www.edithblanquet.org

La question du dévoilement et son entente en Gestalt-thérapie

article publié dans la revue "Gestalt-thérapie" N°33 "se dévoiler" 2007

La question du dévoilement et son entente en Gestalt-thérapie Edith Blanquet 2007

Article publié dans la revue « Gestalt-thérapie » N°33 « se dévoiler » 2ème trimestre 2007

Lorsque j’ai accepté cette contribution à ce thème qui participe de ma recherche d’une fondation ontologique de la Gestalt-thérapie, j’ai d’abord pensé à aletheia grec : l’effacement de l’oubli ; une façon de concevoir la vérité comme dévoilement. Le Léthé est le fleuve que traversent les morts conduits par Charon –me vient là « Tombeau-les regrets » une musique de Sainte Colombe pour basse de viole et sa mélopée s’apprésente à moi … L’appel de Charon : série de croches en sol majeur dévalant jusqu’à s’alanguir en noires – Léthé est le fleuve que traversent les morts et qui ainsi les conduit à l’oubli de leur existence terrestre … Dans ce sillon, également en esquisses : La phénoménologie et les travaux de Martin Heidegger sur la désocccultation et l’Ereignis que l’on traduit par événement appropriant (qui augure la venue à soi en pleine conscience et responsabilité ; advenir en son Dasein c’est-à-dire assumer pleinement ses modalités d’être au monde). Henri Maldiney avec sa conception de la crise de l’existant .Une crise augurant toute élaboration de signification de soi au monde et qui traduit la Gestaltung de soi. Merleau-Ponty sur le pli et son ontologie de la chair. Des bribes de séances avec les patients avec qui je chemine et ma façon de concevoir la posture du Gestalt-thérapeute. La théorie du Self remise en chantier et mes modulations sur son déploiement en mode ego qui est, selon mon point de vue, de l’ordre de la survenue, de la surprise.

Ouvrir ce thème du dévoilement me conduit à une série de questions et remarques que je vous propose.

Dévoilement : le voilement est supprimé. Me référant au dictionnaire étymologique du français (édition Robert) « dé » est un préfixe marquant la séparation, la direction en sens opposé, le contraire. Voilement, voile renvoie à vêtir …dévoiler serait mettre à découvert…Serait-ce alors ôter le voile pour révéler ce qui était voilé ? Un quelque chose dessous, caché ? Je pense alors à la pleine lumière de l’explicitation, ce qui ex-plique, sort du pli…ex-plique par distinction de com-plique, plie avec…

Je m’aperçois que par de telles associations, je scinde ce mot en deux propositions que je pose ensuite en instaurant un rapport particulier de l’un à l’autre : suppression de l’une de ses composantes (le voilement) par l’autre (dé). Et aussitôt je m’étonne : ce mode de se rapporter du « dé » et du « voilement » est-il le seul mode possible ? Peut-être alors pouvons nous entendre ces deux césures co-tendues dans un rapport dialectique : supprimer/vêtir, à la fois ôter et à la fois vêtir : un mouvement d’ôter et de voiler simultané…de mise en lumière et d’obscurcissement simultané. Là c’est la question de l’être homme, de la façon dont l’humain se rapporte à l’être qui survient : ex-ister, ne pas avoir le lieu stable, toujours en ex-il ; en quête d’un fondement, d’un sens et ce sens aussitôt révélé, aussitôt occulté…La question du rapport du sujet et de l’objet et notre propension à oublier, voiler que l’objet et le sujet sont peut-être dans un rapport de simultanéité ou de mutualité. Lorsque je donne un sens à ma vie j’oublie que c’est moi que je fais exister ainsi. Je m’occupe de ce que je pense et occulte que c’est alors moi qui me décide pour une forme, qui m’in-forme alors au monde ainsi. Par exemple là je suis occupée d’écrire et ce sont les mots qui accaparent mon attention. Ma venue en présence à cette occasion est oubliée au profit de cela que je mets en œuvre. Je me centre sur une manière de me rapporter à un objet et occulte que, ce faisan,t je mets en œuvre et par là m’institue en présence. Je m’in-forme en in-formant un monde par l’acte de l’expression signifiante. J’occulte l’acte de ma venue en conscience au profit de l’objet que cet acte produit. Je m’oublie dans ce que je suis occupée de faire.

En opérant ce détour étymologique je découvre alors combien ce chemin évoquant diverses manières de jouer avec ce mot est loin d’être anodin. Surgit à ma vue toute la question du dévoilement dans sa complexité (com-pli-cité).

Entendre le dévoilement dans une approche thérapeutique serait-ce se poser la question d’un caché à révéler ? Et là nous pouvons articuler toute la logique du symptôme qui semble évidente dans le domaine de la psychologie. Arrêtons-nous un peu sur ce sujet : lorsque j’essaie de tisser en signification (in-former au sens de donner forme signifiante) mes modalités de rencontrer un patient, je peux certes essayer de relier certains moments de son existence à son trouble actuel. Je me tiens là dans une logique associationniste et chronique et je fais l’hypothèse que son trouble fait symptôme d’un conflit qui se joue sur l’autre scène. Ou bien que son trouble est la conséquence de certains faits de sa vie (recherche d’une causalité en amont de ce qui là se manifeste). Je suis alors dans une quête de logique chronologique pour expliquer qui il est. Dans une posture phénoménologique nous ne pouvons pas décider que le trouble d’un patient commence à un moment précis de sa vie concrète. Ainsi un évènement – j’emploie là ce mot dans son sens courant - contraindrait le patient. Ce qui veut alors dire que c’est l’évènement qui en lui-même serait porteur d’un sens auquel le patient serait en quelque sorte soumis .Or un fait matériel peut-il prétendre contenir un vécu ? Engendrer par lui-même un sens ? Ne serait ce pas ainsi oublier nos fondements à savoir que l’humain en tant qu’existant est ouvreur de monde et que le sens est in-formation d’une présence survenante ? Le sens de ma présence corporelle s’in-forme en signification traduisant l’acte de ma venue en conscience en tant que moi-même. Si l’existence est Gestaltung de soi au monde et si nous nous référons aux principes de champ, alors il me semble que nous ne pouvons nous contenter de raisonner en mode causal. Merleau-Ponty dans sa préface à « la phénoménologie de la perception » nous dit : « Il n’y a pas d’accident pur dans l’existence ni dans la co-existence puisque l’une et l’autre s’assimilent les hasards pour en faire de la raison…Parce que nous sommes au monde, nous sommes condamnés au sens » Dans une telle conception, être-au-monde veut dire habiter un monde au sens d’un réseau de renvois (Une signification renvoyant à une autre, le sens est alors effet de « frottement » de signifiants. Il n’est pas porté par un signifiant isolé, contenu en un signifiant. Rappelons nous un des principes de la Gestalt-théorie : le tout est différent de la somme de ses parties). Un monde compris comme possibilités de signification pour moi avec d’autres à ce moment là survenant, et non en soi et hors d’un contexte dont il est manifestation et acte d’existence. Certains Gestalt-thérapeutes se reconnaîtront dans cette manière de voir (logique du symptôme). Pour autant, est-il possible de tenir une telle vue en cohérence avec le point de vue de champ ? Conformément aux cinq principes de champ, il me semble que nous sommes conduits à penser qu’il n’est pas d’objectivité et pas de sujet préconstitué. L’individu n’est pas compris alors comme une substance mais comme acte de temporalisation et de spatialisation, d’individualisation. Pour mémoire je reprends les principes de champ :
  Principe d’organisation : tout comportement prend sens dans un contexte qui lui est propre et ne peut être entendu que dans ses liens essentiels à celui-ci. Nous ne pouvons l’isoler, l’extraire de la situation par laquelle il advient.
  Principe de contemporanéité : un comportement advient dans le présent de sa manifestation. Il n’y a pas lieu d’invoquer un passé ou un futur pour donner sens à cet agir mais bien davantage il s’agit de le signifier dans son actualité même. Par là nous rompons avec l’idée d’une temporalité chronologique signifiante. C’est dans l’actualité de sa manifestation qu’un comportement se fonde ; il n’est pas possible de l’abstraire du contexte pour le décrire en général (pas d’immanence, de signification en soi d’un comportement), d’en déduire une nosographie par exemple…
  Principe de singularité : chaque situation est unique c’est-à-dire radicale nouveauté. Cela exclut toute généralisation abstractive et par là toute notion de répétition.
  Principe d’un possible rapport pertinent : chaque élément de la situation en cours contribue de façon significative à son organisation, est donc potentiellement significatif.
  Principe de processus changeant : l’expérience d’un individu se construit d’instant en instant. Elle est nouveauté sans cesse. Elle est temporalisation et spatialisation de soi en tant que moi-même survenant. Du point de vue de la Gestalt-thérapie cela nous renvoie au fameux « here, now and next », le « next » insistant sur le à venir encore.

Comment un quelque chose peut-il contenir en lui-même un sens caché ? Aussitôt me vient alors la notion de phénomène (to phainoménon : ce qui vient à l’apparaître) : là il s’agit d’accueillir ce qui se manifeste et surtout qui se manifeste ainsi… « Here, now » et surtout « and next ». Il n’est pas alors envisagé de contenu latent mais davantage nous sommes convié à accueillir ce qui vient à l’apparaître : l’ensuite de l’ouverture situante pour un je en voie de lui-même, tendu vers son à-venir ou son à-être. Nous sommes conduits alors à parler de Gestaltung plutôt que de Gestalt, la Gestaltung indiquant plus justement le procès de la forme : la forme en voie d’elle-même pour reprendre les propos de Maldiney (voir « l’existant » dans « Penser l’homme et la folie ») Je me sens beaucoup plus d’affinité avec cette manière de voir.

Mais encore : s’agit-il de dévoiler quelque chose ? Un contenu de pensée ? Un contenu latent ? Ou bien alors ne s’agirait-il pas de dévoiler un qui ? Le qui par où cette pensée en devenir peut venir à la parole ? Le qui actualisant un devenir conscient, un devenir je situé et situant simultanément. Plutôt que d’individu, nous sommes alors conviés à parler en terme d’individuation c’est à dire un procès toujours en cours qui se traduit par l’élaboration des formes de ma présence à. Cela nous permet de redéfinir résolument la théorie du self comme théorie, c’est-à-dire ensemble d’hypothèses, pour comprendre comment une signification s’élabore peu à peu, signification qui n’est plus alors prise pour elle-même mais entendue comme traduction d’un acte : celui par où j’existe en me donnant forme c’est-à-dire signification. (Pour plus de développements, je vous renvoie sur ce sujet à mon article « Du sentir à la forme signifiante »). Quel est l’objet de la Gestalt-thérapie ? L’analyse d’un contenu formel ? D’un objet de conscience ? La sollicitation d’un processus ? Certes en tant que Gestalt-thérapeute nous penchons pour dire ainsi. Mais processus de quoi ou de qui ? De la Gestalt…c’est-à-dire ? Une forme signifiante ? Je pencherai pour définir l’objet de la Gestalt-thérapie comme Gestaltung que je traduirai par entrée en présence d’un je à l’occasion d’un autre et, alors, le dévoilement nous renverrai à cet acte de devenir soi-même en se rapportant à un monde.

Ou bien encore dévoiler ne nous convierait-il pas à simultanément ôter et vêtir ? Je veux dire ainsi que toute Gestalt est instauration d’un rapport figure/fond : le self se déployant en mode personnalité se traduit par une esquisse de signification s’éclairant et aussitôt reconduite en son épaisseur charnelle (déploiement du self en mode ça) …l’in-formation ou Gestaltung est mise en tension d’un rapport figure/fond. La figure s’éclaire d’un fond d’opacité qui n’est pas d’une autre étoffe que celle-ci, qui est juste tension de rapport (ou processus d’individuation en cours). Détacher la figure de son fond n’est pas possible : sans cesse il s’agit d’un rapport d’éclaircie et l’éclaircie est simultanément éclairement et occultation. Vous verrez sûrement là combien cela vient questionner l’hypothèse de la « figure claire et brillante » souvent évoquée en Gestalt-thérapie. Ne serait-ce pas oublier la suite de la phrase « se détachant d’un fond se retirant dans le même mouvement » ? Le « se détachant » peut être entendu comme un découpage ou alors comme un mouvement d’éclairement : une figure signifiante s’éclairant d’un fond d’opacité se révélant dans le même mouvement…ôter et vêtir…s’identifier et s’aliéner pour user de concepts propres à la Gestalt-thérapie. Bien que, m’exprimant ainsi, je suis consciente de ne pas dire « identifier et aliéner » mais « s’identifier » et « s’aliéner ». Par là je situe clairement qu’il s’agit selon mon avis d’un processus d’individuation et non d’une construction d’un quelque chose comme une signification isolée. La signification est ici articulation langagière d’un acte : celui de ma venue en présence. (Voir à ce sujet mon article « séjourner dans le langage »)

Toutes ces questions participent de ma manière de répondre à la question pour laquelle je participe à ce panel : en quelques minutes esquisser ce que je comprends par dévoilement. Et ce que j’en entends ne peut se dire en une proposition. Car ce faisant, j’opterai pour une des deux occurrences contenues dans ce mot dévoilement .En disant, je formulerai une proposition et par là, raterai tout ce que dévoilement me donne à penser et surtout expérimenter : que tout point de vue ne révèle qu’un point et ne dégage pas le voir lui-même. Que tout point de vue est aussitôt occultation de l’acte de voir au profit de ce qui est vu et invite à désocculter encore pour devenir ce je ajusté et s’ajustant un monde. Un point de vue ne prend sens qu’à se différencier d’un autre possible qu’il éclaire simultanément, qu’à traduire une manière de devenir soi-même.

Cette série de questions me conduit à suggérer que dévoiler peut s’entendre dans le sens d’ôter mais aussi de vêtir. Et cela me permet d’esquisser la posture du Gestalt-thérapeute telle qu’elle me met en mouvement : le dévoilement du cours de la rencontre thérapeutique prend direction signifiante de questionner les évidences ( ce qui m’apparaît clair) afin d’en éclaircir ou reconduire le fondement ( l’invisible du penser lui-même : l’acte de penser et sentir par où j’adviens en tant que je), cette éclaircie sans cesse à l’œuvre éclaire une figure se retirant en son fond , une forme, une Gestalt et surtout Gestaltung de soi. Ici Gestaltung ne renvoie pas à la « figure claire et brillante » (ôter le voile) évoquée par Perls, Goodman et Hefferline mais peut être davantage à un éclaircissement, une tension ombre-clarté que traduit le mot éclaircie. Celle-ci vient souligner que la forme s’entend comme une figure s’éclairant d’un fond se retirant…. « la forme en voie d’elle –même » dit Maldiney pour traduire le mot Gestalt. Ce qui nous inviterait alors à nous pencher sur le rapport, la barre, le « slash » qui nous sert à écrire figure/fond et nous fait clin d’œil vers la notion de frontière-contact entendue davantage comme un rapport sans cesse actualisé plus qu’une topique. Un rapport de spatialisation et temporalisation de soi au monde, rapport que traduit le déploiement du self et qui s’informe en signification de moi au monde, signification toujours en cours. La forme en voie d’elle-même c’est celle de ma présence advenante. Praesens veut dire en avant de soi, un décalage qui ne peut pas coïncider, une déhiscence : qui je suis ainsi tendu vers ma possibilité suivante d’être pleinement moi-même. Je veux dire par là que la question du dévoilement nous conduit à réfléchir sur la notion de sujet, d’individuation et pour dire selon ma pensée actuelle la question de la subjectivation. Les principes qui définissent le point de vue de champ, tels que je les comprends, nous invitent à entendre le sujet non comme déjà constitué mais toujours en devenir, en voie de s’in-former c’est-à-dire de tisser un mode d’être au monde par où il se comprend au double sens de penser et d’y être pris avec.

Le dévoilement renvoie à la façon dont le thérapeute et le patient surviennent l’un à l’occasion de l’autre. Il est, selon mon point de vue, l’acte thérapeutique par excellence.

Cette manière de penser le dévoilement nous conduit à délaisser une conception statique de l’individu pour adopter une conception processuelle : celle de la subjectivation. Et cette conception nous permet de fonder en cohérence une posture s’appuyant sur les principes de champ. Le dévoilement est l’acte par où je deviens moi-même situé, me rapportant simultanément au monde survenant alors à même mon entrée en présence. Pour entendre cela il faudra que nous remontions en deçà des travaux de Husserl qui s’est consacré à interpeller les modalités pour une conscience de percevoir (connaître). Car, en effet, il s’agit de questionner comment un je advient : le processus de la subjectivation. La notion d’intentionnalité que beaucoup d’entre vous connaissent s’appuie sur un je constitué qui est d’évidence. Or, ce qui vient en question c’est comment une conscience est elle possible ? Il est un fait que vivant je suis mais moi-même je le deviens sans cesse (ajustement créateur de sens). La question « qui je suis ? » ne souffre pas de réponse arrêtée. Le qui se dérobe à toutes mes propositions en devenant un quoi. Peut-être alors devrions nous même ajuster la question en la traduisant ainsi : « qui je deviens ? » et là me vient la phrase de Pindare « deviens qui tu es »…

D’autre part cela nous conduit à revoir la théorie du self que je définirais comme l’hypothèse des moments de l’instauration signifiante, instauration qui devient alors subjectivation d’un je-au-monde. Le monde est ici à entendre comme le réseau de significations familières auquel je me rapporte dans mon existence quotidienne. (Exemple : j’utilise l’ordinateur et celui-ci est occulté au profit de l’acte d’écriture qui me donne forme et me con-siste…il est un outil défini dans l’évidence de mon usage…) C’est par l’acte de la signification que nous pouvons solliciter la venue en présence. C’est en ce sens que la théorie du self devient diagnostic et stratégie thérapeutique.

La signification est la partie s’éclairant de tout le processus de subjectivation : c’est-à-dire la dimension rationnelle, ce que nous appelons réalité. En sollicitant le déploiement du self nous sollicitons aussi la venue en présence …qui elle ne nous est pas accessible ; qui se voile en signification aussitôt qu’elle se dévoile en acte.

Me dévoiler serait alors à entendre comme ce processus de temporalisation et de spatialisation qui traduit mon exister : cet instant où je m’unifie par l’acte de signification ; où je deviens pleinement moi-même existant à autrui.

Pour témoigner d’une telle expérience, je laisse mes mots pour ceux de Pénélope une étudiante en début de formation de Gestalt-thérapeute qui relate une séance d’accompagnement didactique en individuel (je cite le texte tel qu’il a été mis en forme par l’étudiante . pour faciliter la lecture la police de caractère est différente) :

« Edith me questionnant sur ma perception de l’awareness, j’avance que l’awareness naît dans les sensations du corps, de son propre corps, devenant perception. Le corps dans sa perception non consciente serait une sorte de sentinelle de l’awareness. Mais ceci me reste en surface, peu incorporé et quelque peu mental. Se faisant, Edith reprenant mon hypothèse d’une scission corps/mental, me propose de la suivre dans une expérience inédite. (je décris l’expérience) J’ai l’impression qu’Edith offre en exemple à ma perception, quelque chose d’elle-même, d’intime, qui pourrait être ce devenant perception. Là, que se passe-t-il ; par une sorte de mimétisme, quelque chose d’inattendu émerge en moi, mes pensées se font rares et s’engourdissent, je me sens profondément émue par l’instant qui se crée, par cette présence d’Edith, qui d’une certaine façon me montre comment fluidifier jusqu’à l’osmose, les relations du corps et de l’esprit. Une forme en moi, au centre de moi est là endormie, ses contours m’apparaissent, elle se réveille à cette occasion et respire. Et moi, Pénélope, je perçois cela, je sens cette forme m’habiter… Il n’y a pas de mot, juste ceux d’Edith, perceptive, sensible (attentive), qui m’accompagnent, éclairant ce cheminement dans mes sensations ». Pour compléter les propos de cette étudiante, je dirai que je propose des esquisses de ma façon d’être là, affectée à son occasion : comment je me sens peu à peu. Je me laisse éprouver mon corps et esquisser des significations auxquelles je m’identifie et m’aliène. Je les reconduis à mes sensations, les relie-distingue de comment Pénélope m’apparaît en ses postures et mouvements, je témoigne de ma façon de la voir pas à pas, que je la vois ainsi tout en me surprenant à me voir ainsi simultanément. Je laisse venir des mots, des images évoquant l’atmosphère de notre co-venue en présence telle qu’elle s’informe en m’informant peu à peu. Je reconduis l’incertitude, l’in-forme s’in-formant peu à peu, ma manière de devenir peu à peu ainsi. Me vient là la notion de zone démilitarisée ( la zone entre deux frontières géographiques, zone neutre) ou DMZ de Perls ( je cite de mémoire) que j’entends dans un sens particulier : une ouverture à , non différenciée et qui prend alors sens de l’espace non différencié d’où nous nous in-formons en survenant l’un à l’occasion de l’autre…nos contours se tissent peu à peu à même cette zone incertaine d’où la subjectivation peu à peu s’informe en informant la situation. Il conviendrait d’interpeller cette notion de DMZ en la rapprochant de l’entre ou aïda de Kimura Bin. (« Écrits de psychopathologie phénoménologique »). Cet indifférencié me renvoie au sentir tel qu’Erwin Straus le développe (« Du sens des sens ». Plus loin Pénélope ajoute : « Edith évoque ce lac noir…, autre rappel antique, l’histoire de ce héros, demi dieu, relatée dans l’épopée de Gilgamesh, cette histoire qui hante de temps en temps mon esprit ! Mon regard se trouble d’émotion. Edith ne me laisse pas seule et m’accompagne décrivant la scène en vécu d’elle-même, en hypothèses témoignant de sa présence à moi… Pas à grosses mailles mais de plus en plus près et finement, si fait que « je la suis » ne sachant plus la limite entre elle et moi. Mes mains froides appellent celles d’Edith qui deviennent réconfortantes et consolatrices. Un instant disant « - que se passe-t-il ? », je perçois avec inquiétude la partie gauche du visage d’Edith supposant une fatigue ou une détresse, je sens que je peux moi aussi donner quelque chose à cette femme qui pourrait être épuisée ou en peine. Je vis le moment, un peu comme si j’apprenais par l’exemple une autre façon d’être qui ne m’a jamais été montrée. (Soutien) Plus loin dans la séance, par quelques mots, je peux esquisser la situation. Emue qu’Edith ait « compris à ce point » quelque chose d’enfoui et très douloureux de moi, me permettant l’accès à mon intimité, en exposant la sienne. Je me suis sentie soutenue par l’impression de dévoilement d’elle, m’adressant quelque chose d’intime : confiante, bienveillante, généreuse et sympathique. »

Cette étudiante me semble ainsi évoquer ce que je suggère du dévoilement : exister l’un à l’autre ; tisser patiemment l’ouverture en direction de sens - ma prise en conscience de ma manière d’habiter ce corps là ainsi situé et se comportant à -, d’esquisser des significations incarnées jusqu’à ce moment où la rencontre survient ; chacun pleinement en acte de lui-même, accordés ensemble.

Bibliographie :

Bin Kimura “Ecrits de psychopathologie phénoménologique », PUF collection psychiatrie ouverte, Paris, 1992, 193 pages.

Blanquet Edith « Du sentir à la forme signifiante. Une esthétique de l’entrée en présence » publié dans « La psychothérapie comme esthétique »P159-188, sous la direction de Jean-marie Robine, éditeur l’Exprimerie, Bordeaux, 2006.

Blanquet Edith « séjourner dans le langage » publié dans « Pour-parler »,Les cahiers de Gestalt-thérapie N°17, pages 75 à 104, éditeur l’Exprimerie, Bordeaux , 2005.

Maldiney Henri « Existence, crise et création » éditeur Encre Marine, Fougères, 2001, 112 pages.

Maldiney Henri « L’existant » article publié dans « Penser l’homme et la folie » éditeur Jérôme Millon, Grenoble, 1997, 425 pages.

Merleau-Ponty Maurice « Phénoménologie de la perception » éditeur Gallimard, Paris, 1945, 531 pages.

Perls Frederich, Goodman Paul, Hefferline Ralph, « Gestalt-thérapie », éditeur Stanké, Montréal, 1979, 291 pages.

Straus Erwin, 1935 Berlin, « Du sens des sens », éditeur Jérôme Millon, Grenoble, 1989, 649 pages.


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé| www.8iemeclimat.net|