www.edithblanquet.org
Accueil du site > Enseignements de Gestalt-Thérapie et phénoménologie, de Daseinsanalyse > Activités de recherche au sein de l’EGTP > 1.4.6 Groupe de lecture "La parole " texte de Martin Heidegger > Compte-rendu N°1 "la parole"

Compte-rendu N°1 "la parole"


Lecture de «  La parole » publié dans « Acheminement vers la parole » Martin Heidegger, Gallimard collection Tel N°55, Paris, 1976. Cette édition nous sert de référence pour la pagination indiquée dans nos comptes rendus.

Groupe de lecture de Brugairolles - Compte-rendu 1 - janvier 2015 Lecture des pages 13 et 14.

Participant(e)s : Edith Blanquet, Marie-Christine Chartier, Darwin Fauché, Anne Guignabert, Frédérique Remaud, Corinne Simon.

Ce groupe de lecture se donne pour projet de commenter et approfondir la pensée de Heidegger sur ce sujet de la parole. Sujet qui nous concerne particulièrement dans notre accompagnement de personnes souffrantes. Il s’agira d’expliciter le texte et de le compléter par un regard clinique.

Introduction pour entrer dans ce texte :

Acheminement vers la parole, en 1959. Pour la petite histoire : Être et Temps : 1927.C’est le moment où Heidegger a largement travaillé sur son œuvre et où la parole prends de plus en plus de place. Il faut resituer la question de la parole : petit détour vers un livre récent de Françoise Dastur, Penser ce qui advient Dialogue avec Philippe Cabestan, Paris, Les Dialogues des petits Platons, 2014 : « Vous avez parfaitement raison, la différence ontologique n’est nullement le dernier mot de Heidegger » p. 36. C’est à dire qu’au début Heidegger pose la question de l’être, c’est à dire qu’il propose de reprendre à nouveaux frais la question de la philosophie et il dit : la question de la philosophie c’est (se poser la question) celle de l’être. Cela veut dire, si on le prend historiquement, la question de l’être c’est ce qu’on appelle "philosophie première".

Que veut dire philosophie première ? Tout le cheminement de la philosophie pose la question de l’être et de l’étant, le rapport être / étant, c’est cela qu’on appelle la différence ontologique : être – étant. Les philosophes ont proposé diverses manières d’entendre cette différence. Soit il y a l’être qui est d’un côté et l’apparaître qui est de l’autre : derrière l’apparaître se cache l’être qu’il convient de dévoiler. Soit l’être se montre de multiples manières. Platon : la vérité/l’être c’est les idées et ce qui se montre/ l’étant c’est l’apparence, mais derrière l’apparence il faut retrouver les idées. C’est cela qui conduit à penser que notre monde habituel est un monde d’apparence, sensible. Ce monde se fonde sur un « arrière-monde » qui en est le fondement : le monde vrai , celui des essences ou des idées. La philosophie occidentale repose sur cette conception de deux mondes : un immanent (celui dans lequel nous vivons) et un transcendant (celui qui est condition de possibilité, essences, fondement du monde sensible). On a questionné l’être (« pourquoi le monde ? Quel est le sens de cela ? Qui l’a créé (hypothèse d’un Dieu) ? En vue de quelle finalité ? Et on a parlé de ce qu’on appelle la physique, l’être tel qu’il se montre, l’apparaître ; et la métaphysique : ce qui est derrière la physique, qui est le principe, le fondement de ce qui se montre. On a cherché à définir l’être, à le dégager de l’apparaître, on a fait une différence comme s’il y avait d’un côté l’être (le principe qui rend possible tous les étants) et de l’autre côté ce qui est l’apparaître (la manière dont les choses sont). Donc toute la métaphysique vise à essayer de retrouver et de dire qui est l’être, le principe de tout ce qui est. Métaphysique, c’est ce qu’on appelle aussi philosophie première ou ontologie (ontologie : être/ ontique étant). Donc, il y a l’être en tant qu’être, la question fondamentale (ontologie), qui au cours de l’histoire de la philosophie est devenu l’être de l’étant : on cherche l’être de tout ce qui est.

C’est après Aristote qu’on a classé la philosophie en :
- ontologie première, la question de l’être ?
- et les ontologies régionales c’est à dire l’être des étants, les étants tels qu’ils se montrent, ça donne les "matières" qu’on apprend à l’école : la géographie, la musique, la physique, les mathématiques. Ce sont les ontologies régionales, les étants qui sont dans le monde et qui seront classés selon leurs caractères d’être( les vivants, les minéraux etc…et dans chacune des grande espèces, on a distingué des sous-espèces). Et, de ces étants, on a dégagé les principes premiers, la cause de, la cause première ( le plus abstrait, le fondamental). Cette manière de dire est une façon de répondre à la question de savoir pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien ? Pour que quelque chose soit, il faut que l’être lui soit donné et on cherche à retrouver l’être : par exemple à travers la façon dont chaque table se manifeste - l’accident, on cherche l’essence.

L’essence, c’est ce qui est de l’ordre de l’être, de l’ontologie, du principe qui fonde chaque table accidentelle ou particulière. L’accidence, c’est ce qui est de l’ordre de l’étant, des régions du monde de tout ce qui se montre. Et on a essayé d’en déterminer le premier principe : l’être ou bien " la raison d’être" de cette chose, autrement dit on a tenté d’en rendre raison, de le justifier, de l’expliquer et d’en ôter tout mystère. On a voulu s’en "assurer". Et chaque philosophe a fait l’hypothèse du premier principe : l’être c’est l’air, l’être c’est l’eau, l’être c’est le feu (les philosophes de l’époque de Millet, toute la philosophie grecque).

Plus tard, l’être est devenu Dieu, un "super étant" (ens maximum), un créateur incréé et condition de possibilité de tout ce qui est ; les étants dans le monde terrestre sont créature de Dieu ( non crée, éternel)...

Pour Aristote : l’être est le premier moteur qui est un moteur immobile, condition de possibilité de tout ce qui est mobile. Donc, on a essayé de définir l’être, de différencier d’un côté l’être et de l’autre côté l’apparaître. C’est pour ça que l’on dit que rendre compte de quelque chose, en dire la vérité, c’est le dégager de l’apparence pour retrouver les essences ( le concept) : le justifier c’est le fonder en raison. Lorsque l’on parle d’"essence" on réfère à l’être : l’essence est volatile, subtile, non visible, pure... elle s’oppose classiquement à l’existence qui est matérielle, perceptible par les sens, "impure".

Chez Platon, il y a les idées qui sont la vérité, les essences. Celles-ci sont dans le ciel des idées et les choses sont dans le monde sublunaire, dans le monde quotidien, celui que nous percevons, sur la terre. Donc on reconnaît une table à travers toutes les manières possibles d’être table, toutes les accidences de l’idée table c’est à dire les formes perceptibles de chaque table que l’on côtoie dans le monde. L’essence de la table, la tabléité de la table, l’être de la table n’est jamais réalisé, il s’agit d’une idée : c’est au-delà, une essence. Ce n’est pas une matière, c’est autre chose, c’est ce qui dépasse et rend possible : la transcendance par rapport à l’immanence.

L’immanence, c’est le monde dans lequel on vit, là dans quoi on est. La transcendance, c’est ce qui dépasse ce dans quoi on est, c’est à dire cette table, elle est une manière d’être table, elle est une immanence d’un principe qui dépasse cette table mais qui est d’une certaine manière présent dans cette table : l’idée de la table, qui fait qu’on reconnaît toutes les tables qu’elles aient 1 ou 4 pieds. Donc la philosophie première, elle cherche l’idée cause (genos) de tout ce qui est, son fondement. Chez Platon : les idées sont toutes dans le ciel, le ciel des idées et ce qui permet qu’un homme connaisse, c’est que l’âme séjourne dans le ciel des idées avant de se trouver liée à un humain. Quant un humain naît sur terre, l’âme tombe dans son corps pour un temps et c’est l’âme qui connaît, ce n’est pas l’homme. L’homme connaît parce que l’âme se souvient, connaître c’est se souvenir, c’est la théorie du ressouvenir qui explique que l’âme se souvient du moment où elle était dans le monde des idées et c’est ainsi qu’elle peut nous permettre de dire. C’est l’âme en nous, qui, elle, vient du monde des idées (le monde de la vérité) qui nous donne la possibilité de voir la vérité. La théorie platonicienne est au fondement de la religion chrétienne.

Celle-ci nous a conduit à dire que connaître c’est apprendre par cœur les textes sacrés. Dieu est le transcendant pur et simple (qui est cause de lui-même, qui n’est pas causé par autre chose et ni ne naît ni ne meurt). Dieu est le principe premier, il n’est pas un étant immanent dans le monde.

Donc toute la question de la philosophie a été de partir de l’immanence pour déduire la transcendance.

La révolution phénoménologique, c’est que l’être c’est l’apparaître, ça veut dire que déjà on ne peut plus dire qu’il y a un apparaître derrière lequel se cache un être qu’il faut trouver (comme par exemple la théorie du symptôme nous invite à chercher ce qui se cache derrière et en est la cause). La phénoménologie se penche sur le phénomène, mais quand même l’idée demeure d’un rapport entre le noumène et le phénomène (idéalisme kantien). La phénoménologie et notamment Husserl va dire, ce n’est pas possible qu’il y ait un être et un apparaître. Il va parler de conscience avec un horizon, l’être, il est un horizon, ce n’est pas quelque chose de détaché. Et Heidegger va dire que le phénomène est un processus : venir à l’apparaître, ce n’est pas quelque chose qui se montre et qui est déjà tout fini. C’est un processus de venir à l’apparaître : un processus… cela ouvre la question du temps. (Film : « la naissance de la philosophie » qui évoque le passage du mythos au logos.) Tout ce qu’on appelle la métaphysique, c’est toute la tradition de la philosophie qui s’est intéressée à définir l’être. Et quand Heidegger parle de la fin de la métaphysique, c’est qu’il va dire qu’à un moment la métaphysique parvient à sa fin, à son bout, et donc à sa pleine manifestation... Ainsi nous arrivons à un moment particulier : ou bien on renonce à définir l’être, ou bien on doit passer à autre chose, on ne peut plus être dans la métaphysique à chercher les idées ou les essences. On doit entendre autrement, penser à nouveau cette question d’être ? C’est ce que Heidegger appellera : l’autre commencement de la philosophie. Acheminement vers la parole se situe dans cette période-là, quand il va publier « Temps et Être ». C’est-à-dire qu’il va questionner la présence humaine comme une habitation et non plus la penser comme une inclusion dans un monde matériel. Il va poser que l’être est essentiellement "oubli" ( voir « Etre et temps »), l’être est « échappée », on ne peut jamais l’attraper, le cerner et en rendre compte.

Donc Françoise Dastur dit dans Penser ce qui advient : « Vous avez parfaitement raison, la différence ontologique n’est nullement le dernier mot de Heidegger, qui n’hésitera d’ailleurs pas à dire, dans un de ses derniers séminaires, celui qu’il fit en 1969 en Provence, au Thor, à l’invitation de René Char, qu’elle était une impasse nécessaire. » (de vouloir faire la différence ontologique) Ibid., p. 36.

On a vu que ce que Heidegger opposait à Husserl, c’est le fait que toute découverte de l’étant présuppose l’ouverture préalable de l’être ou encore du monde comme « horizon de compréhensibilité possible de tout étant ». Quand on pose un étant, on a toujours déjà compris le monde, c’est à dire qu’on ne peut pas définir le monde. Quand on le définit, on le prend comme un grand sac qui contient des étants. Dans ce cas là on ne dit jamais le monde lui-même : on le présuppose en énonçant ce qu’il contient. C’est ce qui va amener Heidegger à dire que le monde est un pouvoir être du Dasein, ce n’est pas un quelque chose. F. Dastur écrit : « Cet au-delà de l’étant qu’est l’être fait partie du mode d’être de l’existant lui-même, car celui-ci n’est pas un étant comme les autres, il est temporel ou ek-statique et non pas analogue à une substance ou à une chose déjà présence ou déjà réalisée », Ibid., p. 36.

C’est à dire que nous, les humains, nous ne sommes jamais quelque chose de déjà réalisé ou situé quelque part et arrêté. Nous sommes toujours ek-statiques, toujours en dehors de, c’est à dire qu’on a toujours une entente d’être. On n’est jamais un étant de la façon dont un cahier est un étant. « C’est donc le caractère ek-statique du temps qui rend possible la transcendance c’est à dire le rapport de l’existant au monde, car seul un être qui n’est pas enfermé dans le présent peut se comporter à l’égard des choses dans leur ensemble. Un tel comportement exige en effet le déploiement de l’horizon du monde (comme possibilité de se comporter, structure du projet, en vue de quoi et en vue de qui) à partir duquel il est possible de revenir intentionnellement sur l’étant pour l’appréhender comme tel ou tel. » Ibid., p. 36. C’est parce que toujours déjà avec moi un monde est co-ouvert que je peux étudier juste les propriétés d’une table c’est à dire que je peux prendre en conscience et étudier du point de vue de la conscience qu’est ce que c’est cette table là ! Mais c’est parce que je ne suis pas à l’intérieur de moi-même et que je suis toujours déjà dans une manière d’entendre des manières d’être, que je peux reconnaître la manière d’être d’une table. Je ne suis jamais enfermé à l’intérieur de moi-même, je suis toujours en rapport. « Il n’y a donc aucun comportement par rapport à l’étant qui ne comprenne l’être, ni aucune compréhension de l’être qui ne s’enracine dans ce qui n’est pas un sujet, une substance, mais une existence et un comportement par rapport à l’étant ». Ibid., p. 36. C’est à dire quoique se soit, je me porte toujours auprès-de, je ne suis pas à l’intérieur de moi, je suis toujours auprès : être-avec-autrui est un existential du Dasein : une manière d’être. « La notion de « différence ontologique » demeure donc liée au mode transcendantal de penser, au sens où elle implique le dépassement de l’étant en direction de l’être ». Ibid., p. 36. Quand on pense en terme de différence ontologique, on est toujours avec l’idée qu’il y a quelque chose comme l’être qui se découpe de l’étant.

« Elle constitue donc, affirme Heidegger, le « plus grand danger pour la pensée » parce qu’elle conduit à la représentation de l’être sous la figure d’un étant, ce qui est précisément ce que fait la théologie (l’être c’est Dieu, c’est à dire quelqu’un, un étant). C’est la raison pour laquelle Heidegger a désormais choisi de barrer l’être d’une croix, de sorte qu’il ne puisse plus ainsi se donner comme un « en-soi », (c’est-à-dire quelque chose dont on pourrait dire ce que c’est) comme un vis à vis de la pensée qui lui ferait face en quelque sorte de l’extérieur. Déjà dans les Beiträge (« Contributions à la philosophie », Beiträge zur Philosophie), texte du milieu des années 1930, Heidegger soulignait que la différence ontologique, si elle est bien une première élucidation du problème de l’être, doit cependant être dépassée » ». Ibid., pp. 36-37.

Penser la différence ontologique, c’est commencer à se poser la question du rapport être/étant, mais la poser comme une différence ce serait de pouvoir découper ça ; la dépasser, c’est qu’il ne faut plus la regarder comme différence mais comme une dimension de la présence. Le tournant (die Kehre -le passage), c’est qu’au début il écrit Être et Temps et qu’il s’arrête un moment, non pas parce qu’il n’y arrive plus et que ses travaux n’ont plus de sens mais parce que la manière de dire est toujours prise dans la métaphysique et dans l’idée de différencier être et étant. Et c’est pour ça qu’il va y avoir tout un travail qui va amener à Temps et Être, seconde partie de l’œuvre de Être et Temps qui finalement prendra forme d’une conférence particulière au cours de laquelle Heidegger parlera de Ereignis - l’événement appropriant - l’avenance ( actuellement l’œuvre dans laquelle Heidegger développe l’Ereignis est traduite : M. Heidegger, Apports à la philosophie. De l’avenance, Trad. de l’allemand par François Fédier, Collection Bibliothèque de Philosophie, Série Œuvres de Martin Heidegger, Gallimard, 2013)

« Le « tournant » qui s’opère alors dans la pensée de Heidegger l’amène à mettre l’accent sur cette dimension essentielle de l’être qui est celle du retrait et même du refus » Ibid., p. 37.

Dans Être et Temps il dit que l’être s’oublie. Il ne dit pas que les philosophes jusqu’auparavant l’ont oublié : dès que je veux le définir, je rate, j’en fais quelque chose, un étant. Quand je dis "c’est l’eau", j’en fais un élément, un étant, quelque chose qui est dans le monde. Donc il dit, qu’il est de l’essence de l’être de s’oublier. C’est ainsi qu’on va retrouver le sens grec de la vérité. La vérité n’est plus comprise comme l’adéquation entre l’idée (l’intellectus) et la chose, une manière de dire l’essence et l’accident. La vérité devient dévoilement c’est à dire levée de l’oubli. Cela veut dire que la vérité n’est plus celle que l’homme définit, en se posant lui-même comme détenteur de celle-ci (subjectum). La vérité s’entend comme propriation, venue à la présence. Mais la levée de l’oubli, c’est assumer l’oubli, ce n’est pas qu’on peut l’enlever l’oubli, c’est assumer que toujours ça s’oublie, c’est prendre conscience de cet oubli comme essentiel, du mystère… qu’on ne peut pas avoir de fondement assuré. Cela amène à dire que nous ne pouvons pas fonder en raison l’existence. Le Dasein s’entend comme avoir à être le fondement d’une nullité nulle, telle est la condition humaine, d’avoir à se destiner sans cesse.

« Car l’être, qui n’est ni une substance ni un sujet, ne peut se donner qu’à travers le déni de soi-même » Ibid., p. 37

L’Etre ne peut se donner que comme ce qui échappe et c’est par cette échappée qu’on peut s’y éprouver, mais on ne peut jamais l’attraper (c’est "la patate chaude", l’être, une question à préserver comme question).

« L’être et l’étant ne sont donc pas séparés au sens où ils occuperaient des lieux différents, comme c’est le cas dans la métaphysique traditionnelle, mais l’être se change lui-même en étant par le même mouvement par lequel l’étant advient à la présence » Ibid., p. 37.

Heidegger dit que l’être "appelle" l’homme à la présence. La parole qui appelle à la présence ne dit rien : un silence. Cet appel silencieux fait de nous des "répondants". C’est à dire, ceux qui avons à prendre charge (respons : prendre la charge) d’être ceux qui répondent à un appel à être. Et comment ? En nommant les choses, c’est à dire, en faisant venir des étants tout en prenant garde/soin (et cela nous concerne, nous éprouve) du retrait/oubli de l’être. Nous avons à prendre soin de l’être comme un retrait : c’est pour ça qu’il dit que le Dasein est le berger de l’être, il le tient en sa garde, il en préserve le retrait.

« Cela ne veut pourtant pas dire qu’il faille maintenant poser l’identité de l’être et de l’étant, mais il s’agit bien plutôt comme il l’explique dans Identité et Différence, un texte datant de 1967, de penser « l’événement » même de la différence et non pas seulement son résultat, » Ibid., p. 37.

C’est l’être qu’il nomme Ereignis. Ereignis dit : apport de temps, donation d’espace, pouvoir être, jamais quelque chose de réalisé, phénomène, avenance. C’est la provenance, toujours " en voie de" et cela nous invite à prêter attention au fait que la Gestalt-thérapie a pour objet la Gestalt, la forme. La forme s’entend comme rapport figure/fond. Pour mieux comprendre il convient de la distinguer du concept : la pleine lumière du rendre compte. « ...les différents, les termes qui différent. » Ibid., p. 37. C’est ainsi qu’on travaille sur les rapports (figure/fond) en Gestalt-thérapie, avec le phénomène plutôt qu’avec le symptôme, avec la forme plutôt que le concept.

« On est loin, on le voit d’un « tournant théologique », puisque ce qu’il s’agit maintenant de penser, ce n’est pas l’auto-suffisante et l’infinitude d’un être qui serait causa sui, cause de lui-même, mais, sous le terme intraduisible d’Ereignis, (Ereigen, c’est venir à sa propriation, s’approprier) dont l’un des sens, le plus courant est précisément celui « d’événement » , la « co-appartenance de l’être et de l’homme », car cette venue à la présence de l’étant n’advient pas d’elle-même, mais en « appelle » au contraire à la collaboration de l’être humain . C’est cette co-appartenance qui advient comme langage, lequel est à la fois celui de l’homme et celui de l’être. » Ibid., p. 37.

C’est ce qui va amener à dire que « nous habitons la parole », nous les humains. Nous ne sommes pas propriétaires de la parole, nous sommes traversée langagière. L’humain est celui qui est appelé à la présence d’être, sa manière de répondre c’est de parler, c’est-à-dire de prendre soin de l’inouï : ce que nous disons nous donne à entendre bien plus que ce que nous pensons avoir compris. Nous habitons la parole, nous sommes des transcendants. Notre présence est une dimension, ce n’est pas une substance, ce n’est pas un lieu géographique, matériel. Nous sommes des existants, ceux qui n’ont pas de lieu, ceux qui ne peuvent que se situer, lieu tenant d’une ouverture d’être.

Le recueil de M. Heidegger, Acheminement vers la parole, Mesnil-sur-l’Estrée, Gallimard, 2010, va poser toute cette question là, celle de la présence humaine. La parole n’est plus ici une capacité sémantique d’un cerveau, elle n’est pas le bagage verbal d’un sujet. La parole s’entend le "là" (être-le-là) qui nous appelle à répondre. Comment ? En habitant la parole, en nommant nous donnons forme de monde. Avec Acheminement vers la parole, on est dans l’œuvre tardive de Heidegger, un moment où il y a toute la portée de son œuvre, la portée pour nous en tant que thérapeutes. Et du coup la parole et prendre garde des formes langagières : ce n’est pas pour rien qu’on travaille avec cela (et que ça nous travaille...). Travailler avec la notion de forme, c’est justement travailler sur le slash figure/fond, une forme qui s’éclaire, toujours en voie de sa manifesation. La forme est toujours en-voie-de-sa-manifestation. On ne peut pas isoler ni une figure ni un fond. Toujours il est question d’un rapport. Notre travail est de mettre/tenir en rapport, de donner à explorer un rapport, à déplacer le pli : expliciter et non plus expliquer. Alors que quand on est dans le concept, on veut mettre en pleine lumière donc dans une idée de maîtriser, d’arrêter. Quand on dit essence, ça veut dire qu’on oppose ça à existence traditionnellement, ou à l’immanence, les étants qui sont dans le monde par rapport à transcendance, l’au-delà.

Titre du texte que nous allons étudier : « La parole », avec une note : Die Sprache : Quand on dit la parole chez nous en français, ça met en allemand en rapport Sprache et Rede. Rede c’est le discours et quand on dit une parole, on le prend pour ce qui est prononcé et non pas comme l’acte de parler, d’être parlant, un pouvoir être proprement humain. Quand Heidegger va parler de la parole : die Sprache, c’est un pouvoir être parlant. Il nous advient de parler, c’est à dire de répondre à un appel à être : en parlant, tout nous parle, tout nous appelle à dire. C’est toute la question de "die Sage" : la dite ( voir « D’un entretien de la parole » dans Acheminement vers la parole).

1er paragraphe : il y a plusieurs niveaux : la 1èrepartie, « L’être humain parle. Nous parlons éveillés ; nous parlons en rêve. Nous parlons sans cesse, même quand nous ne proférons aucune parole, et que nous ne faisons qu’écouter ou lire ; nous parlons même si, n’écoutant plus vraiment, ni ne lisant, nous nous adonnons à un travail, ou bien nous abandonnons à ne rien faire. Constamment nous parlons, d’une manière ou d’une autre. Nous parlons parce que parler nous est naturel » p. 13.
- 2ème idée, où il ajoute quelque chose d’autre : parler ne provient pas d’une volonté.
- 3ème idée : l’homme à la différence de la plante est le vivant capable de parole. Avant de regarder ce qu’on comprend, il faut voir comment ça parle, comment ça procède cette manière de parler et comment ça nous concerne.

Le cercle herméneutique, c’est la démarche d’Heidegger. Si on le prend au premier niveau, on a l’impression qu’Heidegger passe son temps à répéter. Pensez au point de tige en broderie : je plante l’aiguille, je sors là, je reviens en arrière au milieu et je plante un demi point ; après, je reviens, je replante. C’est une manière d’avancer qui n’est pas un cercle vicieux mais qui est un cercle qui dit et puis qui reprend et qui ouvre une nuance et on reprend, on ouvre une nuance, on tisse, entretient des rapports... D’où ça vient l’herméneutique ? Ça vient de la manière de lire la Tora. Dans la religion catholique on apprend par cœur les textes et on les répète. Dans la lecture de la Tora, dans la religion juive, on n’apprend pas par cœur, on interprète c’est à dire qu’on lit une phrase - on ouvre une manière de l’entendre, on y revient - une autre manière. C’est ça l’herméneutique, c’est à dire essayer d’approfondir et de creuser, d’affiner le sillon et de l’explorer, de l’agrandir, d’expliciter. C’est une parole qui approfondit, qui reprend et qui ajoute une nuance, qui va chercher les nuances infinies d’une pensée, d’un dire qui s’adresse à nous et où il y va de notre manière de nous laisser appeler/entendre...une tonalité et pas seulement une question de connaissance technique à maitriser. Alors que dans la religion catholique mais aussi à l’école, on apprend une leçon, on répète par cœur et on veut savoir, maîtriser. L’herméneutique est cette manière de lire les textes sacrés et d’essayer de les interpréter, de chercher sans cesse comment la parole se dérobe, l’inouï de ce qu’elle nous donne à entendre. Cela peut nous permettre de comprendre le bavardage qui témoigne de la manière dont nous parlons dans la quotidienneté : nous parlons sans prendre soin de ce que nos propos nous donnent à entendre, nous parlons à tort et à travers... le dévalement (analytique existentiale) décline notre manière de prendre soin de être ? : équivoque, curiosité et bavardage.

Lire Heidegger ce n’est pas lire le même répété ou redondant. La forme de son propos nous frappe et invite : tonalité, une disposition, quelque chose qui nous intone et qui ouvre des nuances. Heidegger explique cette dimension du cercle herméneutique dans Être et Temps.

Le cercle herméneutique c’est par exemple : « L’être humain parle. Nous parlons éveillés ; nous parlons en rêve. », Ibid., p. 13. C’est une forme de litanie et puis « Constamment nous parlons, d’une manière ou d’une autre ». Ibid., p. 13. Il nous donne à entendre que parler ce n’est pas forcément ouvrir la bouche et prononcer des sons. Cela fait vaciller notre entente habituelle, révèle l’équivoque... Lorsque j’écoute un patient, je ne me hâte pas de comprendre la teneur de son propos, je me laisse éprouver, je l’invite à expliciter... à prendre la mesure de la portée inattendue de son dire, inattendu eu égard au bavardage habituel qui nous sied au quotidien... Ensuite… « parce que parler nous est naturel » Ibid., p. 13. Cela va de soi. Sauf que quand il le dit comme ça cela, ça cela ne va plus de soi. Qu’est ce qu’on appelle parler ? Puisqu’il dit qu’on peut parler silencieusement ! Ça fait quelque chose qui suspend l’évidence naturelle, qui amène à prendre conscience de comment on a toujours déjà compris - mise en œuvre d’une posture thérapeutique. Ce disant, il nous fait toucher que, justement quand je le dis : « Nous parlons parce que parler nous est naturel », Ibid., p. 13. Ce qu’il dit avant n’est pas si clair que ça ! Ah bon c’est naturel ? Mais comment je peux parler quand je rêve ? Comment je peux parler sans cesse même quand je me tais ? Quand il n’y a aucune parole ! Ça amène à entendre : il y a l’acte de parler et il y a le contenu de la parole...

Quand je lis ce texte, dans un premier temps, je découpe la progression, c’est à dire comment il tricote, comment ça tisse, logos. Ou bien je pourrais l’analyser en terme de, quelle est chaque idée à chaque fois, ce qui est une manière de le dire, beaucoup plus conceptuelle. Ou bien sur l’analyse de la structure grammaticale, le bagage est pauvre, au niveau du style, il dit : « Nous parlons en rêve, nous parlons sans cesse ». Ibid., p. 13. Pourquoi répète-t-il le même verbe ? Il pourrait dire nous bavardons ! Sauf que pour Heidegger bavarder et parler, cela n’est pas pareil, le bavardage est le dévalement du « parler », la Rede, le discours. Cela amène une rigueur philosophique et pas un souci stylistique (Il n’y a pas de synonyme ici, il maintient « nous parlons »). Nous ne sommes pas dans la rhétorique.

Donc le contenu, c’est le côté quotidien, où on s’arrête au contenu avec l’idée que les mots sont dans le dictionnaire et ont une signification qui est celle du dictionnaire, mais pas que ça nous appelle, que ça nous concerne en propre comme avoir à être nous, que ça concerne quelque chose dont on parle mais pas nous. Alors que avec Heidegger « parler », c’est répondre à un appel, venir à la présence, ça me concerne moi, il y va de moi, pas juste de ce que je dis, de qui je suis simultanément.

Sprache, c’est la parole en tant que la langue. Ma parole c’est le Français (meine Sprache, c’est le français). C’est la langue que j’utilise mais c’est la langue que j’habite aussi. Si meine Sprache c’est Deutsch, allemand…je ne suis pas de langue allemande pourtant je sens bien que quand je parle avec le peu d’allemand que je parle, je ne peux pas traduire en français. Donc il y a bien quelque chose d’autre que juste un rapport de transposition (et nous mesurons cela lorsque nous usons d’un traducteur-machine : la machine ne peut pas parler/traduire comme nous parlons/traduisons...parler c’est donc pas une affaire de bagage verbal...une question technique, parler cela nous y engage nous-même et pas uniquement une quantité d’informations transposables en unités/bits passant d’un émetteur vocal à un récepteur vocal comme le disent les théories de la communication), ça me donne à entendre autre chose donc habiter l’allemand, ça me donne à moi une compréhension différente de quand je le dis en français.

Rede, c’est le discours, c’est quelqu’un qui parle mais pas à quelqu’un d’autre, qui parle de quelque chose, un politicien qui fait un discours, c’est pas adressé à quelqu’un, c’est le contenu du discours qui est visé. Gespräch (ça vient de Gesprach), c’est l’entretien, nous nous entretenons, on parle, on a un entretien au sens de la conversation. Et aussi cela entretien, prend garde de... Gesprochen, c’est parlé.

Texte, D’un entretien de la parole, au sens de « prendre soin », « prendre garde » de la parole…

« L’être humain parle. Nous parlons éveillés ; nous parlons en rêve. Nous parlons sans cesse, même quand nous ne proférons aucune parole, et que nous ne faisons qu’écouter ou lire ; nous parlons même si, n’écoutant plus vraiment, ni ne lisant, nous nous adonnons à un travail, ou bien nous abandonnons à ne rien faire » Ibid., p. 13. Ça c’est le premier niveau qui explore de commencer à prendre conscience qu’on attribue habituellement la parole au fait de moduler les lèvres d’une certaine manière avec la bouche pour faire des sons, et que du coup c’est une parole, c’est à dire une articulation particulière du son autre que crier par exemple. Ça dit déjà aussi l’être humain parle, il ne dit pas les animaux parlent. Pourquoi il dit l’être humain plutôt que les vivants ? Et que parler n’est pas un acte vigil, ce n’est pas simplement quelque chose de délibéré, c’est aussi quelque chose qui se produit dans les rêves. Ce qui ne veut pas dire que les gens parlent en dormant, ça veut dire que le rêve est une manière de parler. Il dit qu’on parle quand on fait quelque chose : par exemple quand je râpe des carottes. Parler nous donne à entendre quelque chose. Donc il dit que parler c’est aussi faire quelque chose : quand nous nous adonnons à un travail, si je fais de la purée, je parle. La parole c’est aussi toutes les formes de l’agir, la parole n’est pas simplement le langage, la prononciation de mots. Donc parler ce n’est pas prononcer quelque chose. En fait, ça vient dire toute la sphère des comportements humains déjà. Et cela nous interpelle en tant que Gestalt-thérapeutes : ça parle et nous parle la manière dont nous respirons, dont nous mettons un pas devant l’autre...la manière dont nous sommes…Déploiement du self en mode ça...

Et après il dit « Constamment nous parlons, d’une manière ou d’une autre » Ibid., p. 13. Ça veut dire que ça commence à faire entendre que, parler c’n’est pas une manière particulière, quoi que ce soit : tout ce qui est de l’ordre de l’humain, se décline comme forme parlante. Donc ça dit et ça donne à entendre...être humain : parler. Il dit aussi « Nous parlons parce que parler nous est naturel » Ibid., p. 13. Ça a à voir avec quelque chose de l’humain, ça fait partie de la nature humaine et ça vient interroger ce qu’on dit, c’est à dire la définition de l’humain, qui est un animal doué de parole, l’humain c’est l’animal qui à a la parole en plus, la capacité de parler. Si c’est naturel ça ne s’apprend pas c’est-à-dire que même quelqu’un qui est muet parle (le langage s’apprend, mais parler ne s’apprend pas). Il dit, l’être humain parle, être humain ça veut dire parler y compris si je suis muet, y compris si je me tais. C’est pour ça que des gens vont parler du langage corporel comme si on traduit par des mots le corporel, c’est ça qu’on appelle le langage corporel, quand on dit : ton visage en dit plus que tes paroles. Donc parler ça dit quelque chose de notre nature, ça nous est naturel ; ça va de soi, même un sourd, même un muet, même un aphasique ou un mutique... « Cela ne provient pas d’une volonté de parler qui serait antérieure à la parole » Ibid., p. 13. Ce n’est pas un acte de la volonté donc de la conscience vigile ni de l’ordre d’un vouloir propre à l’humain. Ne pas parler : quand je dis de quelqu’un qu’il refuse de parler, c’est quand même par rapport à la parole que je le situe : refusant de parler ; parler sur le mode du "ne pas". Ce n’est pas volontaire, quoique je fasse, ça réfère à la parole, il y va d’une parole toujours engagée, à l’œuvre. En fait, ça ouvre aussi à la question du sens, tout fait sens.

Puis nous lisons :« On dit que l’homme possède la parole par nature » Ibid., p. 13. Et cela nous renvoie à la définition de ce qu’on appelle l’anthropologie, c’est à dire à la définition de l’homme qui est l’animal doué de raison, doué de possibilité de raisonner, de parler." On dit" l’opinion courante...le dévalement existential se caractérise comme "le on", le monde public...la publicité. "on dit" sans s’y laisser concerner...équivoque. La traduction latine de logos c’est la raison, alors que logos c’est cueillir et rassembler, prendre forme par l’acte de l’appellation, c’est à dire parler, en quelque façon. Et on a traduit logos par raison en latin et c’est pour ça qu’il dit que

« L’enseignement traditionnel veut que l’homme soit à la différence de la plante ou de la bête, le vivant capable de parole » Ibid., p. 13.

Dans la famille des vivants, l’humain c’est celui qui est doué de la parole, il a ça en plus. Traditionnellement dans la culture philosophique on a définit l’humain dans les ontologies régionales comme celui qui est doué de la parole, le vivant qui a cette caractéristique d’être celui qui parle. On ne dit pas que c’est celui qui marche sur 2 jambes, on dit que c’est celui qui parle. Ça rappelle à la définition classique de l’être humain, ce qu’on appelle l’anthropologie. Quand il dit que l’homme est capable de parole, il dit, « Cette affirmation ne signifie pas seulement qu’à côté d’autres facultés, l’homme possède aussi celle de parler » Ibid., p. 13.

Quand on dit la définition de l’humain, on le définit comme si c’est un signe distinctif, un signe pathognomonique : le signe qui tout seul isole une pathologie, celui qui à lui seul permet de dire la positivité d’une maladie. Sinon, on additionne des signes et des symptômes pour faire un syndrome. Pour faire un symptôme, c’est plusieurs signes et plusieurs symptômes pour faire une pathologie ? Le problème, c’est que souvent le signe pathognomonique court à la recherche des autres parce qu’il n’existe pas, c’est presque un principe idéal.

Donc, il dit bien, que dire que l’homme est le vivant capable de parole, ce n’est pas parler d’une faculté parmi d’autres. De l’homme, on ne dit pas qu’il est capable de parole et de fabriquer des outils et de ...monter à vélo,...ça veut dire que la parole est une capacité déjà particulière de l’humain puisqu’on l’a utilisé pour le caractériser, le distinguer des autres vivants qui comme lui se déplacent, mangent, respirent, etc. La présence à la parole caractérise l’humain, ce n’est pas le fait de voir qui caractérise l’humain. Même si on le situe comme une aptitude, on a bien isolée cette aptitude comme une aptitude particulière. On ne dit pas que l’humain est un vivant capable de respirer, la capacité de respirer nous la partageons avec d’autres animaux et d’autres vivants, qu’ils soient animaux ou plantes. Un animal, c’est quoi comme vivant à la différence de la plante ? c’est qu’il a du sang et pas une sève. Après on a distingué les animaux à sang chaud et ceux à sang froid ; ceux à sang froid étant plus proche du végétal. Mais c’est aussi la capacité de reproduction sexuée, l’animal. Le problème, c’est qu’il y a des plantes qui ont aussi des sexes, les ginkos mâles et les ginkos femelles ; le kiwi c’est pareil, c’est un fruit sexué, il faut qu’il y ait des kiwis mâles pour qu’il y ait des fruits. Dans le vivant, il y a aussi la possibilité de manger et se déplacer. La possibilité de manger n’est pas propre au vivant animal puisqu’il y a des plantes carnivores et certaines plantes (le cactus par exemple ) se déplacent en migrant ; mais la locomotion est quand même plus proche du vivant animal. Mais les plantes aériennes, celles qui ne sont pas plantées dans la terre et qui pourtant poussent et fleurissent ?

La manière de dire de Heidegger nous ouvre soudain à tout ce que le propos énonce/ce qu’il n’énonce pas. Encore une fois la définition classique et technique de la communication vacille... Donc, « cette affirmation ne signifie pas seulement qu’à côté d’autres facultés, l’homme possède aussi celle de parler » Ibid., p. 13. Cela veut dire que l’homme peut se concevoir comme addition de compétences (les savoirs faire et autres recharges en capacité de concentration... Ou addition d’organes...). On peut additionner des facultés pour faire l’homme, mais dans cette addition il y a une différence qualitative avec la parole, c’est pas juste une différence quantitative. (Le tout est autre que la somme de ces parties nous dit la gestalt théorie). Il dit « que c’est bien la parole qui rend l’homme capable d’être le vivant qu’il est en tant qu’homme. L’homme est homme en tant qu’il est celui qui parle » Ibid., p. 13. C’est ça qui constitue l’homme, la parole "en tant que" n’est pas à prendre à la légère : le en-tant-que" traduit als allemand et est un caractère de l’existential mondanéité.. Et il finit en disant, « Pourtant reste entièrement à penser ce que cela veut dire : l’être humain » Ibid., p. 13. Il dit l’être humain, il ne dit pas le vivant humain. Vivant/être ... Ce qui vient poser la question de la théorie de l’évolution avec l’idée de la complexification des capacités. Que, avant d’être des humains nous étions des poissons ...des reptiles. La théorie de l’évolution dit que tout vient d’un organisme souche et qui s’est complexifié en fonction des milieux. Ça poserait qu’il y aurait une évolution ; s’il y a une évolution, ça voudrait dire que le vivant humain serait plus achevé que les autres ? Une étape plus évoluée ? Il ne parle pas de ça, il dit que ce qui reste entièrement à penser c’est l’être humain et pas l’étant humain, pas une catégorie des vivants. Donc il dit bien pourtant que quelque chose reste à penser ! Quand on définit l’humain comme un animal doué de langage, est ce qu’on a définit l’humain ? On définit l’humain comme un animal particulier pas comme l’être humain.

Parolesdesjours.free.fr : dossier les œuvres complètes de Heidegger. « Unterweg zur Sprache »

Donc si on résume, il reprend ce qui semble aller de soi, mais dans la manière dont il le reprend, tout d’un coup, ça nous pose question, des questions qu’on ne se serait pas posées forcément. Qu’est ce que ça veut dire parler ? Qu’est ce que ça veut dire la parole ? Et, qu’est ce que ça veut dire être humain ? « Quoiqu’il en soit, la parole a sa place au plus près de l’être humain. Partout se rencontre une parole. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner que l’homme, dès qu’il promène le regard de sa pensée sur ce qui est, trouve aussitôt la parole, et aussitôt entreprend, dans une perspective décisive, de l’accorder sur ce qui se montre d’elle. La réflexion tente de se pourvoir d’une représentation de ce que eut bien être la parole en général. Le général, ce qui vaut pour toute chose, cela se nomme l’essence. » Ibid., p. 13.

La première phrase qu’est ce qu’elle a de surprenant ? « Quoiqu’il en soit, la parole a sa place au plus près de l’être humain », Ibid., p. 13. Il ne dit pas qu’elle est une capacité du cerveau humain, elle n’est pas une capacité mentale de l’homme. Habituellement, on n’aurait pas dit que ça a sa place au plus près, comme quelque chose qui est à côté, on aurait dit, c’est une capacité de l’homme. Ça fait étrange de dire que la parole a sa place au plus près de l’humain ! « Partout se rencontre une parole » Ibid., p. 13. Cela donne à entendre, que où que je sois, ça a à voir avec la parole. Je dis, je suis assise sur un siège avec les pieds sur la table. Et quand je dis ça, je dis des choses : siège, table ; en fait ça dit quelque chose qui est une parole, puisque, siège, table, pour nous ça nous parle, nous qui sommes français, mais pour un allemand, il ne saurait pas ce que ça veut dire s’il ne connaît pas un mot de français. La parole ce n’est pas qu’une question de langage. Si je dis à un allemand je fais ça, il ne va pas forcément comprendre ce que je dis mais, simplement la présence humaine va lui parler. Ça veut dire que même quand je suis en Chine, quand je suis dans un autre endroit (le dépaysement), toujours ce auprès de quoi je me tiens me parle ; j’essaie d’imaginer, quand je suis devant un panneau ou un plat de cuisine, je vais essayer d’imaginer quelque chose, ça me donne toujours quelque chose à parler, ça me parle toujours, en terme de mangeable ou pas mangeable par exemple. Où que je sois, ça fait sens, ça m’oriente et ça me donne une compréhension. La parole, j’en comprends quelque chose, j’en entends quelque chose comme s’y entendre avec... dans le sens où on dit, celui il s’y entend bien avec le cuir… Dans le langage traditionnel, on disait ça, quand quelqu’un était doué dans un domaine, on dit, il s’y entend, en maçonnerie...pas forcément qu’il avait des oreilles, mais il s’y entend avec ça. Quoiqu’il arrive ça parle, se rencontre une parole. Ce qui veut dire, quand il dit « ça parle », ça donne sens dans le sens où ça m’oriente et me donne une compréhension, je peux dire c’est étrange ou je vais dire, tiens ! où je suis, ou je ne comprends pas ! « une parole », quelque chose qui nous dit, qui s’adresse à nous ; « une », c’est une façon particulière de parler, de dire, c’est pas une parole générale, ça nous parle, on y comprend quelque chose, on y entend quelque chose même si on ne sait pas dire quoi. « C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner que l’homme, dès qu’il promène le regard de sa pensée sur ce qui est, trouve aussitôt la parole, et aussitôt entreprend, dans une perspective décisive, de l’accorder sur ce qui se montre d’elle ». Ibid., p. 13. Alors on pourrait dire que voir, c’est aussi entendre, c’est à dire que quoique je fasse, je vais voir le ciel.Et aussitôt dans une perspective décisive ça se prend à s’accorder avec ce qui se montre ; si je te dis : tiens ! je vois un escargot posé sur la table, tu vas me dire mais non c’est le fil électrique ....donc on essaie de l’accorder ; la perspective décisive, c’est ça qui fait le monde commun : c’est le jeu qu’on pourrait prendre, quand j’étais petite et qu’on jouait avec des feuilles à faire de l’argent, ça parlait d’une certaine manière, mais on savait bien quand même que, on dirait que : c’est des règles des jeux d’enfants, on dirait que ce serait...il y avait des billes qui étaient des personnages, des billes qui étaient des animaux...mais dans le jeu on avait définit ensemble comment on allait entendre ça. On ne disait pas que c’étaient des billes, c’étaient des vaches...

Ça veut dire que la parole dit, elle accorde ce qui se montre de la parole ; donc la parole ça va avec ce qui est. D’ailleurs quand il y a quelque chose qu’on ne sait pas ce que c’est, on va demander à l’autre qu’est ce qu’il y a dans la boîte ? Et il suffit que l’autre nous le dise pour que ça s’accorde et qu’on s’attende à voir…par exemple si je dis : dans cette boîte il y a des livres, quand on ouvre la boîte on s’attend à trouver des livres et pas des pinces à cheveux. « trouve aussitôt la parole », Ibid., p. 13. C’est déjà toujours déjà là, aussitôt. C’est à dire que quand je vais à table il y a des fourchettes et des couteaux, il y a pas des trucs à qui j’ajoute des qualités pour en faire des couteaux et des fourchettes, je vois une fourchette d’emblée. Ce n’est pas une addition de perceptions qui arrivent à la table, je vois une table mise, alors que si je vois la même chose avec des livres, je vais dire c’est un bureau. Quand on dit une table, c’est une parole qui suppose un plateau, des chaises et puis des assiettes et des couverts, un truc où ça parle !

De prendre la mesure de ça, c’est que quoique se soit on est toujours entrain de prononcer quelque chose, de parler et d’une manière décisive, de s’accorder sur ce qui se montre : si un enfant me dit, t’as vu le papillon qui est là ? Je vais dire, mais non ! Ce n’est pas un papillon c’est un je ne sais pas quoi... et ça dit bien que ce qui est, est adéquation, accord, l’idée que j’en ai et la chose. Quelqu’un qui est délirant, il y a une façon d’accorder qui pour nous se révèle dans son étrangeté, tiens ! Ce n’est pas comme ça d’habitude.

On peut pas dire que l’hallucination du coup c’est un trouble de la perception, mais quand il y a quelqu’un qui parle dans la rue, un interlocuteur invisible pour moi, je ne sais pas s’il imagine son interlocuteur, s’il le voit, s’il en produit une image. Le délire c’est être parlé mais c’est aussi parler mais est-ce que ça veut dire que c’est imaginé ? C’est une façon d’habiter mais qui nous apparaît à nous comme, « Tiens ! Il n’y a personne pourquoi il parle ? ». Comme s’il y a l’idée que pour s’adresser à quelqu’un il faut qu’il soit présent matériellement. Et le portable nous a amené à réviser ça. Mais ça rejoint cette définition de rendre compte c’est que le monde commun, c’est qu’il y a des codes pour dire les choses, et pour dire ce qui est, on utilise comme code la parole, en disant c’est table, c’est chaise...et je ne sais pas quoi ! Mais c’est une façon d’accorder une idée à un étant. Et que ça, ça pose la question de qu’est ce que c’est être d’accord.

Après il dit « La réflexion tente de se pourvoir d’une représentation de ce que peut bien être la parole en général » Ibid., p. 13. Quand on essaye de définir quelque chose, on définit ce qui est le plus général de toute chose, après il peut y avoir les caractéristiques singulières comme dans le dictionnaire, une table c’est ....Donc, quand on réfléchit sur les choses, on essaie de garder ce qui est le plus commun, on enlève le caractère accidentel. Donc, on essaie de se faire une idée de la parole en général. Et du coup, il dit « Le général, ce qui vaut pour toute chose, cela se nomme l’essence » Ibid., p. 13-14. C’est à dire que toute table est une représentation possible de la tabléité en général. Ça veut dire que quelle que soit la variété des humains, on est toujours un humain, on va difficilement confondre un humain avec une bobine de fil. Ça veut dire qu’on a une idée de ce qui est, on s’y entend toujours avec...est ce pour autant dire cela ce sont les essences ? C’est à dire le caractère commun à, ce qui fait toutes les tables tous les humains, l’être de ces choses là, ce qui les réunis.

La réflexion, est-ce que ça a à voir avec penser ? « Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement et les mots pour le dire vous viennent aisément ». C’est quelqu’un qui a la pensée bien faite, c’est à dire en gros, si tu penses clairement tu n’as pas besoin de mots compliqués pour le dire. Les gens qui ne sont pas compréhensibles pour les autres sont des gens qui ne pensent pas clair : on pourrait dire ça avec des choses simples... ça pose que dire, ce n’est pas une affaire de simplifier mais de prendre soin de la parole. On pense habituellement que parler c’est rendre clair, donc il faut utiliser des mots qui rendent clair sinon on est obscur ou on ne veut pas se faire comprendre. Avec la parole on accorde et accorder ça a à voir avec réfléchir. Accorder c’est réfléchir, où, c’est faire attention à ce qu’on dit. « La réflexion tente de se pourvoir d’une représentation de ce que peut bien être la parole en général » Ibid., p. 13. Quand il dit ça, il dit qu’on a une définition de ce que ça veut dire parler habituellement, c’est à dire qu’on a réfléchi pour essayer de dire, si dans le dictionnaire on met le mot parole, comment on va le définir. Donc, on essaie d’en rendre compte c’est à dire de justifier ou d’expliquer qu’est ce que c’est parole ? Et on va trouver les définitions du dictionnaire qui sont les définitions les plus générales et souvent dans la déf du dico, il y a parole, prononciation mais il y a aussi donner parole, tenir parole, il y a les occurrences particulières des mots. On utilise la parole pour dire des choses, pour dire le plus général, mais on utilise aussi la parole pour définir ce que ça veut dire parler, c’est ça qu’il dit, les 2 niveaux de la parole. « Représenter en général ce qui vaut universellement, tel est, à ce qu’on pense couramment, le trait fondamental de la pensée » Ibid., p. 14.

Ce qu’on pense universellement, c’est ça qui définit la pensée, c’est à dire le concept, la démarche scientifique. Je prends 2 mandarines et la façon dont je les traite, il y en a une qui pourrit plus vite que l’autre ; donc je fais l’hypothèse que 2 mandarines c’est suffisamment général que je ne peux pas voir que se sont 2 mandarines particulières, je fais l’hypothèse que c’est la même chose, c’est interchangeable. Cette mandarine, c’est une mandarine possible, mais est-ce que cette mandarine elle est la même que l’autre ? ; C’est la même du point de vue de ce qui est général, mais elle n’est pas identique.

Est ce que tous les matins je bois le même café ? Je bois du café mais ça ne peut pas être le même. C’est le même du côté du café mais ce n’est pas l’identique, ce n’est pas le même acte (logos) C’est pareil en psychopathologie quand on parle des pathologies mentales, des grands syndromes. Quand on a dit que celui là est schizophrène, est-ce qu’on a définit la personne ? On a définit une manière générale de dire quelque chose qui donne à entendre un comportement qu’on appellerait schizophrénique, mais chaque schizophrène est-il pareil ? Souvent on s’en tient au plus général et on s’arrête là !’on prescrit un bolus pharmaceutique...identique pour chaque schizophrène... Donc je prends mes 2 mandarines, j’en mets une ici et l’autre là et je fais l’hypothèse que ce qui va varier sera pertinent ! Mais si je dis, je prends une mandarine et une banane !! On va me dire, mais non ! Tu ne peux pas comparer une mandarine et une banane ! Par contre ça ne pose pas question de comparer 2 mandarines ? Mais après tout si je postule que le niveau le plus général est suffisamment fiable comme le fait le DSM... Alors je peux considérer que " fruit" est comme " symptôme" inutile de s’embarrasser avec les signes… cessons d’ergoter...soyons rapides et efficaces...

« Traiter de la parole en pensant, cela signifie donc : proposer une représentation de l’essence de la parole et délimiter comme il faut cette représentation par rapport à d’autres représentations » Ibid., p. 14.

Cela veut dire que je peux traiter de la mandarine en général, mais quand je traite de la mandarine en général, je dis bien « mandarine », donc j’use de la parole. Mais si je parle de la parole, si je prends la parole comme objet d’étude, j’essaie de proposer une représentation de l’essence de la parole, de ce qu’il y a de plus général dans la parole et de la délimiter suffisamment pour qu’on ne la confonde pas avec autre chose. Parler de ce point de vue là, ce n’est pas entendre, ce n’est pas voir, ce n’est pas sentir. Parler, ça a à voir avec la bouche et la prononciation ; entendre, ça a à voir avec les oreilles et voir avec les yeux, dans le schéma classique. Donc on a délimitée, distinguée d’autre chose, comme il faut, de manière adéquate, de façon que cela corresponde à l’idée que j’ai et la façon dont cette chose se voit. Quels sont les organes pour voir ? Les yeux ! Donc quelqu’un qui ne voit pas a les yeux qui ne fonctionnent pas ! Mais comment on fait avec la cécité hystérique ? C’est pour ça que s’il n’y a pas de lésions on dit qu’il imagine, qu’il fait semblant. Si on ne peut pas trouver une atteinte de l’œil on dira que ce n’est pas vrai qu’il ne voit pas, il fait exprès de ne pas voir, simulation ! Et c’est comme ça qu’on procède dans toute la médecine, si tu as mal à la gorge, on fait des examens qui ne révèlent pas de signes cliniques d’angine… alors ! C’est une toux psychologique, c’est à dire qu’on va déduire toux psychologique par défaut de positivité somatique.

Comment on fait pour découvrir de nouvelles maladies ? On régule par rapport à la norme, une série de chiffres eu égard auxquels il compare les analyses qu’il a fait pratiquer sur moi. Un médecin, ce n’est pas moi qu’il regarde. Il va regarder mes tableaux d’analyses pour voir s’ils correspondent à la norme qui est elle-même marquée sur le bulletin d’analyses. Ce qui fait qu’à partir de ça, il va réguler des chiffres, quitte à me rendre malade. C’est la question de : soit il y a une norme qui est statistique et qui est objective, la plus générale, soit il y a une normativité du vivant qui supporte des variations au-delà desquelles on développe une maladie ou pas. Le taux de cholestérol d’un humain n’est pas le même pour tout le monde et pourtant on généralise la norme.

Les médecins sont de plus en plus à dire que c’est psychologique, à tel point qu’on ne fait presque plus d’examens. On assiste à quelque chose qui est que plus la médecine se développe plus elle développe une technicité, c’est à dire un ordre des pathologies, plus elle oublie qu’il y a plein de choses qu’elle peut ne pas connaître. Elle en vient à être persuadée qu’elle a fait un catalogue exhaustif des maladies humaines comme je pourrais avoir le catalogue de La Redoute. Puisqu’on a une batterie pour examiner tout ça, une fois qu’on a fait le chek-up, ce qui reste, c’est : pas malade ! On se retrouve avec une technicité médicale pas possible et pourtant paradoxalement les gens se plaignent d’être mal soignés. On oublie l’humain au profit du protocole de soin, qu’il le supporte ou non ! C’est le protocole théorique qui dit le dosage, on s’appuie sur le plus général et non plus sur la situation dans sa singularité : ce qui est premier c’est le dosage médicamenteux et plus l’humain.

« C’est bien ce qu’à l’air de faire présentement notre conférence. Toutefois, le titre, aujourd’hui, n’est pas « de l’essence de la parole ». C’est seulement « La parole ». Nous disons « seulement » - et pourtant, avec ce titre, nous donnons à notre projet une mesure bien plus exigeante que de nous restreindre à fixer quelques points de repère sur ce sujet. Cependant, parler de la parole est sans doute plus scabreux encore qu’écrire sur le silence. Nous ne voulons pas nous jeter sur la parole pour la capturer et la réduire à l’aide de représentations déjà fixées. Nous ne voulons pas ramener son essence à un concept afin que ce dernier livre, sur la parole, un avis universellement utilisable, une idée qui calme les esprits. » Ibid., p. 14.

Il a défini ce que veut dire essence, le point de vue général ; il nous rappelle le titre qui n’est pas l’essence de la parole, c’est bien la parole, donc il ne peut pas définir le caractère général de ce qu’est ce que veut dire parler, généralement, un avis universel. Pour parler de la parole tu es obligé de parler de quelque chose en usant de la parole. Comment on peut définir la parole en utilisant elle-même la parole ? On ne peut pas l’isoler comme un sujet d’observation qu’on va poser devant nous, on va parler de quelque chose qui éminemment est toujours à l’œuvre, c’est justement pas un objet d’étude, on ne peut pas le poser, le jeter devant nous, on est obligé de l’utiliser pour la définir.

Si je veux parler du marteau, je le pose devant et je le découpe, mais comment je fais pour parler à propos de la parole ? C’est un paradoxe ! C’est à dire l’idée classique qui dit que rendre compte de quelque chose c’est le poser devant soi et le regarder comme quelque chose de totalement extérieur. Pour la parole, ça ne nous est pas possible, puisque par définition quoique ce soit que nous pensions, ça passe par la parole. Donc on ne peut pas être impartial, neutre. Et on ne peut pas savoir où commence la parole et où commence l’être humain. Où elle commence et où elle finit, comme je pourrais dire le bord d’une table. Cela vient déjà questionner le protocole scientifique : comment on isole cet objet d’étude pour en faire un protocole expérimental. Conformément à ce que ça vient dire rendre compte de quelque chose, en faire quelque chose d’universel, ça suppose de l’objectiver, c’est à dire le poser devant soi et le regarder sous toutes ses coutures pour en déduire les règles générales. Mais comment je fais pour déduire les règles générales de quelque chose dont en même temps pour le déduire je dois me servir ? Et m’en servant il y a forcément quelque chose qui biaise le protocole : je ne peux pas isoler la parole toute seule, toujours elle concerne un humain, c’est à dire que la parole ne peut pas être distincte de humain qui la profère. Donc, la parole toute seule je ne peux pas la rencontrer comme je peux poser devant moi un agenda.

Et qu’est ce qui fait que je dis un agenda et pas un carnet … ça nous parle déjà toujours ! Ou que je dis un livre et pas un journal ou pas un cahier ! Ça nous fait toucher tout ça. « Nous ne voulons pas nous jeter sur la parole pour la capturer et la réduire à l’aide de représentations déjà fixées », Ibid., p. 14. On ne peut pas l’attraper avec un filet à papillon, donc on peut difficilement la capturer et la réduire. « Nous ne voulons pas ramener son essence à un concept afin que ce dernier livre, sur la parole, un avis universellement utilisable, une idée qui calme les esprits » Ibid., p. 14.

Il dit que le concept c’est ce qui est correctement conçu et c’est ça qui produit la pensée scientifique, c’est à dire quelque chose dont on a pleinement rendu lumière, qu’on a exploré sous toutes les coutures. Et la parole, on ne peut pas l’explorer sous toutes les coutures puisque forcément on est toujours entrain de l’utiliser. Pour dire la parole sur un mode conceptuel il faut que je sorte de la parole pour le dire sans en faire usage. Conceptualiser quelque chose, c’est en rendre compte totalement, s’en assurer, le maîtriser, en avoir fait le tour et qui ne nous étonne plus. Je peux démonter la machine à café et en faire le tour mais je ne peux pas démonter la parole puisque toujours j’en fais usage, on se tient toujours tout près avec la parole. On ne peut pas l’éloigner de nous, toujours elle est à l’œuvre. Elle est à l’œuvre, je ne peux pas m’en servir …je peux me servir d’un crayon et je peux le reposer mais la parole n’est pas un outil à la manière d’un crayon. Donc elle ne peut pas être quelque chose dont je me sers, elle est quelque chose qui est toujours tout près de moi.


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé| www.8iemeclimat.net|