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CR N°2 "d’un entretien de la parole"P88-90


Compte-rendu n°2 « D’un entretien de la parole » Heidegger. Corinne Simon, Frédérique Remaud, Marie Christine Chartier, Edith Blanquet. Janv 2018

« J. – Face à l’industrialisation technique de toutes les parties du monde, il semble bien qu’il n’y ait plus ici aucun moyen d’esquive. D. – Vos paroles sont prudentes ; vous dites : il semble… J. – Sans doute. Car toujours demeure une possibilité, celle que – vu depuis notre manière d’être asiatique – le monde technique qui nous pris dans son arrachement ne puisse pas aller plus loin qu’au premier plan et… que… D. - … de ce fait une véritable rencontre avec la manière d’être de l’Europe n’ait pourtant pas lieu, malgré toutes les tentatives de s’y égaler et de s’y confondre. » p88 Dans un premier temps, il faut entendre la géographie : on est sur la confrontation de l’Europe et de l’orient, l’orient et l’occident. Le japonais dit que l’industrie ne concerne pas que l’Europe puisqu’elle est mondiale. A l’ère de la mondialisation peut-on encore penser en terme d’orient et d’occident ou est-ce qu’il se produit un nivellement (orient et occident ne faisant plus sens dans cette idée de mondialisation) ? le danger étant là !

« Le monde technique qui nous a pris dans son arrachement » Cela évoque le déracinement… on est déraciné, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de patrie, de chez soi et de lieu où il y a de le différence. Cela produit une espèce de nivellement où la pensée dite technique gouverne le monde, et plus ce qui est propre à chaque culture, à chaque habitation.

« Ne puisse pas aller plus loin qu’au premier plan » Le propre de la technique c’est « je prends – je fais », je ne me pose pas la question en vue de quoi, en vue de qui et au nom de quoi ?. Comme par exemple manger bio… on ne s’arrête pas à la démarche de consommer bio c’est à dire une manière de préserver la planète, les humains, à un égard…il faut tout un travail pour approcher cela, le bio peut devenir un concept, un phénomène d’opinion plus qu’une invitation à méditer nos actes.

« De ce fait une véritable rencontre avec la manière d’être de l’Europe n’ait pourtant pas lieu, malgré toutes les tentatives de s’y égaler et de s’y confondre. » Ne pas prendre en vue les principes qui président à un comportement…que l’on puisse se comporter d’une manière juste pratique et qu’il n’y aurait pas de conséquences éthiques. Il n’y a pas de pensée… une forme de dévalement qui est propre à l’ère technique c’est-à-dire une accélération, l’équivoque, le bavardage, la curiosité qui sont caractères de la parole quotidienne, si on le regarde à partir de l’être humain comme Dasein. « C’est comme ça ! », ça ne s’arrête pas pour dire « ah oui tiens ! On pourrait l’envisager autrement » et qu’est-ce que ça pourrait être ? Aussitôt vient : c’est « c’est comme ça ! Pas le temps, pas envie de me prendre la tête ! » Il n’y a plus l’espace pour penser. Si nous sommes dans la mondialisation, cela amène à considérer que tout est à peu près pareil. on le voit par exemple en ce qui concerne la conception des villes du monde où il y a un cœur de ville avec les enseignes des grandes chaînes… C&A, Chanel etc… qui sont devenues des enseignes mondiales. Pour qu’une véritable rencontre puisse avoir lieu, il faut qu’il y ait écart et singularité, nuances… pour que l’on puisse être appelé à penser. Il faut que ça nous arrête et que ça nous invite à prendre conscience de ce qui va de soi pour nous, de cet oubli d’être qui nous jette vers l’ensuite. François Cheng dit que c’est lorsque nous allons en orient que nous prenons conscience de l’occident. L’idée du « pas chez soi » nous ramène à prendre conscience de ce qui est notre « chez nous ». Pour qu’il y ait une véritable rencontre, il nous faut peut-être reprendre la mesure de « qu’est-ce-que ça veut dire la parole ? » ou plutôt, « qu’est-ce-que ça veut nous dire la parole ? »

« J. – Peut-être même ne puisse pas du tout avoir lieu. D. – Nous est-il permis d’affirmer cela de façon si inconditionnelle ? J. – Je suis bien le dernier à l’oser. Comment serais-je sans cela venu en Allemagne ? Mais je vois sans cesse réapparaître le péril dont, apparemment, le comte Kuki lui-même n’est pas arrivé à se rendre maître. D. – De quel péril parlez-vous ? J. – Du péril que, par la richesse conceptuelle que l’esprit des langues européennes tient disponible, nous nous laissions induire à rabaisser ce qui s’adresse à notre manière d’être en la requérant – à le rabaisser au rang de l’indéterminé et de l’insaisissable. » p89 Ici s’affirme dans un premier temps un niveau de parole qui se laisse parler et qui dit que peut-être la rencontre n’est pas possible ou qu’elle n’aurait pas lieu du tout… un jet…une parole qui dépasse et qui va jusqu’à une assertion. Vient que s’il pensait cela, il ne serait pas venu en Allemagne… que s’il y vient c’est pour faire l’épreuve de l’étranger avec l’idée d’y trouver quelque chose. Il parle « du péril », « du péril que, par la richesse conceptuelle que l’esprit des langues européennes tient disponible, nous nous laissions induire… » Disponible comme quelque chose qui est bon pour notre usage et qui serait là, de fait, devant nous. De ce fait là, on se laisserait induire c’est-à-dire, prendre dans cette idée que ce qui s’adresse à nous, s’adresse à partir de notre manière d’être et pas dans son étrangeté. Que l’on voit dans le monde des outils et pas des choses qui nous arrêtent… que les choses, on s’en sert ! « à rabaisser ce qui s’adresse à notre manière d’être en la requérant… » Requérir : (Littré) quérir une seconde …demander à nouveau. Il y a le premier mouvement d’y aller et en la sommant d’être comme cela, on la rabaisse au rang de l’indéterminé et de l’insaisissable, c’est-à-dire, qu’on la voit comme quelque chose qui en soi n’a pas de teneur mais qui est là juste pour nous. On ne s’y arrête pas comme quelque chose qui pourrait nous donner à entendre et à penser. On le prend comme quelque chose où l’on somme par exemple d’être des chaises…du bois pour bricoler. La chose en soi n’a pas de valeur dans un tel regard ou, n’a de valeur qu’à partir de nous, de la façon dont on la requiert et s’en assure. Du coup, ce qui n’est pas déterminé à partir de nous est posé comme insaisissable… les choses n’ont de sens qu’à partir d’un usage… on ne s’incline pas devant un arbre !… un arbre, c’est, dans un parc que l’on aménage ou un arbre fruitier ou un arbre que l’on abat parce qu’il gêne la vue ou qu’il faut chauffer la maison…la place du mystère devant lequel on s’incline n’est plus considérée.

«  Du péril que, par la richesse conceptuelle que l’esprit des langues tient disponible… » On a beaucoup de mots pour dire, pour conceptualiser, maîtriser les choses, les avoir conçues. On se laisserait induire par cette richesse là…on est conduit par cela, on y est pris dedans. Induit : duit dedans. On rabaisse ce qui s’adresse à notre manière en la requérant…quelque chose s’adresse à nous, quelque chose nous invite à prendre la mesure d’une manière d’être…un égard qui nous invite au silence et à l’ouverture. Et notre manière de nous rabaisser, c’est de requérir la chose qui est là pour nous servir et pour se plier à notre besoin… cela rabaisse au rang de l’indéterminé et de l’insaisissable quelque chose qui est là de soi-même. Comme c’est indéterminé et insaisissable, ça ne m’arrête pas, j’en fait ce que j’en veux , je passe à autre chose. Ce qui est indéterminé et insaisissable c’est « rien », ça n’a pas de valeur... « on ne va pas se prendre la tête », « prends et fais ! » et comme on dit : « après moi le déluge ». Cela veut dire, que je ne réfléchis pas aux conséquences de quoi que ce soit que je fais. Poser ce qui est là comme disponible, c’est déjà l’avoir pris dans la technique, on est déjà induit en le regardant comme disponible. C’est la richesse conceptuelle européenne qui fait que le monde paraît comme disponible… a priori on est d’abord induit/pris dans ça. De prime abord et le plus souvent c’est par là que je suis disposé. D’emblée nous sommes induit, on est duit dans cela, avec un monde qui est disponible et dont je dispose. En exemple, le thème de la recherche : ça ne s’arrête pas à penser quel est l’objet étant disponible sur lequel nous devons penser et quelle est la manière de l’approcher la plus conforme ? ça l’approche d’emblée, c’est induit d’emblée dans la démarche , le protocole scientifique avec des groupes d’évaluation par exemple. On ne s’arrête pas sur cet objet… comment il nous appelle ? On le requiert sous cette forme-là qui n’est pas une obligation puisqu’on peut le penser autrement… c’est une possibilité/une manière, pas la seule et cela nous ne nous y arrêtons pas. On ne s’arrête pas pour se demander si ce qui est dans le monde aurait une autre dimension que celle d’être disponible. Du coup, c’est indéterminé (nous avons conclu hâtivement ?), on ne cherche pas autre chose… c’est pas mystérieux, c’est indéterminé, c’est pas digne d’être considéré ! C’est une posture eu égard à cela et il s’agit de le mesurer pour éviter les contre sens, du genre comprendre la pensée d’Heidegger comme un refus de la technique alors que ce n’est pas cela. Il s’agit de penser la portée et la limite de chaque manière de faire/voir, chaque chemin et de savoir à certains moments sursoir… lorsque je répare une voiture j’utilise la mécanique plutôt que la poésie, c’est plus pertinent ! Lorsque je vais consulter mon médecin, je m’attends à ce qu’il m’examine plutôt qu’il me caresse, d’évidence cette ouverture n’est pas requise pour moi à cet endroit.

« D. - Pourtant, un bien plus grand péril menace. Il nous concerne tous deux ; et il est d’autant plus menaçant qu’il demeure plus en retrait. J. – Comment cela ? D. – Le péril menace depuis une contrée où nous ne le soupçonnons pas, mais où pourtant il nous faudrait précisément en faire l’épreuve. J. – Ainsi, vous avez déjà fait l’épreuve de ce péril ; sinon vous ne pourriez pas attirer l’attention sur lui. D. – Il s’en faut de beaucoup que le l’aie éprouvé dans toute son ampleur ; mais je l’ai pressenti, et justement dans les entretiens avec le conte Kuki. » p89

Un bien plus grand péril, c’est-à-dire au-delà de ce que l’on a dit sur le fait de ne pas s’arrêter pour penser la dimension technique, sa portée et sa limite. Il y a quelque chose de beaucoup plus périlleux et qui est présent là déjà dans toute rencontre quel que soit l’humain… il n’y a pas d’humain qui serait indemne de ce péril… personne n’est exempt de cela. Et du coup, il est encore plus en retrait, plus difficile à prendre en vue, encore plus comme une évidence. «  Le péril menace depuis une contrée où nous ne le soupçonnons pas » Qu’est-ce que c’est « une contrée » ? Qu’est-ce que c’est « un lieu » ? Quelque chose qui ne s’arrêterait pas à un lieu géographique mais qui aurait à voir avec quelque chose d’être humain, qu’on ne soupçonnerait pas et qui donc nous échapperait même en toute bonne volonté de savoir… quelque chose qu’on ne peut pas décider mais, « où pourtant il nous faudrait précisément en faire l’épreuve. » Une épreuve qu’on ne fait pas forcément ou qu’on ne mesure pas, donc quelque chose qui nous éprouve à notre insu, où nous ne serions pas maître de nous-mêmes et qui est pourtant là tout près, contre/contrée. Quelque chose qui nous éprouve et qu’on devrait mettre en œuvre pour l’éprouver… quelque chose qui nous dépasse et qui requiert une forme de démarche. Cela évoque Freud et la dernière révolution copernicienne : la terre n’est pas l’unique monde – la terre n’est pas le centre du monde et nous ne sommes pas maître de nous-mêmes. Nous ne sommes pas les seuls au monde ni maîtres d’une planète, ni le centre des planètes, ni le centre de nous-mêmes mais nous sommes gouvernés par l’inconscient/ par une échappée. Ce qui était une manière de dire quelque chose qui nous remet à une place toute petite. Avant Freud, on était à l’âge de raison, le siècle des lumières et de l’égo où on maîtrise et où il n’y a plus de Dieu. Freud dit que peut- être il n’y a plus Dieu, mais que la raison n’est qu’une toute petite partie de l’iceberg… qu’il faut voir la conscience humaine comme un iceberg dont la majeure partie est hors de notre volonté. « Il s’en faut de beaucoup que je l’aie éprouvé dans toute son ampleur ; mais je l’aie pressenti » Il dit qu’il n’en a pas fait l’épreuve entièrement, il y a quelque chose qui l’a frôlé … il met une nuance. Si je l’aie circonscrit, ça n’est plus un péril. il s’agit ici d’un pressentiment, que l’on ne peut jamais rendre familier, une récalcitrance, insaisissable. L’angoisse existentiale, jamais ne peut être maîtrisée… aussitôt elle devient « rien » lorsqu’elle se transforme en peur… on pressant que ça nous frôle de ses ailes… ça disparait mais c’est jamais terminé, nous savons bien qu’on en a jamais fini avec ça, qu’on est jamais garanti contre ça. C’est l’étrangeté absolue, on ne peut rien affirmer… jamais dire « fontaine je ne boirai pas de ton eau », le savoir humain est de l’ordre de la foi et non de la certitude, dans le sens où on en a jamais fait le tour. Donc là, ce que l’on croyait avoir compris du péril autour de la dimension technique, se décale puisqu’il parle de quelque chose où personne ne peut dire.

« J. – En avez-vous parlé avec lui ? D. – Non. Le péril surgissait de lui-même dans les entretiens, pour autant qu’ils étaient des entretiens. J. – Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. D. – Nos entretiens n’étaient pas des discussions académiques, préparées et organisées. Quand quelque chose de tel semblait avoir lieu, par exemple dans le travail des séminaires, le comte Kuki restait silencieux. Les entretiens auxquels je fais allusion se déroulaient comme un libre jeu, chez nous ; le comte Kuki y venait même parfois avec sa femme qui portait alors la toilette japonaise d’apparat. Par là, le monde extrême-oriental resplendissait plus vivement, et le péril de nos entretiens se donnait à voir plus distinctement. J. – Je ne comprends toujours pas ce que vous voulez dire. » p89 Il faut faire le rapport entretiens/discussions académiques. Que veut dire « s’entretenir » ? Se tenir entre… se trouver à un endroit pour y trouver tenue. S’entretenir n’est pas juste parler… il est bien question d’une tenue et de quelque chose entre… de quelque chose qui appelle à tout d’un coup dire : « que veut dire entre ? » Entretenir : le Littré : entre et tenir… maintenir dans le même état, rendre durable… être tenu, être assujetti réciproquement. Il est question d’un mode de rencontre, de relation ou de parole qui n’est pas de l’ordre d’une discussion académique, préparée, organisée. Ce n’est pas un exposé ou une démarche ou l’on s’appuie sur les catégories habituelles de la pensée, des syllogismes ou des règles pour dire, préalablement définies. « Les entretiens auxquels je fais allusion se déroulaient comme un libre jeu, chez nous » C’est quelque chose qui se fait hors des postures et des rôles, hors de ce qui est convenu et d’avance décidé. C’est un mouvement libre, une manière d’être qui laisse ouvert et où la toilette japonaise d’apparat fait arrêt encore plus… comme quelque chose qui nous met en vertige… un arrêt qui nous expose à l’étrangeté… «  le péril de nos entretiens se donnaient à voir plus distinctement » Le péril, c’est être exposé au risque de… devant quelqu’un apprêté de cette manière, on ne peut pas se comporter comme habituellement.

« D. – Le péril de nos entretiens se dissimulait dans la langue même ; non pas dans ce dont nous nous entretenions, pas plus que dans la manière dont nous tentions de le faire. » p90 Donc, ça ne concerne pas la langue et ce n’est pas lié au sujet, au thème dont nous pourrions parlé : de quoi, ni de qui parle, ni la manière de parler.

« J. – Pourtant le comte Kuki dominait extraordinairement bien la langue allemande, tout comme le français et l’anglais. D. – Assurément. Lui, il savait dire en langue européenne ce qui était en question. Nous tentions de situer ce que vous nommez Iki ; mais là, c’est à moi que l’esprit de la langue japonaise demeurait fermé ; aujourd’hui encore il le reste. » p90 Ce n’est pas le sujet et ce n’est pas la manière, ce n’est pas lié à la maîtrise de la langue. Le sujet était tenter de situer Iki, « Mais là, c’est à moi que l’esprit de la langue japonaise demeurait fermé. » Ce n’est pas la langue dans le sens de transposer mais c’est de quoi il en retourne avec la langue japonaise qui n’est pas de même qu’avec la langue française ou allemande. Il y a quelque chose qui échappe et qui est subtil, qui n’est pas juste traduire. Par exemple « Stimmung » n’est pas traduisible… comme s’il y a quelque chose d’une saveur propre à « Stimmung » et qu’on ne peut pas traduire… un esprit/subtil/essence qui échappe. L’esprit de la langue n’a pas à voir avec la manière de parler, il ne s’agit pas de qui parle ni de quoi on parle. L’esprit de la langue n’a pas à voir avec quelque sujet que ce soit. Que l’on parle de tasses à café ou de la taille des arbres, quelque chose me saisit qui a à voir avec l’esprit de la langue qui n’est pas notre esprit à nous…c’est au-delà de ça et il faut garder ce mystère. Donc, parler japonais n’est pas une manière de parler la langue, c’est au-delà de ça… comme parler indien, ou français ou patois. Il y a quelque chose de la langue qui nous est donné à entendre et que l’on ne peut pas dire, que l’on ne peut pas traduire, que l’on ne peut pas saisir.


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