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Premier compte rendu de lecture "le contact"

"le contact" dans "penser l’homme et la folie " edition Jérome Millon


Groupe de lecture des travaux de Henri Maldiney Carcassonne.

Participants : Edith Blanquet (responsable du groupe) Valérie Chantepie, Sylvie Juignet, Guy Minaudier, Marie Christine Mistral, Yannick Marques, Marie Sarda et Denis Touzet.

Nous poursuivons nos lectures en nous penchant sur l’article « La dimension du contact au regard du vivant et de l’existant » (article publié dans « Penser l’homme et la folie » éditeur Jérôme Millon, Paris, 1997) qui vient nous inviter à regarder un concept important de la Gestalt-thérapie. Le projet de notre groupe : échanger ensemble quant à nos manières de comprendre cet auteur et d’entendre et élaborer la posture du Gestalt-thérapeute. Nous avons convenu de publier en ligne quelques esquisses de nos échanges afin de solliciter des possibilités de partage et d’échange. Vos rebonds de lecteurs sont bienvenus.

"La dimension du contact au regard du vivant et de l’existant"

De l’esthétique sensible à l’esthétique artistique

Compte-rendu N° 1

pages 187- 188

Qu’est-ce que le contact ?

Qu’est-ce que le contact ? Ce mot désigne, disent les dictionnaires : premièrement, l’état de deux corps qui se touchent, qui sont en contiguïté ; deuxièmement, toute espèce de relation, de fréquentation entre personnes, connotée par la préposition « avec », qui marque le commerce, la communication, la rencontre. Le second sens toutefois ne dérive pas du premier. S’il y a eu passage de l’un à l’autre, cette transition historique est un phénomène de surface dont la possibilité repose sur l’articulation d’une expérience sous-jacente.

Dans la première définition, "l’état de deux corps qui se touchent, qui sont en contiguïté", nous pouvons entendre une conception de Champ telle que nous l’utilisons en Gestalt-thérapie. Dans la deuxième définition "toute espèce de relation, de fréquentation entre personnes, connotée par la préposition « avec », qui marque le commerce, la communication, la rencontre", c’est tout ce qui présuppose un « avec » entre personnes, il y a un espace entre les deux, nous avons une conception de l’individu préconstitué : deux personnes déjà constituées comme personnes entrant en relation. Conception de Champ dans la première définition car selon les principes de Champ, il ne peut pas y avoir deux objets pré-construits ; or "deux corps qui se touchent" indique l’état actuel de ces deux corps. Ça ne dit pas qu’ils préexistaient ou qu’ils sont différenciés. C’est un moment-d’eux-se-touchant à la nuance de deux-corps-qui-viennent-de-se-toucher-qui-vont-à-la-rencontre. La nuance entre les deux définitions nous apparaît là : dans la première, c’est un état que nous comprenons, il y a du différencié et du non différencié, et dans la deuxième, il s’agit d’un état de différenciation. La communication, la rencontre se fait par le logos. Logos, du grec legein : cueillir et rassembler, prendre forme par l’acte de l’appellation. Le langage : la différenciation (instauration d’un Je/non je) s’opère par l’accès au langage. Maldiney parle du langage courant, dans lequel il n’y a pas de différence entre contact et relation – comme nous le retrouvons peut-être souvent dans les écrits de Gestalt-thérapie. Selon notre point de vue : Je suis toujours en contact (d’où le « contacter » qui vient en lieu et place du contact dans une conception de la Gestalt-thérapie d’un point de vue de champ) mais la relation est autre chose. La relation est le tissage logos et kaïros (temporalité propre à l’entrée en présence) : je et un autre se différenciant dans le mouvement où ils prennent forme langagière. (C’est cela qui nous conduit à définir la théorie du self comme hypothèse des moments de l’élaboration langagière (Gestalten)).

Axiome : quand tu es en contact, tu n’es pas forcément en relation mais quand tu es en relation, tu es en contact car nous entendons la relation comme une prise en forme (une gestaltung) du contacter. (Je suis toujours déjà situé : j’ai un corps et je suis ce corps.) Une prise en forme au sens gestaltiste : une figure qui s’éclaire d’un fond se retirant, un processus de différenciation, d’individuation.

Transférée aux choses sous la forme de la contiguïté, elle se reverse ensuite à l’homme sous la forme du commerce interhumain. Nous disons que deux choses se touchent : c’est assimiler leur contiguïté à un contact de corps à corps localisé à une interface qui est tout à la fois de séparation et de jonction. Il semble, tout d’abord, qu’il s’agisse d’une projection : nous transférons dans les choses ce qui constitue proprement un corps à corps, un contact de chair à chair ; que ce soit dans le combat à mort ou dans le combat de l’amour, Eros-Thanatos est déjà là préfiguré. L’idée de séparation et de jonction, cette façon de se rapporter à l’autre, est une notion importante, cela nous renvoie à la frontière-contact en Gestalt-thérapie. Ce qui sépare est aussi ce qui fait venir en conscience la jonction : ce sont des points par où comprendre. Attention de ne pas transformer ces notions en topique : nous pouvons être en contact sans forcement nous toucher physiquement, ou sans en prendre conscience au sens de consciouness. Le contact, pour les choses (le non vivant), est défini comme une proximité physique immédiate ; pour les humains, sous la forme du commerce interhumain. Nous projetons sur les choses à partir de notre condition d’existants (les humains). Nous projetons sur les choses un regard propre à l’humain : partir d’une expérience humaine que l’on a nommée, que l’on transfère aux choses et que l’on ramène à l’homme. Nous définissons le monde à partir de notre usage.

Sur quoi se fonde cette projection ? Sur notre expérience la plus ordinaire du toucher.

Deux bouteilles ne se touchent pas, elles sont dans une proximité physique. Elles ne se touchent que par transposition, par projection de notre façon humaine d’être touché, car pour être touché, il faut une conscience, ou pour le moins, l’émergence d’une conscience, un sentir. C’est ce que Maldiney évoque : l’idée d’une conscience pour que le touché existe. Ne pas oublier que le monde nous apparaît toujours comme un réseau d’objets organisé pour nous (concept de l’ustensilité de Heidegger (« être et temps »)) parce que c’est nous, humains, qui le nommons et que l’espace est orienté en vue de notre comportement. (Il en va ainsi de l’anthropomorphisme, de l’ethnocentrisme nous semble-t-il, nous nommons depuis notre nombril…nous sommes toujours au centre en quelque sorte, au cœur de l’espace orienté).

Le touchant-touché.

En touchant les choses en effet nous nous touchons à elles, nous sommes à la fois touchant et touchés.

C’est par là où je suis touché (cf être-le-là dans l’article « l’existant » de Maldiney) que j’adviens. Touchant-touché est synonyme de séparant-reliant car le contact pris en conscience traduit- augure le processus de différenciation ( moi/ non moi). Le Touchant-touché n’épuise pas la notion de corps. Je ne suis pas réductible à cet endroit du contact s’éprouvant comme touchant-touché, ça vient me chercher mais ce n’est pas Moi-en-totalité. Le touchant-touché ne produit pas l’être, il le révèle en même temps qu’il le « cache ». Je sens que je suis touché, car aussitôt, dans ce même mouvement de sentir je prends conscience (awareness) que partout ailleurs je ne suis pas touché. Le toucher me fait advenir moi ( awareness vers consciousness), mais l’être en ce que je-suis-à-être, est intouchable. On ne peut toucher que des « bouts » de moi et jamais la totalité de mon être : c’est mon corps qui se révèle par le toucher pas mon être. Etre touché par l’autre dans le sens d’une émotion et non d’un contact physique est différent du touchant-touché : je suis touché mais je ne peux pas dire par où je suis touché. Polysémie des mots et paupérisation du vocabulaire : je suis ému, ça me fait vibrer peuvent remplacer ce toucher là.

Digression sur le mode ego du self se déployant.

La posture thérapeutique qui nous occupe, consiste à sortir de la vie quotidienne, de ce qui fait évidence et commencer à s’étonner, cela afin de prendre en vue son pouvoir être, son pouvoir être proprement soi-même. Du coup, nous passons de Chronos (la vie quotidienne, le temps avec les phénomènes quotidiens qui s’y déroulent) au kaïros (le moment de l’entrée en présence, la temporalisation et spatialisation de soi, ce à quoi Maldiney réserve le terme d’événement). Cette posture est une manière particulière de s’intéresser à la différenciation, c’est-à-dire à la subjectivation (devenir sujet) et ce n’est pas une attitude naturelle. Il s’agit de passer de l’évidence de ma présence (l’être-là) à une prise en conscience de ma façon de donner sens, de produire des formes (Gestalten) (être-le-là). Le thérapeute sollicite l’entrée en présence. En Gestalt-thérapie, nous pouvons dire que le Gestalt-thérapeute, par sa manière d’intervenir, sollicite le déploiement du self en modes ça et personnalité, afin que le mode ego puisse surgir : moment où je me décide pour qui je suis là (Gestaltung). Il est question de passer de l’évidence de « je suis quelqu’un qui… » à la surprise de « qui je deviens là ».. Le déploiement du self en mode ego est le seul mode sur lequel nous thérapeutes n’avons aucun accès. Nous pouvons travailler à solliciter le déploiement du self en mode ça ou en mode personnalité, le mode ego, lui, survient. Il est de l’ordre de la surprise, de l’évènement, il traduit l’entrée en présence. C’est là où thérapeute et patient sommes surpris et devenons pleinement nous même. En mode personnalité, le "Je" s’appuie sur du connu, du reconnu qui n’est plus éprouvé ni ré-inventé. Le "Je" du mode ego est de l’ordre du surgissement, c’est un "Je" articulé selon les principes de champ, de l’analytique existentiale, de la notion d’existant ; ce "Je" prend sens et signification. Cette façon de concevoir le mode ego n’est pas la façon habituelle en Gestalt-thérapie…