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Compte-rendu de lecture N°2


Lecture « Acheminement vers la parole » Groupe de lecture de Brugairolles - Compte-rendu 2 - 28 mars 2015 Edith Blanquet, Marie-Christine Chartier, Darwin Fauché, Anne Guignabert, Frédérique Remaud, Corinne Simon

Résumé de la première lecture : De prime abord : on parle. Parler ce n’est pas juste prononcer des sons, cela a à voir avec faire, avec regarder. Cela a à voir avec, de suite, la manière d’être-au-monde. Du coup, on attribue la parole à ce qui se monde. On dit : « C’est une chaise ». On attribue la parole à l’objet. Selon une autre manière plus classique de comprendre la parole / le monde : on a essayé d’en extraire des essences ou idées générales (l’idée de la table, la tabléité de la table c’est-à-dire les caractères d’être de toutes les tables, ce qui fait qu’on les reconnaît comme tables quelle que soit leur forme). Et à partir de là, on a essayé de définir la parole dans ce qu’elle est essentiellement, en général. Une idée qui s’incarne dans un objet. On en a rendu compte, on l’a maîtrisé. Heidegger dit qu’il ne parle pas de l’essence de la parole, mais qu’il va nous faire une conférence sur « la Parole ». Paradoxalement, il est presque plus difficile de parler de la parole que de l’essence de la parole. Notre projet n’est pas de rendre raison de la parole, de la maîtriser, d’avoir fait le tour de ce qu’elle est. Cela invite à s’arrêter ce que veut dire « penser », un mot que nous avons toujours déjà compris, une évidence que Heidegger nous appelle à prendre en considération. Penser selon les sciences, c’est rendre compte, maîtriser. Heidegger dit : « Nous ne voulons ramener son essence à un concept afin que ce dernier livre, sur la parole, un avis universellement utilisable, une idée qui calme les esprits ».page 14 L’essence, c’est dire ce que la parole est essentiellement, cela signifie l’avoir définie. Par exemple, les techniques de communication, disent que parler, c’est faire passer des informations d’un émetteur à un récepteur : l’émetteur A dit quelque chose que B prend, on regarde l’information comme une quantité stockable qui passe d’un émetteur à un récepteur.

Poursuivons notre lecture :

« Situer la parole n’est pas tant la porter que nous porter nous-même au site de son être. Cela signifie : mise en marche pour un recueil, recueillement en l’Ereignis ». Ibid., p. 14. La difficulté est que, soit je lis le texte, ça me parle et je ne peux rien vous en dire, je me laisse bercer. Sinon je me bloque, parce que je cherche à faire un résumé de ma compréhension et cela me bloque. C’est intéressant parce que, soit je me laisse entendre et appeler par la façon dont cela me met en mouvement, soit je me laisse aller à faire un résumé avec les infos essentielles. Dans le premier cas, je me laisse étonner, accueillir le propos dans sa dimension non connue, dans l’autre j’essaie de le maitriser de manière scolaire en quelque sorte. « Situer la parole … » Ibid., p. 14. Il reprend ce qu’il a commencé à déterminer : préciser le but de cette conférence. « N’est pas tant la porter… » Ibid., p. 14. Situer la parole dans la pensée scientifique, en tant que ce serait nous, moi, l’homme, l’étant qui porterait la parole, qui en serait le concepteur. « …que nous porter nous-mêmes au site de son être. » Ibid., p. 14. Il nous parle en évoquant la dimension du phénomène et non pas celle du concept. Le mot d’ordre de la phénoménologie, c’est le retour à la chose-même dans son apparaître, c’est-à-dire laisser se manifester à partir de soi-même. Soi-même, ce n’est pas à partir de moi. Dans la démarche scientifique, j’essaye de porter devant la scène et de rendre compte, donc c’est plutôt la parole que je « plie », pour qu’elle soit adéquate à l’idée que j’en ai. Alors que la démarche phénoménologique vise à me porter moi-même auprès de la parole pour la laisser parler d’elle-même. Je me laisse être celui qui accueille ce qu’elle me dit, plutôt que de vouloir la contrôler. Je me laisse entendre ce que la parole porte d’impensé par avance. « Au site de son être » Ibid., p. 14. Là où elle se manifeste. Il s’agit pour moi alors d’aller auprès de la parole et non de l’amener dans l’ordre de ma manière de conceptualiser habituelle. Cette phrase arrête : la parole nous parle, s’adresse à nous à partir de là où elle est : elle nous vient, nous appelle. Cela décale par rapport à la pensée habituelle. Pour nous il est évident que la parole, c’est nous qui la proférons, qui la maîtrisons, qui en sommes les créateurs, les producteurs. Alors que là, Heidegger nous dit que la parole a sa propre forme de présence, sa manière d’être hors de nous. Elle n’est pas un outil que nous utilisons ainsi que nous l’avons toujours déjà convenu.

Lien avec la clinique : soit j’écoute le patient à partir de mes présupposés ( par exemple, il a une maladie), et je vais aller chercher quelque chose que j’ai déjà présupposé ( des « preuves » de cela), soit je me laisse aller auprès de lui, prendre part (teilnehmen bei), je me laisser écouter à partir de lui, et pas à partir de moi. Je me laisse surprendre, m’y recueillir, c’est-à-dire m’y trouver, m’y surprendre dans le recueil (qui n’est pas quelque chose de maîtrisé). Se recueillir, se laisser entendre, advenir.

« Cela signifie : mise en marche pour un recueil, recueillement en l’Ereignis* » comme la nécessité incontournable, de sortir de notre façon quotidienne de comprendre et de s’y arrêter. » En commentaire de bas de page est inscrit : * « L’allemand dit : « Versammlung in das Ereignis » Le recueillement n’est pas autre chose que le très tendre et très intense rassemblement sur soi (voir p. 254) - rassemblement qui ne fait qu’un avec un saut, le saut de l’origine. L’allemand précise : ce recueillement est remuant ; il se remue en allant se recueillir en l’Ereignis.(c’est à dire s’approprier, venir à son propre, trouver son site ). Dès le début du premier texte, nous voyons se dessiner le cheminement même de tout le livre, dans son unique dessein : suivre le déploiement de la parole, son « bruit de source ».(Il s’agit de se laisser conduire par la parole, là où elle nous amène) Pour ce qui est de l’Ereignis, voir plus loin. » Ibid., p. 14.

Ce qui m’a touché c’est : recueillement, très tendre, rassemblement sur soi. A la référence de la page 254 du chapitre « Le chemin vers la parole » (erreur dans la note, c’est en fait 245 au lieu de 254), je m’arrête sur « la Dite » (die Sage) et « le silence ». «  La Dite (die Sage) ne se laisse pas capturer en un énoncé (Aussage). Elle exige que nous arrivions à laisser dans le silence (er-schweigen) la mise en chemin appropriante, celle qui règne dans le déploiement de la parole, sans discourir du faire-silence ». Ibid, p. 254. Ce qui m’arrête c’est ce rapprochement étonnant : la dite, c’est le silence, qui n’est pas un faire-silence. Cela ne me parle pas assez de la dite. Je cherche ailleurs. « Parler a place en tant que dire dans le tracé-ouvrant de la parole en son déploiement ; ce tracé est tressé et traversé par des modes du dire et de ce qui est dit, où vient se dire, où se dédie ou bien s’interdit – se montre ou se dérobe – ce qui vient en présence et ce qui sort de la présence. » Ibid., p. 240.

En gestalt-thérapie, quand quelqu’un me parle, un patient, soit je m’intéresse à l’énoncé, le contenu de ce qu’il dit, c’est un des aspects de ce qui est dit : le de quoi il parle. Soit je vais aussi être attentif à comment cette parole est dite. Comment quelque chose est dit c’est à dire comment un dire se manifeste et par là rend manifeste quelqu’un disant. Et ce dire est éminemment sensible, une tonalité, un rythme. Et cela, c’est de l’ordre de l’insaisissable, qui va participer de l’énoncé. La signification n’est pas dans l’énoncé, elle est aussi dans la manière de dire, dans la tonalité, dans toute cette dimension pathique. La Dite ne peut pas se réduire à un énoncé. Dire, c’est pas juste « balancer » des informations, ça met en mouvement et cela m’amène à une forme de présence. En même temps que je vous parle, je touche ça, aussitôt je sens la respiration, je m’aperçois comment je prends appui et comment vous écrivez et du coup je ne croise pas les regards et que je regarde autre chose, j’entends les bruits, cela amène à tout ça en même temps que je parle. Soit je m’arrête au contenu, à la dimension technique, au quoi d’un propos, soit j’accueille et je recueille, comment cela nous approche les uns des autres, comment cela tisse et in-forme le site d’une présence. Cela fait écho à : « Portant égard aux traits du dire, nous nommons la parole en entier : la Dite (die Sage), tout en avouant que même à présent n’est pas aperçu ce qui en unifie les traits ». Ibid., p. 240. Et en bas de page : « Ce qui se déploie dans la parole est la Dite en tant que monstre » Ibid., p. 240. Monstre : en tant que ce qui vient à se montrer, monstration. « On connaît le parler comme ébruitement articulé de la pensée au moyen des organes de la voix ». Ibid., p. 241. Il s’agit là de la conception classique de parler. On a vu dans le premier paragraphe comment parler ce n’est pas simplement ébruiter une pensée, parce qu’on peut parler en silence et on peut parler quand on fait quelque chose (je parle quand je râpe des carottes ! et ce même lorsque je le fais silencieusement). « Qu’il se montre est la marque à laquelle se reconnaît comme un apparaître la venue en présence et la sortie hors de la présence de l’étant, quel que soit son genre ou son rang. Même là où le montrer s’accomplit grâce à notre dire, un se-laisser-montrer précède ce montrer où l’on montre du doigt » Ibid., p. 241. Dire, c’est montrer, dans le sens par exemple où, quand je dis « l’ordinateur », aussitôt, cela montre quelque chose dans le paysage de tout ce qui se laisse montrer. J’aurais pu dire « la couverture sur laquelle est posé l’ordinateur ». Donc dire, c’est montrer et quand je dis « l’ordinateur », je le montre du doigt aussi. Ça fait venir à la présence quelque chose qui se laisse montrer aussi, là où il prend son site. Ce n’est pas moi qui le produis. Ce n’est pas, tout à coup, l’ordinateur qui surgit d’un néant… Dire est une manière d’appeler à la présence, une manière de pouvoir être aussi celui qui dit. C’est là où il y a un cueillir et un recueil (logos, legein, cueillir et rassembler, le sens grec de la parole, de ce que l’on a ensuite convenu de comprendre comme la logique).

« L’étant, quel que soit son genre et son rang » Ibid., p. 241. N’importe quel étant…Quoi que ce soit … c’est pour cela que nous habitons un monde langagier et pas un monde matériel pour Heidegger, et, que la parole, nous traverse. C’est la Dite qui nous appelle à montrer, à dire, à parler. Ce n’est pas quelque chose qui nous appartient la Dite. C’est quelque chose qui nous traverse, qui est notre condition d’humain : nous pouvons être parlants. C’est pour cela qu’il dit que parler, c’est répondre à un appel. Que l’être a besoin de l’homme pour venir à la parole, à la présence. Une présence par laquelle il se recueille, il se montre tout en se dérobant. L’être se dérobe en laissant apparaître un étant, une manière d’être. La Dite toujours se dérobe au profit de l’énoncé, de ce qui se montre, un énoncé ou quoi que se soit : un dit. Je ne prends jamais la mesure de la Dite. Je suis toujours occupé de la dimension utilitaire, c’est le propre de la parole quotidienne, du bavardage (curiosité, équivoque, accélération).

Rappelons-nous que dans la quotidienneté, le dévalement se construit sur le bavardage, le mode du on, la parole devient bavardage, l’appropriation devient le « on » : le s’approprier devient « on dit, on fait », le voir devient curiosité et le comprendre devient équivoque. C’est à dire que c’est comme si quand on a dit « ordinateur », on avait tout dit et qu’on avait compris de quoi on parlait. On s’en tient à la dimension pratique de la parole et on oublie sa dimension ontologique, là où il y va d’y être soi-même-avec-autrui. La Dite se dérobe au profit de l’énoncé : l’énoncé c’est le quelque chose qui se laisse montrer, qui se recueille, et que nous prenons pour ce que nous savons, utilisons. L’énoncé c’est cela à propos de quoi je suis occupé, je vaque à des actions quotidiennes. Mais ce qui se laisse montrer se retire aussi, et la notion de forme nous invite à cela : figure/fond. Du point de vue de la théorie du self , cela vient questionner s’identifier/s’aliéner, Soi/rapport à : s’identifier/ s’aliéner donne à entendre tout autre chose que identifier/ aliéner qui correspond à la façon habituelle de dire à propos de la phase d’orientation dans la théorie du self. Classiquement cette phase vise a exercer la fonction ego, en choisissant quelque chose…dire s’identifier/ s’aliéner cela laisse entendre que il y est question de s’y identifier/ s’y aliéner soi-auprès-de…et ici l’égo n’est pas par avance compris comme sujet qui fait des choix dans un monde aussi constitué indépendamment de lui… Cueillir/recueillir, c’est prendre place, ouvrir le site d’une présence, le là (pour qu’il y ait ici un ordinateur et une chaise sur laquelle je puisse me trouver par exemple)… S’identifier/s’aliéner, s’approprier une présence sous-tend ce mouvement de venue en présence ( temps pour et place pour chaque acte de la vie quotidienne). Cela appelle la notion de forme, plutôt que celle du concept, parce que la forme est toujours en voie d’elle-même ; le concept est une abstraction fermée, définie. Cela appelle le next comme direction fondamentale, à partir de laquelle ici et maintenant trouvent place. C’est important en Gestalt-thérapie. C’est bien pour cela qu’on s’intéresse plutôt au comment d’une manifestation.

Quelques lignes plus loin, cela nous éclaire dans notre posture : « On connaît le parler comme ébruitement articulé des organes de la voix. Mais parler c’est en même temps écouter. Suivant l’habitude, on oppose parler et écouter : l’un parle, l’autre écoute. Mais écouter non seulement accompagne et entoure parler, ainsi que cela se passe dans un entretien (im Gespräch). » Ibid., p. 241. Et puis « Parler est depuis soi-même, écouter. C’est écouter la parole que nous parlons. Ainsi donc parler ce n’est pas en même temps écouter ; parler est avant tout écouter. Cette écoute de la parole précède même de la façon la plus inapparente toutes les écoutes ordinaires. Nous parlons non seulement la parole, nous parlons à partir de la parole ». Ibid., p. 241. Cela invite à la posture clinique : vous venez de dire quelque chose, « Vous mesurez ? Prenons le temps de réentendre, d’écouter. Une écoute qui a déjà eu lieu mais que j’amène à prendre en mesure… », j’entends que vous dites ça ..prenons temps d’en accueillir les vibrations inouïes. Cela ramène à François Fédier quand il dit qu’il faut écouter l’inouï de nos propos. Notre travail de thérapeute est de permettre au patient d’entendre, d’écouter ce que la parole leur enseigne et de nous donner aussi cette occasion avec eux. La Dite, c’est mesurer ce que la parole nous donne à entendre, que Cela nous concerne à chaque fois.

« Et pourtant la parole parle. Elle observe et suit d’abord et en propre ce qui se déploie dans le parler : le dire. La parole parle cependant qu’elle dit, c’est-à-dire montre. Son dire tire sa source de la Dite un jour parlée et jusqu’à ce jour encore imparlée, qui traverse et lie le tracé-ouvrant de la parole en son déploiement. La parole parle cependant que, monstre, portant en toutes les contrées du venir en présence, elle laisse à partir d’elles chaque fois apparaître et se défaire l’éclat de ce qui vient en présence. En cette mesure, nous écoutons la parole en telle sorte que nous nous laissons dire sa Dite. » Ibid., p. 241-242.

On ne maîtrise pas, on écoute et on se laisse dire ce qu’elle nous dit, la Dite nous amène à nous recueillir au plus près, c’est là où on peut s’y trouver approprié.

« Situer la parole n’est pas tant la porter que nous porter nous même au site de son être. Cela signifie : mise en marche pour un recueil, recueillement en l’Ereignis » Ibid., p. 14. Ereignis : c’est l’événement appropriant, c’est la façon dont Heidegger a nommé le rapport temps et être, là où l’humain existe. C’est la survenue en mode ego, du côté de la Gestalt-thérapie. Nous les humains, nous ne sommes pas ceux qui proférons des contenus ou des choses, qui maîtrisons le monde ou les étants, mais nous sommes ceux qui accueillons la présence, et en accueillant la présence, on s’y recueille et on s’y trouve, on s’y approprie, ça donne temps et lieu, possibilité de se prendre pour quelqu’un. Cela amène à cette dimension :peut-être est-ce alors plus propice de qualifier l’être humain comme passible/possible plutôt que comme actif/passif… Passible, c’est accueillir, recueillir.

« La Dite, de part en part, gouverne et adjointe le libre jeu de l’éclaircie (das Freie der Lichtung), cette éclaircie que tout paraître doit venir visiter, que tout disparaître doit délaisser, cette éclaircie jusqu’où tout venir en présence et tout absentement doit entrer se montrer, c’est-à-dire venir se dire. » Ibid., p. 245. « La Dite est le recueil, adjointant tout paraître, du montrer en soi-même multiple qui partout laisse demeurer auprès de lui ce qui est montré. » Ibid., p. 245.

Il parle de la Lichtung (la clairière, l’éclaircie), plutôt que de la pleine lumière, ce qui ramène la notion de forme. Quand on est dans une forêt, ménager une clairière, la taille d’un arbre. La taille c’est ce qui ménage l’ouvert, qui le rend libre. La taille d’un arbre c’est ce qui ouvre l’espace, ce qui ouvre le libre, l’ouvert à partir duquel quelque chose va se montrer. Une clairière c’est une trouée, ce n’est pas quelque chose de positif. Quand on taille un arbre… vient l’histoire de l’olivier où on dit qu’on taille un olivier de manière à ce qu’une colombe puisse passer partout, quand je taille un olivier j’ouvre et je révèle l’olivier… Les branches.., elles se montrent, elles viennent à la présence, ça aménage une ouverture pour que ça se montre. L’espace, c’est ce qui attribue des places, c’est le recueillement, là où je me trouve auprès. Que veut dire « se recueillir » en français ? Les endroits où je vais me recueillir, c’est des endroits sacrés, dans une forme de pénombre, c’est des petits coins où je vais me poser et où il y a quelque chose qui passe où je m’apaise et où je m’y trouve, mais sur un mode qui n’est pas actif : je suis passible-possible. Le recueillement... c’est pas juste s’allonger sur une chaise longue se recueillir, c’est une manière particulière, il y a une tonalité de rendre grâce.. .Mais le rendre grâce il est pas moi et il est pas quelque chose c’est pour ça qu’il parle du tendre, il va parler de la pudeur de l’être, du retrait comme une pudeur, de l’égard.

« La Dite est le recueil, adjointant tout paraître, du montrer en soi-même multiple qui partout laisse demeurer auprès de lui ce qui est montré. » Ibid., p. 245.

C’est vraisemblablement le texte auquel réfère la note p. 14. C’est tout le chemin de recherche (à partir de l’erreur du renvoi) qui nous a amené à trouver tout ce qui s’est trouvé, qui permet d’approcher de ce qu’est la Dite. Et ce cheminement illustre ce « recueil adjointant », qui ouvre place et lieu et qui attribue à chacun son site. Le site qu’on ne peut jamais araisonner, parce qu’on est toujours partie prenante. Le site on ne peux jamais le poser devant nous, il y va toujours de nous, donc ça se retire, il n’y a pas un bord clair, on ne peut pas le découper. C’est pour cela qu’on ne peut jamais le saisir, on peut peut-être juste le caresser (référence à Erwin Straus, Du sens des sens (texte fondamental sur le sentir, les directions de sens, sur l’épaisseur du sens) : la caresse est un mouvement infini d’approche). Ça frôle, et il faut accepter de frôler et ne pas vouloir/pouvoir attraper, ça se renouvelle sans cesse. Nous revenons à l’Ereignis : «  Le proprier qui apporte, lui qui remue la Dite en tant que monstre en son montrer, qu’il s’appelle approprier : das Ereignis ». Ibid., p. 245. Le proprier au sens de Eigen, de venir à soi-même au sens de trouver son propre sol, c’est à dire quelque chose du dévoilement, de l’authenticité, au sens de s’y recueillir, de s’y retrouver, de s’y trouver soi. Comme si c’est un mouvement d’échappée, et de ressaisir sans cesse mais qui glisse, dans le sens où « qui » est une question toujours ouverte. C’est pour ça que la parole la plus propice à parler de l’être humain… qui le préserverait, serait la poésie. La fin du paragraphe dit cela : « Nous aimerions seulement tenter d’arriver une fois là même où déjà nous avons séjour. » Ibid., p. 14. C’est cela l’appropriement, Ereignis, là où nous séjournons, toujours auprès, une forme toujours en voie de… jamais quelque chose d’arrêté. « Situer la parole n’est pas tant la porter que nous porter nous même au site de son être. Cela signifie : mise en marche pour un recueil, recueillement en l’Ereignis. » Ibid., p. 14. Donc, ça entend quelque chose qui nous est donné bien plus que nous le maîtrisons et où il y va de nous, de s’y recueillir, d’y prendre place auprès et d’y rendre grâce aussi , dans le recueil ( logos, legein : cueillir, rassembler..recueil) On va essayer de se porter au site de l’être, là où elle se tient la parole, son estrée, son là, il dit : « Nous n’aimerions penser que la parole elle-même ; nous voudrions seulement aller à sa suite » Ibid., p. 14. Quand je dis que la parole est « ébruitement de son », dans la définition classique, je ne dis pas la parole, je dis la parole à partir d’autre chose : du son. Je la présuppose mais je ne la dit pas elle même.., comme quand je dis le monde c’est l’ensemble de tout ce qui est, je dis pas le monde à partir du monde je le dis à partir d’autre chose. Donc, il s’agit de penser la parole elle-même, la parole de la parole, le parler de la parole.

« nous voudrions seulement aller à sa suite » c’est à dire se laisser la suivre, on va pas essayer de la maîtriser ni de la raisonner…on ne va pas essayer d’en rendre compte, on va aller là où elle nous mène. Ce n’est pas une position d’arraisonnement, de sécurisation et de maîtrise, cela nous invite à une promenade, à quelque chose peut être d’inattendu. Il s’agit de penser la parole elle même. Ex : Heidegger définit le monde en disant « das Welt weltet », « le monde monde ». Le monde n’est pas un grand sac qui contient des objets. On ne pense jamais le monde lui même, à partir de lui-même, on le présuppose, il se dérobe toujours à toute prise. Ce qu’on appelle le monde (puisque tout ce qui est se trouve dans le monde, il ne peut pas y avoir quelque chose qui contiendrait le monde où on pourrait l’attraper..). C’est pour cela qu’Heidegger va définir le monde comme un pouvoir-être, comme une façon de tisser une chaîne de renvois, où les choses s’envoient les unes les autres..à partir de la Dite d’ailleurs, ça revient à ça..il dit, le monde c’est un reseau de renvoi, allers et venues quotidiens, qui donnent places et lieux et c’est un pouvoir être du Dasein. « La parole elle-même est : la parole – et rien en dehors de cela. La parole même est la parole. » Ibid., p. 14. Dans le discours classique, on dirait que c’est une tautologie, on cherche un synonyme, comme si les mots étaient interchangeables. Heidegger dit qu’il faut sortir des catégories de l’entendement, de la manière de rendre compte, des règles qui disent comment logos peut se construire. C’est une manière non plus de la définir, d’en rendre compte, mais une manière de se laisser porter en son site. C’est une tautologie du point de vue de rendre raison de la pensée, mais c’est autre chose du point de vue du mode de penser dont il est question là : quelque chose qui nous amène à goûter, cheminer, sans jamais vouloir l’attraper. Il le dit plus loin : « L’entendement mis en condition par la logique, l’entendement qui calcule tout – ce qui le rend en général si sûr de lui - nomme une proposition de ce genre une insignifiante tautologie. » Ibid., p. 14. Quand on cherche à définir et à maîtriser, à rendre compte et à calculer, une tautologie ne nous aide pas, mais si on est dans une logique du cheminement, c’est-à-dire se laisser aller au site, cette répétition nous met dans un rythme, dans une intensité qui nous éprouve, qui nous fait être d’une certaine manière, sans qu’on puisse l’arrêter. Et le dire.., dans le sens où on peut le dire mais on ne peut pas en rendre compte, c’est une épreuve, une expérience. « Se borner à la répétition : la parole est parole, comment cela peut-il nous mener plus loin ? » Ibid., p. 15. Comme si quand on a dit ça, on s’arrête. La parole c’est la parole ..point ! qu’est ce que c’est un nuage ? Un nuage c’est un nuage ! et souvent nous ne nous contentons pas de cela…nous voulons ex-pliquer. « Mais il ne s’agit pas d’aller plus loin. Nous aimerions seulement tenter d’arriver une fois là même où déjà nous avons séjour. » Ibid., p. 15.

Cela ramène à ce qu’il disait plus haut, on est toujours déjà là où on est, toujours déjà au monde. Tourné d’une manière et nous n’en prenons pas la mesure, ni soin, et comment à l’occasion de ça, il y a va d’y être, d’exister. Cela amène à entendre comment dans l’existence elle-même, on se borne toujours à vouloir toujours autre chose, on est dans l’affairement.

La Dite, nous amène à prendre la mesure de là où nous avons déjà séjour..et que tout est là. Cela amène à « Vanité, tout est vanité et poussière du vent » (L’Ecclesiaste), du côté de l’ego. Et comment ça vient nous chercher chacun ? en fait, quoi qu’il se passe, c’est toujours déjà en marche, le temps vient !j’ai pas besoin d’avoir des projets pour avoir une vie, elle toujours déjà à l’œuvre, à moi de l’apprécier, ce qui est une leçon d’humilité et ..vertigineux. La Dite amène à l’existence, l’exil, là où il y a un site, mais que c’est pas quelque chose de précis, d’arrêté. Quand on parle, on se sert de la parole pour vouloir quelque chose : je veux de la salade, je veux un nouveau mec. Avec l’idée que si j’ai ça, je serai vivant, ou que je mourrai moins. C’est-à-dire, comment essayer d’aller au plus près de là où nous avons toujours déjà séjour ? Je suis là et là, tout est là. Qu’est-ce qui fait que je me plains de ne pas avoir ou de vouloir… ? Par exemple, autour de la question de la solitude, qu’est ce que ça changerait d’être en couple lorsque je suis célibataire (ou le contraire..) ? y’a rien de plus à être en couple .. je vivrais avec quelqu’un...je serais quand même en train de bouquiner maintenant, ça changerait rien à ce qui se passe là..quand je suis en train de lire, je ne suis pas « en couple »..il n’y a rien de plus… Rien d’essentiel de plus…la sol L’essentiel se passe dans maintenant je suis toujours déjà là. A la fois cela donne un ravissement, une sérénité et à la fois ça fout le vertige… Ça évoque cette solitude existentiale et toute cette dimension j’y suis … rien d’autre…c’est pas tenable dans le quotidien, aussitôt ça réapparaît… « oui mais ! » Tu le chopes et tu vois le précieux de ça et aussitôt tu l’as perdu. C’est quelque chose de très difficile …une forme de sérénité..qui n’est pas une joie, qui n’est pas le ravissement..et ce n’est pas une détresse non plus. Le là est toujours déjà, il peut se montrer en se dérobant… Et pourtant on dit le là..là même où déjà nous avons séjour . Nous ne choisissons pas, il nous échoit de. Je suis tombée, ça m’échoit, je ne l’ai pas choisi. Et même quand je choisis, ça m’échoit, j’ai l’illusion de le décider..je décide ce qui est là. C’est tout le travail de thérapie : c’est comment je peux choisir ce qui advient plutôt que ce que je voudrais, dans l’illusion que je pourrais vouloir quelque chose qui serais mieux ou pas mieux. Tu vas choisir ta nausée quoique tu fasses ..elle est là et tu vas peut être t’y approprier, tu t’y reconnais.. C’est une dimension où je m’y retrouve, où il y va de moi, je m’y recueille. Mais quand je dis ça, c’est déjà tout petit au regard de ce que ça donne à éprouver…comme quand je dis « je lis » : c’est pas simplement je lis, c’est bien plus que ça..le multiple..cette dérobée… y’a rien à demander de plus..juste là ..


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