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Troisième compte rendu de lecture. Le contact...


Groupe de lecture Maldiney

La dimension du contact au regard du vivant et de l’existant. (de l’esthétique-sensible à l’esthétique-artistique)

Compte-rendu N°3

Page 190 Cependant l’intouchable ne ferme pas le contact. Au contraire il le maintient ouvert et maintient, par là-même, la possibilité du soi. A condition de toutefois ne pas s’en laisser accroire par l’apparente réflexivité de cette épreuve. « SE toucher, SE voir, dit Merleau-Ponty, ce n’est pas se saisir comme ob-jet ; c’est être ouvert à soi, destiné à soi » . Ce n’est pas davantage donc « S’atteindre, c’est au contraire S’échapper, S’ignorer » . En quoi il y a toujours le SE. Le soi en question est d’écart.

Ça rejoint la question de l’entre (aïda) de Kimura Bin (« Ecrits de psychopathologie ») et la frontière contact en Gestalt-thérapie (GT). Il n’y a jamais une totale adéquation entre moi et moi. Je suis toujours tendu vers des possibles et dès que je me choisis une signification, elle est aussitôt mise en abîme : je suis reconduit vers ma possibilité suivante d’être et devenir moi-même. C’est en donnant une signification que je prends la mesure de l’écart entre moi et mes possibilités. Cela décrit un processus qui jamais ne s’arrête. C’est l’écart irréductible vivant – existant : l’étant que je suis toujours déjà et l’être que j’ai à être.

Page 190 Et c’est à vouloir supprimer l’écart que le masochiste est en échec de soi. Ce qui implique qu’il ne peut exister, que nous ne pouvons exister qu’en précession de nous-mêmes.

D’après ce que nous comprenons du texte de Maldiney, le masochiste veut être qui il sent et qui il touche. Pour lui, l’écart est intolérable (l’écart entre l’être qu’il a à être et celui qu’il est, cet existant), il veut jouir de lui comme il jouirait d’un objet qu’il posséderait entièrement. Précession : nous ne pouvons exister qu’en avant de nous même (cf. la marche d’avance de Heidegger, l’être-vers-la-mort). Cela nous évoque le next de la GT. "Here, now and next", c’est le "next" qui est important, c’est " vers lui" que nous travaillons beaucoup plus que "sur l’ici et maintenant". C’est le "vers où", le "en vue de quoi" ; c’est le "next" qui fonde la signification de ce qu’il y a eu lieu et qui conduit à la refonder sans cesse. Le "next" nous le définissons comme la possibilisation de soi. Cela rejoint la définition de la psychopathologie comme étant la difficulté à accueillir des possibilités nouvelles : Maldiney dit « songez à l’horreur d’être pu » de ne plus pouvoir être soi-même. L’avenir est la possibilité authentique :l’ouvert, l’inconnu de mon advenir, ce que Maldiney nomme transpossible.

Page 190 Et cela dès le contact. « L’intouchable, cet autre côté de l’être sensible, on ne peut dire qu’il y soit. Il y est d’une présence par investissement dans une autre dimensionnalité, d’une présence de double fond » dit encore Merleau-Ponty ; je dirai : d’une présence imprésentable. De cette présence seul l’homme est capable en tant que, au sens propre, il existe, qu’il a sa tenue hors. Mais n’est-ce pas outrepasser le domaine du contact que de faire appel ainsi au soi ? La réponse fait question. Quand Merleau-Ponty déclare : « la chair, le Leib, ce n’est pas une somme de se toucher, de sensations tactiles et de kinethèses, c’est un je peux » , il ne quitte pas la sphère du sentir, lequel précisément n’est pas une somme de sensations. "Présence imprésentable" : d’une praesens ( "en avant de soi"), c’est à dire qui ne peut jamais être totalement présentée, éclairée, visible. Il n’est pas possible de connaître l’humain pleinement, contrairement à un objet que je peux décrire totalement, de là où je le vois. Car en tant qu’humain, je suis toujours « pris avec » l’autre humain que je tente de connaître. il n’y a pas adéquation entre ce corps que j’ai et ce corps que je suis… Chaque sensation ouvre une nouvelle possibilité d’être : c’est-à-dire que ce n’est pas une accumulation de sensations déjà éprouvées mais la possibilité de sentir et de me sentir. Çela nous fait penser au "champ de conscience" et au déploiement du self en mode personnalité. Chaque situation déjà expérimentée devient possibilité pour s’ouvrir vers une nouvelle expérimentation de soi. Je ne peux pas dire que « ce que je suis » est l’ensemble des choses expérimentées, je suis toujours ouvert vers des possibilités d’expériences. Je peux élargir mes capacités de "signifier" mais "signifier" est toujours « rater » qui je suis, toujours reconduire cette question qui ne s’épuise pas dans une réponse. Sentir, c’est éprouver le "je peux", la possibilité ouverte de devenir mais pas l’effectivité. Il n’y a jamais d’adéquation entre qui je dis que je suis, qui je suis et qui j’ai à être.

Page 191 Le sentant, dit E. Straus, n’a pas des sensations, mais en tant qu’il sent, il s’a lui-même d’abord . Or cette formule, comme celle de Merleau-Ponty, dissimule une ambiguïté : s’applique-t-elle, en l’homme, au niveau du sentir lui-même, à l’existant ou au vivant ?

Est-ce que la sensation est le propre du vivant ou le propre de l’existant ? Grande question ! Question qui ouvre tout le débat entre une vision neuronale, neurologique, physiologique, de l’humain et une vision de l’humain en tant qu’existant, qui a toujours à « être vers ». Il nous semble que ça renvoie à la différence entre les thérapies cognitivo-comportementalistes et celles qui se réfèrent à une conception de l’humain qui ne le réduit pas à son corps physique et physiologique.le modèle physiologique ne suffit pas pour expliquer l’existence.

Page 191 Dans le sentir, moi et monde (c’est le sens originaire du contact) ont partie liée. Mais par où et comment ? La réponse de Straus est nette : par la vie, ou plutôt par le vivre. « Le sentir est le vivre d’un être-avec, qui se déploie en sujet et objet » Attention à la dernière expression ! « Dans le sentir se déploie en même temps, dit-il, le devenir du sujet et l’événement du monde : je ne deviens qu’en tant que quelque chose arrive et il n’arrive quelque chose, pour moi, qu’en tant que je deviens. Le maintenant du sentir n’appartient ni à l’objectivité ni à la subjectivité, il appartient aux deux ensemble. Dans le sentir se déploient, pour le vivant, en même temps moi et monde. Dans le sentir le vivant se vit soi et le monde, soi dans le monde, soi avec le monde » . Le contact, c’est moi et le monde (être-au-monde heideggerien), je suis toujours déjà au monde : simultanément, je suis vivant et j’existe, je m’éprouve avec. Le contact n’est pas la relation en ce sens qu’il n’est pas conscious. Il s’entend selon notre point de vue comme ouverture, awareness : un toujours être –auprès-de avant toute subjectivité mais augurant la subjectivation. Maldiney dit "le sentir se déploie pour le vivant en même temps moi et monde, les deux s’ouvrent en même temps". Heidegger dit que le Dasein est ouvreur de monde, il monde le monde. Le fait de « m’éprouver toujours au monde et de vivre avec » prendra la forme d’un rapport sujet-objet, par l’acte de l’élaboration d’une signification, par le déploiement du self en ses différentes modalités, pour nous, Gestalt-thérapeutes. Ce déploiement du self donnant forme ou Gestalt peu à peu : un je s’appropriant ou Gestaltung de soi. Maldiney insiste : dans le sujet se déploie en même temps le devenir du sujet et l’évènement du monde. Le monde est évènement pour un Je qui deviens et même ad-vient, c’est l’évènement de mon entrée en présence (le sol ne s’apparaît ainsi qu’au moment où j’y pose le pied).la Gestalt traduit la Gestaltung de soi. "Je ne deviens qu’en tant que quelque chose arrive et il n’arrive quelque chose, pour moi, qu’en tant que je deviens (p.191)" Très belle phrase qui parle pour nous thérapeutes, du processus de la thérapie. Cette phrase rompt avec l’idée de quelque chose de pré-constitué, d’un être inclus dans le monde ; c’est devenir-soi-même-au-monde en même temps. Ça rejoint, pour nous, la notion de situation en Gestalt-thérapie, situation que nous comprenons comme un effet de l’entrée en présence. Cela nous conduit à définir la situation comme la traduction langagière de l’entrée en présence.Par l’acte de la signification le contacter s’informe en situation (déploiement du self en ses divers modes). Entrant en présence, j’informe (je donne forme) une situation ( ou une gestalt dans notre jargon de gestalt-thérapeutes) : moi situé dans ce contexte là, tendu vers ma possibilité suivante. Le monde est alors à comprendre comme les significations qui s’ouvrent à moi à partir de ma présence survenante (cf. se spatialiser, se temporaliser) et non un lieu géographique.

Page 191 Ce « et », ce « dans », cet « avec » retiennent en eux, le retenant en son pli, le déploiement propre au sentir qui est, en réalité, étranger à toute distinction sujet-objet. Moi et monde n’y sont pas deux partenaires qui se font face. Le premier ne s’objecte pas le second dans une visée intentionnelle. Cette opération n’appartient qu’au percevoir, en rupture avec le sentir. Si le sentir est le vivre d’un être avec le monde, alors que veut dire monde, en quoi consiste la mondéité du monde qui se fait jour dans le sentir ? Straus a écrit cette phrase : « le sentir est au connaître ce que le cri est au mot » . Comment le sentir crie-t-il le monde ? C’est parce qu’il a porté cette question en lui que R. M. Rilke a pu écrire ce poème : « Les enfants déjà jouant en liberté crient à côté du cri véritable. Ils crient le hasard. Dans les entre-passes de l’espace du monde (là où le pur cri de l’oiseau se perd comme les hommes dans le rêve) ils enfoncent le coin de leurs voix criardes »

"Le premier ne s’objecte pas le second dans une visée intentionnelle" Le moi ne projette pas comme un ob-jet (posé devant).Ici nous comprenons que Le moi ne se jette pas le monde devant lui comme quelque chose qui lui est indépendant. Maldiney se distingue de la visée intentionnelle de la conscience (Husserl, Brentano) qui est un concept majeur notamment en Gestalt-thérapie. Brentano pose que la conscience a une propriété, qui est l’intentionnalité. Husserl dit autre chose. Il dit que la conscience est intentionnalité. Avoir conscience c’est viser un monde. Husserl reste dans l’idée de l’Ego Transcendantal, un Ego premier qui objecte le monde et qui vise le monde à travers les modalités de visée de sa conscience qui est intentionnalité. Ce sont les variations noético-noématiques ; je peux apercevoir cet objet sous la forme de souvenir, de sentir, de le voir,de l’imaginer etc. Quand je fais varier les modalités de la visée intentionnelle – je fais varier mes façons de percevoir un objet. Avec Husserl, on se centre sur l’objet et du coup on perd la notion qu’à cette occasion là, je me fais exister aussi. Nous sommes dans une conception de la perception qui est une modalité de la connaissance pour un sujet constitué comme intentionnalité. Le sentir n’est pas un mode de la connaissance et nous invite à penser la posssibilité pour un je d’advenir. Le sentir nous conduit à penser en amont de toute subjectivité a priori, il nous invite à ouvrir la question de la possibilité d’une subjectivation. A méditer : Le but du thérapeute n’est pas seulement de faire varier les modalités de la conscience (sinon on reste dans un contenu).En interpellant ce contenu narratif le Gestalt-thérapeute met en figure le processus de l’élaboration formelle traduisant la subjectivation en cours. Page 192 Du cri d’oiseau à celui de l’enfant il y a l’écart d’un détournement de la vie. « Car l’enfant déjà, comme dit la Huitième Elégie de Duino, nous le retournons et le forçons à regarder en arrière une configuration (Gestaltung) et non l’ouvert qui, dans les yeux de l’animal, est si profond ». Faire de la vie et de la phusis la dimension même de l’être n’est pas une exclusivité poétique. L’attestent au XXe siècle les philosophies de Bergson, Dilthey, Max Scheler. Mais l’exemple le plus révélateur, parce qu’il met en pleine lumière l’écart entre vivant et existant, est celui de Heidegger.

Cela fait penser à « la violence de l’interprétation » de Piera Aulagnié, évoquant la violence de la signification portée par la « mère » : c’est la mère qui signifie, symbolise et verbalise l’éprouvé de son enfant, qui lui donne des significations à introjecter. Exemple : "tu as faim "venant signifier cet agir là de l’enfant… Maldiney, utilise le mot Gestaltung pour configuration, alors que nous, nous utilisons Gestaltung pour définir l’entrée en présence. Cela peut sembler étonnant si nous oublions que c’est l’acte de configurer et soi-et-un-monde qui nous fait ex-ister en un monde commun partageable (le langage)…en ce sens entrer en présence c’est s’approprier cette forme de soi comme moi. L’enfant est baigné dans le langage utilisé par son entourage…il l’introjecte et peu à peu pourra se l’approprier. L’humain séjourne dans un monde de signification et c’est cela qui tisse l’évidence d’un monde quotidien que nous partageons avec d’autre. L’ouvert ou phusis au sens grec de jaillissement est sans forme…et renvoie nous semble t il au concept d’angoisse de Heidegger ; au transpassible et au transpossible de Maldiney.

Annexes

La conscience
- selon Brentano : Il y a une conscience préexistante qui a des propriétés dont l’intentionnalité.

- selon Husserl : La conscience est intentionnalité. Il y a une visée de monde liée à une conscience première, une conscience d’horizon. Connaitre c’est faire varier les modalités de la conscience, suspendre l’adhésion à une évidence naturelle.

- selon Heidegger : Il n’y a plus de conscience, il y a ouverture et Heidegger ne pose pas la question d’un sujet ou d’une conscience préexistante. Il ouvre la question de l’être et non celle du sujet humain.

Epochè et réduction phénoménologique : L’épochè a pour but de mettre de côté la question de savoir si le monde existe ou non en dehors de ma présence. L’époché, c’est choisir de ne pas répondre à cette question, c’est le choix d’Husserl : il choisit, par décision de rigueur et de méthode, de ne pas répondre à la question parce qu’il ne peut pas y répondre. Heidegger nous convie à ceci : c’est problématique de vouloir soit y répondre soit ne pas y répondre . J’assume cette question car elle ne peut faire que question. Heidegger écrit que l’être ne peut que s’oublier ; il ne s’agit pas de le trouver ni de se plaindre de ne pas le trouver, il s’agit d’assumer qu’il ne peut que s’oublier.il se retire à toute prise signifiante car pris il est et n’être plus… Sur ce sujet de la réduction, certains philosophes déclarent qu’elle est impossible. Dans la posture thérapeutique, "faire l’époché" nous semblerait relever d’une position de toute puissance, puisque le projet de Husserl est de revenir à la chose même, en son apparaître. Mais son apparaître est toujours lié à quelqu’un qui le vise,par où il le vise, donc je ne peux pas le mettre de côté mais bien plutôt assumer que je perçois toujours d’une certaine couleur. C’est assumer l’humilité que j’ai un point de vue et non pas prétendre ne pas en avoir, ce qui est un des dangers. Heidegger appelle cela "le parti pris d’y voir clair en conscience". Il y a un vrai danger d’illustrer la position phénoménologique en Gestalt-thérapie à partir de l’époché, car cela donne l’illusion que le thérapeute peut être neutre et objectif. Les travaux de Husserl sur la réduction nous permettent de ne pas perdre de vue que nous ne possédons qu’un aspect de la chose…et par là nous permet de suspendre l’évidence de notre point de vue, de le prendre en vue comme tel et par là de pouvoir l’altérer au grès du next de la rencontre thérapeutique.

Huitième Élégie de Duino

De tous ses yeux la créature voit l’Ouvert. Seuls nos yeux sont comme retournés et posés autour d’elle tels des pièges pour encercler sa libre issue. Ce qui est au-dehors nous ne le connaissons que par les yeux de l’animal. Car dès l’enfance on nous retourne et nous contraint à voir l’envers, les apparences, non l’ouvert, qui dans la vue de l’animal est si profond. Libre de mort. Nous qui ne voyons qu’elle, alors que l’animal libre est toujours au-delà de sa fin : il va vers Dieu ; et quand il marche, c’est dans l’éternité, comme coule une source.

Mais nous autres, jamais nous n’avons un seul jour le pur espace devant nous, où les fleurs s’ouvrent à l’infini. Toujours le monde, jamais le Nulle part sans le Non, la pureté insurveillée que l’on respire, que l’on sait infinie et jamais ne désire. Il arrive qu’enfant l’on s’y perde en silence, on vous secoue. Ou tel mourant devient cela. Car tout près de la mort on ne voit plus la mort mais au-delà, avec le grand regard de l’animal, peut-être. Les amants, n’était l’autre qui masque la vue, en sont tout proches et s’étonnent... Il se fait comme par mégarde, pour chacun, une ouverture derrière l’autre... Mais l’autre, on ne peut le franchir, et il redevient monde. Toujours tournés vers le créé nous ne voyons en lui que le reflet de cette liberté par nous-même assombri. A moins qu’un animal, muet, levant les yeux, calmement nous transperce. Ce qu’on nomme destin, c’est cela : être en face, rien d’autre que cela, et à jamais en face.

S’il y avait chez l’animal plein d’assurance qui vient à nous dans l’autre sens une conscience analogue à la nôtre –, il nous ferait alors rebrousser chemin et le suivre. Mais son être est pour lui infini, sans frein, sans un regard sur son état, pur, aussi pur que sa vision. Car là où nous voyons l’avenir, il voit tout et se voit dans le Tout, et guéri pour toujours.

Et pourtant dans l’animal chaud et vigilant sont le poids, le souci d’une immense tristesse. Car en lui comme en nous reste gravé sans cesse ce qui souvent nous écrase, – le souvenir, comme si une fois déjà ce vers quoi nous tendons avait été plus proche, plus fidèle et son abord d’une infinie douceur. Ici tout est distance, qui là-bas était souffle. Après cette première patrie, l’autre lui semble équivoque et venteuse.

Oh ! bienheureuse la petite créature qui toujours reste dans le sein dont elle est née ; bonheur du moucheron qui au-dedans de lui, même à ses noces, saute encore : car le sein est tout. Et vois l’oiseau, dans sa demi-sécurité : d’origine il sait presque l’une et l’autre chose, comme s’il était l’âme d’un Etrusque issue d’un mort qui fut reçu dans un espace, mais avec le gisant en guise de couvercle. Et comme il est troublé, celui qui, né d’un sein, doit se mettre à voler !. Comme effrayé de soi, il sillonne le ciel ainsi que la fêlure à travers une tasse, ou la chauve-souris qui de sa trace raie le soir en porcelaine.

Et nous : spectateurs, en tous temps, en tous lieux, tournés vers tout cela, jamais vers le large ! Débordés. Nous mettons de l’ordre. Tout s’écroule. Nous remettons de l’ordre et nous-mêmes croulons.

Qui nous a si bien retournés que de la sorte nous soyons, quoi que nous fassions, dans l’attitude du départ ? Tel celui qui, s’en allant, fait halte sur le dernier coteau d’où sa vallée entière s’offre une fois encor, se retourne et s’attarde, tels nous vivons en prenant congé sans cesse

Rainer Maria Rilke traduite par François-René Daillie - collection de poche Orphée-La Différence