www.edithblanquet.org
Accueil du site > Enseignements de Gestalt-Thérapie et phénoménologie, de Daseinsanalyse > Activités de recherche au sein de l’EGTP > 1.4.5 Traduction de textes de Médard Boss > Monde de la pulsion et personnalisation.

Monde de la pulsion et personnalisation.

Traduction de "Triebwelt und Personalisation" Médard Boss (P151 à172 "Von der Spannweite der Seele"


Monde de la pulsion et personnalisation. Médard Boss texte traduit du livre "Von des Spamweite der Zeele" p 152 à 172. Groupe de traduction EGTP : Edith Blanquet, Barbara Minkus, Magali Bareil et Françoise Plattret.

Introduction

Les deux concepts du titre : "monde de la pulsion et personnalisation" forment probablement le plus grand écart qui nous est donné, par les psychologies et les anthropologies actuelles, pour comprendre l’essence de l’homme dans sa totalité. Malgré cela, nous pourrions nous rendre coupables d’une négligence inexcusable, si nous entendions sans l’écouter l’avertissement que Martin Heidegger, un des plus grands penseurs de notre siècle, avait déjà simplement formulé en 1938 à l’encontre de l’anthropologie. Dans son article « l’époque des représentations du monde » il ajoute la remarque : « l’anthropologie est une interprétation de l’homme, qui sait déjà au fond ce qu’est l’homme, et qui, de ce fait, ne peut jamais questionner quant à qui il serait. Ainsi avec cette question, l’anthropologie devrait se reconnaître elle-même en tant que déstabilisée et dépassée. Comment peut-il être exigé cela de l’anthropologie, là où elle a pourtant et seulement à assurer après-coup la certitude de lui-même du subjectum ? » (Heidegger, « Chemins qui mènent nulle part. Le temps des représentations du monde » 1950, p103, commentaire 10). Ebranlé par cette critique acerbe, celui qui a affaire avec l’homme, de n’importe quelle manière, scientifique ou thérapeutique, se trouve contraint à une nouvelle façon essentielle de penser les dispositions d’être de l’homme. Mais aussitôt que l’on entreprend une pensée fondamentale sur ce sujet, les preuves s’accumulent que les concepts anthropologiques de notre titre s’avèrent trop courts. C’est pour cela qu’aucun chercheur sérieux ne parvient à éviter une nouvelle réflexion ni sur le concept du monde de la pulsion ni aussi sur celui de la personnalisation, pas plus que sur le concept de la personne même, ni non plus sur la relation entre pulsion et personne. (p152)

I « La pulsion » dans la théorie de Sigmund Freud.

1 Remarque préliminaire concernant le langage. Concernant le premier pôle de l’association conceptuelle de pulsion et de monde de notre titre, ces deux parties nous mettent face à plusieurs énigmes. Sous l’appellation « monde » on comprend habituellement la somme de tout ce qui nous est donné là-devant. Mais de cette manière nous ne pouvons pas comprendre le « monde » dans notre contexte. Il y a analogie entre un monde de la pulsion et aussi un monde de l’homme et un monde de l’animal. Mais déjà parler d’un monde de plantes requiert quelques efforts. Le titre d’un monde de pierre parait quasiment impossible. Par contre plus facilement notre langage se prête à une frappe du genre « le monde des minéralogistes » ou « le monde des mathématiciens ». L’un se tient en relation avec le domaine dont s’occupe le minéralogiste, l’autre avec celui sur lequel travaille un mathématicien dans sa profession. De cela s’éclaire qu’une association avec « monde » ne sera seulement alors possible que là où une essence entre en jeu, laquelle se tient dans une relation perceptive et active, répondant à un domaine de données qui se tient là-devant ; tout autrement donc que la manière dont des choses sans vie se tiennent là-devant. De même les « pulsions » sont comprises dans le concept d’un « monde des pulsions » comme des sortes d’êtres vivants. Comment autrement pourraient-elles « occuper » des objets en dehors d’elles mêmes, comment pourraient-elles être imaginées autrement que comme des essences qui peuvent voir d’une manière ou d’une autre. Ne pourraient-elles pas en quelque manière « voir et percevoir » des significations particulières, si elles ne savaient pas déjà vers où elles devraient se tourner pour parvenir à leur objectif et leur satisfaction. Mais fatalement personne n’a jamais vu une « pulsion » de cette sorte dans l’essence de l’homme. Aussi peu probable que n’importe qui pourrait dire comment une « pulsion » c’est-à-dire une quantité d’énergie originaire aveugle pourrait de manière inopinée recevoir « des yeux ». La « pulsion » est peut-être un concept qui depuis l’invention de la métapsychologie psychanalytique par Freud est devenu un maître mot des connaissances humaines modernes. (p153) Ce concept de « pulsion » ne serait-il rien d’autre qu’une chose que l’on peut rencontrer purement et simplement sous forme d’une représentation et conclusion dans la manière de penser des psychologues et anthropologues ? Cette « pulsion » ne pourrait-elle correspondre en aucune façon à quelque chose de l’essence de l’homme que l’on pourrait y trouver de manière factice ? De l’aveu même de Freud cette supposition est renforcée. En effet Freud lui-même désignait les pulsions comme des « essences mythiques, grandioses dans leur indétermination ». Dans l’ensemble de son enseignement (Trieblehre) sur la pulsion, il parle même de la mythologie de la psychanalyse (Freud Nouvelles suites des cours d’université sur l’introduction à la psychanalyse, œuvres complètes 15 « Londres 1940 » p101). Une base étonnamment floue pour une science dont le créateur Freud a tenté d’élaborer une forme la plus déterminée possible et conforme aux sciences de la nature. En dépit de cela Freud croyait : « à aucun moment dans notre travail nous ne pouvons prendre de recul quant à elles (les pulsions) et en même temps nous ne sommes jamais sûr de pouvoir les voir d’une manière acérée » (Freud ibid). Par contre cette supposition de Freud n’est pas fondamentalement valable pour chaque connaissance humaine. Ainsi avant lui de nombreux anthropologues pouvaient prendre une distance par rapport aux pulsions. De fait, jusqu’au début de l’époque industrielle moderne, l’ensemble des penseurs de la langue allemande pouvaient se passer de cette représentation de la pulsion. Même quand, au 16ème siècle, le mot de la langue allemande moderne soutenue « Trieb » (instinct, penchant, tendance) commence à remplacer le mot du vieil allemand « Trift » (dérive, courant), « Trieb » n’avait pas encore pris la forme intrapsychique de la psychologie moderne. « Trieb » est le substantif du verbe « treiben » (être poussé, aller à la dérive, flotter, pousser, être en végétation, germer), mais ce « treiben » était surtout en lien avec la bête ou le gibier qui était rabattu par les hommes ou dans le sens aller à la dérive, se laisser porter par les courants. C’est seulement au 17ème qu’apparaît dans la description de l’essence de l’homme l’expression de « Trieben » (pulsions). Mais ce mot ne prend pas encore la signification pulsionnelle intérieure d’une psyché humaine. Au contraire il signifie la « stimulation » ou « l’attrait », exercé par quelque chose provenant de l’entour et du monde ambiant extérieur d’un humain. Le dictionnaire Grimm prouve ce fait en prenant entre autres l’exemple impressionnant d’un vers d’Agrippine de 1685 concernant les femmes : « l’infidélité conduit le cou, le giron, et le mont de Vénus à perdre tous leurs attraits » (Grimm Dictionnaire Tome 2 p.434 suite). « Trieb » également compris en tant que force d’attraction en lien avec un homme du monde extérieur et en aucune façon pris comme impulsion,(p.154) laquelle transporte un sujet ou un Moi de l’arrière ou de son for intérieur dans n’importe quelle direction – comme un joueur de billard pousse une boule –. D’abord, quand l’époque industrielle prît de plus en plus d’essor, il arriva cela, ce qui s’est toujours produit dans l’histoire. L’homme commença à se comprendre lui-même d’une manière analogue à celle dont il avait appris à connaître les choses autour de lui. Dans un monde ambiant humain de plus en plus rempli de machines, apparu un nombre infini de mots composé à partir de « Trieb » : Triebrad (roue d’entraînement, roulement à billes), Triebfeder (ressort), Triebachse (pivot), Triebmotor (moteur à propulsion), Treibstoff (carburant) etc... Qu’aurait-il pu arriver d’autre à Freud, que dans sa représentation du monde, l’homme soit devenu aussi « un appareil », « un appareil psychique » qui soit mis en mouvement et maintenu ainsi par des forces pulsionnelles intrapsychiques ? Certainement s’ajoute à cela que l’invention de Freud d’une pulsion humaine et d’un appareil psychique s’accordait beaucoup plus facilement à une méthode de pensée conforme aux sciences de la nature.

2- Une représentation pulsionnelle conforme aux sciences de la nature. De manière singulière, Freud vit les pulsions comme des processus organiques qui proviennent des zones érogènes du corps humain. Elles furent pour lui les premières « représentations » du corporel à l’intérieur de la sphère de la psyche. Elles acquirent ainsi leur rang de « proprement » psychique. Freud refusa d’attribuer l’origine "psychique" à tout autre phénomène de l’existence humaine et il les dégrada tous, sans exception, comme formation réactionnelle ou sublimation du pulsionnel. Par-dessus tout, la force pulsionnelle et la corporéité devinrent pour Freud la seule et unique réalité de l’homme. Mais Freud nous laissa complètement dans l’ombre, quant à la façon dont cette représentation de soi comme un processus corporel énergétique-matériel puisse trouver sa place dans le domaine psychique. Et par-dessus tout, il nous laissa également dans l’ombre quant à la possibilité même d’envisager une telle représentation. Pas plus qu’il ne nous éclaira quant au changement réactif et sublimé (p155) des pulsions soit-disant présentes dans tout autre phénomène possible de l’exister humain. Que les « pulsions » puissent « voir » pour « occuper » et trouver leur object pulsionnel hors du monde, Freud le tenait tellement pour évident, qu’il ne s’inquiéta jamais de la façon dont s’effectue le rapport entre n’importe quelle relation de perception, originairement dans un monde extérieur distinct, et, la représentation mentale qui se trouve à l’intérieur d’un appareil psychique représenté comme un objet encapsulé. L’ajout propre de Freud d’une « compréhension dynamique » en vue d’une représentation originaire seulement « topique » du psychisme ne changea fondamentalement rien à cette énigme insoluble concernant l’objectivation de l’être humain lui-même. De même la psychologie du moi élaborée ultérieurement par la psychanalyse n’annule pas l’objectivation d’une structure psychique capsulaire et sa séparation primaire d’un monde extérieur. Nous sommes redevables à Ludwig Binswanger pour sa critique sans égal du manque de perspicacité de Freud quant à sa compréhension de l’homme. Dans son livre intitulé « Freud et sa conception de l’homme à la lumière de l’anthropologie », il lui reprocha avec force détails de s’être contenté d’une image de l’Homo natura et de n’avoir pas pris en compte l’humanitas de l’homme. A vrai dire, la quête de l’Humanitas de l’homme avait déjà commencé longtemps avant Freud et sa critique par Binswanger. II - Transformation du concept de pulsion

1-Le concept de pulsion chez l’animal-rationale. Le premier « humanisme » occidental est initialement romain. Il provient de la rencontre des romains avec la culture grecque tardive. La destination fondamentale de l’homme atteint son apogée ici avec le concept de l’animal-rationale. Toutes les manifestations tardives de l’humanisme s’appuient aussi sur ce fondement, même si elles se différencient de nombreuses façons du romain ancien (p156) et cela dépend de la façon dont elles comprirent la « liberté » de l’homme. Par exemple, l’humanisme de Marx n’a pas besoin de ce retour antique, tout comme le concept d’existentialisme de Sartre. Mais tout humanisme qui semble élargir la compréhension freudienne de l’homme garde fidèlement comme point de départ le concept d’animalité, comme Freud lui-même l’a fait pour penser la destination fondamentale de l’essence de l’homme, malgré le fait qu’il lui adjoigne quelque chose qu’il nomme comme rationnel. C’est ainsi qu’on persiste à ne pas voir qu’avec « animal » une interprétation de « la vie » est déjà posée. Un tel présupposé entraîne nécessairement aussi une interprétation de l’étant en tant que zoon, physis, au sein desquels le vivant apparaît. Fort de tout cela et avant quoique ce soit d’autre, il reste finalement à demander si par-dessus tout l’essence de l’homme, telle qu’elle est aussi décidée dès son commencement et pour tout ce qui suivra, demeure dans la dimension de l’animalitas. « Sommes-nous par-dessus tout sur la bonne voie vers l’essence de l’homme, lorsque, et aussi longtemps que nous limitons l’homme comme un être vivant parmi d’autres tels que plante, animal et Dieu ? On peut procéder ainsi, on peut appliquer cela à l’homme de telle manière qu’il soit considéré comme un étant parmi d’autres étants. En procédant ainsi, on pourrait toujours tenir des propos justes sur l’homme. Mais on doit aussi être au clair avec le fait que l’homme reste définitivement cantonné dans le domaine d’essence de l’animalitas, même si on ne le met pas au même endroit que l’animal, et même si on lui reconnaît une différence spécifique. On pense toujours selon le principe de l’homo animalis même si anima comme animus sive mens (l’âme en tant qu’animal capable de penser) sera plus tard posée comme Sujet, comme personne, comme esprit. Cette manière de poser est celle de la métaphysique. Mais de ce fait, on ne prend pas en compte l’essence de l’homme et on ne pense pas son origine, laquelle origine essentielle (Wesenherkunft) demeure toujours, pour l’histoire de l’humanité « geschichtliche », avenir essentiel (Wesenzukunft). La métaphysique pense l’homme à partir de l’animalitas et elle ne le pense pas vers son humanitas » (Heidegger 1947). Page 157

2 Le concept de pulsion dans la psychologie des profondeurs. Ce que Heidegger reproche à différents moments de la philosophie humaniste, est aussi valable pour les essais de personnification qui ont débuté après Freud dans la psychologie la plus récente parmi les anthropologies médicales. A cet usage, les psychanalystes F. Alexander et K. Horney ont par exemple mis en quelque sorte la représentation imaginaire freudienne de l’appareil psychique sens dessus dessous. Ils soulignaient que le comportement humain n’est jamais compris à partir de quelques pulsions particulières ou partielles. Plutôt toute motion pulsionnelle pourrait être comprise toujours à partir de la personnalité dans son ensemble bien que celle-ci lui reste toujours soumise. Ultérieurement et dès son commencement, la psychologie du Moi américaine, d’orientation psychanalytique, était essentiellement plus orientée vers les relations environnementales, inter-humaines et sociales, que ne le fut la psychologie des profondeurs européenne. L’attention de Freud était et demeura principalement absorbée par l’hypothèse des structures et mécanismes intrapsychiques. Particulièrement Sullivan et ses étudiants ont rapidement porté l’attention de Freud sur le fait que l’homme vit toujours déjà originellement dans un espace interhumain. L’homme existe primairement dans les relations intersubjectives. Même par delà les scissions au sein des écoles psychanalytiques américaines, les théoriciens de la globalité ou « holistes » finirent par avoir une importance décisive parmi les psychologues. Nous lisons par exemple chez l’un de leur représentant le plus marquant : « La mission de la psychologie personnaliste aspire à réécrire la science de la vie spirituelle humaine et à l’orienter vers cette centration personnelle. Car la personne est le créateur, le porteur et le régulateur de tous processus et états psychiques. » (Amullahy 105 ; Thompson 105). Allport définit plus particulièrement la personnalité comme une structure qui fonctionne globalement, comme un système et une unité psychique complexe de plusieurs espaces qui s’influenceraient mutuellement (cf Allport 552,567). Mais par-dessus tout la personnalité est un système interpersonnel ouvert. (Page 158) Elle existe seulement dans des actions sociales mutuelles, interhumaines.

3 – Le concept de pulsion inter-subjective. R. W. White préfère remplacer l’intitulé « personnalité » par le concept du « soi ». Il tient ce concept comme une nécessité psychologique car il nous permet de ne pas perdre de vue le fait fondamental que l’organisme est une unité (cf White 155). Indépendamment des représentations américaines de l’intersubjectivité de l’être humain, une tout autre représentation se fit valoir en Europe, au moment où Victor Von Weizsäcker attaqua le sévère déterminisme théorique de la théorie psychanalytique originaire. Tout d’abord, en médecine, V.von Weizsäcker remplaça la notion « d’appareil psychique » par celle de sujet. Cette appellation était - simplement en tant qu’intitulé - déjà depuis longtemps familière à la littérature psychanalytique. Cependant V.von Weizsäcker tint fermement tête à l’encontre de toutes les sciences de la nature psychologique, précédentes et suivantes, que ce sujet soit toujours « causalement sous déterminé ». Selon son opinion on doit lui reconnaître sa propre « spontanéité » et cela « en tant que celui qui, par delà lui-même, en relation à lui-même, se regarde comme un être agissant » (Von Weizsäcker 177 et suivantes). Ces psychopathologies anthropologiques suivaient la conception de Martin Bubber. D’après lui l’homme vit en principe dans un « entre dualiste ». Martin Bubber a compris « l’entre » comme entre un je et un tu. Le je et le tu ensemble avec l’espace entre, qui doit relier les deux, étaient décrits par Martin Bubber comme le « rapport de nous » essentiel pour l’homme. Le thème du je-, tu-, nous-, ainsi formalisé trouva rapidement une grande étendue dans la psychologie de la langue allemande moderne. Erikson le compléta par l’idée d’une confiance fondamentale . Celle-ci doit être au fondement des rapports de je-, tu-, nous- (cf Bubber et suivantes).(page 159)

4 Le concept de pulsion dans son entièreté théorétique : Mais aussi tous ces nombreux efforts outrepassaient le cadre de la représentation des sciences naturelles psychologiques, lequel avait recours à une théorie structuraliste de la personnalité humaine de plus en plus différenciée et globalisante. De ce point de vue, ils élargissaient le cadre de la représentation de Freud en ne considérant plus comme la seule réalité véritable de tout psychisme la couche des « zones érogènes » corporelles, ni la dimension végétative de la personnalité profonde, ni non plus la dimension pulsionnelle. Pour eux les phénomènes psychiques non pulsionnels n’étaient plus considérés comme sublimations et produits réactionnels de la dimension pulsionnelle. H.Binder (1964) présentait cette théorie moderne des couches psychiques dans la totalité de leur multiplicité. Dans le même effort P. Christian (1952) l’avait précédé dans cette direction. Il devient évident que dans l’œuvre de ces deux auteurs, la formation d’une nouvelle couche psychique ou étape d’organisation, qui correspond aux théories modernes de l’être humain constitué comme un composé de couches de personnalité « doit être entretissée de telle manière que les formes les plus anciennes finissent par être pénétrées, imprégnées et intégrées par les nouvelles formes » (Binder 41). Dans les œuvres respectives de Christian et Binder, on trouve rassemblés de manière essentielle ce que l’on peut dire des principaux concepts de la psychologie moderne et de l’anthropologie, à savoir le concept de personne et celui de personnalisation. En général on suppose que le mot personne qui nous vient du 13ème siècle s’appuie sur un emprunt du haut latin persona désignant le masque de l’acteur. Celui-ci trouve probablement son origine dans l’étrusque ancien ; là il prend la consonance de phersu qui signifie également le masque. Chez Binder, on peut lire entre autre que la personne et le processus de personnalisation s’instaurent tout de suite après la fécondation d’un embryon humain. A chaque instant qui suit la personne est déjà croissante parce que la personnalisation a déjà commencé à prendre forme. (p 16O) « Cela fait sens de dire » - ainsi poursuit l’auteur-, « que l’enfant soit plus une personne que l’embryon, que l’adulte le soit plus que l’enfant et qu’un homme le soit plus qu’un autre parce que la conduite individuelle de soi-même se développe de manière très différente. Le stade final de la personne est atteint autour de la vingtième année lorsque la personnalité, avec le Moi en tant que strate la plus tardive et la plus élevée de la personne, parvient à sa pleine maturité. Lorsque toutes ses tendances naturelles se sont déployées, on pourrait considérer la personne comme une structure à peu près stable, mis à part les variations permanentes et silencieuses propres à tous vivants, ou les changements exceptionnels et plus forts de la personne liés à des défaillances dans le cours de la maturité » (Binder 41). Par sa conception d’une personnalisation continue, Binder comprend le système d’organisation pour parvenir à une personne complètement structurée , laquelle procure à un homme la maîtrise de lui-même. Avec cela il nous faut saisir ce que peut nous donner à entendre l’appellation de l’existence. Que l’existence soit « la terre mère potentielle et commune pour le déploiement de l’expression somatique de l’entéléchie comme pour les empreintes vitales, pulsionnelles, spirituelles et discursives du psychique …. » (Binder, 177). Ainsi l’existence est pour Binder le fondement d’être le plus profond à partir duquel le système d’organisation progressive de la personnalisation croît avec la conduite de soi-même vers l’organisation d’un fondement d’être.

5- La conception de la pulsion selon la métaphysique moderne. Reprenons à nouveau l’ensemble des nouveaux concepts abordés qui ont pris place dans la psychologie anthropologique post-freudienne. Les affirmations mentionnées auparavant, démontrées comme faits irréfutables et précisément les psychologies anthropologiques post-freudienne et les anthropologies médicales, demeurent dans leur manière de penser conformes à la métaphysique traditionnelle. (p161) C’est ainsi qu’elles tiennent toujours l’essence de l’homme dans un profond mépris. Plus précisément ne se trouve nulle part en elles une réelle clarification fondamentale de leurs concepts. Particulièrement il n’y a nulle trace de ce que par exemple une personne et une personnalisation, mais aussi de ce qui devrait en constituer la base c’est-à-dire l’existence, l’entelechie, le sujet, le champ de conscience etc… , aient été pensées pleinement jusqu’à leur fondement. Ainsi nous reste incompréhensible la manière dont quelqu’un, pensé primairement comme une personne immanente, en devienne une, capable de « transcender » hors de son intérieur vers des choses d’un monde extérieur et d’un monde commun, pas plus que n’est clarifiée la manière dont celle-ci peut agir vers l’intérieur d’une personne. A l’occasion d’une critique d’une œuvre publiée de E. V. Von. Gebsattel « Imago Hominis contribution à une anthropologie personnelle » H.L. Goldschmidt porta de manière impressionnante l’attention sur cette négligence lourde de conséquences. Avec pertinence il indiqua la faiblesse de toutes les publications « l’image de l’homme dans les sciences » dans lesquelles le recueil de Von Gebsattel fut édité avec le propos : la totalité des travaux des chefs de file des psychologues anthropologistes ont pris chaque fois la route « sans aucune réflexion consciente sur le fondement philosophique qui les précédait ». Avec cela l’auteur pense que l’ensemble de la « psychologie anthropologique » jusqu’à présent s’appuie sur n’importe quelles représentations sur la nature de « personne » et « sujet », reprises, mais sans jamais les avoir vérifiées en propre .

6 Les insuffisances de ce concept de pulsion Pour illustrer cet état insatisfaisant de la manière de penser de la psychologie anthropologique, nous pouvons reprendre à nouveau les concepts de personne et de personnalisation. Binder par exemple se représente la personnalisation comme une superposition quasi géologique de couches psychiques substantielles de plus en plus élevées. Celles-ci devraient « s’entretisser » afin que la personne puisse se déployer dans son entièreté. Ce schéma de Binder se caractérise comme un système ordonné qui permet à l’homme de se diriger lui-même, c’est également là que sont localisées la liberté et la responsabilité humaines. (p 162) Par contre Binder reste silencieux quant aux conditions fondamentales ou la manière d’être de la personne humaine. Une telle analyse pourrait tout d’abord permettre de comprendre comment par dessus tout une personne pourrait se diriger dans son environnement, comment à partir de là elle pourrait développer quelque chose comme une liberté qu’elle puisse conserver et comment elle pourrait développer un vouloir-avoir-conscience et un pouvoir-avoir-conscience envers elle-même et au-delà. Tous les soi-disant concepts plus appropriés à l’homme restent pendant ce temps non éclaircis comme ceux des anthropologies occidentales les plus récentes tels que le « je », le « tu », le « nous », et leur « entre » de Buber, mais aussi l’ « intersubjectivité » de Sullivans et le « être-le-je-du-monde » de la subjectivité, tel que Binswanger se le représente. Ludwig Binswanger a bien emprunté cette tournure à Martin Heidegger. Mais, comme il l’a plus tard courageusement reconnu, il l’avait complètement mécomprise, de manière subjectiviste. De cette manière tous ces concepts étaient pensés et présentés par leurs créateurs de manière encore totalement métaphysique, d’où cette division cartésienne du « monde » dans un sujet, une res cogitans et un monde extérieur avec ses res extensae qui n’étaient d’aucune façon surmontées. De ce fait L. Binswanger avait déjà qualifié avec justesse de « cancer » cette scission dans la pensée de toute psychologie et anthropologie. Nulle part chez Buber le fondement du « je » et du « tu » n’est suffisamment éclairci, de manière à ce que puisse devenir compréhensible la façon dont ce « je » et ce « tu » pourraient se rencontrer à l’extérieur pour y prendre ensuite forme d’un « nous ». L ’ « intersubjectivité » de Sullivans et l’ « être-dans-le-monde » de L. Binswanger sont décrits seulement comme des caractères ontiques nouveaux de la pensée traditionnelle laquelle décrit la subjectivité ou le sujet à la manière d’une capsule qui est primairement isolée de son monde extérieur et substantivée. Ni Sullivan ni Binswanger ne sont capables de prendre en vue le « en-dehors », « l’entre » et « le dans » de l’être-dans-le-monde de l’existence humaine. (p 163) Ils ne perçoivent pas son caractère d’être unique et décisif autrement dit l’existential fondamental du Dasein humain. Sinon comment Binswanger pourrait-il par exemple tenir pour nécessaire la « transcendance » d’une subjectivité hors d’elle-même et en direction des choses dans un monde ? Pendant que Freud cherchait l’essence de l’homme en se demandant ce qu’il est (quoi ?), question à laquelle il répondait lui-même par le concept de « l’appareil psychique » qu’il désigna comme « fiction », tous les philosophes anthropologues qui vinrent après lui se demandent en direction « du qui », celui qui constitue l’exister humain (qui ?). Cependant ainsi qu’Heidegger nous l’a enseigné, l’essence de l’homme est questionnée de manière inappropriée que nous la cherchions avec la question de quoi ou la question de qui. Car dans un quoi ou dans un qui, nous cherchons déjà en direction d’un objet ou d’un trait personnel. « Seul le trait personnel manque et masque en même temps l’essentiel de l’histoire d’être de l’ek-sistence tout autant que celle de l’objet » (Heidegger). Tous ces philosophes anthropologues et psychologues post freudiens cités plus hauts sont certes excellents, cependant ils passent complètement à côté de ce dont il est question : que l’exister humain est lui-même et n’est rien d’autre que la tenue de l’ouvert d’un « entre », et l’éclaircie d’un " domaine-de-monde ", par lequel il existe cet ouvert dans un sens transitif. Pour cela il faut oser sincèrement le saut de pensée inhabituel de laisser tomber totalement et absolument la représentation familière d’un sujet X ou d’une subjectivité X qui serait propriétaire de qualités et de capacités psychiques. Et avec cela il faut aussi renoncer de se concevoir soi-même dans un ouvert qui est d’avance préconçu. Ce n’est pas étonnant que tous les peureux parmi les psychologues et anthropologues s’effraient et continuent à se raccrocher aux théories habituelles, de telle manière que ces trames de pensées leur garantissent une tenue. Mais tous ceux qui ne peuvent pas se contenter de cela, ne peuvent s’empêcher de suivre le discernement philosophique de Martin Heidegger qui ne se voile pas la face (unverstellten) lorsqu’il parle des fondements ( Grundverfassung) de l’essence de l’homme. Grâce à cela les concepts les plus importants de l’anthropologie moderne ne restent plus longtemps sans fondements portants.(p.164) Heidegger a démontré que jusqu’à maintenant la pensée métaphysique est parvenue à questionner, toujours et seulement, en direction de l’être de l’étant. Il a démontré cela en vue de "dépasser" et de questionner, de façon à faire progresser la nouvelle manière de penser vers la question de ce que nous pouvons en réalité penser, lorsque nous gardons en vue « l’ être en tant que tel » et non seulement la manière d’être d’un domaine quelconque de l’étant.

III. Que veut dire personnalisation ?

I.La personne en tant que figure intégrative subjective Egalement, pour pouvoir expérimenter sur quoi finalement la personne humaine est fondée et en quoi elle consiste, afin qu’elle soit par dessus tout capable d’accomplir tout cela, ce qu’on la voit faire, il n’est jamais suffisant de commencer en questionnant à partir de la personne. Pour parvenir à une compréhension réelle de celui que les anthropologues actuels nomment habituellement personne et personnalisation, cela requiert bien plus et nécessairement la compréhension de l’essence de l’être en tant que tel et dans cela le rapport de l’homme à celui-ci. La première des découvertes nécessaires à ce propos fut la compréhension Heideggerienne que l’essence de l’homme méritait d’être avant tout nommée comme un être-dans-le-monde ( Heidegger 1935,p.52 et 53,p.180 et suivantes ; à comparer aussi avec également Boss p.354-357). Pour cela, il devint à vrai dire nécessaire une toute nouvelle compréhension aussi bien du petit mot "dans" que du mot "monde" dans cet " être-dans-le-monde". Nous ne devons pas concevoir le "dans" selon sa signification vulgaire, pas plus que à la manière dont le "dans" prend tournure lorsqu’il s’agit de suspendre un vêtement dans une armoire. Il s’agit plutôt d’entendre "dans" de "l’être-dans-le-monde" humain dans sa signification originaire à entendre à partir de "auprès" (bei). Cet être-« auprès-de » (" bei"-dem-sein) que l’homme rencontre depuis son domaine de monde, se tient pourtant en cela, que cela se parle à l’homme immédiatement dans des significations, qui le laisse être cela, ce qu’il est, (P.165), comme cela est, de sorte que l’homme soit capable d’y répondre et d’y correspondre en pensant et en agissant. Néanmoins un tel être-auprès-de-quelque-chose primaire est seulement possible lorsque ce qui se tient entre ce qui est rencontré et un humain, est par nature ouvert, perméable. De la même manière, il est aussi nécessaire que l’être humain de son côté se caractérise comme se-tenant-dans-l’ouvert, éclairé, que le pouvoir comprendre primaire de l’être et de l’étant se tienne de manière totalement originaire et de ce fait toujours déjà dans l’ouverture de son domaine de monde. L’être humain tient cette ouverture de manière ekstatique, il la tient, il l’ek-siste ( il est transitif) et il "l’habite". Un tel être-en-rapport-avec propre à l’homme totalement désubstantialisé et désobjectivé de ce qui le rencontre, est l’unité qui porte tout homme à être pris dans une exigence (appel à être) comme un être-en-rapport de l’homme qui perçoit et qui répond à ce qui est rencontré. La tenue ek-statique de l’ouverture-d’un-domaine-de-monde par le se-tenir-ouvert-de-soi-même de l’être du pouvoir percevoir humain est la condition pour que par-dessus tout quelque chose puisse se faire jour c’est à dire que cela puisse devenir présent et être. Cette tenue-de-l’ouverture par laquelle l’être humain existe consiste en un être-ouvert ek-statique, originaire, et mondialement étendu. Cet être-ouvert "ek-statique" pour percevoir premièrement et avant tout être ou présence de quelque chose ; deuxièmement d’un être-ouvert, pour pouvoir-percevoir les significations, qui laisse être les données singulières, telles qu’elles sont. Comment pourrait-il par-dessus tout y être quelque chose, comment quelque chose pourrait-il y être (an-wesen), sans un être-ouvert, dans lequel cela puisse y être. Et comment quelque chose pourrait-il se faire jour sans une lueur, sans la clarté de l’être humain en tant que pouvoir-percevoir ek-statique mondialement étendu de la significabilité ?

2. Personnalisation et l’ek-sister en tant que tenue-dans-l’ouvert d’être-au-monde. Dans la tenue-de-l’ouverture (Offenständlichkeit) de l’essence de l’homme se fonde aussi sa liberté. En elle, la diversité vient à se montrer et elle est toujours l’homme lui-même, lequel peut et doit décider librement dans quelle relation, avec quelle particularité de cette diversité, il s’engage en son être (wesen). (p.166). De cela le nom "être-soi" est la qualification la plus appropriée pour l’homme. Cependant la liberté humaine la plus grande possible présuppose qu’un homme reconnaisse en tant que telles toutes les possibilités constitutives de son exister, qu’il les reconnaisse en tant que siennes, qu’il se les approprie, et qu’il les ait rassemblées dans un être-soi autonome. Cependant la liberté de l’homme doit se plier dans une responsabilité qui, pareillement et seulement, est possible grâce à la même tenue-dans-l’ouverture d’être-au-monde humain. Sa responsabilité, qui est propre à l’être, se manifeste dans son pouvoir-avoir-une-conscience-morale et vouloir-avoir-une-conscience-morale. Mais l’homme est pris dans une exigence qui n’est pas des moindres, celle de rendre service à ce qui a à être en tant qu’il est le lieu d’apparaître mais aussi le domaine de déploiement de celui-ci. Cela oblige l’essence humaine de l’aider selon ses meilleures capacités, à travers l’accomplissement de ses possibilités de se comporter, pour que ce qu’il a expérimenté comme le Bien et l’Amour parvienne à son plus haut accomplissement. Mais ce qui est qualifié de Bon ou Mauvais, la plupart des hommes se le laissent octroyer de l’extérieur, par la tradition et la convention. De ce fait, ils passent à côté, justement à cause de cela, et trop souvent, du Bien qu’ils ont à charge dans leur propre être-soi. Plus ils s’efforcent de satisfaire à des demandes éthiques inadaptées, plus ils sont coupables envers leur propre être-soi. Dans ce cas, il convient de leur apprendre à écouter la voix qui parle du fond de l’être de chaque homme, et qui, de ce lieu là, le guide quand enfin il en a saisi la bonne écoute. Il va alors expérimenter l’être-bon valable pour lui, en tant que ce comportement qui encourage et prend soin (Sorge trägt) de celui à qui est venu le temps d’apparaître, de croître, de fleurir jusqu’à porter des fruits nourrissants, enrichissants et qui rendent heureux. Mais aussi un tel être-bon (Gutsein) est valable pour quelqu’un qui cherche à lutter contre et à détruire tout ce qui est dépassé et qui encombre la place pour ce qui est à venir.(p.167) D’une autre manière, il expérimente un comportement comme « être-méchant » (böse sein) lequel n’est qu’égoïste et avide de pouvoir et lequel s’empare de tout, qui est incapable d’aimer quoi que ce soit, sauf soi-même, et qui cherche une destruction inadaptée de ce qui est à venir et à tenir.

3. Responsabilité, pouvoir-avoir-conscience-morale (Gewissen) et liberté. Et pourtant l’homme, même lorsqu’il essaie de faire le bien dans le sens mentionné plus haut, demeure toujours, eu égard à son être-propre, et de ce fait, nécessairement en défaut dans l’accomplissement de sa charge. A savoir qu’un homme, à chaque instant singulier, ne peut se rapporter que d’une manière unique envers une donnée unique. Il doit s’interdire la réalisation de toutes ses autres possibilités-de-se-comporter qui constituent aussi son exister. Par ailleurs, chaque homme se tient toujours déjà en vue de l’accomplissement de l’être-en-rapport avec ce qu’il a à rencontrer en vue de son avenir. Ces deux manières de demeurer -en-dette construisent ensemble l’existential ou la caractéristique de la manière-d’être-en-dette humaine. Dans celui-ci, dans cet existential, se fondent tous les sentiments de faute ou de culpabilité possibles existentiels, ceux qui sont conformes aux normes et qui ne sont pas à laisser de côté, tout autant que ceux qui sont distordus de manière pathologique.Ceux-ci cèdent habituellement à une bonne psychothérapie laquelle est à même de rendre libre le patient concerné quant à son pouvoir-être en propre. Cela c’est l’expérience de psychothérapeutes qui se renouvelle toujours à nouveau, pour ceux qui sont suffisamment au courant en ce qui concerne l’affaire d’être-au-monde humain. De cette compréhension de l’essence fondamentale de l’exister humain, nous trouvons des signes qui jusque-là ont été attribués sans réflexion et sans raison à la personnalisation et la personne comme leur support fondamental. Cela éclaire aussi l’ombre mystique des soit-disant forces pulsionnelles avec lesquelles Freud a dû caractériser l’essence de ce qui était pour lui le psychique « en propre ». A travers l’étude de toute la littérature concernant la pulsion,( p.168) saute aux yeux une grande divergence extraordinaire entre la signification imminente à laquelle les psychologues et les psychothérapeutes accordent leur représentation de la pulsion (triebvorstellung), et les renseignements scientifiques finalement très insuffisants de ce qu’on doit entendre proprement par la « pulsion ».Avant que la psychologie contemporaine ne parvienne à sa conception actuelle de la pulsion, elle a dû accomplir des abstractions nombreuses et compliquées à l’encontre des objectivations mentales et des hypostases. Cela se clarifie au moment où on examine la représentation de la pulsion psychologique quant à sa teneur phénoménale. Si on regarde le concept de pulsion sur le fondement de l’être-au-monde pur (unverstellten) de l’homme, il apparaît qu’il ne se trouve aucun indice de présence d’une dimension de pulsion ou d’impulsion intrapsychiques au sein des phénomènes de l’exister. Bien plus, il y a parmi les nombreuses-possibilités-de-relations qui constituent l’exister humain, une catégorie que l’on pourrait nommer comme une manière plus ou moins incontournable d’être-livré sans liberté (unfreies verfall) à une rencontre surpuissante et de laquelle nous ne pouvons nous dérober( sichauslösen). Une telle catégorie des possibilités de se comporter humaine a une théorie psychologique qui veut parvenir à une représentation de la pulsion dans un sens moderne. Tout d’abord en vue de l’isoler de l’ensemble complexe de toutes les manières possibles d’exister et pour la déclarer comme l’unique réalité psychique. De ce fait, elle a repensé le phénomène par lequel nous sommes d’emblée en relation comme une déchéance plus ou moins non libre envers ce qui est à rencontrer, comme effet d’une force de pulsion interne, et qui met l’être humain dans une situation tel une boule de billard. Cela rendit ensuite possible une théorie psychologique où l’être humain est représenté en analogie à la théorie technique d’un moteur pulsionnel, lequel est mis en mouvement dans tous les sens, comme un sujet-chose. Mais cela signale en même temps que le concept psychologique d’une "pulsion" ne correspond pas vraiment à un phénomène propre à l’existence humaine, mais il est plutôt une cause explicative imaginaire de celle-ci.(p.169) De ce fait cela ne permet pas de parvenir à une explication fondée. Il s’agit pour l’instant d’un essai d’explication sans avoir auparavant pris en considération le phénomène que l’on veut éclairer par-dessus tout et tel qu’il est – ici une manière particulière du comportement humain -. Avec le concept "pulsion" on cherche toujours à éclairer quelque chose qu’on n’a jamais vraiment regardé. Toutes les recherches d’explication des phénomènes humains par les « pulsions » ont le caractère méthodique d’une science dont l’objet n’est pas l’homme mais la mécanique. De ce fait il s’agit de questionner fondamentalement si une méthode, laquelle est déterminée par une obstantialité non humaine, peut par-dessus tout être adaptée pour dire quelque chose sur l’homme qua (à partir de)l’homme. Pour illustrer cet état de fait, nous pourrions citer l’extrait concernant la "force pulsionnelle"(triebhafte) d’un protocole d’une conversation entre Martin Heidegger et l’auteur de ces contributions encyclopédiques. Boss : « Mais Monsieur Heidegger, vous vous êtes aussi senti poussé et pressé par notre conversation actuelle, autrement cela ne pourrait pas avoir lieu, n’est ce pas ? » Heidegger : « L’envie de tenir cette conversation est déterminée ( bestimmt) par la tâche que j’avais l’intention d’accomplir. Celle-ci est le mobile, le "ce dont il s’agit".Ce qui est déterminant n’est pas une force ou une pulsion, laquelle me pousserait de derrière, mais plutôt quelque chose qui se tient devant moi ; un devoir dans lequel je me tiens et qui m’est donné. En revanche, ce devoir envers quelque chose que je suis chargé de faire est seulement possible si je me porte à l’avant de moi-même. Dans votre cas : votre pouvoir-être en tant que maître de conférence à l’Université Harward aux Etats-Unis. Et ce pouvoir-être vous aborde maintenant en permanence et vient vers vous. Lorsqu’à cela vous dites :« cela me pousse », alors on se trouve déjà là dans l’événement d’une interprétation différente et d’une réification de l’être-en-rapport humain avec quelque chose. Mais ceci est une interprétation absolument et totalement inadaptée. Il ne s’agit jamais d’un événement psychique ni non plus d’une « essence pulsionnelle mythologique » (Freud) qui me pousse. Bien plus, il s’agit toujours de quelque chose de très déterminé dans l’être-le-là humain, à savoir (p170) il s’agit toujours d’une manière particulière d’être-dans-le-monde. Mais jamais on ne pourrait composer « un-être-dans-le-monde » à partir d‘actes psychiques tels qu’un vouloir, un souhait, une poussée( Drang), une suspension , un être-pulsé(Getriebensein). Alors ceci est déjà toujours présupposé même si on parle de désir, de besoins ( Drängen), d’être-pulsé. Par ce que les psychologues nomment " comportement pulsionnel", il s’agit d’un être soi-même humain dans un être-dans-le-monde qui existe comme quelque chose qui n’est pas libre, comme quelque chose livré à la merci de quelque chose d’impérieux. Une telle manière d’être livré, asservi à quelque chose qui se manifeste chez toutes sortes d’êtres humains dépendants si on vise chez eux soit la dépendance à la jouissance sexuelle, à l’ivresse alcoolique, à la toxicomanie, ou bien les succès dans le travail et les ivresses du pouvoir. Toutes ces existences sont dans leur entièreté et en permanence rėduites à leur étroitesse maximum et asservies. Mais pourtant il existe aussi une manière de tomber (Verfallen ) passagère et un être-livré à quelque chose à rencontrer issu d’une décision tout à fait libre. De cette manière, un homme peut par exemple se donner librement à un partenaire amoureux jusqu’à se livrer à une désintégration et un quasi-évanouissement en se laissant aller à un orgasme sexuel impétueux. Un autre homme peut également, par un acte de libre décision, s’engager pour une durée de temps qu’il choisit lui-même dans une discussion passionnante qui le capte totalement, par exemple concernant le malheur de la représentation de pulsions psychologiques. Jusqu’à un certain point il s’agit aussi, concernant notre propre dialogue d’aujourd’hui, d’un être-l’un-avec-l’autre de deux existences, qui, dans leur être soi-même, se sont décidées librement à quelque chose dans le sens d’avoir- ouverture-mutuelle ( Geöffnethabens). Nous avons donné notre consentement à cette manière d’être-ouvert, nous l’avons acceptée.Si,de ce fait, la théorie psychanalytique parle aussi de quelque chose " au fondement" et de " proprement pulsionnel", cela ne prouve que le fait qu’elle voit dans le Dasein humain seulement une modification de cette manière-d-être-tombé-à( Verfallen) ...et dans une poussée ( Drang). Elle pose cette sorte d’accomplissement ontique de l’être-dans-le-monde humain comme proprement l’humain et le chosifie de cette manière en le qualifiant de "force pulsionnelle" ou de " comportement pulsionnel" ". (Heidegger 1963). Dans la suite de cette citation, il ne devrait plus être difficile de mesurer comment la manière dont on entend la "pulsion" dans son sens premier –lorsque ce mot voulait encore dire par exemple « les attraits » d’une belle femme- est beaucoup plus proche de la réalité que la "représentation de la pulsion" moderne comme produit d’une idée d’isolation, de réduction, d’objectivation et de mise en causalité. A ce moment-là on ne pensait pas encore en terme « d’énergies de pulsion » qui poussaient à l’intérieur du container intrapsychique d’un homme envers une femme attirante.Bien plus, "la pulsion" se montrait comme ce qui conduisait l’homme dans la proximité d’une femme « attirante et aimable » (« liebreiz »). L’ensemble était encore vu comme un phénomène donné immédiatement, ce qu’il est : quelque chose qui arrive, qui joue dans la dimension d’être-en-rapport humain envers quelque chose à rencontrer, dans l’espace d’ouverture d’un monde commun. Cela prouve qu’en arrière-fond d’une compréhension profonde du fondement de l’être-au-monde humain, se constituent non seulement un comportement pulsionnel qualifié de non libre, mais aussi l’être-en-rapport libre personnel et plein de responsabilités quant à ce qui est à rencontrer. Ces deux comportements autochtones similaires tout autant que très différents constituent ensemble, avec beaucoup d’autres, l’existence humaine. Il y a des époques dans une histoire de vie humaine dans lesquelles le comportement personnel est encore moins réalisable que le ci-nommé pulsionnel. Mais une mutation de l’un ou de l’autre n’existe pas, pas plus que ce comportement personnel qui peut se développer à partir de la pulsion. En tant que possibilité –et les possibilités aussi sont réelles- sont déjà données toutes les manières de se comporter envers ce qui est à rencontrer qui constituent l’existence d’un humain particulier, dès le début comme un assemblage indivisible.( comparer Boss 354-357).

Bibliographie

G.W. Allport : Patterns an Growth in Personality (New York 1961) H. Binder : La personne humaine (Bern – Stuttgart1964) L. Binswanger : La conception de Freud de l’homme dans la lumière de l’Anthropologie , dans : Conférences et Traités (Bern 1947) M. Boss : Grandes lignes de la Médecine et de la Psychologie (Bern-Stuttgart-Wien 1975) M. Buber : La Vie de dialogue (Zürich 1947) P. Christian : La compréhension de la personne dans la compréhension de la Médicine moderne (Tübingen 1952) E.H. Erikson : Identité et Cycle de Vie (Francfort sur le Main. 1971) S. Freud : Nouvelle séquence des cours sur l’introduction à la Psychanalyse (L’œuvre complètes XV (London 1940) V.E. Gebsattel : Imago Hominis. Contribution à une Anthropologie personale H.S. Goldschmidt : L’image de l’homme au sein de la Science, dans : Nouveau journal de Zürich N° 3431 (Zürich 1966) I.W. Grimm : Dictionnaire allemand Tome II 1. Séquence, partie 2 (Leipzig 1936) M. Heidegger : Faire fausse route. Le Temps de l’image du monde (Francfort sur le Main 1650) M. Heidegger : de L’Humanisme (Francfort sur le Main 1947) M. Heidegger : Temps et Être (Halle a.S. 1935) M. Heidegger/M. Boss : Comptes rendues des séminaires non-publiés (Zollikon 1963) P. Mullahy (Ed.) : The Contributions of Harr Stack Sullivan. A Symposium (New York 1952) C. Thompson : Psychanalyse et Developpement (New York 1950) V.v. Weizäcker : Le Cycle de la structure. La ttéorie de L’unité de la Perception et du Mouvement (Stuttgart 1947) W. White : La personnalité anormale (New York 1956)


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé| www.8iemeclimat.net|