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Compte-rendu N°8

Lecture des Pages 73 à93.


Groupe de lecture "Martin Heidegger - Séminaire de Zurich" Martin HEIDEGGER éditions Gallimard, traduction Caroline Gros

Edith Blanquet,Yannick Marques, Guy Minaudier, Marie-Christine Mistral, Marie Sarda, Denis Touzet.

Groupe de Carcassonne . Séance du 2 février 2012

Nous nous sommes attablés ce soir à la lecture du Séminaire du 18 janvier 1965 : pages 73-93 « Nous en sommes encore à la question du temps » C’est dans le dialogue avec la tradition que cette question peut s’élucider et éviter l’arbitraire. Mise en œuvre de la démarche de dé-struction phénoménologique.

En ce qui concerne le temps, nous pouvons trouver deux témoignages :
 Simplicius, néo-platonicien, a écrit un commentaire sur la physique d’Aristote. Il nous transmet beaucoup de textes des présocratiques (Héraclite, Parménide et Anaximandre). Il dit : « il n’est aps manifeste que le temps déploie toujours déjà son règne » pour les penseurs. Or cela n’est pas d’évidence : toujours déjà le temps nous est donné et se déploie. Exister veut dire séjourner c’est-à-dire se rapporter au temps en ce qu’il nous incombe d’avoir à être, c’est-à-dire de nous donner forme. Mais pour autant nous ne savons ce qu’est le temps lui-même, il est toujours déjà compris puisqu’il y va de notre présence.

 Saint-augustin, livre XI chapitre 15 des « Confessions ».je sais ce qu’est le temps sans pouvoir répondre à la question de ce qu’il est. Je ne peux l’expliquer (le temps ; une épreuve).

Le temps serait-il de l’ordre de l’indicible ?

La tradition nous enseigne qu’il est difficile avant tout de développer elle-même la question qui cherche le temps. Il s’agit d ‘abord de méditer comment la question en vue du temps peut et doit être posée. Questionner le temps c’est questionner « quelque chose » que je connais déjà, toujours présupposé. Difficile de questionner le temps sans prendre appui sur cette précompréhension du temps. Nous sommes là au cœur du cercle herméneutique, incontournable et qui fait partie de l’essence même de la question. Cette précompréhension n’est pas thématisée c’est-à-dire déterminée par la raison qui raisonne à partir de concepts. Nous connaissons le temps : nous nous tenons toujours déjà selon un rapport au temps. L’énoncé de cette phrase suppose le temps sans lequel nous ne pourrions rien dire : toute parole se déploie selon un règne temporel. Le temps le plus habituellement connu c’est celui que la montre indique. Nous allons revenir en arrière quant au précédent séminaire où nous avons abordé le temps des horloges (datable). Il y a une entre-appartenance être humain et temps : exister , se temporaliser (se situer toujours déjà quelque part entre ma naissance toujours déjà passée et ma mort sans cesse à venir ; indéterminables ).

P75 : Aristote « Le temps se rapporte à l’âme » L’âme perçoit le temps, elle le compte. Chez Aristote, l’âme s’entend comme l’être et non comme le sujet égoïque ou la conscience égoïque. L’être humain est celui qui perçoit et qui dit : un désabritement c’est-à-dire un pouvoir rendre présent quelque chose comme un monde d’étants. Un acte de pro-duction : d’amener à l’avant, en présence. Le rapport au temps est de l’ordre d’un compter, calculer avec le temps…Notre existence s’informe à même nos agendas et autres calendriers qui déclinent un temps, une chronologie. En grec il convient de nous rappeler que « ta mathemata » grec veut dire : ce dont il retourne et que je peux connaître. Ce qui vient à se produire : se désabriter ; se dévoiler ( voir « qu’appelle-t-on penser » de Heidegger). Se désabriter peut pour nous éclairer la notion de forme : un rapport figure-clarté/fond-opacité.

P76 : le temps selon les modernes : Bergson parle de sens du temps ; vécu du temps et conscience du temps. Il définit le temps comme cette donnée de conscience. Un rapport conscience/ temps.

Dans la psychiatrie moderne, on perle de sens du temps : la pathologie y est comprise comme celle du temps vécu (Minkowski et aussi Tellenbach ; le temps vécu à constitué un des premiers paradigmes de la psychiatrie phénoménologique). Ici le « sens » du temps est autre qu’un organe des sens. Ce qui est dit c’est que nous avons un sens pour le temps. Néanmoins la nature de ce sens, de ce rapport au temps demeure confus. Le sens du temps, cela dit que cela nous touche, cela nous concerne le temps. Par exemple c’est à partir de ce sens du temps que nous pouvons tisser notre histoire, une histoire intérieure de la vie, une chronique de nos vécus ou encore une continuité du moi.

Cette entre-appartenance temps/ être humain demeure néanmoins obscure : par exemple, nous ne savons pas la nature de « être humain » ? ni même l’essence du temps ?

Regardons le rapport au temps que nous indique la montre :

La montre est un étant-à-la-main, un outil, un étant disponible à tout moment. Outil car il nous sert pour lire l’heure. Il a le caractère d’être « bon pour »lire l’heure, « bon pour » le Dasein et son pouvoir être lisant l’heure. La montre est une chose durable et disponible et de plus, « qui marche » : elle manifeste un mouvement périodique, celui de ses aiguilles et elle est guidée par la course du soleil. Mais est ce que la montre est reliée au soleil ? Dans la cas du cadran solaire nous observons les mouvements de l’ombre ; un mouvement pendulaire. Lorsqu’il s’agit de la montre : nous observons les courses de deux aiguilles qui passent sur des chiffres. Cette chose-outil devient une montre quand nous la mettons à l’heure. (page 78)

Que faisons nous lorsque nous lisons l’heure : chaque fois nous disons « il est maintenant exactement 9h » même lorsque nous ne le disons pas explicitement. Mais d’où me vient ce « maintenant » ? il n’a rien à voir avec l’outil-montre, il n’est pas un quelque chose. Pour lire l’heure, je dois avoir le maintenant sans que d’habitude je n’y prenne garde de manière délibérée. Le maintenant est toujours là pour nous même si nous n’avons pas de montre ! Ainsi lire les indications des aiguilles sur la montre, n’est pas en soi une lecture du temps. Cela signe que le temps nous est déjà donné auparavant, mais comment ? De même quand je dis « maintenant », « auparavant » ; je parle en me tournant vers un passé ou vers un avenir. Sans cela pas de parole possible.

Le temps passé à la tournure d’un « retenir ce qui a été » Le temps à venir à la tournure d’un « laisser venir ; s’attendre » Nous avons trois modalités de pouvoir parler du temps : maintenant ; s’attendre à, retenir.

Comment nous comportons-nous envers le temps ? Comment nous rapportons-nous déjà au temps lui-même ? Le temps est-il déjà donné en tant que temps ? (« En tant que » renvoie au Dasein ; il est un de ses caractères d’être, une modalité de son pouvoir être) Regarder la montre : toujours déjà constater combien de temps, quelle heure il est, et ce, à même le temps déjà pré-donné. Quel est le lien entre lire l’heure et indiquer du temps que j’énonce aujourd’hui, hier ou demain ? Dans cette situation, je vise la succession des jours. Une journée peut être déterminée par le compte des heures mais cela n’est pas une nécessité : elle peut mais ne doit pas. Aujourd’hui, hier et demain constituent un rapport plus originaire au temps que la montre, ou que le calcul du temps. La chronométrie n’est pas originaire. En premier lieu le temps nous est perceptible à même la succession des jours et des nuits. Mais là non plus le temps lui-même demeure obscur.

P81 Nous devons admettre que le temps règne toujours déjà à partir du présent, du passé ou de l’avenir : il nous est donné en ce que déjà il règne. Il règne ? Régner c’est demeurer, aitre et être : toujours nous y sommes concernés. Toute indication du temps prend sol sur une pré donation de celui-ci. Nous recherchons un rapport originaire au temps, plus originaire que l’indication.

Séminaire du 18 janvier 1965 : (suite) P81

Nous sommes toujours avec l’indécision quant à ce que veut dire « avoir le temps ». Que veut dire avoir le temps par rapport à ne pas avoir le temps ? Ne pas avoir le temps c’est toujours ne pas avoir le temps pour quelque chose que. Ce temps pour quelque chose et qu’il ajoute au temps ou bien appartient-il au temps lui-même ? « Renvoyer à » fait partie du temps. Le temps se donne toujours à moi comme un temps pour quelque chose c’est cela que nous nommons interprétabilité (un caractère d’être du temps). Le temps n’est pas une intentionnalité c’est-à-dire une qualité de conscience égoïque. Il est un caractère d’être du temps et non un comportement humain. Le comportement humain se tient dans le temps comme interprétable. Autrement dit c’est l’interprétabilité du temps qui me donne pouvoir de faire des projets intra- temporels. L’autre caractère du temps c’est la databilité : il ne s’agit pas ici seulement d’une date dans un calendrier mais d’une date qui fait histoire pour moi. Ainsi le temps pour se caractérise du point de vue de son être par la databilité et l’interprétabilité. Le rapport présumé perturbé au temps de l’être humain tel que la psychopathologie phénoménologique l’élabore ne se laisse comprendre qu’à partir d’un rapport au temps originel et non à partir d’un temps égoïque.

Est ce que nous avons le temps parce que nous sommes dans le temps ? Et que veut dire être dans le temps ? Par exemple les sciences de la nature, la physique définit des processus. C’est-à-dire des procès qui se déroulent dans le temps. Il s’agit de comprendre ce que veut dire « dans » lorsque nous disons dans le temps : est-ce que nous parlons être dans le temps compris comme un contenant ? Par exemple est-ce que le verre qui est devant moi sur la table est dans le temps ? Le coût verre est un étant subsistant. La question de sa durée ne se pose pas à nous. Est ce que l’être dans le temps du verre est semblable à l’être dans le temps de l’existant ?

Séminaire du 21 janvier 1965 : P84

Nous sommes toujours avec cette question du temps. Est-elle légitime ? Voulons-nous déterminer ce que c’est le temps ? Vouloir dire ce que c’est, c’est vouloir dire quelque chose en tant qu’autre que lui-même. Par exemple qu’ est-ce que la table ? Un objet d’usage qui a telle forme, se compose de tels éléments. Nous définissons quelque chose d’étant. Quand nous demandons ce que le temps nous répondons par une tautologie : le temps est le temps. Et nous sommes bien loin d’entendre ce qu’elle a de légitime ! Comment formuler la question : qu’est-ce que le temps ? Le temps est-il ? Ou que le temps n’est rien et en même temps il n’est pas non plus. Quel rapport de temps et d’être ? Le mode d’être du temps est un règne. Provisoirement nous formulons comme cela.

Donc nous avons deux questions : Question de la priorité relative au temps montre et au temps qui nous est donné autrement ? Question de l’être dans le temps ? Et avec elle le problème qui vient du fait que dire « dans » poserez le temps comme un contenant, un quelque chose de type spatial. Rappelons nous que Bergson dit : le temps = l’espace.

Ici il convient de reprendre les caractères d’être du temps : le temps pour quelque chose veut dire le temps visé interprété en tant que tel : pour quoi, en vue de quoi (interprétabilité). Ne pas avoir le temps pour quelque chose ne veut pas dire une négation du temps. Ce qui est lié c’est le temps pour cela qui laisse présent le temps pour autre chose.

Privation et négation : Quel est le lien avec la maladie : la maladie n’est pas négation mais privation. Elle est un phénomène de privation, un « ne pas pouvoir être ainsi ». La profession médicale se meut dans le domaine de la privation comme phénomène. De même, l’état de repos est privation du mouvement : le repos est une manière du mouvement, incertain se mouvoir. Il s’agit de penser la privation dans sa différence avec la négation : par exemple la fermeture est un mode de l’ouverture, la privation. La solitude est un mode de l’être-avec-autrui. C’est Platon qui a développé la notion de privation (« le sophiste ») : tout étant n’est pas simplement mon être. Il y a du non étant qui est selon un certain mode : par exemple l’ombre par rapport à la clarté. Être malade est un mode privatif de l’exister : un ne pas être en bonne santé. C’est toujours un mode d’être, d’exister. C’est pour cela que l’on peut concevoir l’être malade sans avoir une définition précise de l’être en bonne santé (voir « le normal et le pathologique » Canguilhem). La privation est un phénomène ontologique c’est-à-dire qu’il concerne une possibilité d’être. Et ce mode touche aussi le phénomène du temps.

Rappelons : le temps est : « temps pour » = interprétabilité Datable (originairement data = ce qui est donné). Le temps n’est pas ponctuel ; il est succession : il a une amplitude ; il se rapporte à un main-tenant ; un laps de temps : le temps est dilaté. Le temps est temps public au sens où il nous est commun. Maintenant signifie un temps avec et commun ? il n’est pas un temps isolé, un temps egoïque mais temps avec autrui (le Dasein est toujours Mitsein) ; il n’est pas immanent à un sujet ; il n’est pas un objet là devant.

Passé-présent-futur sont les dimensions du temps. Mais que veut dire dimension ? Trois dimensions co-originaires et non successives : elles se tissent l’une l’autre simultanément bien que l’une d’elle soit prépondérante : dans le maintenant, passé et futur se donnent sur le mode de la privation.

Laissons mijoter cela et revenons au temps de la montre : quelle sorte de temps est-ce ? Est-ce aussi un temps que nous avons ? le temps de la montre ne nous donne pas le temps lui-même mais la quantité ; le combien de temps. Quand je dis « il est dix heures », le chiffre ne m’intéresse pas, il indique le moment pour ce qu’il se passe à ce moment là de la matinée. Dans le temps –montre nous ne constatons pas seulement des différences entre des chiffres : cette indication d’un combien est qualitative : elle vise un temps en tant qu’interprétable (« il est 12heures « = il est temps pour manger). Le temps-montre n’est jamais constaté comme une pure quantité. On trouve cela dans l’histoire de l’usage des mots pour dire le rapport au temps : les heures auparavant c’était des pauses, des pauses pour prier (« le livre des heures »). Depuis l’heure s’est réduite à dire 60mn. Hora grec = heures ; temps consacré à la prière. Même calculé le temps demeure interprétable.

Notre époque, celle du progrès est époque de la privation, du nivellement qui aplati toute épaisseur signifiante…une destruction de la distinction des priorités est à l’œuvre. Par exemple pensons au travail planifié sous forme des 3/8 : un calcul quantitatif qui prive du temps pour existant, qui prive du rythme des heures et se réduit à un calcul conforme aux machines…c’est l’homme qui s’ajuste aux machines et au souci de la rentabilité et ce ne sont plus les machines qui sont là pour rendre la vie humaine plus douce…

Quel est alors le temps « vrai » ? P91 Admettons un temps nivelé, une succession de séries vides de maintenant sans ampleur, sans databilité, sans publicité ni interprétabilité : nous finirions par devenir fou alors car nous n’aurions plus la possibilité d’être dérangés (en allemand :Verruch = dé-rangé). Pouvoir être dérangé : pouvoir ne plus trouver sa place… Nous serions alors dans un temps vide, une uniformité sans pour quoi…nous ne nous destinerions plus… C’est ce temps là qui est pourtant le temps vrai pour le physicien de notre époque ! Pour lui interprétablité et databilité ne sont que des aspects subjectifs et donc douteux ! Nous retrouvons le même souci dans la définition de la nature pour la science moderne physique : la physique est la forme qui donne sa mesure à la nature ; par rapport à laquelle la « nature » est définie : une mesure métrique et point du tout sensible. Ce qui passe pour évident et n’est pas questionné c’est sur quoi se fonde une pensée scientifique ? la notion du mesurable ? Cette non mise en question considère alors que cette position est vraie. Le temps pris selon les présupposés de la physique est un temps chronométrique sans rapport à une habitation mondaine… Il est urgent de saisir mieux quelles sont la portée et la limite des sciences afin de se garder de tous ces nivellements…

Nous sommes tous dé-rangés c’est à dire pris dans un mode de pensée qui n’est pas notre propre d’existant : le temps de l’existant est un mode d’être-avec-autrui sur lequel peut venir une visée scientifique en vue d’un efficace technique.


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