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Lecture de "Apprendre àphilosopher avec Heidegger" par Frédérique haegelin


"Apprendre à philosopher avec Heidegger"

Edith Blanquet Ellipses, 2012, 256 pages

Suite à sa lecture, Frédérique Haegelin à écrit :

Etre humain ! c’est quoi être un humain ? c’est quoi ou peut-être c’est qui ? pour nous humains d’être vivants / existants ? d’avoir à exister ! il y a être et il y a humain et il y a une chance pour qu’en tant qu’humains nous nous posions la question de notre être et se poser la question de notre être-au-monde c’est finalement de jamais cesser de se la poser où plutôt d’avoir a se la poser jusqu’à notre mort ce qui est quand même une manière d’arrêter de se la poser un jour !

Donc, être un humain, c’est avoir à se poser la question de son être ! Au premier abord ça semble impressionnant mais avec le recul ça l’est un peu moins puisque la plupart du temps nous oublions qui nous sommes et par là nous oublions de nous la poser. Là où ça se corse un peu, c’est que même en l’oubliant nous n’y échappons pas puisque nous sommes toujours avec cette question, sur le mode de l’oubli, c’est à dire que la question se pose d’elle même mais sans que nous nous en saisissions vraiment. Et que, même en nous y arrêtant un peu plus que d’habitude, l’être en question s’échappe finalement toujours à notre volonté de le saisir ! Donc, la question ‘qui sommes nous ?’ est toujours sous tendue dans notre rapport à l’être, elle est possibilités d’être, possibilités qui ne sont pas une personne en particulier mais qui sont à la fois moi et le monde, et qui se traduisent par nos comportements.

Prendre soin de la question de l’être, c’est la préserver en la prenant en garde, préserver le mystère de l’être -insaisissable- puisque l’être se donne à voir en son retrait, il se retire en son oubli au profit d’un étant se dévoilant à même cet oubli, parce qu’il faut que l’être s’oubli pour que se lève le voile, pour que s’éclaire l’étant c’est à dire des « manières » d’être, des façons, des comportements qui témoignent de comment nous pouvons être et de la façon dont nous avons choisi de faire ceci plutôt que cela… même si nous n’en prenons pas garde.

L’être n’est jamais lui-même. Il est possibilité d’être, une manière pour un humain de se comporter, toujours reconduite en vue d’un « ‘ici’ temporalisé et contingent ». Le en-vue-de-quoi du Dasein (c’est ainsi que Heidegger nomme la manière d’être pour un humain ), ne s’envisage pas comme un but à atteindre, un ajustement délibéré surgissant d’une capacité intellectuelle, il est en vue de luimême, un monde s’in-formant à même notre présence qui se déploie et n’est jamais arrêtée. Le Dasein est projeté en avant de lui-même, il est à-venir, le vers où de sa présence tenu en intensité et c’est dans l’horizon de sa possibilité suivante d’être que le Dasein se temporalise, donne forme à son histoire, le récit de son existence. C’est sur le mode de la quotidienneté que l’étant humain autrement dit le Dasein se tient dans son rapport à l’être, c’est à dire à même son existence banale et habituelle, où il est inséré dans un monde référent et familier, entendu comme réseau de renvois et de significations et où il vaque à ses occupations quotidiennes sans que rien ne fasse souci, où il s’occupe de ce qu’il fait et où ‘quoi il fait’ ne prend pas en conscience ‘qui il devient’. Il se tient dans un monde commun et signifié où il se rapporte aux choses telles qu’il les comprend d’évidence.

Ainsi le monde va de soi, consistant et stable et nous ne nous arrêtons pas sur ce que nous faisons, pas plus que sur ce que nous disons d’ailleurs, nous croyons avoir déjà tout compris, tout est situé, dans le sens où nous sommes entourés de choses qui se rapportent à nous, que nous utilisons où non, selon l’intérêt que nous leur portons, sans que cela ne pose question apriori. Préoccupé à ‘quoi’ il fait, autrement dit à dévaler, le Dasein ne se prend pas en vue de manière propre, c’est à dire qu’il ne prend pas en considération la manière dont il en va de lui chaque fois qu’il se comporte, comment ce qu’il met en oeuvre dans cette manière singulière de comprendre le monde le concerne en propre : lui donne sens à lui et à son monde.

A travers le Dasein : être-le-là, il s’agit de comprendre l’homme comme livré à l’existence, il lui échoit d’exister, d’avoir à être, qui ne repose pas sur une tâche particulière à réaliser, mais déterminé par son ‘pouvoir être’ originaire. Nous sommes jetés-au-monde, ouvert en possibilités d’être - une intensité - charge pathique de l’existence qu’il nous échoit d’endurer en éprouvant notre absence de sol, que nous ne sommes au fondement de rien. Cela veut dire que nous ne sommes pas prédéterminés mais que nous devons donner sens à notre vie. Le sens provient de nos actes, c’est par nos comportements que le monde alentour et nous même prenons signification. En tant qu’il nous est donné d’être, il nous est donné des possibilités de nous comporter et par là, d’être contraints à donner forme à un monde tel que nous nous y rapportons toujours d’une certaine manière, en nous prenant pour quelqu’un et en prenant les choses pour ce qu’elles sont et, dans la manière dont le monde s’in-forme, il y va de nous et de ce auprès de quoi nous sommes toujours (co-venue d’un je et d’un monde ). Le Dasein est ouvreur de monde, cela veut dire que le monde nous apparaît à même notre possibilité de le faire apparaître en nous y comportant - notre possibilité de faire monde : un pouvoir être qu’il nous faut prendre en charge, que nous ne choisissons pas et dont nous avons la responsabilité, la charge. Le monde n’est pas préalablement posé d’un côté et nous humains de l’autre et il ne nous est pas possible d’y entrer et d’en sortir à notre guise ! nous ne pouvons nous en extraire car nous sommes toujours déjà-au-monde, monde qui va se signifier ( prendre signification ) à même la manière dont nous nous rapportons aux choses qui nous entourent.

Le Dasein ne décide pas de se comporter d’emblée, puiqu’il se comporte toujours déjà sans s’en rendre compte, et c’est cette manière là qu’il est contraint de s’approprier en vue de devenir lui-même. Et devenir lui-même ne se pose pas comme un « je suis comme ça » déterminé mais à même la forme de sa tenue mondaine, une manière de se tenir proche avec ce auprès de quoi il est toujours, c’est ainsi que le Dasein se spatialise. Pouvoir être spatial veut dire que nous nous situons en agissant, que les choses trouvent leur place à partir de nos actions tout comme elles nous donnent lieu. L’espace se comprend alors comme une manière d’être auprès-de, d’être proche. Cette proximité se comprend comme affective : une saveur mondaine, plutôt que métrique et mesurable. La compréhension du Dasein n’est pas une capacité de la raison mais d’ordre affectif. Elle est une disposition, une manière d’avoir toujours à trouver sa tenue hors de toute stase, de toute intériorité. Il est assigné à un monde et « la présence des choses est notre présence aux choses » une présence sensible, toujours intonée, elle est le pathique de l’existence, la charge comme une épreuve d’avoir à donner sens à notre existence. Aussi, l’existence nous expose à l’étrangeté dès lors que nos habitudes sont bousculées, dès qu’un événement surgit, imprévisible, le Dasein devient alors étranger à lui même, il ne se reconnais plus et le ‘quelqu’un’que je coyais être est mis à mal. Il ne va plus de soi pour le Dasein d’agir ainsi qu’il le fait habituellement sans que cela ne lui pose question. Le monde familier dans lequel il est dilué perd sa tournure mondaine et vacille. Il est alors saisi dans son dénuement originaire, jeté-au-monde. N’étant plus rassuré par les habitudes le voilà contraint à re-prendre en vue et d’assumer la charge de sa responsabilité telle qu’elle s’impose à lui, là dans cet effondrement. Il découvre que rien ne va de soi, qu’il doit choisir et décider sa manière de se comporter, il doit donner sens à son existence, il lui incombe à lui d’y parvenir car il ne peut trouver ce sens dans le monde ni ne peut le demander à quelqu’un d’autre. Il se demande qui il est ? Il éprouve l’angoisse. En tant qu’humains, nous ne choisissons pas d’être vivants, nous sommes toujours déjà né et pouvons être ainsi ou autrement. Nous sommes pouvoir être, dépositaires de manières qui nous sont données d’être, que nous devons accueillir et prendre en charge. Nous n’habitons pas un chez nous dont nous serions propriétaires, nous habitons le langage, des manières de comprendre le monde et sommes exposés à l’abîme dès lors que nous ne sommes plus abrités par les habitudes mais desquelles nous ne pouvons pas nous extraire non plus. Cela nous invite à regarder la pathologie comme le moment où justement les habitudes vacillent. Et lorsque ce qui va de soi disparaît, l’existant prend conscience, souvent de manière angoissante, qu’il doit prendre des décisions, choisir sa manière de vivre. Que son choix impliquera des conséquences qu’il lui faudra assumer. Car dans la responsabilité de son choix il prend aussi la responsabilité de ce qui va au-delà, qu’il ne connaît pas et qui va engager d’autres responsabilités, il va lui falloir prendre en charge aussi le ‘vers où’ inconnu de son choix, d’où l’angoisse. Prendre soin de la question de l’être, cest prendre soin de la manière dont l’être s’oublie.

Un livre qui invite à cheminer, a questionner sans relâche mais avec beaucoup d’humilité la question de l’existence telle qu’elle nous échoit. Une question qui ne trouve un apaisement provisoire qu’en acceptant de la creuser, passionnément et laborieusement, pas à pas, et se laisser surprendre parfois par une éclaircie. Revenir patiemment à la source d’où notre compréhension à pris forme et retrouver les conditions de possibilité de notre réflexion pour la reconduire à l’ouverture…. Car nous sommes vivants tant que nous ne sommes pas morts ! Comment à partir de cette conception de l’humain, nous Gestalt-thérapeutes sommes invités à penser la Gestaltung, processus d’in-formation ? qu’est ce que signifie une forme ? et combien c’est essentiel quand nous mesurons que exister c’est se donner signification : se donner forme et donner forme à un monde. Quelle est notre manière de penser la souffrance humaine ? Autrement qu’en recherchant des causes dans le passé, mais en l’envisageant comme la manière dont l’existence nous charge, une forme langagière, un style de présence, une manière d’être avec et auprès de, une manière de comprendre moi-et-le-monde. Comment envisager le corps comme un pouvoir être ? comprendre, c’est avant tout agir, se mouvoir à même nos possibilités corporelles. Est ce que nous voyons parce que nous avons des yeux ? où est ce que nous avons des yeux parce qu’il nous est donné la possibilité de voir ? A méditer sans modération !

Un clin d’oeil de gratitude à qui saura se reconnaître !

Frédérique Remaud-Haegelin Gestalt-thérapeute, exerce en libéral à Rouen et Mantes-la-Jolie


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