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Compte-rendu N°8


Groupe de lecture, compte rendu de lecture n°8 3 décembre 2016 à Brugairolles Edith Blanquet, Corinne Simon, Anne Guignabert, Marie-Christine Chartier, Frédérique Remaud

« La seconde strophe, c’est d’une toute autre façon qu’elle parle. A la vérité, elle aussi invite à venir. Mais son appel commence en appelant et nommant les mortels :

Plus d’un qui est en voyage…

Ce ne sont pas tous les mortels qui sont appelés, ni ceux qui sont beaucoup ; seulement « plus d’un » p25

Ce que Heidegger nous invite à penser est la question du nombre. On peut se laisser entendre le nombre comme la somme, une opération, une addition. Heidegger dit que l’appel de la seconde strophe commence en appelant et nommant les mortels « plus d’un qui est en voyage ». Que veut dire « plus d’un » ? cette manière de dire n’invite pas à penser à partir d’une addition, quelque chose de séparé qui s’additionnerait ( 1+1+1..), « plus d’un » est un tout qui n’est pas une addition..’Le tout est différent de la somme de ses parties.’ Cela nous ramène, nous GT au travail de la situation et non d’un cas clinique considéré comme individu pré défini. Si nous travaillons avec l’idée de champ, la situation n’est pas l’addition de cas cliniques et, de la même façon, le self de l’un plus celui de l’autre (le champ est une autre manière de penser que celle de l’individu). « plus d’un » est à entendre globalement, en son entier (ce n’est pas Paul+Jacques…). Cela amène à penser ce que veut dire compter ? Que veut nous dire le nombre pour les humains ? Il s’agit de nous étonner quant à la manière dont nous avons toujours déjà compris ce que veut dire un nombre ou " nombreux". Nous nous représentons nombreux comme trois ou dix, une collection d’individus, une population au sens où l’on pense l’individu plus un autre individu, des individus séparés qui se regroupent et se retrouvent à être nombreux tel qu’on peut les compter … l’entre étant ce qui se passe entre deux individus...

Heidegger nous parle d’autre chose : « plus d’un » La manière de penser l’humain à partir du Dasein c’est « plus d’un », c’est jamais/autrement qu’un seul. Dasein c’est toujours mitsein : être-avec/auprès de. Dasein n’est jamais tout seul, Dasein veut dire être-avec-autrui ce qui n’est pas 1+1+... Ainsi le « entre » n’est pas ici l’espace physique qui sépare deux individus. Si nous pensons « plus d’un » à partir de l’individu : c’est un individu qui entre en relation avec un autre individu : structure de l’individu, le fondement c’est l’individu compris comme le sujet de tout ce qui est et on s’intéresse à ce qu’il se passe entre deux personnes, il y a deux champs et deux selfs distincts. Si nous pensons « plus d’un » à partir de Dasein : nous pensons être-avec-autrui, « plus d’un », jamais « un » toujours « plus d’un ». Il n’y a pas un sujet mais un processus de subjectivation, toujours un rapport appropriant /différenciant, c’est à dire une forme en voie d’elle-même et pas un objet. Cela nous oblige à redéfinir ce que veut dire « entre », « individu », « sujet » et renoncer à l’idée d’un individu structuré pour une autre pensée qui pense « plus d’un » et « nombreux » autrement que comme une addition mais comme quelque chose qui se donne d’emblée. Je ne peux prendre place qu’auprès d’autrui sinon il n’y a pas de "lieu" de ce point de vue là ... un tel lieu n’est pas un lieu géographique mais une manière d’y prendre place : tenue d’un rapport. La plus grande intimité, c’est d’être auprès d’autrui, là où je suis le plus moi-même c’est quand je suis auprès de. « Plus d’un », jamais solipsisme, jamais isolé. Etre-avec-autrui.. .l’importance des tirets qui suppriment l’entre comme un espace coupé entre deux mots. Etre-avec-autrui est un seul mot .. mitsein .. « plus d’un » : situation. Cela ramène à l’attitude thérapeutique, s’étonner de l’inouï de la parole …Pour quoi dit-il « plus d’un » ? que nomme-t-il ? Les mortels ! Le "sujet" n’est pas les mortels. Il les nomme, il dit les mortels c’est : « plus d’un », donné d’emblée. Il n’y a pas d’espace entre, au sens géographique, il n’y a que des surfaces/dimensions de rapports et c’est le rapport qui ouvre possibilité d’y prendre place, qui signe une proximité native (jamais n’isole, toujours déjà ensemble). Le rapport dit la manière d’être "lié", il ne dit pas le séparé qui va être relié ensuite, le rapport témoigne d’emblée de la manière d’être-auprès-d’autrui. Cela veut dire que nous sommes toujours déjà contactés et c’est pour cette raison que le self ne peut pas être à l’un ou à l’autre et qu’il n’y a pas de sujet, de BewuBt, de conscience, toujours nous prenons part/ nous somme partie-prenante d’un rapport (cela invite à méditer l’idée de "frontière-contact). Le self est entendu comme une forme langagière : nous sommes traversés par la parole, c’est là où nous séjournons, c’est là où nous prenons place et toujours nous touchons, toujours nous sommes touchés. On s’y sent et on s’y trouve toujours touchés /touchants ! Et c’est de ce touché/touchant que l’on est invité/ obligé ( charge d’avoir à être) à prendre place et lieu, que l’on corpore .. on n’a pas un corps comme une possession d’objet !

Mais son appel commence en appelant et nommant :" les mortels », il les nomme « plus d’un », les mortels est égal à « plus d’un » Ce ne sont pas tous les mortels qui sont appelés » au sens de l’ensemble des mortels, une globalité. ni ceux qui sont beaucoup ; seulement « plus d’un » », c’est un rapport qui augure une forme : figure/fond. La définition d’une population classiquement c’est une collection d’individus. Cela réfère à la pensée moderne qui questionne à partir de l’idée qu’il y a des sujets individués préalablement qui s’additionnent et qui, de la même façon, peuvent aussi s’isoler. Un humain n’est jamais isolé, la solitude est une forme d’être-avec...c’est pas juste de la théorie, c’est éminemment pratique/sensible !

Nous avons dit que la première strophe appelle les choses à la présence...à prendre place... une manière d’être-au-monde .. dimension d’un rapport. Le monde est un réseau de renvois ...une conjointure, les choses se renvoient les unes aux autres à partir d’un usage et me donnent place toujours avec/parmi. Et c’est l’usage, la geste, qui fait que ça prend place (moi/monde s’informe en possibilité de me comporter à. Dire stylo plutôt que brosse à dent témoigne d’une manière de se rapporter à : une manière de prendre place avec ; et la forme de l’objet et la forme de ma main et ce que je vais en faire (en vue de quoi et de qui) .. c’est ça une geste.. c’est toute une histoire, c’est pas une translation métrique. Quand je dis stylo, ça appelle quelqu’un auprès d’un bureau... avec un papier.. écrivant ... qui appelle une forme de monde, une tournure de monde avec une saveur ...et ça fait venir tous les existentiaux du Dasein. Livre... ça veut dire quelqu’un qui lit et donc un pouvoir lire/être lu.. c’est ça qui donne la signification et qui fait apparaître le livre et moi. Ce n’est pas le livre et éventuellement moi. S’il y a un livre, il y a un lecteur ...sinon il n’y a pas de livre ! (Cela ne veut pas dire qu’il y a un lecteur physique au sens biologique).

La seconde strophe invite à venir « plus d’un », celui qui prend place, qui articule et qui s’articule un monde ...un réseau de renvois. Ces mortels : « plus d’un qui est en voyage.. », c’est à dire toujours dans une manière de prendre place, le temps pour… et la manière d’y être... temporalisation, spatialisation. « En voyage », c’est un chemin, ce n’est pas un état arrêté et c’est pour cela que nous ne pouvons pas parler d’individus. « Ce ne sont pas tous les mortels qui sont appelés » au sens classique l’ensemble des mortels considérés comme des individus « Ni ceux qui sont beaucoup » par rapport à ceux qui le seraient moins. « Plus d’un » ne dit pas beaucoup et ne dit pas peu, ce n’est pas dans le sens de plus ou moins. « Plus d’un » invite à penser autrement qu’en addition. C’est d’emblée « plus d’un », je suis toujours avec autrui et il dit bien « seulement « plus d’un » », c’est seul « plus d’un », « plus d’un » est une manière de dire seul : seulement « plus d’un » ! C’est la différence entre solitude existentiale ( avoir à prendre charge d’une manière d’y-être singulière témoignant d’une manière d’y être résolu) et solipsisme. « Ceux-là qui voyagent sur d’obscurs sentiers. Ces mortels-là sont en état d’endurer mourir (das Sterben), et ils l’endurent comme le voyage jusqu’à la mort. » Ceux-là qui ont sans cesse à se destiner, à être et dont les chemins ne sont pas déjà tracés par la lumière de la raison. Ceux qui sont marche d’avance vers leur possibilité suivante jusqu’à la mort, possibilité insigne d’avoir-à-être. Ceux qui ont charge d’avoir à être… clé de voûte des existentiaux. Ceux qui sont transis d’ouverture, exil par où ils doivent prendre place. Ceux qui endurent mourir... Ceux qui sont suffisamment toujours déjà vivants/existants pour pouvoir mourir au sens où dans « Requiem » de Rilke : « La mort mérite bien cela.. le temps d’une vie pour qu’elle daigne venir à nous. » Ceux qui attendent patiemment et qui endurent d’avoir à être jusqu’à ce que la mort daigne les relever de leur charge/obligation d’avoir à prendre soin d’être eux-mêmes en propre ou non.

« Dans la mort se recueille la plus haute retraite de l’être ». D’un point de vue existential la mort ouvre la dimension du pro-jet ... être jeté vers sa possibilité suivante d’être... être toujours en possibilité... en jet de monde de soi-même... toujours avoir à se trouver/situer... prendre charge d’une manière d’y être, un "endroit" où se préserve de pouvoir être jusqu’à cette possibilité la plus insigne, celle qu’on ne peut jamais arraisonner, puisque jamais nous ne pouvons dire « je suis mort »...ce sont les autres qui pourront arraisonner notre mort, la sécuriser. Cela amène à penser ‘la vie bonne’...avoir une vie digne de pouvoir mourir, que je pourrais me retourner sur ma vie et dire « c’était bien... je me suis bien préparé » et où je peux accueillir ; ‘il est temps’. Il précise « La mort a déjà devancé tout mourir » Je ne peux que vivre jusqu’au bout, je ne peux pas mourir... je ne peux que vivre/exister. Mourir c’est rien de saisissable, on ne peut rien en dire. C’est un mystère absolu, un obscur total ; et la mort et mourir. On ne peut pas dire ‘je meurs’ ni ‘je suis mort’...c’est l’autre qui va dire que je suis mort, c’est une étape qui a toujours déjà eu lieu pour d’autres. La mort est un concept vide de forme. Nous savons que la vie va s’arrêter, je sais que je n’existerai plus...ou plutôt je l’anticipe… en tout cas je vois les autres cesser de vivre. « La mort a déjà devancé tout mourir » devancé dans le sens de toujours différé… c’est pas maintenant encore ! C’est cela la temporalisation : pas maintenant encore, donc maintenant il est temps pour... il n’est pas encore temps / il n’est plus temps pour. Pas encore maintenant c’est se tenir ouvert jusqu’à ma possibilité insigne de mourir... toujours devant moi. La temporalisation c’est d’avoir toujours à se situer quelque part entre une naissance qui a toujours déjà eu lieu et une mort qui ne peut jamais avoir lieu...c’est l’avenir le plus insigne.. .tant que je suis vivant, la mort est un à-venir, elle ne peut jamais être un passé. L’avenir authentique dit être-vers-la-mort, en voyage, en partance..marche d’avance vers sa propre mort et, en attendant que ça me vienne, je fais des petits projets quotidiens, une guise du mourir... une guise quotidienne de me décider. Qu’est ce qui fait l’intensité, la pression d’avoir à exister ? C’est l’imminence de la mort. Imaginons que nous soyons immortels ...il n’y aurait plus de mouvement, nous serions arrêtés. Il nous échoit d’avoir à faire cela plutôt qu’autre chose… avant qu’il ne soit trop tard... tant qu’il est encore temps car il n’y a de temps que pour les mortels. Ceux qui sont « en voyage », il leur faut d’abord gagner une maison et une table par le cheminement vers l’obscur de leurs sentiers ; pas seulement, pas même avant tout pour eux-mêmes, mais pour ceux qui sont « beaucoup » ; car "ceux-ci croient qu’à simplement s’installer dans des maisons et s’asseoir à des tables, ils sont déjà pourvus des choses et parvenus au site de la demeure. » p25 Rien n’est acquit ni arrêté, il n’y a pas d’endroit où je sois chez moi, c’est l’exil permanent. Quand je dis que ma demeure c’est ma maison...ce n’est pas ma demeure ! Ma demeure c’est justement l’espace du mourir. La dernière demeure ...la fameuse ! C’est ce qu’on dit pour dire la mort ... C’est là que nous allons demeurer pour le coup, dans le sens que là, ça va s’arrêter ! Le propre d’un cadavre, c’est que ce n’est plus un existant. Ceux qui sont « en voyage » » dit une forme de rapport, pas un jugement où il y aurait ceux-là les élus et les autres. De prime abord et le plus souvent l’être s’oublie, de prime abord et le plus souvent .. quotidienneté, dévalement. Il est de l’essence de l’être de s’oublier. Et il nous est donné à certains moments de pouvoir nous rapporter de manière plus appropriée à cette charge d’avoir à être, de venir à son propre, mais le plus souvent l’ouverture à être, nous la prenons sur le mode de la fermeture, et l’impropre...c’est une forme du propre, celle où nous nous occupons d’un faire quotidien sans prendre la mesure de la façon dont cela nous engage fondamentalement. « Ceux » ne dit pas les gens mais une manière d’y être. Il y a la manière d’être où je mesure que je suis toujours en voyage, en partance vers ma possibilité suivante d’être, et où il me faut gagner une table et une maison.. Quelque chose de la quotidienneté.. Mais une table et une maison qui est un chemin autre que simplement matériel, factuel... et c’est toujours quelque chose qui m’échappe, je ne perds de vue que chacun de mes acte est une décision d’existence (pas simplement un choix entre deux objets), que je suis toujours marche d’avance vers ma possibilité suivante d’avoir à me décider pour une forme de ma présence.. et pourtant je le perds de vue lorsque je prétends être arrivée chez moi et que je suis à l’intérieur d’une maison matérielle, protégée et en sécurité une fois que j’ai fermé la porte.

« Pas seulement, pas même avant tout pour eux-mêmes, mais pour ceux qui sont « beaucoup » » c’est à dire pour les moments où en tant que mortels ont se prend pour beaucoup, les uns parmi les autres comme des individus.. Subjectivation ou moments de la quotidienneté, avec l’idée que quand on a une maison, on est pourvu de choses et on est arrivé chez nous... Enfin ! Je suis chez moi ! je ferme la porte et je me pose…et qu’est-ce qu’il se passe ? Est-ce que je suis vraiment chez moi ? Est ce qu’il y a vraiment un chez soi ? Jamais je ne suis sûre que je serai là chez moi jusqu’au bout.. C’est le « pas chez soi » le propre de l’humain, c’est d’être jamais à demeure, jamais terminé/fini : ex-istant.


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