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Compte rendu N°7. La parole


Groupe de lecture, compte rendu -7- 2 oct 2016 à Brugairolles Edith Blanquet, Corinne Simon, Anne Guignabert, Marie-Christine Chartier, Frédérique Remaud

« Pour beaucoup la table est mise 
Et la maison est bien pourvue.

"Ces deux vers parlent comme le feraient des énoncés, comme s’ils constataient un quelconque état de choses. Tel semble le ton du « est » catégorique. Et pourtant il parle en appelant. Les vers portent la table mise et la maison bien pourvue dans cette présence qui est maintenue face à l’absence. Qu’appelle cette première strophe ? Elle appelle des choses, leur dit de venir. Où ? Non pas de venir comme présentes parmi ce qui déjà est présent ; comme si la table que nomme le poème avait à prendre place au milieu des rangées de sièges que vous occupez. Il y a, dans l’appel même, un site qui est non moins appelé. C’est le site pour 
la venue des choses, présence logée au cœur de l’absence. C’est à une telle venue que l’appel qui les nomme dit aux choses de venir. Il le leur dit en une invite. L’invite convie les choses à se tourner, en tant que choses, vers les hommes pour être ce qui les regarde. La neige tombante porte les hommes sous le ciel qui entre dans l’obscurité de la nuit. » Ibid, p. 23 Heidegger poursuit son propos, c’est-à-dire le sujet de la présence, « Quelle présence est plus haute, celle de ce qui s’étend sous nos yeux, ou bien celle de ce qui est appelé ? » Cela nous convie à la présence qui n’est pas une manière de prendre place physiquement mais à rendre présent, toujours selon cette forme d’être appelé. C’est l’appel qui rend présent les choses (nommer, appeler par le nom, c’est faire venir à la présence ) Il dit que l’on peut entendre qu’il s’agit d’un énoncé. Que veut dire un énoncé ? C’est dire les choses sous la forme d’un constat de faits : « il y a un tapis, il est bleu et jaune… ». Il dit qu’on peut le prendre pour un énoncé, c’est à dire que dans la vie quotidienne, dans le parlé de la quotidienneté, là où le rythme devient accélération, là où la parole devient bavardage, là où le comprendre devient équivoque, on pourrait dire que l’on décrit des objets matériellement distribués dans l’espace. C’est un énoncé, une manière plutôt qu’une autre d’entendre cette parole. Il s’agit alors de constater quelque chose… avec cette idée qu’il y a des objets qui sont là, présents, subsistants, matériellement distribués dans un espace subsistant. La présence y est alors d’évidence comprise comme la matérialité de quelque chose. « Pour beaucoup la table est mise » : ça ne dit pas des assiettes devant des verres. Cela nous appelle à rendre présent une table mise : j’imagine une nappe, une fleur, des assiettes, des couverts, peut-être un pain, une odeur de pain, une couleur de bois… et ça ne dit pas : il y a 2 gobelets devant je ne sais pas quoi ! « La table est mise » : ça appelle une chaise, une place pour des humains, une disposition des objets les uns en rapport aux autres, et cette disposition en rapport à quelque chose qui est : célébrer un repas ensemble… Ça met tout ça en scène : la table est mise, et que du point de vue de l’équivoque, on a déjà vu une table avec tout un attirail. On a déjà compris ça ; et si on fait le tour du groupe, nous n’allons pas voir la même table mise. Ça parle en appelant, ça me parle d’une certaine manière et ça m’appelle à répondre en disant : « tiens, la table que je vois c’est celle là ! » et elle me concerne : je m’y trouve ainsi disposé/ tourné.... « Les vers portent la table mise et la maison bien pourvue » : quelque chose qui se retire de l’absence, qui devient présent. J’imagine un feu, une lumière douce, du chaud, des coussins… Ça décline une atmosphère aussi. Et quand on dit ça, ça fait venir des choses : tiens, une assiette, comment elle serait… Et j’ai l’image d’une assiette creuse, ce qui n’est pas évident ! Quand on dit que ça fait venir à la présence, ce n’est pas l’assiette qui sort du placard et qui devient présente matériellement ! Habituellement on entend la présence comme la présence de quelque chose où quelqu’un… quand on dit : il y a une table, ça pose la présence d’une manière matérielle, ça constate une chose matérielle, qui est là « de tout temps », qui est là indépendamment de nous. Nous ne prenons pas en vue la manière dont cela nous rend présent, cela nous concerne : moi qui me situe, Quand je dis il y a un tapis devant moi, aussitôt ça prend place, ça ouvre un rapport, ça approche, ouvre place et temps pour : humaine habitation. La plupart du temps lorsque nous décrivons ce qu’il y a dans la pièce, nous ne tenons pas compte que lorsque nous décrivons, nous prenons place, nous nous rapportons à cet "objet". Objectivement nous disons il y a un tapis …d’une façon qui décrit des données, distribuées dans un temps objectivé et un espace euclidien. C’est la pensée scientifique ou l’observation dans les sciences naturelles. Nous ne prenons pas en compte la façon dont dire « le tapis » ménage des places et des lieux, amène à y prendre place, s’y trouver là dans le sens où il y va de moi dans cette manière de regarder le tapis plutôt que de regarder par la fenêtre…il y va d’une manière de m’y com-porter. « Il y a, dans l’appel même, un site qui est non moins appelé » : Quand je dis il y a un tapis, je prends aussitôt conscience que le tapis se déploie à même ma présence qui se pose dans un rapport, auprès de, là contre, c’est ça qui fait un site. Ça situe et nous y donne temps pour.... Dans les sciences naturelles, on va dire, il y a un tapis... ; de tant de mètres…la dimension objectivée, on ne prend pas en compte la dimension d’ouvrir un site, un mode de séjourner auprès de. « L’invite convie les choses à se tourner, en tant que choses, vers les hommes pour être ce qui les regarde. » Ça a à voir avec la question de la tournure, mouvement et saveur, tonalité en même temps, il n’y a pas la chose qui subsiste… il n’y a pas la chose et moi, déjà posés préalablement. Chacun se tourne l’un vers l’autre et y prend place. Nous sommes tournés au sens de façonnés (la facticité). Il y a toujours une tournure de monde, une manière d’y être disposé. Cela veut dire que quand on dit : la table est mise, on sous-entend pour des humains qui vont venir s’y attabler et manger. Je ne dirai pas la table est mise pour un bureau. Quand on dit « à table ! » il y a déjà toute une tournure, toute une manière de se rapporter aux autres, en vue de quoi et en vue de qui, un réseau de renvois. Et ça on ne le prend pas en vue … Ça permet de comprendre ce qu’est la présence au sens de la quotidienneté. Les existentiaux : facticité, tonalité, en tant que, en vue de qui… tout le réseau des choses se rapportant les unes aux autres, et qui nous appelle à la présence. Nous y prenons place et les choses aussi. La tournure, c’est la manière de, en tant que « als », quoi que ce soit, soit je le regarde d’un point de vue objectivé, soit quand je vais dire « à table » nous savons tous de quoi il en retourne, de quoi il s’agit pour nous : il s’agit d’aller nous attabler, de partager un repas… Ça veut dire que le repas est préparé depuis ce matin, on a déjà senti les odeurs, il y a des assiettes qui vont être mises, une certaine manière d’être disposés les uns eut égard aux autres. Ce ne sont pas des contigüités matérielles. C’est déjà une ambiance et une geste humaine. En vue de quoi ? En vue de se nourrir. En vue de qui ? L’existence d’un Dasein. Il n’y a de table mise que pour un humain, pour pouvoir manger… c’est tout le réseau de renvois, ce qu’on appelle la conjointure du monde, la mondialité du monde et la mondanéité du Dasein. Ce qui veut dire que quand un patient me parle en thérapie, il ne me parle pas matériellement, il me parle d’une manière d’être tourné auprès de moi. Et ça me tourne vers lui, et ça m’appelle à la présence avec lui. Et c’est là que nous y sommes : ensemble ( être-avec-autrui existential) . Et où nous sommes invités par la parole à y trouver notre propre, notre site. Ça c’est la posture particulière dans laquelle nous nous situons, qui n’est pas celle de la psychanalyse, qui va être attentive à ce que se reproduise une scène inconsciente qui est le propre du monde du patient. « Il y a, dans l’appel même, un site qui est non moins appelé. C’est le site pour la venue des choses, présence logée au cœur de l’absence. » C’est ça plutôt que, forme : tenue d’un rapport figure/ fond, trait ouvrant. Ça vient aussitôt comme quelque chose que la présence ouvre, c’est l’ouvert qui est aussi absentement : cela plutôt que ceci.... C’est pour cela que l’ouverture préside la possibilité de la fermeture. Pour que quelque chose puisse être clos, il faut qu’il soit préalablement ouvert. Donc la présence d’un objet situe et ménage l’absentement de… par exemple, une assiette creuse… n’est pas une assiette plate. Si l’on suit de près le texte, on devient attentif aux mots qu’emploie Heidegger, il parle du site, de la venue, une présence logée au cœur de l’absence… « Il dit aux choses de venir, il le leur dit en une invite. » Il y est question de soin, d’égard, de pudeur… L’invite qui convie ...ça m’évoque le tact, la saveur du monde. Nous ne sommes pas dans un usage de mots comme dans les sciences naturelles... C’est une manière de parler qui n’est absolument pas la manière factuelle que nous avons de parler des objets. Nous n’imaginons pas que les objets nous invitent, nous regardent. Ça amène aussi à voir que « regarder » ce n’est pas juste voir avec les yeux. Ça nous regarde, ça nous concerne dans le sens que la table est mise en vue de manger, d’un moment de convivialité. Et ça, c’est le souci, clé de voûte des existentiaux, prendre soin, avoir charge, être l’obligé de. Je prends ce que dit Heidegger et je l’accueille, je le garde en bouche ; où ça appelle ? Comment ça appelle ? Ce n’est pas une table qu’on va faire venir là ! Mais ça nous appelle à chaque fois...J’ai déjà imaginé… et on peut faire des variations à l’infini. Et quand un patient est en séance, c’est à ça que ça appelle ! Comment déjà j’ai imaginé une table avec des assiettes creuses, plutôt qu’autre chose. Et du coup de me retenir de livrer cet imaginaire, de le garder comme une évidence, pour voir, tiens comment ça invite quand tu dis ça, comment ça nous invite. Et éventuellement de partager : tiens je vois ça… et moi, je vois autre chose… Et là on ouvre toute l’épaisseur de la situation. Notion de situation qui ne devient plus une notion de ce point de vue en GT, mais une manière de ménager un site ! «  Présence logée au cœur de l’absence » cela veut dire ménager l’absence comme cela plutôt que comme cela …je l’articule avec la notion de forme… Là où nous nous tenons en tant que thérapeute dans un rapport figure/fond, en Gestalt-thérapie. Toute présence absente en même temps qu’elle rend présent. Absence en rapport à la venue en présence (pas comme si c’était tout seul absent et que je n’ai vu que la venue en présence).Cela dit une manière plutôt qu’une autre ! Pour que ça devienne présence il faut que l’accueil s’évide, il laisse libre pour. L’accueil au sens où la main se met en creux, il faut que ça devienne une coupe. Il faut entendre ces images là, comme une espèce d’accueil-recueil, logos. Il y a un texte où Heidegger parle de la taille des arbres dans la forêt et la manière de regarder la couronne des arbres… (Comme dans le reportage : « il était une forêt » où un homme qui a passé sa vie à arpenter la forêt amazonienne témoigne) …les branches prennent place dans le ciel et en même temps elles révèlent le ciel en absentant (là où il n’est pas). En prenant place, elles absentent….ça dévoile les places… l’entre survient…mouvement qui invite à prendre place toujours, sans cesse. Ce mouvement du entre n’est pas celui d’un entre qui est mesurable. C’est un prendre place auprès de. Il faut le sentir pour le comprendre et ça bouge énormément la posture thérapeutique. C’est une danse du coup. Et c’est cette posture qui permet de sortir de la quotidienneté, d’avoir ce soin là, de vouloir aller à cet endroit, de se laisser appeler dans le sens d’appeler ensemble. D’entendre l’inouï de ce qui est dit et de ce que la parole nous donne à entendre, une manière d’écouter comme si on retrouve une fraîcheur native. Là on n’est plus dans la gestion...du stress ou autre symptôme. Et je mesure comment dans l’espace thérapeutique, il y a une efficacité redoutable là. Redoutable dans le sens d’incroyable, cela parle aux gens. Ça va très vite à l’essentiel avec les patients, quelque chose d’une avancée, même avec des gens qui peuvent apparaître dans une simplicité, au sens d’une culture pas forcément livresque… Je pense à un Monsieur qui dit : « je ne me pose pas de questions ». Mais ça parle ! Et il dit des choses d’une profondeur… et il ne mesure pas l’inouï de ce qu’il dit. Et quand on s’y arrête : on travaille/ se laisse travailler à cette mesure là… Et ça m’invite à chercher là où chacun est "intelligent". C’est incroyable ce que les gens disent. Et tout d’un coup je peux entendre la profondeur de quoi que ce soit. Ça me sort de la position de présomption. Je mesure que je me prenais encore trop pour quelqu’un et que je pouvais avoir l’impression que les gens ne savaient pas entendre certaines choses, qu’ils n’entendaient pas là où c’est moi qui ne savait pas leur/ nous permettre/ laisser entendre. Ou qui voulais leur faire entendre et je m’accrochais, et je ne savais pas leur/ me montrer, je ne savais pas trouver avec eux là où c’était déjà entendu. Je pense à une femme qui vient pour des difficultés avec ses enfants et qui est proche de la retraite. Elle dit : je vais perdre le sens… une personne très active, qui fait plein de choses. Je me laissais bercer par ce qu’elle disait et j’entendais que la retraite n’allait rien changer alors qu’elle me dit que ça allait la plonger dans de la mélancolie. Mais si j’écoute la manière de dire, j’éprouvais que ça se disait sur le même rythme, sur le même ton, celui de la planification… J’entendais que sa passion allait continuer et que, ce n’est pas parce qu’elle allait arrêter de travailler que sa passion allait s’arrêter et en même temps… Je vais être à la retraite et tout va s’arrêter ! Qu’est-ce qui va s’arrêter ? Qu’est-ce qu’elle veut dire ? Cela nous amène à clarifier ce qui faisait place pour elle, qui est de continuer ce qu’elle faisait et que oui elle a une passion dans la vie, et son imaginaire était que son boulot s’arrêtait et que donc sa passion allait s’arrêter ! Et j’ai juste entendu sa passion. Je pourrais aussi entendre que l’évidence peut s’arrêter. Ce qui faisait évidence est suspendu, et ça conduit à « re »choisir cette évidence là. La conjointure de monde vacille. Ça ne va plus de soi. Ça oblige à prendre conscience de ce que c’est le sens. Par quel chemin ça passe ? : Par l’idée que cela va s’arrêter ! Comment on peut entendre ça ? Expliciter ? C’est peut-être ça qui a amené à la passion : ce qui s’arrête, c’est la manière dont ça se réalise. Le quoi, le comment ça se réalisait jusqu’à maintenant et ça ouvre le comment ça pourrait continuer autrement. Dans la crise, la rupture de conjointure de monde, ce n’est pas qu’il y a un trou, ça peut être ça, mais je prends conscience de ce qui allait de soi au moment où ça ne va plus de soi. Je me rends compte que j’avais déjà compris les choses, et que les choses allaient comme ça... Du coup qu’elles ne m’appelaient pas, que je les utilisais. Je ne prenais plus en compte la dimension de l’appel. Le propre de la quotidienneté, c’est de perdre de vue tout ça... La retraite suspend l’évidence de ma présence, et ça fait prendre conscience de ce qui donne sens.

« La neige tombante porte les hommes sous le ciel qui entre dans l’obscurité de la nuit. » Il reprend la phrase d’avant : « quand il neige à la fenêtre, que longuement sonne la cloche du soir ». Quand il neige, ça fait apparaître le ciel et la terre. Ça fait venir un rapport. Ça tombe : déjà ça prend une direction, ça prend place, une direction de sens. Et le ciel y prend sa dimension d’obscurité, de la nuit, ce n’est pas le jour. Ça appelle à la présence, toujours rapport. Il faut vraiment entendre le monde comme installation. Heidegger parle du Quadriparti, il parle du monde comme habitation, installation,comme Geviert, c’est à dire le jeu des 4. C’est un jeu au sens du cadre qui s’informe avec le ciel, la terre, le divin et le mortel : le monde. C’est une tension de 4 dimensions. Et quoi que ce soit, prend place au sein de ce jeu. Toujours nous sommes mortels par rapport au divin, sur la terre par rapport au ciel. C’est pour ça que je prenais l’exemple du film "le 5ème élément" : Lilou. Il faut les 4 éléments : l’eau, la terre, le feu, l’air ; et l’homme. C’est l’ensemble qui ouvre place à chacun. Et simultanément : le moment opportun. C’est à dire que chacun soit son propre par ce rapport donnant place : situation. Et c’est cela le travail de la thérapie : pour la survenue en mode ego, il faut qu’il y a ait un tel cheminement... qu’on se donne les moyens pour que soudain, ça nous dépasse en quelque sorte et que nous y approprions. Comme dans l’intrigue de ce film " le 5ème élément" ou aucun des " individus" ne trouve place et dimension sans simultanément les autres ! (frontière-contact ...le toit est autre que l’ensemble de ses parties...cela dit aussi " nombreux" ou " plus d’un"...)

« Le son de la cloche du soir les porte comme mortels face au divin, La maison et la table lient les mortels à la terre, Ainsi venues en appel, toutes ces choses rassemblant auprès d’elles le ciel et la terre les mortels et les dieux. Les Quatre sont dans une originale unité mutuellement les uns aux autres. » Ibid, p. 24

Mutuellement, simultanément : il n’y a pas d’abord l’un ou l’autre. La venue à la présence ouvre ce rapport : c’est le quadriparti. Das Geviert : Temps et Etre, séjourner habiter...

« Les choses laissent auprès d’elles séjourner le Cadre des Quatre. Laisser ainsi séjourner en rassemblant, tel est l’être-chose des choses (das Dingen der Dinge). Ce cadre uni de Ciel et Terre, Mortels et Divins, ce cadre qui est mis en demeure dans le déploiement jusqu’à elles- mêmes des choses, nous l’appelons le « monde ». Lors de leur nomination, les choses nommées sont appelées et convoquées dans leur être de choses. En tant qu’elles sont ces choses, elles ouvrent à son déploiement un monde au sein duquel chacune trouve séjour et où toutes sont ainsi les choses de chaque jour. Les choses, en même temps qu’elles déploient leur être de choses, mettent au monde. » Ibid., p. 24

Le monde : ce n’est pas un sac ! Séjourner en rassemblant, en même temps ça trouve séjour et ça prend place et lieu. Ça dispose, ça attribue des places. Quand il dit "la table est mise", en quoi cela ménage le ciel, la terre, les humains, les mortels ? Aussitôt ça appelle une manière de faire, de vivre au quotidien. Ce n’est pas assiette, fourchette suspendue en l’air ; c’est une table, c’est installé, une ambiance, une scène de la vie quotidienne se déroulant. C’est donc le moment pour, un temps pour, le moment opportun… le moment bon pour.. Comment tu es là ? être disposée, tournée, façonnée, c’est déjà avoir pris place comme, concrètement : je suis assise sur un canapé et tenant un bouquin…plutôt que... Quand on entre dans la pièce : on voit bien que les objets ne sont pas empilés comme dans un entrepôt ! Ici les chaises sont disposées. De suite elles sont disposées d’une certaine manière, en rond… C’est ça prendre place et appeler, nous regarder/ concerner. Dans un stock, il peut y avoir un tas d’assiettes comme dans une quincaillerie… Mais ce n’est pas une salle à manger. En allemand raumen dit cela : menager place et lieu pour une habitation humaine, c’est ça le monde, les choses sont toujours déjà disposées et prennent place et nous invitent. Elles prennent place, elles appellent, elles ouvrent un horizon. Quand je rentre dans une maison les choses sont disposées. En ce moment il y a des travaux chez moi, les choses sont posées pêle-mêle au milieu et ça fait récalcitrance : je dois passer autour, ça arrête, ce n’est pas accueillant, ce n’est pas propice à une habitation humaine, ça devient une quincaillerie. Ici, cette pièce est déjà aménagée avec la fenêtre là, les chaises là… C’est ça le monde, le jeu des 4. Et c’est tellement évident ! Si les meubles sont mis en stock, ou par couleur… et que nous entrons, nous nous demandons ce qu’il s’est passé, on n’est pas accueilli !!! Ce n’est plus une pièce, c’est un entrepôt ! Le monde et l’être-chose des choses : elles deviennent choses dans un rapport d’usage. Elles viennent à leur présence en tant que bonnes pour, en tant qu’une chaise, qu’une assiette… Une chaise m’appelle à m’asseoir dessus. Une chaise n’est pas posée n’importe comment, la tête en bas… Si je la renverse, je peux me dire que c’est un tobogan !! Elle sert à autre chose. C’est là où les choses nous regardent dans le sens où elles nous appellent à une forme de présence et d’usage, à partir de la manière dont nous les disposons et dont elles nous disposent. Quand j’étais petite, je mettais une couverture sur la table et c’était la maison, c’était naturel de jouer sous la table. Si nous allons manger et que je me mets sous la table, vous allez dire que je pête un plomb. Si je dis la table est mise ! et que les assiettes, les verres et couverts sont par terre...ça arrête ! … et pourtant il y a tout ! C’est là où ça nous appelle, ça nous concerne et ça nous regarde d’une certaine manière : on ne va pas mettre les assiettes par terre. Alors que regardant les choses comme des objets, je peux les considérer comme un stock et je peux le mettre où je veux, les maitriser. Le réseau des renvois, la conjointure mondaine, c’est la façon dont les moi/choses sont tissés ensemble toujours déjà...jamais isolées...isolé appelle toujours plus d’un...

Rapport : divin (dimension du retrait ouvrant, épaisseur), mortel, ciel, terre : rapport qui permet l’installation. Il faut l’ensemble pour que chacun trouve place, devienne quatre.

Par ex : comment c’est possible qu’il ait du bois, et que ça se/ me tienne, le mystérieux de ça, la récalcitrance des choses. Je ne peux pas traverser le bois, mais je peux le modeler, le contourner, le façonner… ce mystère, ce il-y-a... Et quoique se soit est toujours déjà installé d’une certaine manière à partir du moment où un humain y prend simultanément place. Quand je dis : j’ai découvert le château de Mauriac… et… mon père a défriché… J’imagine déjà la faucille, le coupe-coupe et de suite ça fait un chemin. On fait toujours des traces. Une zone vierge d’humain, ça n’existe pas. Et même quand on dit zone vierge d’humain, ça dit des possibilités de chemins. Je ne peux pas ne pas être-au-monde !! Je ne peux pas ne pas y être et ne pas déjà y être selon un rapport : une manière, tournure d’être Toujours je suis avec autrui, quoi que je fasse. Et en quoi c’est important en thérapie tout ça ? D’avoir présent le monde comme habitation, ce qu’on appelle effondrement/conjointure, toute cette lenteur, cette épaisseur inouïe, d’écouter le jeu des quatre ? C’est de regarder tout comme un rapport, un pouvoir y être rapporté, d’où la notion de forme plutôt que celle du concept...

« En tant qu’elles sont ces choses, elles ouvrent à son déploiement un monde au sein duquel chacune trouve séjour et où toutes sont ainsi les choses de chaque jour. » et « Les choses, en même temps qu’elles déploient leur être de choses, mettent au monde ». Naître, venir à la présence, c’est le sens de phénomène : Apophainestai : Faire venir à la présence. Ce qui va vers, ce qu’on appelle l’apophantique, l’apophanie. C’est travailler avec le phénomène, c’est pro-duire, au sens de la duite (direction), d’une con-duite, produire:Tapis ! et un tapis prend place et je m’y trouve. C’est l’histoire de Dieu qui appelle Adam à nommer les choses. Et Dieu dit à chaque fois que « cela était bien ». Il dit que c’est bien, pas par rapport à mal, il dit que c’est bon, bon pour ça, bon pour une table. Elle vient à la présence, tu peux t’en servir et tu peux y prendre place. Dieu atteste, il dit « tu peux cela », ouverture pour un pouvoir être, une forme de présence. Ce n’est pas le Dieu qui juge, c’est le Dieu qui atteste, témoigne. Et l’idée du bien de Platon, du souverain-bien dans la philosophie grecque. Le bien n’est pas par rapport au mal dans un jugement d’opinion, c’est le bien pour la présence, pour le produire du monde... bon /bien. C’est avec Nietzsche et l’époque moderne qu’on a accentué sur l’idée de valeur, le « plus » compris comme donnée mathématique ! Le plus d’argent… Le bien n’était pas le plus par rapport au moins qui disqualifiait. Le bien c’était le bon, le bon pour. Et à toute chose, malheur est bon. Tout est bon pour quelque chose, tout a sa portée, sa portée de monde. Portée comme une structure, un assemblage, un rapport, une chaîne de renvois. Du coup avec le patient, je vais chercher en quoi ça perd le sens. Et en quoi perdre le sens, c’est révéler la question du sens, justement le trouver. Il faut que je perde l’usage de mes jambes pour les retrouver, c’est quand je tombe que je sais ce que c’est que se relever. Quand le patient arrive en thérapie, il nous présente quelque chose qui est déjà toujours disposé. Il n’arrive pas avec des piles de chaises. Sauf dans la psychose : « la main, je dois toujours me rappeler que c’est ma main ! ». Car c’est comme une main suspendue, qui n’est pas en rapport. La psychose, comme manière d’être-au-monde, un monde métallique, un monde comme stock, un entrepôt, où ça n’est pas articulé en geste. C’est la présence qui articule, il faut entendre le entre comme articulation. Rapport… articulation…corporer… Main suspendue, main détachée, main mondaine, objective… C’est l’horreur ! Un œil posé sur la table. Et comment l’œil tient dans l’orbite ? Ça commence à poser des questions comme ça, et au bout d’un moment tu dis STOP car c’est vite effrayant d’imaginer qu’un visage il ne s’éparpille pas tout d’un coup ! Comment, pourquoi ?… qu’est-ce qui tient les choses ensemble ? Qu’est-ce qui tient la peau ?une patiente disait « je me croque la tête ! » Il y a des questions qui deviennent vertigineuses. Comment te dire que je t’aime ? Comment je sais que c’est moi ? Comme le jeu de « qui tu es ? », et de tenir cette question pendant une journée ! Ou pendant le stage sur le corps ; nous n’avons rien fait de particulier : immobiliser un bras, aveugler un œil ! Et tout de suite ça devient un cauchemar. Le travail en thérapie est de reprendre conscience de cette disposition, de pouvoir s’y approprier, d’y venir en présence, en propre. De se reprendre à l’évidence du quotidien, c’est à dire que le monde, il est toujours déjà là, il est objectif, que ce n’est pas un rapport, mais une stase. (Posé d’évidence comme quelque chose de stable). Et que moi-même je ne suis pas déjà construit. Je ne suis que lieu de rapport, tension mouvante. C’est ce que dit : « Les choses, en même temps qu’elles déploient leur être de choses, mettent au monde ». Il faut prendre le sens de l’épaisseur, mettre au monde : c’est bien le sens du mot français gestation. « La vieille langue allemande nomme ce « mettre au monde » : bern, bären, d’où viennent les mots gebären (être en gestation, enfanter) et Gebärde (le geste, les gestes, la contenance) ». Ibid, p. 24

C’est pour ça que je parle de la présence humaine comme une geste, et que j’en suis venue à la chanson de geste, c’est l’épopée de quelqu’un, les gestes qu’il a fait. Et ce n’était pas des mouvements, des translations motrices. On a perdu ce mot là : la chanson de gestes, raconter la vie de quelqu’un.

Et la Gestalt… la geste… une histoire, comment je me suis mu, ému… Et comment ça augure le moment pour cela, plutôt que celui là… et pas encore le moment pour ça… Et ça, ça s’appelle une existence… D’où l’intérêt du rythme… Il dit bien ça : le geste, les gestes, la contenance… « Déployant leur être de choses, les choses sont les choses, Déployant leur être de choses, elles portent un monde à sa figure », possibilité d’y prendre forme, d’y prendre place. C’est une variante de psyché !!!

«  La première strophe appelle les choses à leur être de choses, elle leur dit de venir. L’injonction qui appelle des choses les appelle pour qu’elles approchent, les invite au plus proche ; en même temps, l’appel s’élance jusqu’aux choses, les confie au monde, depuis lequel elles font apparition. C’est pourquoi la première strophe ne nomme pas que des choses. Elle nomme en même temps le monde. Elle en appelle ceux qui sont le nombre : « Pour beaucoup ... » ; ceux-là, en tant que mortels, appartiennent au cadre du monde. Les choses pourvoient d’elles-mêmes les mortels. Cela veut dire à présent : les choses, en leur temps, rendent visite aux mortels, et dans cette visite, proprement, il y a monde. La parole de la première strophe parle en invitant les choses à venir. » Ibid., p. 24-25.

C’est tout le rapport Être et Temps. C’est la façon dont nous sommes temporels. Le moment pour, …aller à table ou autre chose… Et rien ne peut être qu’objectif, toujours il y a quelque chose qui situe un moment de la vie, un moment comme une geste, une guise d’existence …« il y a »a toujours déjà pris forme de quelque chose pour nous par où nous y avons été invités, de choses qui nous parlent, c’est à dire avec lesquelles nous nous sommes déjà entendus. Le seul moment où l’on peut sentir cela, sont les accès d’angoisse. C’est furtif. Comme ce moment où je peux croiser mon visage et je ne le reconnais pas, on sent l’étrangeté, on ne s’y attend pas. Et en fait, on ne peut rien en dire, c’est déjà trop tard. C’est insaisissable, vertigineux, aspiration, trou noir, qui n’a pas de durée et ça a déjà repris forme. moment où ça vacille, et c’est aussi l’ouverture, l’absentement.

«  l’appel s’élance jusqu’aux choses, les confie au monde, depuis lesquelles elles font apparition. » Elles nous apparaissent, c’est un monde. Ça se rapporte. Sinon c’est des lieux découpés, des compartiments. C’est l’appel qui fait partie du divin, que les choses nous parlent, que parlant ça nous donne quelque chose à entendre, ça dispose. « La table est mise », ce n’est pas la même chose que « le soleil brille ». Le soleil brille, il fait chaud, c’est les vacances, je vais mettre de la crème solaire… ça appelle ! Ça met en rapport. Quand il dit les choses appellent, ce n’est pas le tapis qui appelle, car le tapis c’est déjà un appel. Je ne peux pas chopper le tapis en dehors du mot. Mais le mot il dit tout un monde. Quand je dis le tapis, il faut entendre les tableaux surréalistes : « ceci n’est pas une pipe ! »… Ça fait entendre l’épaisseur du mot. Je ne peux pas prendre le dessin et fumer avec. Et pourtant je dis bien que c’est une pipe, nom d’une pipe ! Le monde appelle, c’est une forme langagière, tout nous parle, nous habitons le langage, nous sommes traversée langagière. Ce n’est pas nous qui produisons des mots, je ne peux pas décréter que tapis ça veut dire chaise. On peut jouer à ça un temps, mais ce n’est pas nous qui avons distribué l’épaisseur de la parole. Les choses nous ont toujours déjà parlé. Ça nous appelle à la présence. Comme un gamin, je l’appelle déjà, et incroyable, il va répondre !

«  Les confie au monde.. » Elle les révèle, c’est un réseau de renvois, pas dans un monde matériel. Ça n’est pas que ça apparaît disparaît, mais pas comme je peux faire disparaître le tapis. Le tapis n’a pas de consistance à priori. Tapis, ça donne à entendre quelque chose, après ça peut devenir une forme matérielle, en laine plutôt qu’en fonte, plus agréable pour un tapis, d’ailleurs si c’est en fonte on ne va pas l’appeler un tapis, on va dire une plaque de fonte. Il y a déjà une moulure, une tournure. Et on ne va pas dire une plaque de laine… si, on peut dire une plaque de laine, mais c’est particulier, c’est dans le tissage… Et je peux faire une plaque de feutre… La présence ne sort pas de l’absence : c’est un rapport de pré-sence. Et dans la question du divin : la parole ne nous appartient pas, elle nous appelle à la présence et nous sommes appelés à répondre. Parler c’est dire, dire c’est entendre l’inouï, l’inouï de ce que nous disons nous-mêmes. C’est sortir de l’idée que nous savons ce que nous disons. Ce que nous disons nous appelle à prendre mesure/ charge/ soin : c’est typiquement la posture thérapeutique ! Le plus grand service que je puisse faire à l’autre, c’est de veiller à ne pas l’avoir compris. C’est déjà de m’étonner à le comprendre, et de m’étonner de m’y comprendre avec. Et prendre la mesure que je m’y comprends, que j’ai toujours déjà mangé à ma sauce, une sauce à laquelle je n’ai pas accès...bien que je la dise " mienne"....mien n’est pas moi...

Dire, se laisser accueillir une dite, quelque chose qui nous appelle, que nous avons à prendre en charge. Et qui nous appelle dans le sens impérieux, dans le sens où nous sommes les obligés, souci/soin, nous avons charge d’être. Nous sommes toujours déjà informés. Revenons à ça, à l’épaisseur de ça, à ce dont nous ne prenons pas garde dans la quotidienneté puisque dans la quotidienneté nous ne sommes pas occupés à comment nous sommes appelés ou à la question du sens, mais occupés à la question du faire, de gérer des stocks, résoudre des problèmes... L’important n’est pas de chercher une solution, c’est de poser la question et de la préserver. La réponse viendra toute seule, si c’est correctement appelé, si on s’y laisse appeler. C’est ça tout le travail !


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