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"Du sentir àla forme signifiante"

Publié dans "la psychothérapie comme esthétique" éditeur l’exprimerie Bordeaux 2006


Du sentir à la forme signifiante, une esthétique de l’entrée en présence : une lecture de la théorie du self en Gestalt-thérapie.

Edith Blanquet janvier 2006 (publié dans « la psychothérapie comme esthétique » éditeur l’exprimerie, Bordeaux, 2006)

La question de l’esthétique est venue me chercher dans une quête de fondation de notre mythe fédérateur à savoir la théorie du self. Ce qui m’occupait c’est cette possibilité inhérente aux formidables balbutiements des initiateurs de la Gestalt-thérapie (Perls Hefferline et Goodman) de comprendre la théorie du self soit comme une théorie du sujet soit comme une théorie de la prise en forme. Mon projet était de fonder en cohérence une compréhension de la théorie du self du point de vue du champ et de proposer une conception de l’homme ajustée à ces principes. La notion de l’esthétique est venue nourrir ce cheminement réflexif que je vais partager avec vous en son état actuel. En tant que Gestalt-thérapeute nous avons affaire à la Gestalt c’est à dire littéralement la forme, ce qui s’érige et initie un rapport figure/fond. Nous nous intéressons aux manières d’élaborer une forme signifiante et nous concevons la santé comme capacité de s’ajuster créativement. Cela veut dire que nous nous penchons sur les façons de comprendre et donner signification de nos patients avec l’hypothèse que leur mal-être est difficulté à inventer des formes nouvelles au cours desquelles ils se sentent pleinement engagés et responsables de leur mode d’exister. Notre projet thérapeutique est de fluidifier le processus de formation de signification, de l’enrichir. Ce faisant nous faisons l’hypothèse que cette personne qui vient nous consulter pourra enrichir ses possibilités d’exister. Ainsi l’objet de notre attention est la Gestaltung qui n’est pas produit mais forme en voie d’elle même ; prise en forme et tissage d’une forme signifiante. C’est à l’occasion de cette Gestaltung qu’un je s’in-forme c’est à dire manifeste sa façon particulière de séjourner au monde, se donne forme en tant que lui-même à ce moment là. Cette formation est in-formation d’une différenciation survenante moi/monde que la signification exprime.

Comment entendre cela et mettre en figure ce qui fonde une telle vue ? Ce cheminement que je souhaite partager aujourd’hui avec vous m’a conduite à regarder du côté de l’idée esthétique, du côté du sentir, de l’intuition et de la donation du phénomène pour parvenir à la théorie du self qui nous sert de sol pour susciter le tissage d’une forme signifiante. Je veux insister là en réitérant mon propos : la théorie du self n’est pas ici une théorie du sujet humain mais l’hypothèse de la façon dont une signification survient pour un sujet humain. En s’étonnant des manières de comprendre de son patient, le Gestalt-thérapeute sollicite l’entrée en présence tant de lui-même que de celui auquel il existe. Ce que l’esthétique nous permet de mettre en figure c’est cette dimension de donation du phénomène qui nous convie à souligner la dimension de passibilité de l’être humain et qui m’a alors amenée à revoir la théorie du self et notamment ses modalités de déploiement à partir du couple passible/possible que Maldiney a initié et qui nous convient à une conception de l’homme que je développerai également si le temps nous le permet.

Notion d’esthétique :

Encyclopédie philosophique universelle : dans cette quête pour définir le phénomène, l’esthétique est un ensemble de théories comprenant « des réflexions ordonnées sur un domaine qui ne relève ni de la pure connaissance, ni de la seule sensibilité, mais qui embrasse à la fois des plaisirs, des sentiments, des jugements, des valeurs concernant aussi bien la nature que les œuvres de l’homme. » (P858 Tome 1). L’esthétique vise à définir le beau et le jugement qui lui correspond. C’est un terme forgé par Baumgarten, à partir du grec aisthetikos dérivé de aisthanesthai qui veut dire sentir. Aisthèsis évoque une sensation qui est en même temps perception et mode de connaissance. Maldiney dans « art et existence »(P27) distingue deux sens au mot esthétique : « l’un se rapporte à l’art, l’autre à la réceptivité sensible ». Ainsi avec l’esthétique, la sensibilité est « convoquée » et nous pouvons mettre cela en rapport avec notre hypothèse du déploiement du self qui sollicite l’advenue d’un je avant tout affecté au sens d’avoir lieu, sens (direction corporelle) et sentir (déploiement du self en mode ça)- à même lesquels une signification pourra ou non survenir. C’est dans le cours de ce procès du sens à la signification qui occupe notre attention de Gestalt-thérapeute, qu’il s’agira de solliciter l’entrée en présence, la rencontre altérante qui nous convie à exister à même notre patient. Il est une autre notion que l’esthétique sollicite : celle de l’intuition. Selon Kant dont le projet est schématiquement d’élucider le système de l’entendement humain, l’idée esthétique qui se distingue de l’idée de la raison est une représentation selon l’intuition. L’intuition est ce qui nous donne un objet. L’objet est avant tout saisi par intuition : « sans sensibilité, aucun objet ne serait donné, et sans entendement, aucun ne serait pensé. Des pensées sans contenu sont vides, des intuitions sans concepts, aveugles. » (Critique de la raison pure) Le phénomène apparaît et devient connaissable dans la mesure ou intuition et concept s’articulent, se synthétisent. Avec le jugement esthétique, l’imagination et l’entendement s’accordent, sans que l’entendement régisse l’imagination comme cela se produit dans le jugement de connaissance. Le jugement esthétique est un jugement subjectif ; c’est un jugement réfléchissant, susceptible de varier d’un sujet à l’autre, et qui s’oppose par là au jugement logique, lequel, reposant sur des concepts, est invariable. l’Idée esthétique que nous révèle le libre jeu de l’imagination ne peut devenir connaissance, parce qu’elle est intuition à laquelle ne correspond aucun concept. (C’est ainsi que la Critique du jugement est appelée à équilibrer la Critique de la raison pure : car une idée théorique de la raison, de son côté, ne peut devenir connaissance parce qu’elle est concept auquel ne correspond aucune intuition.).

Ce qui retient mon attention c’est que l’intuition est au-delà de tout concept ; au delà de tout ce qu’un je peut représenter en s’apprésentant. Cela ouvre alors la possibilité de comprendre que le phénomène n’est pas borné par les possibilités de l’expérience et par là permet d’entendre la nouveauté à laquelle nous sommes conviés d’exister. (Cela nous invite également à concevoir le phénomène en sa donation. La donation outrepasse la conception d’un horizon ainsi que Husserl l’élabore (conscience d’horizon) et nous conduit à nous rapporter à l’ouverture élaborée par Heidegger. Si nous entendons la théorie du self comme hypothèse de la Gestaltung alors la Gestalt-thérapie peut s’entendre comme esthétique de l’entrée en présence.

L’entrée en présence est de l’ordre de l’esthétique dans la mesure où elle n’est pas réductible au concept et qu’elle n’est pas de l’ordre du délibéré. Je veux dire par là que le Gestalt-thérapeute ne peut pas délibérément agir sur l’entrée en présence. Il ne peut que la solliciter en devenant lui-même à l’occasion de cet autre auquel il est confronté. Pour tenir sa posture d’étonnement et de sollicitation il s’appuie sur la théorie du self. Nous allons d’abord nous demander quel est le sujet-objet de la Gestalt-thérapie puis esquisser une conception de l’homme et finalement reprendre la théorie du self à partir de ces prémisses.

Quel est l’ob-jet auquel se rapporte la Gestalt-thérapie ?

Si nous nous référons aux textes fondateurs de la Gestalt-thérapie nous ne pouvons que souligner une nouveauté radicale introduite par la théorie du self : un regard porté d’un point de vue décalé par rapport à la conception classique « individualiste » : la Gestalt-thérapie s’intéresse aux modalités de formation des formes (Gestaltung) et ne prétend pas proposer une typologie des caractères. La Gestalt-thérapie est thérapie des Gestalten et non des personnes : son objet est alors la Gestalt en cours -plus justement si nous nous référons à la langue allemande, la Gestaltung qui indique un processus- c’est-à-dire la formation d’une forme signifiante, sa survenue sans cesse reconduite en un rapport figure/fond augurant l’entrée en présence d’un je au monde. Autre aspect important : elle ne vise pas à définir des catégories, des abstractions généralisantes : elle se situe à même l’actualité de la situation survenante. Elle n’est pas thématique mais processuelle : elle sollicite et ne définit pas, elle suscite la formation sans pour autant la définir et en cela elle rejoint l’idée esthétique qui ne peut devenir concept (dans la mesure ou le sentir et la forme ne peuvent se réduire à un concept : la donation outrepasse toute visée). Ceci conduit à une autre ouverture de taille : le thérapeute n’est plus un interprète neutre mais un participant, il est co-créateur de la situation et engagé, com-pris au sens littéral du mot .

Ainsi le self n’est pas un sujet, un moi -et en ce sens la traduction par soi pourrait être juste si nous n’oublions pas que le soi et le moi ne sont pas synonymes (cf Ricoeur notamment avec idem-ipse « soi-même comme un autre »). Le self est le processus de formation des formes ; il n’est pas une chose localisable -un étant- il est un opérateur contribuant pour nous Gestalt-thérapeutes à interpeller la Gestaltung. Il est pour reprendre Jean -Marie Robine, autre personnage incontournable par ses travaux visant à permettre de comprendre le self du point de vue du champ, l’hypothèse d’un système des ajustements créateurs d’une forme d’instant en instant.

Mais Gestaltung de quoi me direz-vous ? Ce que le Gestalt-thérapeute va chercher à mobiliser c’est , en s’appuyant sur la théorie du self pour diagnostiquer le processus en son déploiement temporal , la Gestaltung dans sa fluidité. Est-ce dire que le Gestalt-thérapeute va contribuer à soutenir le système des significations, par exemple me permettre de signifier « l’ordinateur est devant moi »...et ne serait-ce pas alors le rôle d’un instituteur, d’un éducateur ?... La Gestaltung qui est visée par le Gestalt-thérapeute est Gestaltung de soi au monde....la prise en forme signifiante de ma façon particulière d’y être dans cette situation s’informant sans cesse, la façon dont je vais pouvoir me signifier en signifiant ce que je perçois...autrement dit ma façon particulière d’exister là, de donner sens à ma situation (que je suis toujours déjà situé)...Ma façon de me rapporter et comporter à et, par là, ma façon simultanément de donner forme à un entourage tout en prenant conscience que je me situe alors (que j’assume ma façon d’y être, situé), je me donne forme à cette occasion. Cela veut dire que ce que je dis, le contenu de mon dire, n’est pas l’aspect recherché in fine. Ce qui est thérapeutique c’est qu’à l’occasion de ce que je dis (niveau existentiel,) je deviens moi-même à l’occasion d’un autre. Je me situe et par là ouvre un monde à même ma présentation sans cesse reconduite. La signification élaborée est avant tout signification, situation de moi au monde ; une façon d’exister à, de situer que j’y suis et de reconduire en conscience que j’y suis ainsi, que j’actualise ainsi ma présence en définissant un point de vue, une situation dans laquelle je suis toujours déjà engagé et qui me définit autant que je la définit. Cette signification survenante est la forme partageable de mon expérience, celle que j’adresse à autrui. Autrement dit par l’acte de la signification, je mets en forme ce que j’éprouve, ce que je vois, ce vers quoi et vers où je vais :je le partage avec autrui et je participe ainsi du tissage d’un monde commun. Ce qui est visé est l’acte de mon entrée en présence, le moment où par l’acte de la signification, je me pose momentanément, je me spatialise et me temporalise en ouvrant le monde à même ma présence. Autrement dit, je prends la responsabilité de ma production signifiante, consciente que cette production est effet de ma venue en présence et qu’elle est partielle, partiale . Cela veut dire que cette vue de monde se découpe à même ma façon d’y être situé ou d’y être en contact pour utiliser le langage de la Gestalt-thérapie et si nous faisons là un petit arrêt : je dirai non pas y être en contact mais : ma façon de prendre en conscience le contacter toujours déjà à l’œuvre. C’est en ce sens que le thérapeute vise à développer la prise en conscience du contacter : la façon dont je com-prends et moi et le monde, actualisant par là une frontière contact que je définirai alors comme l’acte de la survenue d’une signification de moi engagé avec autrui tel que je le rencontre à ce moment là de notre existence commune ou de notre co-survenue en présence. Par ce terme que j’emploie : « autrui »,je veux dire tout autant un autre existant qu’un autre étant. Autrui est ici à entendre comme l’altérité à laquelle je suis toujours déjà conviée et qui me convoque à la nouveauté. La frontière-contact n’est pas réduite à l’entre deux existants au sens du je-tu de Buber. Elle est surgissement sans cesse reconduit d’un rapport figure/fond. Pour schématiser elle est cette barre : « / » qu’actualise le rapport figuratif . Elle n’est pas un lieu préétablit. Elle est acte de fondation de soi au monde.

Le self est l’hypothèse sur laquelle, en tant que Gestalt-thérapeute nous nous fondons pour interpeller le processus des ajustements créateurs de signification, c’est-à-dire de moi ainsi situé au monde. En ce sens notre fondement est différent de celui des psychanalystes qui disposent de l’hypothèse d’un appareil psychique et dont l’objet d’étude est la constitution de la psyché d’un individu. Autrement dit, la Gestaltung est émergence d’une direction de sens qu’il appartient au sujet humain de tisser en signification et c’est cela que nous appelons exister en phénoménologie (être hors de soi en tant que moi, avoir à donner signification à son état de vivant doué de langage - nous opérons là une rupture par rapport à la conception classique de l’anthropologie : l’homme n’est pas animal doué de raison mais proprement existant c’est à dire convoqué sans cesse à signifier et lui même et le monde ; le monde étant conçu comme effet de langage).

Je dirai que le self est une hypothèse qui me permet d’interpeller la Gestaltung de soi en son déploiement. Il est l’opérateur de l’organisation plastique d’une forme signifiante. En ce sens le self est à la fois diagnostic et thérapeutique pour le Gestalt-thérapeute.

Cette hypothèse se fonde elle-même sur une autre : celle du champ que je ne vais pas reprendre aujourd’hui de façon détaillée dans la mesure où vous la connaissez.

Cette conception rompt avec la conception classique, dualiste et mécaniste, dans laquelle la psychanalyse trouve sa place. C’est la conception du champ comme fondement de la Gestalt-thérapie, qui signe la rupture avec l’approche psychanalytique et sa posture analytique, c’est-à-dire découpant un sujet et un monde et concevant le psychique comme un terrain conflictuel (conflit des instances psychiques), extérieur au monde même si elle le réintroduit dans ce monde ensuite.

Pour rappel voici les cinq principes du champ : Principe d’organisation : tout comportement prend sens dans un contexte qui lui est propre et ne peut être entendu que dans ses liens essentiels à celui-ci. Nous ne pouvons l’isoler, l’extraire de la situation par laquelle il advient. Principe de contemporanéité : Un comportement advient dans le présent de sa manifestation. Il n’y a pas lieu d’invoquer un passé ou un futur pour donner sens à cet agir mais bien davantage il s’agit de le signifier dans son actualité même. Par là nous rompons avec l’idée d’une temporalité uniquement chronologique. C’est dans l’actualité de sa manifestation qu’un comportement se signifie ; il n’est pas possible de l’abstraire du contexte pour le décrire en général (pas d’immanence de signification en soi d’un comportement), de faire une nosographie par exemple... Principe de singularité : Chaque situation est unique c’est-à-dire radicale nouveauté. Cela exclut toute généralisation abstractive et par là toute notion de répétition. Principe d’un possible rapport pertinent : chaque élément de la situation en cours contribue de façon significative à son organisation, est donc potentiellement significatif. Principe de processus changeant : l’expérience d’un individu se construit d’instant en instant. Il est nouveauté sans cesse. Il est temporalité. Du point de vue de la Gestalt-thérapie cela nous renvoie au fameux « here, now and next », le « next » insistant sur le à venir encore.

Du point de vue du champ, l’homme est d’emblée au monde, dans l’immédiateté de son existence. Cela signifie que l’homme ne peut se rapporter à lui-même comme il le fait lorsqu’il vise un objet :son rapport au monde n’est pas de l’ordre de l’observation mais de l’ordre de l’affection. Autrement dit, il ne peut regarder le monde en se tenant extérieur à son regard ; il est toujours au cœur de la situation (distinction géographie et paysage d’Erwin Strauss « Du sens des sens »). Ainsi son agir est nécessairement situé, affecté. Je dirai qu’il est un effet de monde dans le sens où Heidegger ( « être et temps ») dit que le Dasein est mondialisant, qu’il « monde le monde ». C’est dans ce rapport nécessaire, son être-au-monde, que l’homme peut donner forme à son agir en tant qu’il est sien au sens de la mienneté de Heidegger, qu’il lui appartient en propre et qu’il le constitue. Son agir est le signe de son entrée en présence à ce moment particulier et c’est là qu’il trouve sa vérité et son fondement. Autrement dit c’est à l’occasion de son agir qu’il entre en présence (kaïros) , donne forme et signification tant à lui-même qu’au monde. Lui-même et le monde se révèlent à même son agir. Son agir est actualisation d’une possibilité signifiante car l’humain se rapporte à son être qui est potentialité. L’action est alors mise en œuvre, effectuation d’une possibilité, elle est phénomène de monde à l’occasion de l’événement de son entrée en présence sans cesse mise en abîme.

Le champ n’a pas de forme à priori. Il est l’ouvert où s’origine un rapport sujet /monde par l’acte de la venue en conscience. Ce rapport est sans couture en tant qu’il est remodelé sans cesse puisqu’il est temporalisation de soi. Nous pourrions dire que le champ est de l’ordre des possibles. Il est potentialité pour le surgissement d’une forme en tant qu’un je advient dans le mouvement où il la prend en conscience. Cette forme est conjointement une forme de moi et du monde dont l’espace se décline à même ma corporéité ; plus justement du monde comme mode de mon séjour (ethos). Ainsi, parmi les possibles toujours déjà ouverts, je advient simultanément en tant que lui-même, dans un rapport temporalisé et temporalisant, constitutif tant de lui-même que du monde. Sa prise en conscience est le tissage sans cesse réactualisé de ce rapport moi-monde. Le monde n’existe pas hors de lui. Il ne lui pré-existe pas.

Du point de vue de la Gestalt-thérapie, il n’y a que des expériences de contact (être-au-monde et être-avec de Heidegger) qui se déploient au cours d’un processus de figuration que nous appelons le self, pour quelqu’un qui le prend en conscience : une figure émerge peu à peu dans son rapport nécessaire à un fond d’où elle prend sens comme figure. La forme ou Gestaltung est venue à l’apparaître d’une figure se détachant (se différentiant peu à peu d’un fond) sur un fond. Il me semble là important de souligner que nous ne visons pas alors la pleine lumière (la pleine clarté de l’explicitation - littéralement sortir du pli -) mais davantage un rapport d’éclaircie, c’est-à-dire un rapport sans cesse reconduit de la lumière à son ombre (pli et dépli) qui fait écho à l’esthétique visant davantage un clair/obscur. C’est en cela qu’elle ne peut se réduire à un concept. Il y a là une tension dialectique augurant tout rapport de figuration. En ce sens il me semble plus juste de parler de processus de figuration dans la mesure où la notion de processus met l’accent sur la dimension temporelle de toute Gestalt, ce que l’allemand restitue mieux avec le terme Gestaltung.

Je parle de « prise en conscience » et il convient de situer le concept de conscience tel que nous le concevons en Gestalt-thérapie : Nous référant aux travaux de Husserl, nous concevons la conscience comme un acte intentionnel temporalisé, à la fois actif et passif : en tant que je est au monde, un monde lui est co-ouvert (nous ne sommes pas dans une conception idéaliste) qu’il lui appartient de saisir. Dans sa quotidienneté, il va de soi que je est au monde. Cela ne fait pas question pour lui : le monde est ce qu’il perçoit et par là , il oublie que, le percevant, il le reçoit, il l’accueille et il le constitue en tant que phénomène, c’est-à-dire selon les modalités de sa venue en présence pour et à lui. Autrement dit, dans l’existence quotidienne, je n’ai pas conscience de mon pouvoir d’instaurer un monde en m’instaurant moi-même simultanément, le monde m’apparaît comme objectif, observable, comme posé devant moi et stable. La perception est une activité prédicative. Pour illustrer cela, il est possible de se rapporter notamment au livre de Viktor von Weizaecker : « Le cycle de la structure » dont je cite ( P142) :

« La perception ne doit pas être conçue comme une image toute faite, mais comme une activité en devenir. Elle n’est pas le produit subjectif d’un aboutissement, mais la rencontre qui se déroule entre moi et le milieu. » (Lien avec transpassibilité ; accueillir)

S’appuyant sur la phénoménologie en tant que méthode, le Gestalt-thérapeute va interpeller les modalités par lesquelles un sujet constitue le phénomène du monde à l’occasion de sa venue en présence. Pour comprendre cela nous nous référons habituellement aux travaux de Husserl : Schématiquement, dans un premier moment, le Gestalt-thérapeute va susciter une variation des modalités de la visée intentionnelle afin de mettre en lumière les diverses possibilités d’in-former cette situation comme phénomène. Ces variations (constituer l’objet sur le mode du souvenir, de l’imaginaire, d la sensation...) conduisent le sujet-en-voie-de-lui-même à prendre conscience de son activité créatrice de sens et des choix qu’il opère dans sa vie courante de manière voilée, évidente, immédiate. Le problème de la conception Husserlienne c’est que la visée intentionnelle vise à constituer une objecté à partir du présupposé d’un ego transcendantal. Si la Gestalt-thérapie se tient aux principes du champ, elle ne peut se référer à un ego posé à priori et se rapportant au mode qu’il vise en diverses façons. C’est cela qui me conduit à m’appuyer sur les travaux de Heidegger qui ne parle plus à partir d’une conscience première mais d’une ouverture essentielle propre à l’être. Cette ouverture ne présuppose pas un je et nous conduit à concevoir l’humain comme ayant à être lui-même, à s’in-former à même cette ouverture, à devenir lui-même. Par là nous rejoignons les principes du champ. D’autre part le sentir ne relève pas d’une intentionnalité comme la perception qui elle comporte une visée objectivante. La dimension non intentionnelle du sentir (je ne me rapporte pas à moi-même comme à un objet ; je suis sujet de ce sentir qu’il m’est donné d’éprouver) en signe sa dimension esthétique. Maldiney explique cela très clairement dans « art et pathologie » (P30) : « le sentir est communication avec le monde. Cet « avec » exprime la dimension esthétique elle-même, qui est rencontre. Toute visée intentionnelle se dirige sur une objecté. Elle s’objecte le monde ou l’œuvre et par là refoule ou retranche le moment de la rencontre, qui est le moment de réalité. ». C’est cette dimension de la rencontre que vise à susciter le Gestalt-thérapeute : En dernière instance, le sujet-envoie-de-lui-même se trouvera convoqué à son propre souci (devenir-sans-cesse-lui-même ), à sa facticité, qu’il a à être cet étant là ( qu’il est) en se décidant pour ce possible et renonçant dans le même mouvement à un autre possible. C’est l’acte même de cette saisie en conscience qui devient évènement : je se choisit, et cet acte, par lequel je advient à lui-même-au-monde-parmi-d’autres-étants se révèle dans l’instant du choix. Ce n’est pas ce que je choisit qui là importe, c’est que je choisisse qui fonde. Me choisir c’est alors transformer l’événement de mon entrée en présence en phénomène de mon existence quotidienne au monde. En dernière instance la démarche phénoménologique convoque le sujet au phénomène du monde, du temps et du souci tels que Heidegger les explicite. S’appuyant sur ces existentiaux du Dasein, le Gestalt-thérapeute vise en dernière instance à convoquer le sujet-en-voie-de-lui-même à sa propre entrée en présence, à exister à même l’autre que le thérapeute incarne en existant également à lui. Par là, s’ouvre la prise en conscience et la pleine responsabilité dans l’exercice de sa liberté qui s’actualise comme libérer cet étant là, qu’il est ( corporéité) en ce qu’il se choisit (cette façon particulière de s’in-former) et, se choisissant, se libère , s’ouvre à d’autres possibilités d’être, à d’autres formes signant son entrée en présence possible.

Le concept de contact auquel se réfère la Gestalt-thérapie est à comprendre en relation avec l’intentionnalité qui caractérise la conscience - et plus radicalement l’ouverture à l’être qui fonde l’existant- : le sujet-en-voie-de-lui-même est toujours en contact et ne choisit pas, ne décide pas d’entrer en contact. En cela, le contact n’est pas la relation, en ce qu’il n’est pas volontaire. Le contact nous renvoie à ce fait indubitable de mon incarnation : je suis un corps vivant et essentiellement en contact en ce que je suis toujours déjà au monde.

Jean-Marie Robine dans « Pli et dépli du self » écrit (P30,31) : « Mais, à plus d’un titre, le contact ...ne désigne pas encore la relation, mais simplement ce qui articule le sujet avec ce qui est non-moi, humain ou objectal. »

Ceci nous amène à dire que c’est le contacter qui con-siste l’organisme et l’environnement. Il me semble plus juste de parler alors, tout comme Jean-Marie Robine, du contacter afin de préserver la dimension prédicative et processuelle de ce qui là est à entendre. Dire « le contacter » signe qu’il ne s’agit pas ici dans un sens premier d’un je qui contacte mais d’une passibilité foncière qui nous caractérise. C’est ainsi que le Gestalt-thérapeute s’intéressera davantage au processus de déploiement de la prise en conscience du contacter qu’au contenu formel qui se tisse dans le même mouvement. Ce faisant, nous visons davantage à restituer la dynamique de prise en sens, en interpellant son processus d’élaboration plutôt qu’à figer ce qui est dit dans une interprétation généralisante. Ce qui est visé alors, c’est l’acte de configuration signifiante et non la signification pour elle-même. Ceci dans la mesure où nous concevons l’acte thérapeutique comme celui qui permet à un je d’exister en s’inventant de nouvelles formes : prendre conscience de mon pouvoir (l’acte de configuration signifiante) me permet alors de modifier mes configurations signifiantes et par là les formes de ma présence survenante. Il n’y a pas un sens caché à révéler par une interprétation, il y a ce qui apparaît là et qu’il appartient à je-advenant de prendre en considération. Par là la question d’un être sous jacent à un apparaître, d’un contenu manifeste et d’un contenu latent, ainsi que l’élabore la psychanalyse n’a pas lieu dans une telle vue. L’être advient pour un je qui le prend en conscience en ce qu’il lui apparaît par où il y est , en ce qu’il prend forme : il n’est pour lui que à se donner à voir et à recevoir, et ce d’un certain point de vue, c’est dire qu’il se retire à toute prise signifiante en ce qu’elle le fige comme étant. Autrement dit l’être est de l’ordre de la possibilité et incarner une possibilité c’est l’effectuer ; par là elle n’est plus de l’ordre de la possibilité (de l’être) mais de l’ordre de l’effectivité (de l’étant que je suis à ce moment là).

Dans la situation thérapeutique, le thérapeute se met à la disposition de son patient : il se tient à ses côtés et vise à le soutenir dans une prise en conscience, peu à peu, de sa propre créativité, de son pouvoir être qu’il ne reconnaît pas de prime abord. En quelque sorte, me référant à Heidegger, je dirai que le Gestalt-thérapeute vise à restituer à son patient son propre souci de lui-même (Sorge) c’est-à-dire qu’il est configurateur d’un monde par où il advient et qu’il a à se « tenir » dans cette liberté et responsabilité. Le Gestalt-thérapeute se tient dans une posture d’altérité (en étant proprement lui-même ; en voie de lui-même) et interpelle son patient, l’invite à partager sa conception du monde, ses certitudes dans lesquelles il se « clôt » à son avoir à être en propre et, dans le même mouvement, se « clôt » à la nouveauté de la situation. Cette interpellation prend forme d’un s’expliquer sur ses modalités de se donner forme, explication qui ouvre un élargissement des modalités de prise en conscience. Il s’agira de lui permettre de se soutenir de manière ajustée dans l’ouvert de la situation et de mettre en question ses évidences dans lesquelles il se voile à lui-même. Mettre en question c’est alors tenir la crise signifiante (voir à ce propos « Gestaltung ; Luc » article dans lequel je développe cette notion de crise à partir d’une situation clinique).

« Notre méthode thérapeutique sera la suivante : exercer le moi, à l’aide de diverses expériences, à prendre conscience de ses différentes fonctions jusqu’à faire revivre spontanément le sentiment que « c’est moi qui suis en train de penser, de percevoir, de sentir, de faire. »( PHG P19)

Nous ne manquerons pas de repérer dans cette citation le glissement vers une approche individualiste : « le moi » dont il s’agit serait plus justement le « mode ego » du self se déployant. Cette phrase pourtant illustre bien la visée de la Gestalt-thérapie : « C’est moi qui » nous conduit davantage à une posture d’humilité que d’égotisme : En effet, l’accentuation n’est pas à entendre du côté du moi, mais du côté de l’acte et de l’atmosphère, au sens de la Stimmung : vivre que « c’est moi qui éprouve ce sentiment (Befindlichkeit), qui m’ouvre d’une certaine façon au monde, en ce que j’y suis intoné ». Non plus toute puissance de la raison calculante, mon pouvoir être me convoque à mon être-en-défaut le plus propre : être moi-même, cet étant là toujours assigné et décentré dans sa nudité native, et non un autre... Non plus maîtrise mais laisser-être. Et nous retrouvons encore là l’esthétique...

Conception de l’homme :

Si nous partons de ces principes du champ et de la théorie du self , peut-être est il intéressant de définir une anthropologie qui soit en cohérence avec cette façon de regarder . Je m’appuierai sur les travaux de Heidegger qui n’a pas lui cherché en direction d’une anthropologie ni d’ailleurs du côté d’une psychologie mais qui me semble apporter quelques indications. C’est d’ailleurs à mon sens ce qui a soutenu les travaux de psychiatres phénoménologues : qu’ils voyaient dans cette œuvre matière à renouveler leurs conceptions de la pathologie et de la posture du thérapeute. Je pense là à Wolfgang Blankenburg -le plus heideggérien des psychiatres phénoménologues- mais aussi à Médard Boss, à Arthur Tatossian et à Ludwig Binswanger.

Quelles esquisses pour une anthropologie compatible avec les principes du champ :

Le sujet humain n’est pas compréhensible hors de la situation dans laquelle il est toujours déjà engagé : en tant que je suis vivant, un corps m’est donné et celui-ci est toujours disposé en quelque façon. Ma corporéité est déjà une forme de présence tissée en directions de sens : c’est mon corps vivant qui indique des directions de sens : à droite, à gauche, devant, derrière moi, vers le haut, vers le bas. Je fais là un usage particulier de mot sens : il est direction, espace déjà compris en quelque façon (awareness). Egalement cela veut dire que je suis au monde et que le monde s’ouvre à même ma présence tout autant que déjà un monde m’est donné de part ma condition d’être vivant ( avoir un corps). Heidegger développera cette articulation du point de vue de l’être en formulant l’être-au-monde comme exitential c’est-à-dire caractéristique fondatrice de l’humain en tant qu’ayant à être. Pour nous, cela va venir nous parler du déploiement du self en mode ça que suscite la situation s’in-formant.

Ce vivant que je suis toujours déjà, il m’appartient de lui donner signification, projet au sens courant du terme : c’est dire que la question qui je suis ? ne s’épuise pas du fait que je suis vivant. Donner signification c’est ouvrir un monde, un réseau de signification, tisser une familiarité : le monde n’est pas ici à comprendre comme géographique mais comme réseau de significations, effet de langage. Le propre de l’homme c’est qu’il dispose du langage et je dis bien dispose : il séjourne dans le langage ; il est effet de langage. Pour plus de développements voir mon article « Séjourner dans le langage »). Le propre de l’humain c’est qu’il se questionne et qu’il éprouve une certaine inquiétude l’invitant à chercher un projet pour donner une valeur à sa vie. Donner une signification, une forme c’est cela ex-ister : ne pas être collé à sa viande (corps biologique) mais être fait de chair (cf Merleau-Ponty). Heidegger parlera du souci pour dire cette condition essentielle de l’humain : il est sans cesse en souci de soi puisque qu’il a à être lui-même ; à devenir sans cesse (tendu vers son next comme dit la Gestalt-thérapie).

Egalement l’humain est mortel, c’est-à-dire temporalisé : Toujours situé quelque part entre sa naissance et sa mort, échéance qu’il ne peut prévoir ni même exister sauf à justement ne plus y exister ...Ici la temporalité est subjectivation, elle n’est pas celle de nos horloges où le temps est découpé en tranches égales et objectivé. Le temps ici est de l’ordre de l’existence : de ma naissance jusque vers ma mort toujours différée ; le temps est fini. Exister c’est donc se temporaliser : donner signification, forme à ce moment particulier de mon existence, moment qui reconduit ma mort comme à venir et par là possibilité la plus insigne. Sa vie durant il doit tisser son histoire : il n’est pas conditionné dans ses comportements ; il n’est pas de l’ordre de l’effectivité mais de la possibilité : possibilité de faire ceci ou cela, de dire ceci ou cela. Kierkegaard dit que la possibilité est la plus lourde des catégories. Cela veut dire que les possibles sont toujours ouverts et que dans mon existence quotidienne j’ai la responsabilité de me décider pour la forme que prendra ma vie en l’existant : en ce sens exister est une contrainte comme dirait Maldiney : une contrainte à l’impossible ....Puisque toute possibilité choisie aussitôt ré ouvre la possibilité, le next de la Gestalt-thérapie, et que l’ouverture aux possibles est de l’ordre de l’impensable ! C’est une mise en abîme sans cesse, une reconduction de la décision : toute forme émergeante est reconduite en son fond , appelant une nouvelle forme ...Exister c’est littéralement s’in-former. Nous voyons combien la Gestalt-thérapie est novatrice là en se donnant pour objet et je dirai souci la Gestaltung de soi .

Si nous concevons l’humain comme existant alors, il n’a pas d’attribut figé ; il est sans cesse ouvert en possibilités et nous ne pouvons le circonscrire ou le catégoriser : tisser une typologie reviendrait à décrire l’humain comme si il était fini, effectif, hors temps . L’existence est toujours celle d’une je en devenir ; elle est toujours mienne et unique, non généralisable...à moins d’en rater la substantifique moelle : devenir sans cesse, se donner forme en s’informant au monde.

Autrement dit dans une telle conception le Gestalt-thérapeute n’est pas devant un individu agissant seul mais co-existant : chaque rencontre est unique et radicale nouveauté et nous retrouvons là le concept de l’ajustement créateur auquel j’ajoute un complément : ajustement créateur de soi au monde en tant que moi-même me choisissant pour cette forme là . Forme que je n’ai pas créé seul mais qui m’est déjà donnée puisque je suis vivant et contraint à exister cet état d’être là.

Théorie du self :

Nous avons défini la notion de contacter comme processus de l’ajustement créateur d’une forme signifiante. Ce processus nous l’observons ou le comprenons à partir d’un modèle que nous nommons le self : « Nous considérons le self comme une fonction de contact du présent actuel et éphémère »(PHG P177)

Dans la conception gestaltiste, nous sommes attentifs au déploiement du self en tant que processus du contacter. Conserver le mot dans sa langue d’origine ne permet pas d’éviter la réification qu’il induit parfois : self est un nominal et il serait plus approprié d’user d’un verbe. Ceci a conduit d’autres Gestalt-thérapeutes anglo-américains à suggérer le verbe « selfing » qui souligne la dimension active et temporelle. Peut-être que ce néologisme permettrait d’éviter les compréhensions du self qui conduisent à dire que le self est le sujet ou la personne ? Cela dit ,il me semble que cette façon de le comprendre est sous-tendue par une conception de l’homme qui n’est pas celle à laquelle les principes du champ nous convie. Ainsi lorsque nous parlons du self peut-être qu’il s’agit de préciser dans quelle conception nous le comprenons : ici je me tiens dans une conception du self du point de vue du champ. Il me semble aussi que comprendre le self comme un processus clarifie son acception : s’il est processus alors il n’est pas topique. Le self est l’hypothèse nous permettant de comprendre un processus temporalisé, le processus de figuration du point de vue du champ, par où un sujet devient lui-même dans cette situation là qu’il suscite tout autant qu’elle le convoque. C’est une façon de dire l’aller vers en tant que je est au monde et c’est sa façon de le prendre en conscience et de lui donner sens c’est-à-dire à la fois direction et signification pour lui à l’occasion d’un autre. Le self n’est pas une personne ou une individu ; il n’est pas le moi et en ce sens serait plus proche du soi. Je dirai qu’il est un principe : celui par lequel nous pouvons imaginer les moments de la différenciation moi/non-moi et par là faire l’hypothèse de ses achoppements.

Modalités de déploiement du self :

En tant que processus temporel, le self se déploie en différents modes ou modalités. Perls et ses collaborateurs parlent de fonctions là où je préfère parler de modalités, le terme de modalité étant alors associé pour moi à modalités d’exister dans le sens de possibilités, et ceci dans la mesure où le self se déployant témoigne de l’entrée en présence d’un je. La notion de fonction me semble trop renvoyer à une conception mécanique et me semble nourrir la dérive vers un self stucturel , attribut d’une personne.

Parmi les modalités de déploiement du self, Perls et ses collaborateurs en décrivent trois principales. D’autres continuateurs de la Gestalt-thérapie en ont ajouté d’autres . Il est bien clair dans l’écrit « fondateur » de Perls et ses collaborateurs qu’il ne s’agit pas de présenter une description en quelque sorte « anatomique » de ce processus mais plutôt d’en définir une esquisse ouverte, propre à nourrir la posture du thérapeute qui s’appuie sur ce modèle pour essayer d’éclairer la façon dont le patient et lui-même se donnent forme à l’occasion l’un de l’autre. Ces différentes modalités ne surviennent pas dans une succession linéaire, elles interviennent en quelque sorte simultanément. Rappelons que le self est un processus actuel : dénué d’un avant ou un après (principe de contemporanéité du champ). Ainsi nous sommes dans une conception de la temporalité de l’ordre du Kaïros : l’instant. Ces modalités de déploiement du self sont des hypothèses qui nous permettent de solliciter l’entrée en présence qui se traduit par un acte de signification ou Gestaltung : signification de moi et de la situation par où je suis que je peux alors partager avec autrui.

Je dirai que le self nous permet d’interpeller le cours de la présence en nous étonnant de la façon dont une signification tant de moi que de la situation où je suis toujours déjà engagé survient (être-au-monde et être-avec-autrui : existentiaux du Dasein). Le self est cette hypothèse qui nous permet d’interpeller l’existant en son Dasein : cela veut dire que le modèle du self nous permet de solliciter la rencontre différentiante, la prise en conscience du pouvoir être tant de moi que d’autrui simultanément) :

Mode ça du self se déployant :

C’est l’excitation du point de vue du champ, « le fond donné qui se dissout en possibilités »(PHG P185). L’excitation accompagne tout processus de Gestaltung. Par là je la rapprocherai de l’ad-gressere au sens de l’aller-vers. Néanmoins l’ad-gressere traduit un aller vers délibéré et il semblerait plus juste de parler d’ad-versere ( terme suggéré par Joëlle Sicard au cours d’une discussion)qui signifie être tourné vers, tendu vers et c’est bien là le sens du next Gestaltiste : en vue de , tourné vers l’à-venir. (nous retrouvons là le projet - être-en-avant-de-soi - définit par Heidegger).

Cette excitation se traduit du point de vue d’un sujet en sensations qui l’affectent :en tant qu’humain vivant, j’ai un corps que j’éprouve et par là existe et ce, hors d’un acte délibéré. Ainsi cette excitation est donnée au sujet humain dans la mesure où il a un corps, où il dispose d’un corps. De par sa corporéité qu’il a et qu’il est, cette excitation est toujours in-formée en quelque façon (intentionnalité ; projet) : elle est toujours déjà sensation corporelle ce qui me fait dire que le mode ça du self se déployant convie le sujet-en-voie-de-lui-même à prendre conscience de sa, tournure ou façon d’être déjà situé, spatialisé et tendu vers son à-être. Je, survenant peu à peu, est toujours déjà affecté ( à la fois au sens d’avoir un lieu et aussi de sentir ), en contact avec et cela c’est l’ awareness du point de vue du champ. Etre aware c’est être pris avec, être com-pris c’est-à-dire affecté, et cette façon de prendre conscience n’est pas conscious. Ici la prise en conscience est immédiate, non thématisée : elle est de l’ordre de l’accueillir, de l’être ouvert à, tendu vers, avant que des mots ne viennent pour in-former ou tisser la Gestaltung. Et cela nous approche de l’intuition évoquée par Kant à propos de l’idée esthétique. C’est cela que je nomme direction de sens : une orientation corporelle diffuse (non conceptualisable) , une sensation de directions corporelle qui ouvre l’espace et me tend vers une différentiation ( me contraint à me donner forme en l’accueillant). La prise en conscience ici invoquée est là comme tension à exister cette corporéité par où je la sens : elle est en quelque sorte initialisation de ma subjectivation en ce que étant déjà affecté je suis convoqué à éprouver. Je veux insister ici sur la dimension de la prise en conscience : prendre en conscience ce n’est pas aussitôt activement tisser une signification, au sens de délibérément, c’est en premier lieu éprouver la donation de corps, prendre corps, endurer mon état d’être vivant, passible au sens d’endurer un pathos. La notion de passibilité n’est pas une notion passive au sens courant de ce qui s’oppose à actif, être passible c’est subir ; et subir c’est endurer, éprouver. Nous devons là délaisser les conceptions habituelles du couple actif/passif pour nous ouvrir au couple passible/possible qui sont deux modalités d’exister et par là d’être engagé et de prendre conscience. Nous retrouvons cette nuance avec le couple aware/ conscious de la langue anglaise. Le mode ça du self se déployant renvoie au donné ouvrant la situation en ce que je est ouvert au monde et que cette donation du monde est aussi un accueillir le monde pour ce je, par où il est et devient. Ma corporéité est le lieu tant de ma présence au monde (en ce que j’y suis toujours déjà) que de ma venue en présence (j’y suis et il m’appartient de m’approprier cette présence :en existant ce corps vivant qui me convoque à tisser un réseau de significations et à me définir). Le donné de la situation ( plus justement « le donné ouvrant la situation pour un je en voie de lui-même ») prend forme de sensations qui affectent je et qu’il va prendre en conscience de par le déploiement du self en mode personnalité et ego. Le ça dont il s’agit ici, c’est le déploiement du self en mode ça qui tend le il y a vers une situation ; situation que le sujet-en-voie-de-lui-même perçoit par où ça l’affecte et par où il se perçoit simultanément (rappelons que la perception est une activité prédicative). Du point de vue de l’existence quotidienne, cette excitation affecte le je en tant qu’il est ce corps-là par où il ressent l’excitation qui le convoque alors à lui-même. Dans le langage, cette excitation peut prendre forme d’une sensation et s’élaborer en émotion.

La possibilité de ressentir et varier ses émotions s’appuie sur la disposibilité telle que Heidegger la développe au § 29 de « Etre et temps ». La disposibilité ou tonalité est un existential de l’être - au : le sujet est toujours là d’une certaine manière. La disposibilité signe le là de l’existence. Je est toujours disposé d’une certaine manière, intoné ; accordé (et là je pense à la musique : les instruments doivent être accordés et le la est un repère vibratoire vers lequel tend l’accordage). C’est en ce sens que le self se déployant en mode ça du self sollicite une orientation, une direction de sens à même la présence corporelle d’un je en devenir, toujours disposé d’une certaine façon.

Dans sa vie courante, je est ému, touché par et n’est pas ententif à la dimension existentiale qui est qu’il est cet étant là jeté au monde ayant à devenir proprement lui-même (ce que Heidegger appelle advenir en son dasein . Dasein n’est pas traduisible par humain mais par être-le-là c’est-à-dire le lieu tenant de l’être : qui tient de lui sans l’être...). Autrement dit, dans la vie courante, je n’est pas conscient qu’il lui appartient de s’in-former lui-même....il se préoccupe davantage de donner corps à des projets, d’inventer des outils ou de les utiliser. Il n’est pas alors pleinement conscient que, manipulant des outils, c’est lui qui se donne forme et signification, qui fonde son séjour terrestre. Je veux dire par là qu’il ne prend habituellement pas en vue la façon dont il est affecté...Sauf si un problème survient et suspend son affairement...ex. : quand je découpe des rondelles de légume je ne suis pas alors en pleine présence ; je suis à ces légumes que je découpe pour préparer ce met...il suffit que je me taille le doigt pour qu’alors je me trouve convoquée à moi-même existant ....et que je m’occupe alors de soigner la plaie...ce qui m’éloigne à nouveau de ma convocation à être moi-même...l’attention que suscite le déploiement du self en mode ça ouvrant la situation par où un je devient lui-même est peu courante dans la vie quotidienne.

Mode personnalité :

Ici ce que le sujet-en-voie-de-lui-même tisse en figure et que le self se déployant en mode personnalité suscite, ce sont les représentations mentales que le sujet peut avoir de lui-même et du monde. Ce qu’il connaît, avec lequel il est familier, ce qu’il sait de lui, le fond culturel appris au cours de sa croissance et à partir duquel il prend en conscience. Il n’est pas dans la nouveauté, il est en sécurité dans un monde rassurant, organisé, qui va de soi. En ce sens il ne se questionne plus quant à son être, il est ce qu’il fait et toute altérité semble évacuée. Il n’y a pas de prise en vue de la nouveauté, d’étrangeté de lui-même ni du monde venant en figure. C’est un mode d’auto soutien dans le sens où il est ne tient pas en figure l’ouverture à l’existence. Ainsi lorsqu’un sujet se prend suffisamment pour quelqu’un (voir mon article « de quelques avatars à se constituer sujet dans la relation »), nous disons que le self se déploie en mode personnalité : il est qui il est alors, il connaît ses capacités et se reconnaît ainsi capable de. Il ressent une certaine sécurité, une évidence de lui-même et du monde. Et cette évidence peut lui permettre de regarder la nouveauté... Cette modalité du self tend à occulter la question du fondement de l’existence sans cesse reconduit ( avoir à être soi-même, devenir sans cesse ; possibilisation de soi) : elle est un mode d’établir une permanence, une sûreté raisonnable ne prenant pas en vue la temporalisation propre à l’existence et l’angoisse existentiale ( être ouvert à sa propre possibilisation). C’est également un mode qui permet de garantir une continuité de moi , une mêmeté ou identité de moi dans la vie quotidienne. C’est ainsi ce qui me permet de tisser une chronique de mon existence ; une histoire. Cette façon de définir le mode personnalité du self est assez courante et ne me satisfait pas . En voici une autre : on peut aussi le comprendre comme un mode d’accueil de la nouveauté en s’appuyant sur des significations déjà expérimentées et reconnue. Par là il est un mode de se rapporter à la nouveauté de la situation d’une façon connue (principes du champ). Il me semble important de souligner cela car bien souvent ce mode d’actualisation du self est jugé péjorativement...Sans actualisation du self en mode personnalité ; pas de langage...Et puis mettre en lumière ce qui est déjà connu c’est encore une façon d’ouvrir la situation ; je dirai de tisser des esquisses qui pourront peu à peu s’altérer et intégrer en l’inventant une nouvelle forme possible qui viendra ensuite nourrir l’ouverture à la nouveauté. Ce mode de déploiement du self est indispensable en ce qu’il permet au je s’in-formant de s’appuyer sur du connu pour in-former la nouveauté de la venue à soi : sans sol suffisant pas de possibilité de découvrir la situation et conjointement moi situé ; pas de langage.

Mode ego :

Le sujet s’in-formant prend en conscience l’excitation qui l’affecte et lui donne sens, l’organise en perceptions, en émotions. Il la prend en conscience, et par là une figure s’éclaire peu à peu dans ses contours, organisant dans le même mouvement un fond de possibilités signifiantes s’obscurcissant. L’e déploiement du self en mode ego est souvent compris comme ce moment de la vie quotidienne où le sujet donne un sens délibéré : l’excitation s’organise en perception et en projet volontaire. Parmi les possibles ouverts, peu à peu, le sujet va se différencier : s’orienter parmi les possibles ouverts en s’aliénant certains possibles pour s’identifier à d’autres. Dans la vie courante, ce me choisir prend plutôt forme de choisir, de décider quelque chose et le « me » est alors occulté. Par là je me réfère au dévalement ou la préoccupation (Heidegger) en ce que le sujet s’absorbe dans le monde et ne se prend en vue qu’en tant qu’il s’oublie ( il est occupé à choisir quelque chose, et ne prend pas en vue que ce faisant il se décide en tant que lui même, il se choisit ainsi. S’oublier est encore une façon de se rapporter à soi ). Le self survenant en mode ego ne traduit pas une décision volontaire de moi .Il survient en quelque sorte par surcroît dans l’articulation des modes ça et personnalité du self se déployant, qui se produit chez le sujet s’in-formant à l’occasion de la phase identification-aliénation des possibilités signifiantes ouvertes. Cette articulation qui est mise en tension critique des significations disponibles en mode personnalité, reconduites au il y a de la situation se découvrant peu à peu va solliciter l’ajustement créateur : la survenue par le déploiement du self en mode ego d’une signification nouvelle intégrant le connu et la nouveauté. Je veux là insister sur la dimension non délibérée du mode ego du self se déployant : trop souvent le mode ego du self est entendu comme le moment où un sujet décide de quelque chose ou le moment où il dit « je » et vous pouvez lire cela quelques lignes plus haut dans cet écrit. C’est pourquoi j’ai précisé « ce moment de la vie quotidienne » : le self se déploie en mode ego et convoque ma propre subjectivation lorsque, à l’occasion d’un choix, je suis pleinement consciente que JE me décide là à être proprement moi-même ; je m’in-forme et me choisis en tant que moi-même ainsi situé. Lorsque je dis que le mode ego survient cela veut souligner qu’il arrive là où je ne l’attends pas, il est nouveauté et invention ajustée d’une forme : celle par où j’existe alors en pleine conscience. C’est par la sollicitation du self en ses modalités ça et personnalité que, soudain, une forme surgit « claire et brillante » comme disent Perls et collaborateurs. Pour ma part je dirai qu’une figure s’éclaire sur un fond d’opacité, une figure de ma subjectivation. Le self se déployant en mode ego signe alors mon entrée en présence : je deviens pleinement ce que je suis, en pleine conscience. Et cela se traduit par la survenue d’une figure signifiante, une éclaircie à laquelle je m’identifie en devenant authentiquement moi-même. C’est ici que se situe le moment esthétique de l’entrée en présence : une plénitude que j’éprouve alors et qui ne peut se conceptualiser car elle est de l’ordre d’une intensité pathique. Cela nous donne à entendre ce que laisser-être suggère.

Cette modalité du self est celle par où le sujet surgit et devient pleinement lui-même, prend forme en s’informant au monde. Elle s’articule aux modalités ça et personnalité qui suggèrent les scansions de la venue à soi : peu à peu, je prend signification : je constitue un réseau signifiant, je s’oriente à dessein d’une action. Il constitue le monde en vue de son usage et par là se constitue. L’excitation ou ad-versere (self se déployant en modalité ça) s’informe ici en ad-gressere. L’orientation devient manipulation, identification et aliénation de possibilités jusqu’à la survenue d’une forme signifiante tenant compte de la nouveauté en lui donnant forme.

Se tenir dans la nouveauté ouvre le saisissement de l’angoisse, saisissement que je ne peut comprendre que dans un lien à la temporalité et par là qui appelle sa clôture dans le mouvement même de le signifier. Signifier, donner sens, revient à se clore momentanément à l’ouvert de la situation (le « il y a » d’où la situation s’éclaire). Par là même je se constitue alors sujet dans une relation signifiante discernant un monde momentanément figé, par le mouvement de reprise constituante vers soi que traduit sa réflexion. Cette construction d’une Gestalt s’éclairant est toujours reliée à la situation du moment. Ainsi, le processus du self en tant qu’actualisation du processus du contacter du point de vue du champ que nous percevons au cours du processus de construction d’une signification, est un mode d’ajustement créateur d’une situation nouvelle sans cesse. La théorie du self permet d’interpeller la façon dont un sujet et monde s’in-forment par l’acte de la signification. Cette polarisation moi-monde actualise ce qu’en Gestalt-thérapie nous appelons frontière contact et qui renvoie à l’entre, l’espace ouvert de la rencontre. Ici la frontière-contact est à entendre comme jaillissement différenciant. Par là le self n’est pas une figure de la subjectivité, mais un opérateur de la subjectivation pour le Gestalt-thérapeute.

L’ajustement créateur est le « résultat » d’une prise en compte ( Gestaltung ) du il y a ou du donné s’in-formant en situation : awareness du il y a devenant situation pour un je qui ouvre des possibles ( awareness de l’excitation qui in-forme tant la situation que le je advenant peu à peu )que ce je en jet de lui-même va explorer, parmi lesquels il va peu à peu s’orienter et tisser le sens en significations, en aliénant certaines modalités du il y a non pertinentes pour lui à cette occasion, et en s’identifiant à certaines possibilités. L’ajustement, qui par là s’opère en acte, traduit un tissage signifiant, un réseau de conjointure prenant forme alors en tant qu’un moi et un monde auquel je donne forme, configuration. C’est ainsi que la situation apparaît alors. L’ajustement sera créateur en ce qu’il lui permettra dans le même mouvement, d’intégrer en l’inventant la nouveauté de la situation en cours, à partir de ce que je reconnaît comme son mode d’exister à ce moment particulier, ici. Cette nouveauté de la situation est à comprendre comme nouveauté de lui-même au monde : surgissement de lui-même ou altération de lui-même ou mise en forme de sa façon propre de se rapporter à de l’autre. Ce disant, je réalise que je ne pense pas qu’il puisse y avoir d’autre ajustement que créateur ...dans la mesure où toute in-formation est actualisation d’une possibilité d’exister et par là toujours ajustement créateur d’un rapport je/monde même s’il peut sembler « réduit » dans ce que nous nommons pathologie . Lorsque le processus d’actualisation du self est perturbé, nous disons habituellement qu’il n’y a pas d’ajustement créateur : soit le sujet reconduit pas la situation en sa nouveauté : la phase d’identification-aliénation des possibilités est écourtée : nous formulons alors l’hypothèse que l’affect qui convie à la radicale nouveauté de la situation est hâtivement signifié (projection de signification). Soit, à l’autre extrême, il est saisi par la nouveauté de la situation, et il ne peut se résoudre à s’aliéner et s’identifier ... par là même il n’est pas de je suffisamment constitué et la conjointure s’effondre : pas d’appui suffisant par défaut de déploiement du self en mode personnalité et reconduit en mode ça. Dans tous les cas, il y a défaillance dans l’actualisation du self en mode ego. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas convocation à la présence pour le sujet mais plutôt que cette présence manque d’intensité affective.

Flexions du self :

Si les modalités du self sont davantage de l’ordre du Kaïros, de l’instant (augurant l’entrée en présence), les flexions sont davantage de l’ordre du chronos, d’une continuité temporelle. Je dirai alors que les flexions du self nous permettent d’interpeller la façon dont la signification se tisse en son contenu formel.

Je parle de flexions là où Perls et ses collaborateurs parlent de ruptures : Du point de vue du champ, il ne peut y avoir de rupture du contacter puisque cela supposerait un je préconstitué. C’est la prise en conscience du contacter qui peut être en défaut mais non le contacter lui-même. Ceci me conduit à insister encore : le contacter tel que je le comprends et l’ai défini plus haut ne peut se suspendre (je suis toujours déjà au monde ; principes du champ). Le contacter n’est pas construction d’une figure ; il ne m’est pas accessible au sens où je ne peux concevoir les possibles auxquels je suis ouvert qu’à partir de ce que je peux imaginer. Or l’ouverture aux possibles est une ouverture qui dépasse toujours ma capacité de donner forme ou d’anticiper une forme. Sinon comment soutenir qu’il puisse y avoir de la nouveauté ? la nouveauté est de l’ordre de la surprise, d’une survenue que je ne pouvais attendre. Si nous usons du terme de rupture alors nous ne sommes plus dans une conception conforme aux principes du champ. Alors est-ce que parler de rupture reviendrait à dire que c’est la construction de la figure en cours qui est suspendue ? il me semble que la construction d’une figure est toujours en cours( à relier avec mon idée que toujours il y a création de soi ; ajustement en quelque façon). C’est le thérapeute qui peut faire l’hypothèse que la construction de la figure est interrompue en s’appuyant sur une anticipation de ce que serait une figure ici non interrompue. Mais ce faisant n’est-il pas alors en train de projeter sa propre construction de signification ? Il me semble plus mobilisateur de chercher en quelle façon une Gestaltung est à l’œuvre, et de contribuer à l’enrichir en sollicitant le déploiement du self. Les principes du self nous permettent cela : de faire l’hypothèse des façons dont patient et thérapeute tissent des significations à l’occasion l’un de l’autre. Si nous regardons cela comme toujours un tissage en cours alors nous pouvons contribuer à enrichir le tissage (logos-legein) signifiant. A quoi nous sert de faire l’hypothèse d’une interruption ? Ne serait-ce pas une façon de nous situer dans une position d’expert ? De plus cette hypothèse suggèrerait que la figure interrompue serait celle du patient ? Or la Gestaltung en cours n’est-elle pas entrée en présence de l’un à l’occasion d’un autre survenant simultanément ? La situation thérapeutique est conçue comme une rencontre se tissant au cours de laquelle patient et thérapeute s’informent mutuellement : comment là entendre l’hypothèse d’une rupture ?

Confluence : Au moment de l’émergence de la figure. Lors de cette première phase de pré-contact, quelque chose surgit et suscite le déploiement du self en mode ça in-formant la situation. Le donné immédiat de la situation sollicite le self en ce qu’un je est alors convoqué à sa nécessité d’exister en se donnant forme. Je dirai que quelque chose survient qui me convoque à une prise en conscience, quelque chose qui suspend le cours paisible de mon existence quotidienne où je vaque à mes occupations et par là ne suis pas occupée de moi-même. Différentes formes : proprioception d’une sensation corporelle, perception d’un stimulus environnemental. Le self se déploie en mode ça et pour le sujet en devenir cela se traduit par une poussée vers, une tension et l’awareness de celle-ci. Le mode ça est une modalité du self qui , à partir des perceptions corporelles, constitue en émergence de figure l’ensuite, le next de la situation. Il est alors davantage une fonction de l’organisme (au sens de ce qui organise) : le corps, la physiologie primaire (biologique) et secondaire (histoire) survient en arrière plan de la figure émergente qui est alors l’excitation ou la stimulation éveillant la prise en conscience. Cette émergence d’une figure du contacter (un début de différenciation qui n’est pas encore rencontre) constitue une amorce de direction de sens (sensation, proprioception corporelle : subitement j’éprouve une sensation...) et peut générer une anxiété qui perturbe cette émergence figurative : la sensation demeure diffuse et ne sollicite pas de signification. L’émergence de cette direction de sens constitue une rupture de confluence saine. Cela veut dire que le plus souvent je ne suis pas consciente de mon éprouvé...(dévalement, mode d’exister de la quotidienneté) Parfois l’excitation demeure exclusivement corporelle et ne peut devenir affect puis émotion ou sentiment cas des pathologies dites psychosomatiques notamment.

L’introjection :

Quand une figure a pu émerger constituant un arrière plan se détachant d’un fond, elle est énergétisée par cet arrière-plan que constitue le déploiement du self en mode ça ouvrant la situation en cours. Vient alors, pour le je en voie de lui-même, le premier moment de la prise en conscience du contacter ou apparaît une relation dynamique entre figure et fond. L’excitation traduit la formation d’un rapport de figuration, de direction de sens : un avant-plan se détache peu à peu d’un arrière-plan, tous deux se constituant simultanément. C’est le passage du « repos » (de l’absence de tension-excitation), de la confluence saine à un état de tension signifiante. Cette tension m’affecte (au sens où elle me convie à moi-même ainsi affecté) et par là processus d’identifications-aliénations s’initie : devenir cette tension c’est identifier, aliéner des possibilités susceptibles d’être peu à peu signifiées, de devenir acte de survenue en présence (de tissage d’un rapport moi-monde par l’acte de la signification ou Gestaltung de soi au monde). Il s’agit de constituer un ob-jet, de poser devant soi et par là dans le même mouvement de s’engager et se définir dans un pro-jet. Il s’agit de s’orienter parmi les possibles ouverts ajustés à la situation qui m’affecte corporellement. L’introjection est l’ensemble des phénomènes sain ou non de prise de signification dans le monde environnemental et d’appropriation ouvrant à l’assimilation ou à la constitution d’un introject. Ce qui n’est pas pris en vue c’est mon pouvoir de signifier. L’introjection est un processus distinct de l’introject qui est le sens élaboré en signification par l’introjection. L’introject est la forme signifiante survenant par l’acte de l’introjection -qui est une façon possible de prendre en considération le contacter- et qui met en forme l’hypothèse que cette forme est adoptée par le sujet-en -devenir sans qu’il se donne le temps de la mastiquer et par là d’actualiser ses possibilités. Par là l’introjection peut constituer une façon de pacifier la crise d’élaboration formelle (et du côté de je en devenir : la différenciation moi/non-moi). Lorsque la crise d’élaboration formelle est pacifiée cela veut dire que la séquence chronologique de la prise en conscience du contacter est terminée : le sujet adopte une façon de comprendre la situation qu’il n’a pas interrogée et qui ne l’a pas convoqué à se choisir : par exemple lorsque j’apprends les tables de multiplication je les apprends telles qu’elle, comme des vérités à adopter et qui ne m’invitent pas à me situer : je m’y conforme. L’introjection saine permet d’adopter des conventions, des règles sociales, participe de l’apprentissage. Nous qualifions l’introjection de problématique lorsque l’ouverture du sens ne peut être reconnue, appropriée ou assumée (en ce qu’il convie à une différenciation moi-monde, ou un engagement de soi ainsi situé, trop anxiogène) et le sujet survenant va alors adopter la signification offerte par autrui à l’expérience, en substitution de la construction ajustée de la sienne propre. Ainsi l’introject adopté signe une pacification prématurée de la crise signifiante : pas d’ouverture en termes d’identifications-aliénations de possibilités de se signifier et signifier la situation.

Ce disant il me semble problématique de parler d’introjection non saine dans la mesure où l’introjection est un moment dans l’apprentissage notamment : du point de vue temporel, un introject peut ensuite être « mastiqué » pour parler comme Perls et par là assimilé c’est à dire suffisamment éprouvé pour que je le choisisse comme mien. Si le thérapeute fait l’hypothèse d’une introjection en cours cela signifie que sa façon de définir la situation par où il advient est adoptée par le patient sans mise en question. Il lui appartient alors de mobiliser la possibilisation de la situation : par exemple en proposant une autre façon de comprendre qui sollicitera le patient à se déterminer et par là se différencier ; ou bien de solliciter la mastication de cette forme qu’il a proposé en sollicitant le déploiement du self en mode ça pour à nouveau faire émerger la situation en cours dans sa dimension pathique Ceci nous invite davantage alors à concevoir l’introjection comme un moment possible de la séquence figurative, invitant à poursuivre en ouvrant la possibilisation à même le passible de la situation survenante. Et surtout cela nous conduit à ne pas oublier que la perception est une activité prédicative et par là à suspendre notre façon de comprendre pour nous laisser surprendre. Dire que l’introjection est non saine ne revient-il pas à projeter notre propre point de vue érigée en norme ?

Egalement je parle de tension signifiante ou de sens -corporel- plutôt que de désir. En effet il me semble que parler des flexions du self et user du terme de désir ouvre au glissement vers un self structurel et non processuel. Mes expressions sont ici recherches ...

La projection :

Toujours dans cette phase d’appropriation de ce sens comme son propre, le sujet a d’emblée une signification, elle s’impose à lui comme une évidence. C’est l’ouverture des possibilités qui est aussitôt pacifiée. La phase de manipulation des significations possibles est rétrécie en ce qu’elle est trop anxiogène (prendre le temps d’identifier, aliéner les possibilités : se risquer à endurer l’inconnu, le doute, la crise dirait Maldiney) . La signification est constituée sans prise en conscience de l’orientation parmi des possibilités : elle est projetée et ne s’enracine pas suffisamment à la situation en son ouverture. Ce qui est « réduit » c’est la prise en conscience de la responsabilité du sujet survenant dans l’organisation de la figure survenante. Ainsi pour le sujet, la signification appartient au monde. C’est le monde qui l’assigne à une place, qui le définit. Il ne prend pas en conscience sa responsabilité et sa participation au tissage signifiant.(la signification est projetée et non appropriée). Du point de vue du self : il se déploie en mode personnalité sans s’articuler en mode ça et cela conduit à une signification évidente qui s’impose. Le il y a est rapporté à une situation totalement connue, reconnue : elle est Project. Le sujet en devenir ne procède pas par altérations successive des significations projetées en les rapportant à son éprouvé actuel, jusqu’à la survenue d’une forme,intégrant la nouveauté radicale de la situation actuelle et traduisant la mobilisation du self en mode ego. Lorsque le thérapeute fait l’hypothèse d’une projection à l’œuvre il va contribuer à la prise en conscience de son enracinement à la situation, afin que par esquisses projectives successives mobilisant le self en mode ça et personnalité, une figure/fond survienne ajustée en sa nouveauté radicale. Cette forme traduit la survenue du self en mode ego et le moment esthétique de l’entrée en présence de je situé.

A ce stade de ma réflexion, les autres flexions (rétroflexion, égotisme) décrites par Perls et ses collaborateurs me posent problème : si nous essayons de nous tenir aux principes du champ pour comprendre comment un sujet devient lui-même en tissant une forme signifiante alors comment comprendre qu’il puisse y avoir rétroflexion sans poser préalablement un je constitué en individualité ? Sans confondre self et sujet ? D’autre part la rétroflexion, ne revient-elle pas à une projection de signification non reconduite au fond de nouveauté sous-tendant la situation et à l’éprouvé du sujet en devenir permettant de l’in-former et s’y in-former ? L’égotisme me semble bien présupposer un lieu où je serait localisé.

Pour conclure :

La Gestalt-thérapie nous convie à une esthétique de l’entrée en présence dans la mesure ou notre sol de référence, la théorie du self : N’est pas une théorie du sujet mais du processus de l’in-formation qui est survenue et d’une signification et d’un je. Ce processus est rythmique et n’est pas topique. N’est pas thématique ce qui veut dire qu’elle ne propose pas une interprétation ou une vérité de ce qui doit être mais vient interpeller le venue en présence en sollicitant le processus de Gestaltung. Elle sollicite sans définir, elle convie au pathique de la situation survenante et par là relève de l’idée esthétique (intuition imagination). Elle nous convie à accueillir l’ouverture aux possibles et par là à une passibilité qui se détache résolument d’un mode de pensée calculante et volontaire. C’est dire alors qu’elle est de l’ordre de l’étonnement et de la surprise...tout comme l’esthétique nous convie à un certain ravissement de nous -même...

Bibliographie :

Encyclopédie philosophique universelle publiée sous la direction d’André jacob. « II. Les notions philosophiques » PUF, Paris, 1990. Edith Blanquet « Gestaltung : rencontre avec Luc » Cahiers de gestalt-thérapie N°14, L’exprimerie, Bordeaux 2003 Edith Blanquet « de quelques avatars à se constituer sujet dans la relation...franges » Cahiers de Gestalt-thérapie N°6, L’exprimerie, Bordeaux, 1999 Martin Heidegger « Etre et temps » Gallimard, NRF, Paris 1996. Emmanuel Kant « Critique de la raison pure », PUF collection quadrige N°61, 10éme édition, 1984, Paris Henri Maldiney « Art et existence », Klincksieck, Paris, 2003 Henri Maldiney « Penser l’homme et la folie », Millon, Paris 1991 Jean-Luc Marion « Etant donné » PUF collection quadrige, Paris, 2005, 1ére édition 1997 « Gestalt-thérapie »,Frederich S Perls, Paul Goodman, Ralph Hefferline, Stanké, Montréal, 1979 Viktor Von Weizaecker « le cycle de la structure », Desclée de Brouwer, Bruges, 1958, Perls, Goodman et Hefferline « Gestalt-thérapie », l’exprimerie, traduction de Jean-Marie Robine, Bordeaux 2001. Perls Laura, « Vivre à la frontière », les éditions du reflet, Montréal, 1993. Paul Ricoeur, « Soi-même comme un autre », Seuil, collection points, Paris, 1996 Erwin Strauss, « du sens des sens », Millon, paris, 1989

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