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Compte Rendu 5, la parole.


Groupe de lecture, compte rendu 5 - 9 Janvier 2016 - à Brugairolles Corinne Simon, Edith Blanquet, Anne Guignabert, Frédérique Remaud, Marie-Christine Chartier et Darwin Fauché

ACHEMINEMENT VERS LA PAROLE - Martin Heidegger

«  La parole est parlante. Qu’en est-il de son parler ? Où trouver un tel parler ? Ne sera-ce pas là où a été parlé ? Là en effet parler s’est accompli. Où a été parlé, parler ne cesse pas. Où a été parlé, parler reste à l’abri. Où a été parlé, la parole rassemble la manière dont elle continue de se déployer, et cela qui continue de se déployer à partir d’elle –le perpétuel de son déploiement : son être. Mais ordinairement et trop souvent ce qui a été parlé ne nous rencontre que comme ce qu’il y a de passé (d’écoulé) dans une parole. » Ibid, p. 18 De quoi parle-t-il ? Nous pouvons faire la différence entre parlé et parler : un acte et donc un rapport temporalisé. C’est à dire le déploiement de quelque chose, un acte ne peut jamais se saisir, il a toujours déjà eu lieu, on ne peut attraper l’acte lui-même. On ne peut trouver que son "effet", la trace qu’il laisse. Quant il dit " la parole est parlante" : c’est la parole elle-même qui parle, dans le sens où elle nous donne à entendre. Mais quand est-il de son parler ? Du parler lui-même de la parole ? Le parler de la parole, est-ce que ça veut dire toutes les manières de dire ? Les manières de dire … c’est déjà dit, des manières d’avoir dit. Pourtant c’est l’acte lui-même, le dire lui-même qu’articule la parole. Il pose une question : où peut-on trouver le parler lui-même de la parole ? Pas le parler de quelqu’un, celui de la parole. J’entends que le parler de la parole a toujours déjà une forme dans la façon dont je parle (un rythme, une tonalité, un sens...) mais là ce n’est pas le parler de la parole ? Il questionne si le parler de la parole « ne sera-ce pas là où a déjà été parlé ? ». C’est à dire où parler est déjà parlé. Pour questionner le parler de la parole, il faut qu’il ait déjà eu lieu. On ne peut l’attraper/regarder que par où il s’est déjà accompli « là où parler s’est accompli » . Chercher le parler de la parole, est-ce que ça voudrait dire chercher ce que cela nous donne à entendre, l’inouï, le non entendu de ce qui a été proféré ? Ça m’évoque : quand tu répétais ’’je ne sais pas quoi faire’’, mon souci était déjà de questionner la manière d’avoir déjà dit quelque chose, ça a déjà parlé. Ça parle de faire plutôt que ... ça a déjà identifié quelque chose du parler lui-même, ça a déjà choisi une forme du parler, et c’est une manière de ramener à : s’étonner de. Comment la parole parle à travers ce qui a été accompli d’un parler, à travers le parler. Ce qui a été parlé..de quoi, que tu as prononcé. Lorsque nous parlons, nous pensons savoir ce que nous disons...nous pensons en être assuré..." Tu dis des choses plus grosses que toi" me disait parfois ma grand-mère... Et là où le parler s’est accompli, parler ne cesse pas. Ce n’est pas parce que tu as fini de me parler que ça ne continue pas de me parler, de me donner à entendre. Quand je dis quelque chose, je profère une parole articulée en phrases. Pourtant la parole prononcée continue à (me) parler même quand la phrase est terminée. C’est même là qu’elle se met à me parler autrement. Ce n’est plus moi qui parle au sens de prononcer un son mais ça parle, ça me donne à entendre. Du coup il dit « où a été parlé, parler ne cesse pas ». Parler ne peut pas se réduire à prononcer un son, à une articulation motrice. « Où a été parlé, parler reste à l’abri » toujours en retrait, une épaisseur... « Où a été parlé, la parole rassemble la manière dont elle continue à se déployer et cela continue de se déployer à partir d’elle, c’est-à-dire le perpétuel de son déploiement, son être ». Là où elle se tient, là où elle donne ouverture. C’est-à-dire qu’une parole est parlante, ça ne veut pas dire que quelqu’un doit la proférer, ce n’est pas un acte d’énonciation. La parole rassemble ; c’est rassembler dans le sens du logos, elle cueille et donne visage, appelle à la présence. Ainsi elle continue de se déployer et cela même qui continue de se déployer à partir d’elle : un monde... Autrement dit le déploiement de la parole est perpétuel, il n’a pas de commencement ni de fin. Le perpétuel n’est pas l’éternel, pas de durée, l’éternel c’est quelque chose qui durerait tout le temps, le perpétuel est toujours en marche. Ça ne peut pas s’arraisonner, c’est une utopie, pas de lieu. Ordinairement et trop souvent, ce qui a été parlé ne rend compte que du passé. On regarde toujours la parole comme finie. Elle a dit quelque chose, elle ne parle plus, on l’attribue. Là j’ai dit quelque chose comme si quand elle est parlée, elle est finie, on ne s’y arrête pas, c’est le propre du bavardage, de l’accélération propre au parler quotidien. On ne revient pas dessus, avec l’idée que ce qui a été parlé a été entièrement dévoilé dans le contenu de ce qui a été parlé, qu’il est un énoncé. Par exemple : le travail que j’ai fait ce matin, sur le bavardage, on l’avait articulé avec la posture thérapeutique…la question n’était pas de dire que ce qui avait été dit était pertinent ou pas mais d’amener à prendre la mesure du parlé/ parler de la parole prononcée, de là où elle restait encore énigmatique, elle se déployait encore en son être pour nous convoquer.

«  "Si par conséquent il nous faut chercher le parler de la parole où a été parlé, nous ferons bien, au lieu de prendre au hasard n’importe quel parlé, au contraire de trouver quelque chose où soit purement parlé. Le parlé à l’état pur est tel qu’en lui la perfection de parler - celle qui sied au parlé - de par elle-même devient achèvement en initial. Le parlé à l’état pur est le Poème. Laissons pour le moment cette affirmation à sa nudité. Nous en avons le droit, à condition de réussir, à entendre dans un poème, du parlé à l’état pur. Mais à quel poème demanderons-nous de s’adresser à nous ? Ici nous sommes réduits au choix – il est pourtant préservé de l’arbitraire. Par quoi ? Par cela qui déjà se pense et se destine à nous comme propre déploiement de la parole aussitôt que nous pensons en suivant comment parle la parole elle-même. Suivant ce lien, choisissons comme parlé à l’état pur un poème qui plus que d’autres peut, dans nos premiers pas, nous aider à éprouver ce qui, dans le lien au déploiement propre de la parole lie et relie. Ecoutons ce parlé. Le poème porte le titre :

Un soir d’hiver. ». Ibid p. 18

Ça nous parle de ramener le parler au parlé : c’est une métaphore du 1er paragraphe : le parlé de la parole ne cesse pas, donc nous cherchons ça. Le parler de la parole, nous le cherchons à partir de là où quelque chose a été parlé. Puisque c’est dans le parlé/ parler que la parole, son déploiement se tient à l’abri. Là où ça nous parle encore puisque ça ne cesse pas, là où ça nous donne à entendre, à écouter cette parole parlée. Donc ce serait une parole qui serait parlante au sens de la psychanalyse. En psychanalyse quand on parle d’une parole qui serait parlante, c’est une parole qui parlerait d’elle-même et qui ne serait pas maîtrisée par un sujet, qui nous donnerait à entendre autre chose que ce que nous aurions parlé. Ça veut dire une parole qui sans cesse devrait nous étonner, qui a une espèce d’abondance/ de générosité sans cesse renouvelée. Ça me fait penser à cette phrase qui m’a marquée dans une pièce de théâtre, une phrase de cette femme qui a dit plusieurs fois : « je me suis trouvée sous les nuages et dans le seul » ; c’est une parole parlante, c’est tellement profond, ça n’en finit pas, j’ai envie de la répéter sans cesse car elle échappe et en même temps elle me parle, elle m’appelle. Ce n’est pas comme deux et deux font quatre ! Ce n’est pas un simple énoncé. Donc nous cherchons le purement parlé, et il le situe dans la parler de la poésie. Ce qu’on appellerait le purement parlé c’est quelque chose dans lequel la perfection du parlé lui-même « celle qui sied au parlé » pour qu’une parole soit parlante, c’est-à-dire que là où la perfection du parlé « de par elle-même devient achèvement en initial ». La fin dans son commencement, c’est à dire quelque chose qui est un commencement qui va complètement à sa plénitude. Ce n’est pas que ça se termine. L’achèvement, la fin de quelque chose : c’est son plein épanouissement, c’est sa finalité. J’entends ça, ce n’est pas terminé, c’est le dévoilement, sa révélation. On ne peut pas concevoir l’achèvement dans le sens premier d’achever : déjà passé, clos. Ça s’achève à son commencement, ça remet cette dimension parlante. Cela donne à entendre que la fin/finalité de quelque chose c’est le plein épanouissement, c’est son mûrissement. On entend souvent dans nos manières d’avoir déjà compris, la fin comme terminée. Mais il précise que la perfection du parlé est dans le poème : « Le parlé à l’état pur est le Poème ». Pourquoi le poème et pas une autre forme, par exemple le parler d’une notice technique ? Comme s’il nous demande d’accepter ça, sans le questionner, de le prendre tout nu. Pourquoi le poème et pas autre chose ? Pourquoi pas une table de multiplication ? On pourrait dire de-même, quand j’affirme le parlé à l’état pur c’est le poème, je demande à quelqu’un de me croire, je ne le justifie pas, je ne le fonde pas en raison, je le pose brut de décoffrage et je l’accueille. Je mesure que dire cela, prend sens en tant que rapport : le poème plutôt que l’énoncé factuel...chaque mot prononcé se manifeste sous une forme : un rapport fig/ fond. Et il s’agit d’évoquer un poème qui nous permette de l’éprouver. Du coup ce n’est pas un poème dans lequel le poète voudrait dire un message, mais ce serait un poème dans lequel la parole s’adresserait à nous et nous appellerait à quelque chose, nous inviterait à écouter. C’est le propre d’un poème d’ailleurs, ça donne à entendre plus que ça a à nous dire, comme une œuvre d’art. Il dit « Ici nous sommes réduits au choix – il est pourtant préservé de l’arbitraire » c’est étonnant car l’arbitraire n’est pas un choix. Est-ce que l’arbitraire ne serait pas un choix qui serait posé par quelqu’un ? Une opinion. J’entends que c’est un choix qui n’est pas un choix, le tien plutôt que le mien basé sur une opinion arbitraire, comme si je pouvais dire le noir c’est la meilleure des couleurs, c’est un arbitraire, mais ce serait quelque chose qui se dit à l’état brut et dont le fondement apparaît de lui-même pas par quelqu’un d’autre. Ça ramène à : « Nous en avons le droit, à condition de réussir, à entendre dans un poème, du parlé à l’état pur. » Quelque chose qui parle d’évidence et qu’on ne puisse pas justifier mais qu’on mesure que ça parle, qu’on puisse dire, oui ça parle !, je ne peux pas le justifier, en rendre compte, le maitriser, mais ça parle.

« il est pourtant préservé de l’arbitraire. Par quoi ? Par cela qui déjà se pense et se destine à nous comme propre déploiement de la parole aussitôt que nous pensons en suivant comment parle la parole elle-même ». Un poème, on n’a jamais fini de l’entendre et de développer les nuances infinies de son dire. On ne peut pas avoir une analyse exhaustive d’un poème, on ne peut pas regarder scientifiquement un poème, c’est le propre de la poésie, elle préserve un mystère ! Quelque chose qui échappe et qui pourtant toujours nous dit. Ça m’évoque cette phrase « sous les nuages et sous le seul » Est-ce qu’on peut en rendre compte ? ce n’est pas n’importe quelle parole, ça évoque ! C’est profond, c’est plein, ce n’est pas pareil que sous le ciel et dans la solitude. Il y a quelque chose qui est étonnant dans la façon de dire. Et le « propre », quand il parle de "propre déploiement" ? C’est propre dans quel sens ? C’est le déploiement en tant que tel, pas à partir de quelqu’un, à partir de soi même, la parole qui parle à partir d’elle-même et pas à partir d’un sujet qui la prononce. Il y a des paroles parlantes d’elles-mêmes. Est-ce que ce n’est pas le propre de s’approprier ? Au sens d’un site particulier, pas le site d’un moi. En fait, je trouve mon site dans la parole en la laissant se déployer, pas en maîtrisant la parole. La parole est son propre, c’est-à-dire la parole est parole. Et donc, il nous propose de choisir comme parlé à l’état pur un poème « qui plus que d’autres peut, dans nos premiers pas » donc un poème qui dans nos premiers pas pour nous faire entendre en quoi il en retourne, nous ouvrir, « nous aider à éprouver ce qui, dans le lien au déploiement propre de la parole lie et relie » Il nous propose un poème particulier : un soir d’hiver.

« Un soir d’hiver Quand il neige à la fenêtre, Que longuement sonne la cloche du soir, Pour beaucoup la table est mise Et la maison est bien pourvue.

Plus d’un qui est en voyage Arrive à la porte sur d’obscurs sentiers. D’or fleurit l’arbre des grâces Né de la terre et de sa sève fraiche. Voyageur entre paisiblement ; La douleur pétrifia le seuil. Là resplendit en clarté pure Sur la table pain et vin. »

Les deux derniers vers de la seconde strophe et la troisième strophe disent dans la première version (lettre à Karl Kraus du 13 Décembre 1913) :

Sa blessure pleine de grâces Soigne la douce force de l’amour.

O simple tourment de l’être humain. Qui, muet, à lutté avec des anges, Languit, vaincu par la douleur sacrée, Sans bruit après pain et vin de Dieu.

(cf.la nouvelle édition suisse des Poésies de George Trakl, par Kurt Horowitz, 1946) Ibid, p.19

Ce qui nous vient par rapport à ce poème ? L’impression que ce premier paragraphe peut aller de soi. « Quand il neige à la fenêtre, Que longuement sonne la cloche du soir, Pour beaucoup la table est mise Et la maison est bien pourvue » Puis il y a : « Plus d’un qui est en voyage » et là « plus d’un » : ça commence à décaler… Arrive à la porte sur d’obscurs sentiers. D’or fleurit l’arbre des grâces Né de la terre et de sa sève fraîche. » ça arrête et en même temps ça évoque, on peut comprendre chaque mot mais on ne peut pas saisir le sens, on ne peut pas maîtriser. « Voyageur entre paisiblement ; La douleur pétrifia le seuil. Là resplendit en clarté pure Sur la table pain et vin » On ne sait plus qui est le sujet, ça déroute la façon logique, l’ordre convenu d’agencer les mots et les phrases…on ne peut pas dire que ça donne un sentiment d’étrangeté mais il y a quelque chose, c’est une parole qui en même temps ne peut pas être maîtrisée, elle invite à s’arrêter, à se laisser écouter, accueillir une profondeur. Si on le lit comme ça, on ne peut rien en dire, il faut y revenir et encore y revenir pour que tout d’un coup ça se mette à nous parler. Ce n’est pas parce que ça a été parlé que quelque chose a été entendu ou a été dit qui va de soi. C’est quand on l’a lu qu’on y revient. Et je dirai que dans la posture du thérapeute, il faudrait presque qu’on arrive à écouter ce que disent nos patients de cette manière là. Là, l’inouï apparaît. Ce poème a de particulier que quelque chose ne va pas de soi et nous appelle à un effort, soit on abandonne, soit on y revient. Et finalement, c’est en lisant et en relisant que tout d’un coup quelque chose prend de l’épaisseur, se met à parler, mais il faut un travail qui manifestement est un travail plus dur que si je te dis : « Ce matin je suis allé chez mon grand père » ou si je dis « je ne sais pas quoi faire ». Parce que dans le « je ne sais pas quoi faire », ça m’est tellement compris, évident, que j’ai l’impression que ça a été parlé et qu’il ne s’agit pas de se demander comment vient cette phrase, à quoi elle nous ouvre ? Elle dit quoi plutôt que quoi ? Enfin la mettre en rapport pour lui préserver un mystère qui là, dans le dire poétique est d’emblée posé. C’est un poème qui d’emblée n’est pas facile à lire, facile au sens où selon notre usage habituel, nous pensons que la parole est explicite. Et en même temps il est lisible, il y a quelque chose ! On ne va pas dire qu’il y a un relâchement de la pensée ; ça parle autrement mais il faut y revenir, pour pouvoir en dire quelque chose.

« Sa blessure pleine de grâces Soigne la douce force de l’amour. O simple tourment de l’être humain. Qui, muet, à lutté avec des anges, Languit, vaincu par la douleur sacrée, Sans bruit après pain et vin de Dieu. »

Ca m’arrête, ça fait vaciller l’évidence. Par exemple, une « blessure pleine de grâces », ce n’est pas quelque chose qu’on dirait habituellement d’une blessure c’est-à-dire qu’il y a des tourments qui sont salutaires. Ça dit plus que les mots, ça questionne. « La blessure… qui soigne », dans le sens ça amène à voir qu’est-ce que soigner ? Est-ce que soigner c’est prendre soin ? C’est guérir ou approfondir ?que veut nous dire " prendre soin" ? Il s’agit de nous laisser entendre toutes les nuances du soin : prendre garde, préserver, prendre en charge, porter attention. Il y a un changement de tonalité importante. Il pose un paysage et soudain ça parle à un autre niveau …« La douleur pétrifia le seuil »..ça devient mystérieux, il y a de l’intensité, un saisissement.

« O simple tourment de l’être humain. Qui, muet, à lutté avec des anges, Languit, vaincu par la douleur sacrée, Sans bruit après pain et vin de Dieu. »

Ça amène à voir en tant que douleur, la souffrance qu’est-ce que c’est ? « Languir » une forme de sensualité… Celui qui accueille la douleur sacrée, qui ne lutte plus, qui ne s’accroche pas, se laisse manifester. En même temps c’est mystique, c’est un mystère qui préserve le parlé lui-même, il ne peut jamais être dit, on en a jamais fini de le préserver, d’en faire le tour, de le relire...de s’y approfondir. J’ai l’impression qu’on pourrait tourner les phrases, les lire, les relire… Alors qu’un texte scientifique, tu le lis et après c’est terminé, son sens est expliqué et non explicité. A chaque fois que j’ouvre un livre de poésie même si je le connais par coeur, à chaque fois que je le relis, il donne à entendre quelque chose d’inattendu, c’est magique la poésie, c’est un livre sans fin.

« Ce poème est de George Trakl. Qu’il en soit l’auteur n’a pas d’importance ; aussi bien ici que partout où un poème est superbement réussi. La grande réussite supporte même que puissent être reniés personne et nom du poète. Le poème est formé de trois strophes. Leur mètre et leur versification peuvent être exactement déterminés d’après les schémas de la métrique et de la poétique. Le contenu du poème est intelligible. Pas un mot qui, pris à part, serait inconnu ou difficile. A vrai dire, il y a bien quelques vers qui sonnent étrangement ; ainsi le troisième et le quatrième de la seconde strophe. D’or fleurit l’arbre des grâces Né de la terre et de sa sève fraîche. De même, le deuxième vers de la troisième strophe peut surprendre : La douleur pétrifia le seuil. Mais les vers que nous soulignons ainsi frappent par la singulière beauté des images. Cette beauté augmente l’attrait du poème et renforce la perfection esthétique de cette œuvre d’art. » Ibid, p. 19-20

De quoi parle-t-il là ? Mise en œuvre du cercle herméneutique... Quand on lit un poème dans la poésie, on cherche qui est l’auteur. On dit c’est un poème de Verlaine et ça suffit. Peu importe de qui est le poème finalement. Je m’aperçois que dans la peinture c’est pareil, j’ai des tableaux en tête, je ne sais pas de qui ils sont, ni le titre, pourtant ils se tiennent là encore et encore. Et ensuite il évoque quoi quand il dit ? : « Le poème est formé de trois strophes. Leur mètre et leur versification peuvent être exactement déterminés d’après les schémas de la métrique et de la poétique … ». Métrique et poétique, c’est qu’il y a des règles de calcul qui font qu’un poème doit avoir tant de pied et de vers. Ce sont les pieds qui calculent la métrique d’un vers et il y a des rapports de pieds et de terminaisons et de rythmes. Ce sont ces règles qui disent que c’est un poème. C’est ce qu’on appelle l’analyse structurale d’un poème. Habituellement quand on lit un poème on le regarde du point de vue du nombre de pieds. Il est donc conforme aux règles, il est intelligible aussi. Le vocabulaire ne pose pas de problème. Il propose donc de le regarder de façon habituelle, il n’y a rien de difficile est-ce que pour autant on en comprend quelque chose au sens de maîtrise, une fois qu’on a dit ça ? En fait ça sonne étrangement et ça parle de singulière beauté des images.

« Le poème décrit un soir d’hiver. La première strophe montre ce qui se passe au dehors : la neige tombe, la cloche du soir sonne. Ce qui est au dehors va jusqu’à effleurer l’intérieur de la demeure humaine. La neige tombe à la fenêtre. La cloche se fait entendre jusque dans chaque maison. A l’intérieur, tout est bien disposé et la tale est mise. » Ibid, p. 20

Ça présente une scène, c’est-à-dire un endroit où s’entend, un humain dans une saison jusque là, rien de plus et pourtant...cela suggère et ne décrit pas de manière exhaustive ou technique. Avec le rapport plutôt du dehors vers le dedans. ça attribue des places et des lieux, ca prend place et nous appelle à envisager.

« La seconde strophe fait naître un contraste. Distincts de tous ceux qui sont attablés chez eux, quelques-uns voyagent, étrangers, sur d’obscurs sentiers. Pourtant, de tels sentiers - peut être sont ils des sentiers pénibles - mènent parfois à la porte d’une maison qui les abrite. Cela n’est toutefois pas expressément décrit. Le poème nomme plutôt ici : l’arbre des grâces. » Ibid, p. 20

L’arbre des grâces ? Scène de noël ? Dans tous les cas, il dit que dans la seconde strophe il y a un contraste entre une scène qui va de soi et là quelque chose se passe entre ceux qui sont attablés et les autres qui errent qui voyagent et qui peuvent trouver un abri, ce n’est pas dit vraiment, ça parle de l’arbre des grâces.

« La troisième strophe invite le voyageur à venir de l’obscur dehors et à pénétrer dans la clarté. La maison de chacun et la table des repas quotidiens sont devenues Maison de Dieu et Sainte table » Ibid, p. 20 Là c’est le 1er niveau d’analyse (de quoi ça parle, ce que l’on fait tous) le commentaire de texte.

« On pourrait analyser plus en détail le contenu du poème, cerner plus exactement sa forme ; procédant ainsi, nous resterions cependant tout à fait prisonniers de la représentation qui, depuis des millénaires, est de mise pour la parole. D’après cette représentation, la parole est l’expression, par l homme, de mouvements psychiques internes et de la vision du monde qui les régit. La contrainte que cette représentation fait peser sur la parole peut elle être brisée ? Pourquoi doit-elle être brisée ? La parole elle-même n’est pas plus expression qu’elle n’est une activité de l’homme. La parole est parlante. Nous cherchons à présent le parler de la parole dans le poème. Ainsi donc ce qui est cherché doit être dans le poétique de la parole parlée. » Ibid, p. 20-21

Qu’est ce qu’on entend ? il reprend les différentes représentations ; c’est-à-dire la première représentation, que la parole est un acte d’expression de quelque chose. Ça pousse dehors quelque chose qui est à l’intérieur du psychisme ( une représentation mentale). Il dit donc que c’est une manière d’entendre la parole. Mais on cherchait le parler de la parole elle-même là où elle est parlante, et pas là où nous parlons, où nous maîtrisons, donc ce qui doit être cherché doit être dans le poétique de la parole parlée et non dans les règles de la poétique comme science que maîtrise l’humain. Ce n’est pas nous qui cueillons ; c’est la parole elle-même qui ouvre le site pour que nous y prenions place. C’est ce qu’il veut dire, il nous décentre, il reprend divers points et après il va reprendre le poème, il va reprendre et petit à petit on recommence : un soir d’hiver c’est le titre etc… A quoi on s’attend et qu’est-ce qu’on trouve ? Ça m’amène à faire un parallèle avec la posture du thérapeute. Soit la parole est l’expression d’un mouvement d’un psychisme et donc de la structuration d’un psychisme, soit on va regarder ce qu’il se passe comme le phénomène d’un ensuite qui n’a pas encore eu lieu vers lequel on prend place ; et déjà ça décentre de la manière dont on regarde au quotidien. Pourquoi apportes-tu un ensuite maintenant ? Il y a quelque chose qui vient à partir d’un ensuite, ici, maintenant et ensuite, avec l’idée que la parole n’est pas quelque chose qui est dedans, à l’intérieur de moi, et que je sortirai pour te le dire, mais elle est quelque chose qui nous invite à prendre place. Ensuite, car elle est toujours en train de se déployer. Ça ne s’arrête pas. Même quand on reprend la parole on ne la reprend pas en arrière, c’est comme si on la reprend toujours fraîche, elle est toujours nouvelle et parle au- delà de l’acte phonatoire d’un humain, elle n’en finit pas de parler, de nous parler. Même quand elle a été parlée on peut y revenir, mais y revenir ce n’est pas retourner en arrière, c’est s’ouvrir à une autre dimension de la parole. Voilà ce que j’entendrai, c’est important : la parole ne se répète pas. Elle parle de nouveau sans cesse et ça nous donne à entendre sans cesse. Un symptôme c’est un signifiant sur un signifié et il y a une signification qui doit être trouvée. Un symptôme est autre qu’un concept, autre qu’une forme... Est-ce que l’on pourrait entendre le bavardage comme ça ? Oui le bavardage n’est pas quelque chose de péjoratif pour Heidegger, ça fait partie du dévalement, de la quotidienneté, c’est-à-dire que le propre (la propriation de soi) et l’impropre (l’impropriété) ne sont pas des choses opposées, on ne sort pas de l’impropre pour aller vers le propre, c’est quelque chose qui survient par surcroît, c’est une profusion, une générosité. Est-ce qu’on peut dire que le bavardage est une parole qui ne s’approprie pas ? C’est une parole qui demande à être appropriée, qui n’attend que ça, dont on ne prend pas la dimension d’habitation qui est prise comme outil de communication, outil dont dispose le " cerveau" ...

Au sujet des interprétations, c’est à dire interprétation/ projection selon la théorie du self, en parlant en guise d’introduction à la pensée du Dasein j’ai repris en lisant quelques passages sur quelques existentiaux et, en parlant du propre et de l’impropre ( eigentlich/ uneigentlich), j’ai dit qu’on ne pouvait pas parler du propre et de l’impropre de manière isolée. C’est un rapport : leur dimension advient de leur tenue en rapport : propre/impropre, dévalement/ dévoilement. Ils ne sont pas adjectif qualificatifs que l’on accolerait à un nom...par exemple comme s’il y avait des paroles propres et des paroles impropres. Quoi que je fasse, je me tiens toujours en vue d’un pouvoir être : l’oubli est une forme du souci, une façon de prendre charge, une manière de prendre soin, de prendre égard. Le bavardage est une manière de parler ajustée à l’existence quotidienne et il s’assortit d’une manière de comprendre ( l’équivoque) et d’une manière de pouvoir voir ( la curiosité) ...C’est en ce sens qu’on ne peut pas juger qu’il y a des paroles parlantes et d’autres non. Toute parole est parlante, c’est à nous de vouloir résolument prendre soin, de nous laisser accueillir plutôt qu’utiliser..le bavardage à sa portée et sa pertinence...et c’est à même le dévalement que parfois surgit le moment où nous nous approprions...la plupart du temps nous sommes à ce que nous faisons.. Venir à soi de manière appropriée n’est pas notre manière quotidienne d’exister...et témoigne bien souvent d’une crise, d’un vacillement de la quotidienneté. Et il arrive que la manière d’entendre ces deux modalités d’habitation chez Heidegger en vient à conclure que le dévalement serait à proscrire....comme "quelque chose" qui ne serait pas bien (tout comme notre communauté de Gestalt-thérapeutes se réclame du paradigme de champ car " le paradigme de l’individu c’est mal" ...tout en parlant de champ du patient et puis de champ du thérapeute...autrement dit d’un champ de conscience...et donc d’individu au sens individué... L’équivoque est si familière...) Le propre ne peut être en rapport qu’à l’impropre. Sinon cela n’a plus sens d’un pouvoir être, c’est comme l’ouverture et la fermeture. La fermeture est une modalité de l’ouvert ; l’ouvert est fondamental : pour qu’il y ait fermeture (fermer les volets...) il faut qu’il y ait d’abord ouverture. La fermeture repose sur une essentielle ouverture.

Je reviens sur qu’est-ce que tu entends par signifiant/signifié ? Ce rapport qui veut dire quelque chose d’autre mais qui n’est pas établi. On pense que le sens/ signification est dans le mot. Il est des textes dans lesquels il n’est pas nécessaire de prendre un dictionnaire pour comprendre/ penser avoir compris chaque mot isolément...et pourtant, la manière dont ils sont tissés ensemble nous fait mesurer que nous n’y comprenons plus rien. Ainsi par exemple les textes de Maldiney : quand on lit Maldiney tout comme Heidegger, ce n’est pas compliqué c’est juste une manière de dire qui fait que tout d’un coup, cela nous suspend. On comprend tous les mots mais mis ainsi ?on dit c’est un style contourné ou bizarre. Pourquoi tu parles compliqué ? Pourquoi tu ne dis pas ça simplement ? C’est comme ça, ça ne peut pas se dire autrement. Ce n’est pas pour compliquer qu’Heidegger parle comme il le fait, c’est parce que ça fait parler les mots, ça fait parler la parole au-delà des mots, ça fait entendre, ça réveille le mystère des mots et cela nous oblige à venir en conscience. Cela nous travaille et nous appelle à entendre, à vouloir entendre... On ne peut plus mettre le sens dans le mot et l’enfermer dans un dictionnaire qui serait soit disant un catalogue exhaustif des significations contenues dans les mots. Le danger du dictionnaire c’est de le prendre comme indiquant ce que les mots contiennent en leur " intérieur" comme des boites remplies de signification plutôt que de biscuits...n’oublions pas que le dictionnaire situe le mot dans divers contextes...la signification se tient entre les mots, là ils se rapportent l’un à l’autre...logos, legein, cueillir et rassembler, prendre forme et visage par l’acte de l’appellation...appeler par le nom, pro-duire...et nous nous arrêtons alors sur un mot ...familier ? pro-duire...


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