne peut devenir l’objet d’un manuel pratique du style « dis, comment ça marche ? » qui a accompagné une partie de l’enfance de certains d’entre nous…

Il n’est pas ici question de décrier le mode de penser des sciences, il s’agit simplement de le ramener à ce qu’il est : en décliner la portée et les limites. Heidegger n’est pas un rétrograde contrairement à ce que certains semblent avoir conclu… En ce qui concerne notre domaine professionnel, il fut un temps où la formation de médecins requérait d’avoir appris les humanités, notre époque est celle de la suprématie des mathématiques…pourquoi ne pas envisager d’ajointer ces deux approches ?…à l’heure de la profusion oserions –nous transposer le principe du « Monsieur plus de benenuts » ou bien s’agit-il de le réserver pour obtenir une télévision supplémentaire ?

Ainsi donc point de tournevis ni de carte à gratter pour endurer la question ontologique ! Va falloir nous mettre en frais ! Peut-être même y aller de nous-même ? Il ne s’agit pas de renoncer à la pensée scientifique mais de nous convier à approcher la question de l’être : pour cela la réflexion scientifique n’est pas la démarche adéquate et il nous faut cheminer vers une autre posture.

En ce séminaire, Heidegger propose à ses acolytes de poursuivre cette question de la différence être/étant à partir de « ce que signifie la nature » et le débat s’ouvre avec le projet de distinguer la causalité et la motivation.

La causalité en physique : une conséquence (A est cause de B) ; un énoncé d’expérience c’est-à-dire une suite temporelle : par exemple : comme j’appuie sur la touche « t » de mon clavier, la lettre apparaît sur l’écran de mon ordinateur. La causalité exprime une succession nécessaire (voir newton ; Galilée ; toute la pensée moderne).

Aristote parle de cause efficiente : elle produit un effet (le soleil brille,la pierre chauffe).

Est-ce que cause efficiente est synonyme de succession nécessaire ?

La succession nécessaire veut dire un effet déterminé par une cause originaire : il y a là une règle, une nécessité (aucune autre possibilité que celle-là). La science moderne dit que cela continuera à se dérouler ainsi car cela s’est déroulé ainsi jusques-là « c’est-à-dire ni aucun autre évènement n’entre en ligne de compte » précise Heidegger. Ainsi la loi est liée à un contexte d’expérience, des conditions d’expériences précises et invariables : si une modification survient, la loi est affectée. (Rappelons nous nos travaux de psychologie expérimentale et les travaux préparatoires à la mise en œuvre de protocoles d’expériences où il s’agit de déterminer une seule variable « objective »…)

Qu’en est-il de la « cause efficiente » chez Aristote ? Celle-ci fait partie de la vision naturelle du monde donc n’est pas de l’ordre d’une vision scientifique. La cause en grec c’est « aitia » : quelque chose dont il est débattu. Cela sur quoi un débat est ouvert. La cause originaire : c’est ce qui est primairement donné et qui doit être traité en premier ET d’où nous quelque chose dépend.

P 50 Reprise des causes selon la philosophie grecque :

 la cause matérielle « hylé » : ici dans l’exemple que Heidegger, il s’agit de l’or.
 La cause formelle ou « eidos » (qui a donné : essence) : c’est la figure de la coupe en question dont la forme est déjà une altération (une configuration visible) et car l’eidos est configuration.
 La cause finale c’est-à-dire le en-vue-de-quoi , « télos » : ici fabriquer une coupe. La cause formelle et la cause finale sont toutes deux liées et déterminent la cause matérielle.
 La cause efficiente ou « poïesis » : le pro-duire qui requiert l’artisan. Elle est une mise en œuvre « kinesis ».

Selon la causalité moderne, il s’agit d’étudier un processus naturel et celui-ci n’est pas compris comme une poïesis c’est-à-dire une production, une mise en oeuvre. Il est plutôt a priori conçu comme une chose circonscrite et finie (une chose intra-mondaine) Les Grecs ont pensé la kinesis : la mobilité de la nature à partir de la poïesis c’est-à-dire un produire, une oeuvre. (Physis = le jaillissant ; un pro-duire en œuvre) La science moderne pense la nature comme une série de « phénomènes » calculables et prévisibles : il s’agit d’en rendre raison (de les fonder en raison ; un fondement pleinement éclairé et fixé). La nature est comprise à partir de l’activité humaine : elle est là à sa disposition, en vue de son existence quotidienne et ainsi le monde se dévoile d’abord comme utile pour le Dasein. Il ne s’agit pas là de la conception grecque de physis. Ici, la nature prend davantage la dimension d’un stock c’est-à-dire de quelque chose que je peux cerner, prévoir, contrôler, calculer et ainsi disposer selon mon bon vouloir. Pour disposer de quelque chose, je l’arraisonne : j’en fais un élément stable et sûr, fiable c’est-à-dire conforme à ma vision technique (page 51). L’être découvert se dévoile à la quotidienneté comme calculable, prévisible, mesurable.

Peut-on penser sur de telles prémices quant à la situation d’un humain souffrant d’une maladie ? L’énoncé causal est vrai et limité au domaine de la physique mais avec l’humain ? Me vient par exemple la question : est-ce que le psychique c’est le cerveau ? Est-ce que l’émotion est seulement une sécrétion hormonale ?

Heidegger prend l’exemple de comment concevoir le mouvement : un changement de lieu et de temps c’est-à-dire se déplacer d’ici maintenant à ici maintenant. En grec on appelle cela « phora » : cela signifie qu’un corps est transporté d’un lieu à un autre, à sa place. Avec Galilée, l’espace va perdre la dimension de place ou de contrée au profit d’un espace abstrait métrique : ainsi tout point d’un espace équivaut à un autre. Nous retrouvons là la conception moderne de l’espace géométrique qui est tout autre que la conception de l’espace comme contrée, région familière où un Dasein séjourne. L’espace est ainsi conçu comme une métrique c’est-à-dire que je peux quadriller ou calculer. La nature est visée de cette façon comme une chose étendue, mesurable quantifiable : raisonnable au sens où l’on peut en rendre raison c’est-à-dire en rendre compte. (Et avec une telle conception la vérité perd son sens grec de dévoilement pour devenir adéquation entre un concept est une chose ; adequatio intellectus et res. La vérité devient une conformité). Un étant devient donc un objet c’est-à-dire quelque chose posé par un sujet qui en dispose à sa guise. La notion d’objet n’existe pas dans la philosophie grecque ; elle apparaît avec la science physique moderne c’est-à-dire après Descartes. Ob-jet ==== Su-jet : sans ce prémisse, il n’est pas d’objets possibles. Pratiquement cela nous inviterait à nous poser la question de savoir si tout ce qui est hors science est « subjectif » ? Mais penser ainsi c’est encore rester dans le même présupposé non questionné. Seule la science détermine ce qui est objectif : la science physique moderne détermine à partir d’un espace objectivé donc dit ce qui est objectif. Et être vrai ce qui est objectif…

Tout ceci nous conduit à questionner l’espace, ce qu’il est en tant qu’être espace. Pour ce faire nous allons aborder cette question à partir de l’intuition c’est-à-dire de la sensibilité. La sensibilité est un autre mode de la vérité (de rendre intelligible l’être découvert). La science n’est pas une vérité absolue mais une manière de comprendre qui permet la connaissance. Nous devons ici nous rappeler que le comprendre est un existential du Dasein : avec la tonalité, le comprendre constitue l’Être-au-monde du Dasein. Le comprendre c’est cette possibilité propre au Dasein qui fait que toujours déjà il se tient auprès d’un monde, un monde qui lui est intelligible. Le comprendre est une possibilité d’être du Dasein beaucoup plus large que la connaissance au sens où nous l’entendons couramment.

En psychologie la dimension du calculable se retrouve : il n’est qu’à voir le quotient intellectuel et autres batteries de tests. Pour ceux d’entre nous qui travaillent en institution nous pouvons mesurer aujourd’hui combien un être humain peut être réduit à une série de chiffre illustrant ses performances. Médard Boss dit que l’on ne devrait pas user de la notion de causalité en psychologie. Mais cela nous invite à nous demander ce que c’est que la psychologie ? Est-elle une science du psychisme ou bien l’approche d’un existant ? Et qu’entendons-nous par psychisme ? Une telle question nous conduit à définir « le domaine de la science » : le de quoi elle s’occupe ? Quel est son objet ? Quelle est sa visée ? Aujourd’hui la science c’est ce qui permet d’établir (dire ce qui est vrai) la nature comprise comme la somme d’étants divers, classés en catégories ou familles selon des régions définies par l’entendement : la géographie, la botanique la psychologie etc.

La question est alors de réfléchir en quelle façon en psychologie on peut utiliser l’approche scientifique ? Mais pour cela il convient de définir l’objet de la psychologie : la psychologie s’intéresse-t-elle au psychique ? Le psychique est toujours supposé sans être clarifié tel que nous le concevons. Freud avait le projet d’élaborer une psychologie scientifique : nous pouvons repérer combien le modèle de l’arc réflexe et du physiologique lui a servi d’appui pour élaborer sa théorie de l’appareil psychique avec un fonctionnement semblable à celui d’une machine (points de vue économique, dynamique, topique). Heidegger nous dit que une telle conception « mène à quelque chose » la question reste alors d’établir si ce qui est ainsi pensé et raisonné s’accorde à la réalité ? Or, la réalité n’est pas non plus quelque chose de posé devant, de mesurable. Ce qui ouvre la question de voir comment nous pouvons mesurer la validité d’une conception à son adéquation à la réalité ? Par exemple les électrons sont une hypothèse pour mettre en oeuvre un comportement mais ils ne sont pas quelque chose « objectif » au sens de posé devant moi. Le psychique est posé comme une évidence c’est-à-dire qu’il ne pose pas question ; il est un présupposé qui va de soi. On questionne quant à sa manière d’être, son quomodo, mais non quant à son être lui-même , son quid. Il convient donc de nous arrêter pour élaborer comment, en usant de ce concept, nous nous rapportons à l’humain : quelles conceptions avons-nous de l’humain ? Peut-on le concevoir comme un appareil psychique auquel viendrait s’ajouter un corps ? En quelle façon une telle conception peut-elle être inquiétante ? Peut-être que nous y sommes contraints ? En effet dans mon existence quotidienne je me qu’on se prend bien comme une chose constituée (ce corps là) parmi d’autres choses elles-mêmes constituées stables. C’est ainsi que et moi-même et le monde m’apparaît intelligible. La posture dominante de la technique et de la gestion fait de en « physis » un stock disponible et intelligible ; un donné substantiel et non un phénomène. Ne parle-t-on pas aujourd’hui en psychologie de gérer nos émotions… Page 53 : la notion de conscience elle-même pose question à notre époque où le règne de la matière domine : bientôt il n’y aura plus de distinction entre conscience et cerveau.

La motivation : exemple est pris du criminel : l’idée est qu’il est motivé par une excitation (une cause). L’excitation est-elle le motif ? Un motif est une cause finale c’est-à-dire un en-vue-de-quoi. L’excitation est-elle un mobile, quelque chose qui peut mettre en mouvement ? Un motif ou un mobile. Ici causalité et finalité sont confondus. S’ouvrent la question de savoir ce qu’est un motif ? Ce qu’est une action pour un être humain ? Un motif c’est quelque chose qui sollicite la volonté libre, qui ne contraint pas. Cela m’invite à quelque chose. Le motif c’est ce qui donne le ton (le point de vue, par où je vois et rends intelligible l’être découvert). Je me comporte en vue de quelque chose qui est plutôt un projet bien plus que motivé par quelque chose antérieur. Le motif est toujours à venir mais il n’est pas une anticipation (page 55) Dans la cause il y a une règle logique. Dans le motif ce qui est visé c’est l’être-au-monde ; une situation complexe. Le motif nous renvoie au comprendre existential c’est-à-dire l’être découvert d’un monde pour une significativité du Dasein. (Page 55)

Comment comprendre la motivation en psychiatrie ? Le motif est un mobile pour l’agir humain c’est-à-dire ce vers où il se meut. La causalité se mobile pour des successions à l’intérieur d’un processus naturel. Qu’est-ce qu’une raison, un fond au sens de fonder en raison ? Le principe du fondement : rien n’est sans fondement dit Leibniz. Donc tout ce qui est à un fondement ? Quel est notre fondement ? Sur quoi prenons-nous appui pour ? La causalité :un quelque chose est au fondement d’une autre chose qui lui est reliée de façon nécessaire. (Seul Dieu est « causa sui ») Le fondement renvoie à l’archè : ce d’où quelque chose vient.
  Fondement de l’être = ratio essendi
  fondement du devenir
  fondement de la connaissance Le fondement ontologique c’est ce qui fonde une chose dans sa teneur de choses ; ce qui donne le fond Le fondement essentiel : par exemple pour chaque couleur nous devons poser essentiellement quel est étendue. La causalité est un fondement ontologique de la nature ; la motivation est un fondement de l’être au monde en tant qu’il est agissant et éprouvant. S’ouvre la question du principe du fondement : est-il un principe de penser ? Un principe d’être ? Est-il évident ou reconduit à celui du principe de contradiction ?


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