www.edithblanquet.org
Accueil du site > Enseignements de Gestalt-Thérapie et phénoménologie, de Daseinsanalyse > Activités de recherche au sein de l’EGTP > 1.4.5 Traduction de textes de Médard Boss > « La signification pour Martin Heidegger en ce qui concerne le travail avec (...)

« La signification pour Martin Heidegger en ce qui concerne le travail avec les hommes souffrants et en vue de la compréhension en elle-même de la psychothérapie. »


« La signification pour Martin Heidegger en ce qui concerne le travail avec les hommes souffrants et en vue de la compréhension en elle-même de la psychothérapie. »

Traduit Par Barbara Minkus et Edith Blanquet Article extrait du livre : “Von der Spannweite der Seele” ; “De l’amplitude de l’âme”, auteur : Médard Boss. Editeur : Benteli Verlag bern 1982, 227 Pages. Titre allemand : „Die Bedeutung Martin Heideggers für die Arbeit mit leidenden Menschen und für das Selbstverständnis der Psychotherapie“ pages 199 à 210.

(page 199) Chaque entreprise de réflexion sur la signification pour Martin Heidegger, en ce qui concerne le travail avec les hommes souffrants et la compréhension en elle-même de la psychanalyse, nous convoque toujours et à nouveau à une interdiction qui survient au cours de ce chemin. Il s’agirait, tel que cela est annoncé, et fondamentalement non permis, d’appliquer les compréhensions purement ontologiques, c’est-à-dire essentielles, de ce philosophe en ce qui concerne le fondement de l’existence humaine et son rapport particulier avec l’Etre. Il n’est pas permis de les appliquer directement sur le comportement ontique, particulier et concret des êtres humains, avec lequel les médecins et les psychologues auraient à faire dans leur pratique. Jean-Paul Sartre, qui n’est pas n’importe qui, affirmait avec une intensité particulière : les propos ontologiques de Martin Heidegger se trouvent à l’étage le plus haut d’une maison, laquelle est séparée par un fossé infranchissable des étages les plus bas, même de la cave dans laquelle il faut penser les descriptions ontiques des médecins et des psychologues. Un tel avertissement est encore renforcé par cette question : est-ce que le médecin et psychothérapeute Ludwig Binswanger n’a pas déjà causé assez de dégâts ? Car Binswanger n’a pas seulement repris cette métaphore des étages de Sartre ; il a mécompris de manière très profonde le concept de souci que Heidegger a introduit comme fondement de l’être humain dans son œuvre principale « Etre et temps ». Binswanger a entendu de manière ontique ce concept que Heidegger avait pensé de manière ontologique. Il l’a employé pour désigner un accomplissement purement ontique et singulier du souci, c’est-à-dire un rapport chagrin et mélancolique avec les choses. A cause de cette mécompréhension, Binswanger a cru devoir ajouter au concept de souci de Heidegger, celui d’amour. (Page 200) En vérité le concept heideggérien de souci implique de ce fait, en tant que désignation ontologique de l’entièreté du fondement de l’être humain, tous les modes d’accomplissements possibles qui constituent l’existence d’un être humain ; et aussi bien les formes ontiques de l’amabilité avec les autres êtres humains. Cependant, ni la métaphore des étages de Sartre, ni la mécompréhension de Binswanger ne sont importantes pour notre réflexion. C’est pour cela qu’il ne faut pas s’attarder plus longtemps sur le malentendu de Binswanger, puisque lui-même l’a reconnu et publiquement corrigé. Ce malentendu ne nuit pas à son apport extraordinaire à la Daseinsanalyse de Heidegger, car il fut le premier à reconnaître la signification inestimable de l’ontologie fondamentale de Martin Heidegger pour la médecine en général et pour la psychiatrie et la psychothérapie en particulier. D’un autre côté, l’affirmation de Sartre sur le caractère inconciliable de l’ontique et de l’ontologique est complètement fausse. A savoir que Sartre avait oublié, dans son affirmation, que les traits caractéristiques ontologiques d’une réalité ne peuvent absolument pas être dissociés des phénomènes ontiques de cette même réalité, dans le sens où, si nous pouvions les dissocier, cela signifierait qu’ils pourraient exister individuellement. Ces caractéristiques ontologiques ne peuvent apparaître qu’au travers des données ontiques et concrètes. Les phénomènes ontiques ne peuvent être et demeurer sans être traversés toujours et encore par leurs caractéristiques ontologiques. C’est pour cela que les compréhensions essentielles de Heidegger sur l’être-au-monde de l’homme et son rapport à son monde prennent tout leur sens et se fondent comme la théorie qui porte tout examen scientifique des comportements concrets et perceptibles par les sens, ontiques, des hommes souffrants, ainsi que chaque rapport médical /thérapeutique avec eux.

Si un tel rapport n’était pas possible, il ne m’aurait jamais été permis de faire l’expérience que Heidegger m’ait personnellement accompagné en me corrigeant et en complétant mon travail infatigablement tout au long des huit années que m’ont coûté l’élaboration de mon livre (page 201) : « Les fondements de la médecine et de la psychologie ». Maintenant nous parlons d’un homme souffrant lorsqu’il lui manque quelque chose. Il lui manque quelque chose du bien-être et de la liberté que possède celui qui est en bonne santé. Toute souffrance et toute maladie se manifeste d’abord de manière générale par l’apparition d’une privation, que nous nommons comme une forme d’insuffisance à être en bonne santé. Mais cela veut dire que nous tâtonnons dans le noir à propos de ce que la souffrance nous enseigne, et ce, tant que nous n’avons pas saisi ce que veut dire fondamentalement l’être humain non souffrant et en bonne santé. De toutes les formes de compréhension de l’être humain que j’ai entendues jusqu’ici, il me semble que les points de vue philosophiques de Martin Heidegger sont nettement les plus justes humainement. C’est pourquoi, en vue de comprendre le travail avec l’homme souffrant, il nous donne les fondements les plus solides. Il est incontournable, à cet endroit, de proposer une esquisse des traits de caractères humains qui ont été découverts par ce philosophe, même si elle est condensée et insuffisante. Le premier pas et le plus décisif que fit Heidegger en vue de déterminer suffisamment le fondement de l’existence humaine fut celui de le désigner comme être-dans-le-monde originaire. De ce fait l’accent est mis sur la compréhension du « dans » tel qu’il sonne dans cet être-dans-le-monde. Il ne faut jamais par-dessus tout le comprendre comme un « dans » tel que nous le comprenons dans l’usage quotidien, par exemple comme les vêtements qui sont accrochés dans l’armoire. Les vêtements se trouvent seulement comme des objets contenus dans le vide d’un autre objet plus grand qu’eux. Aucun de ces objets ne connaît la moindre chose de lui-même ou de l’autre. La particularité du « dans » de l’être-dans-le-monde humain ne peut seulement être compris que si, auparavant, le mot pour dire son exister a été pris plus au sérieux qu’il ne l’a été jusqu’alors. Heidegger entendit l’exister dans le sens originaire grec latin : « ek-stare ». Mais « ek-stare » signifie proprement tenir hors (ausstehen), traverser (durchstehen), tendre vers (durchspannen). La question demeure : à quoi ce « tenir hors » (ausstehen), ce « traverser » (durchstehen), ce « tendre vers » (durchspannen) s’applique-t-il lorsqu’il concerne la manière humaine d’exister ? La manière d’être humaine est dans son fondement le « tenir hors », le « traverser », et le « tenir ouvert » d’un espace d’ouverture (page 202) d’un monde éclairé. Ceci est à entendre dans le sens de pouvoir percevoir des significations et des liens qui renvoient à tout ce qui parle à l’homme à partir de l’ouverture de son monde, lequel se tient devant lui dans le sens le plus propre, dans le sens nommément de se-tenir-devant-lui (Sich-vor-ihn-hinstellens). L’homme n’existe que selon un tel « ek-stare » et d’aucune autre façon. Nulle part ailleurs il n’y a de ce fait un quelconque sujet à découvrir auquel un tel « ek-stare » puisse être attribué comme une de ses qualités. De ce fait, aucun homme ne trouve en lui un espace intrapsychique dans lequel les objets du monde extérieur peuvent se refléter, de telle manière qu’ils doivent être ensuite à nouveau projetés vers l’extérieur de lui. Lorsque nous nous sommes par exemple rencontrés ici mutuellement, il ne nous fut pas nécessaire de regarder d’abord une quelconque image, à l’intérieur de nous, pour pouvoir ensuite tirer des conclusions quant à ce que nous étions, nous, à l’extérieur. Une telle forme de vie intérieure de l’homme n’existe pas. En vérité nous nous tenons déjà depuis tout commencement d’une telle manière « extérieure », que nous nous tenons tous, les uns-avec-les-autres. Nous nous tenons hors, dans une ouverture de monde commune, à partir de laquelle nous parlent, à nous tous, les mêmes données. En même temps, nous sommes aussi dans la capacité de distinguer celui qui parle de l’autre qui écoute. Sur le sol d’une telle manière d’être, chaque homme est déjà toujours installé dans une relation à une réalité qui le touche de près ou de loin. Dans cette manière première d’être toujours déjà installé dans une relation avec ce qu’il rencontre, se montre la manière originelle d’être spatial du Dasein. Toutes les autres représentations spatiales du quotidien, ou bien celles scientifiques, ne sont toujours à comprendre qu’en tant que dérivées de cette façon originaire d’être spatial du Dasein. D’autre part, la temporalité originaire de l’existence humaine consiste entre autres en un « avoir-le-temps ». Avoir-le-temps pour l’accomplissement de chaque manière de se comporter à l’égard de quelque chose qui soit proche ou lointain. Et ce, jusqu’à la consommation de la totalité de son « avoir-le-temps » pour se comporter vis-à-vis de ce qui est à rencontrer ; jusqu’à l’accomplissement ultime de sa possibilité de pouvoir-mourir (seines Sterbenkönnens). Même si, par la force des choses, cette esquisse de la compréhension du fondement de l’existence humaine de Heidegger ne peut rester que défaillante dans cet écrit, il n’en demeure pas moins important qu’elle soit mentionnée (page 203).

Dans la parole, on peut toujours entendre une référence à une compréhension originaire de l’homme et de ce qu’il rencontre. C’est-à-dire que l’étant rencontré réfère aussi, de son côté, à l’essence de l’homme en tant que se-tenir-dans-l’ouverture-au-monde. Cela se passe de telle manière que l’étant rencontré a besoin de l’être humain (Menschenwesen) en tant que son lieu de venue à l’apparaître et de déploiement. L’être humain (Menschsein) est celui qui se doit de garder et d’être au service de l’accomplissement de ce qu’il rencontre. Par dessus tout comment pourrait-il être quelque chose, présent, venant à sa lumière ? Comment pourrait-il « y avoir » si cela n’était pas déjà dans l’ouverture ? Si l’étant n’avait pas déjà à sa disposition un ouvert et une clarté à partir de la manière d’exister de l’être humain ?  De plus, de cette manière, chaque être humain n’existe jamais seulement pour lui seul. Avec la découverte de lui-même, les autres sont toujours déjà donnés. De cette façon, de tout temps et à jamais (von Anfang an immer), tous les hommes singuliers endurent de se tenir les-uns-avec-les-autres dans un espace d’ouverture-du-monde commun. Enfin, chaque existence humaine est toujours déjà intonée d’une manière ou d’une autre. C’est seulement parce que le caractère d’être-intoné co-constitue l’exister, que peuvent se produire, au sein de son accomplissement, les sentiments les plus divers tels les passions, les atmosphères (Stimmungen), les affects. En même temps, la tonalité d’être de l’homme est déterminée par l’ouverture factice ou la fermeture de son exister. Dans la panique, par exemple, l’ouverture au monde par laquelle un être humain singulier existe alors est tellement serrée que seuls les signes menaçants trouvent une entrée dans son monde. En revanche, dans une atmosphère enjouée, l’existence d’un homme s’ouvre si largement qu’il pourrait attribuer la plus grande variété de significations possibles à ce qu’il rencontre. Par ailleurs, lorsque nous avons affaire à des hommes souffrants, il nous faut mentionner des traits de caractère importants, ou des existentiaux de l’être humain, comme au minimum son pouvoir-rêver, son incarnation (Leibsein), son être-mortel. (Page 204) Jusque là tout va bien. Mais comment ces points de vue radicalement novateurs de Heidegger à propos du fondement de l’existence humaine peuvent-ils aider ceux qui veulent prendre soin des humains souffrants ? Tout d’abord, ils nous laissent prendre en vue la raison pour laquelle ils se donnent la peine par dessus tout d’aider les souffrants. Ces visions novatrices nous donnent en même temps des moyens pour définir, strictement et de manière appropriée à l’être humain, l’être en bonne santé et l’être malade. Enfin, elles nous transmettent également un fil conducteur, lequel sert de guide tout au long des mesures thérapeutiques. La façon dont les sciences naturelles pensent l’homme souffrant, que jusque-là seuls les futurs médecins étaient obligés d’apprendre, s’ils voulaient passer leur examen d’Etat, ne peut ni donner un sens quelconque aux thérapies, ni donner un but ou un motif à celles-ci. Si toutefois on prend les points de vue philosophiques de Heidegger comme fondement pour les sciences de la santé, tant l’être sain que l’être malade se laissent définir essentiellement. Nous pouvons maintenant définir l’homme sain : c’est celui à qui il est donné, de par sa naissance, dans une moyenne mesure au minimum quantitativement et qualitativement, des possibilités de se comporter qui constituent une existence humaine ; c’est aussi celui à qui l’environnement donne la possibilité de s’approprier toutes ses possibilités de comportements essentielles lors de la rencontre avec autrui, qu’il puisse ainsi réunir celles-ci en un être-soi (Selbstsein) propre qui correspond à sa nature et qu’il puisse disposer librement de leur accomplissement. En revanche, malade est l’homme à qui une telle liberté fait défaut. Cette possibilité de définir l’être malade et l’être en bonne santé à partir des points de vue philosophiques de Heidegger concernant le fondement de l’existence humaine est si vaste qu’elle peut donner un fondement solide pour l’ensemble de la pathologie. Nous pouvons maintenant montrer cela en prenant l’exemple de la salutation entre deux personnes qui se rencontrent. Celles-ci ont l’habitude de se serrer la main. Beaucoup, et même beaucoup trop d’enfants nés depuis peu, sont venus au monde sans bras, parce que leurs mères prenaient pendant la grossesse un somnifère toxique. Le poison causait des malformations de l’embryon dans le ventre de la mère. La médecine a eu la vue courte et a tout d’abord trop vite conclu qu’il s’agissait d’une perturbation matérielle d’une partie du corps humain. (Page 205) Cette lésion concerne plutôt ici directement la possibilité du comportement existentiel de saluer l’autre. Leur existence a été grevée de la possibilité de pouvoir serrer la main, possibilité qui leur appartient charnellement (leibhaftes Händeschütteln). L’exister d’un enfant, lequel certes vint au monde avec des bras, mais, qui, suite à une paralysie de naissance ne peut pas s’en servir, est également, mais de manière différente, privé de la même possibilité charnelle de se comporter. Fondamentalement, toutes les maladies infectieuses se comprennent de la même manière. Prenons par exemple les bras paralysés d’un homme atteint de poliomyélite. De prime abord, ce ne sont pas les organes isolés d’un corps qui seront affectés. Les virus pathogènes touchent plutôt, initialement et immédiatement, également les possibilités d’accomplissement du comportement agissant et incarné (leibhaft) avec les autres humains. Dans les possibilités de se comporter d’un malade, ces virus détruisent ce que nous appelons -de manière insuffisante, c’est-à-dire interprétée, abstraite et objectivée- les cellules de la corne antérieure de la moelle épinière (Vorderhornzellen des Rückenmarks). Si, à la place d’une poliomyélite, il avait une inflammation rhumatoïde aiguë du coude et de l’articulation de l’épaule droite, cela pourrait également intervenir dans la possibilité corporelle (Leiben) de pouvoir saluer. Dans ce cas-là, il y aurait eu des douleurs aiguës qui auraient empêché le malade de serrer les mains de manière incarnée. Cette manière d’être diminué dans l’incarnation d’une possibilité de se comporter aurait pu se différencier de la poliomyélite du fait qu’elle aurait été de nature passagère. Cette même possibilité de se comporter en saluant un être humain que l’on rencontre peut être réduite de manière encore plus tragique. Il se peut qu’un être humain puisse être atteint d’une balle dans la tête et que, par la suite, il puisse souffrir d’une démence post-traumatique sévère et qu’il devienne complètement dément. Cette démence peut consister dans le fait qu’un tel malade ne puisse plus reconnaître la signification d’une situation donnée avec autrui en tant que rencontre qui le conduit à saluer l’autre. (Page 206) Cela ne lui parle peut-être plus du tout et, dans certaines circonstances, il peut le vivre comme quelque chose de menaçant qui le conduirait à fuir. Alors, un tel malade ne pourra également plus accomplir l’incarnation d’un salut amical sous la forme de se serrer la main avec un partenaire. Ainsi, cette manière d’être malade outrepasse sa désignation de perturbation organique primaire, et ce, de manière essentielle. Un tel diagnostic a d’avance interprété une lésion par balle du cerveau comme la destruction d’une substance organique matérielle. Si une telle interprétation et mésinterprétation a lieu, il se pourrait qu’une telle substance organique envisagée comme endommagée ne puisse plus être mise en relation compréhensive avec le comportement maladif d’un être humain qui souffre d’une démence traumatique. En revanche, pour parvenir à la compréhension plus réaliste d’un tel malade, il nous faut prendre en compte qu’avec et dans la lésion cérébrale, c’est la possibilité d’accomplissement essentielle de se rapporter au monde d’un homme qui est concernée. Une telle lésion serait entre autres, en le disant de manière exagérée, une atteinte par balle de sa possibilité immédiate de pouvoir saluer l’autre. Par contre, il est une manière d’être atteint dans la possibilité de pouvoir saluer l’autre que l’on rencontre dans la paralysie hystérique du bras nommée de manière trompeuse : paralysie psychogène. Dans une telle manière d’être malade, on ne peut plus trouver nulle part quoi que ce soit de corporel (Körperliches) en tant que cause du comportement perturbé à l’occasion de la rencontre avec les autres, parce que, « derrière » ce bras paralysé, on ne trouve plus rien de corporel-matériel en tant que « cause ». Ici, l’enfant a été déjà marqué dans sa prime jeunesse par la pseudo moralité d’un éducateur trop pudique qui a bloqué de manière définitive sa possibilité de se comporter. Cette possibilité bloquée consiste en l’être-avec-autrui incarné (leibhaften) au sens de pouvoir se-tenir-dans-la-proximité-avec–autrui. De toute façon, nous n’avons besoin, pour éclaircir ces phénomènes, d’aucune supposition d’un contre-investissement, lequel se tiendrait dans un lieu intrapsychique nommé « l’Inconscient ». (Page 207) C’est avec cette objection que la psychanalyse a été abordée. Celle-ci est devenue aujourd’hui l’une des plus importantes méthodes de soin dans le cadre de la totalité de la médecine, à tel point que l’on ne peut plus la laisser de côté. C’est justement sur celle-ci que la nouvelle compréhension de l’homme de Heidegger a exercé une influence décisive. Pour pouvoir prendre adéquatement la mesure de la pensée de Heidegger, il est nécessaire auparavant d’avoir compris que la « psychanalyse » est un titre qui recouvre deux choses complètement différentes l’une de l’autre. A l’origine, Sigmund Freud, donna ce nom à un traitement thérapeutique nouveau et directement issu de la pratique. Mais ensuite il nomma aussi la base de sa seconde théorie scientifique de ce traitement thérapeutique : « psychanalyse » avec le sous titre : « métapsychologie ». D’une part, les observations directes et géniales de Freud concernant ses malades se révèlent vraiment en tant que telles face à l’arrière-plan de la compréhension Daseinsanalytique de l’homme. D’autre part, les superstructures théoriques de Freud, qu’il a nommées lui-même « métapsychologie », se révèlent dans la même lumière comme un échafaudage de spéculations complètement superflues, voire trompeuses. Il se produit là une mécompréhension tragique de ce que la psychanalyse est et fait vraiment originairement en tant que méthode de soin. Le génie véritable de Freud se manifeste à mon avis dans les observations concrètes suivantes : Premièrement, il découvrit qu’il existe un nombre important de maladies qui peuvent se laisser soigner de manière définitive seulement par la décision de la personne souffrante d’être sincère de manière inconditionnelle, sans réserves et sans égard envers elle-même. Cette décision est à réaliser de telle manière que tout ce qui est découvert de soi-même doit être exprimé et mis en mots et adressé à quelqu’un d’autre, c’est-à-dire à l’analyste. Dans une telle méthode de soin, il y a de nombreux moments jouant un rôle central qui demeuraient ignorés ou mis de côté comme éléments perturbants par la médecine avant Freud. C’est-à-dire que : a) Freud introduit au sein de la médecine et en les considérant comme pathogènes, les catégories du beau et du laid, du bien et du mal (page 208), le sentiment de soi qui emporte (Selbstgefühl Hebendem) et le sentiment de soi qui rétrécit (Selbstgefühl Verminderndem). b) La relation affective de l’analysant envers son analyste et celle de l’analyste envers son analysant - qui furent nommées par Freud de manière erronée : « transfert » - construisent un des deux piliers de l’analyse. c) Fondamentalement l’homme fuit la vérité et se trompe lui-même. Il se trouve chez lui toujours de fortes résistances contre le fait de faire face aux situations désagréables, même si elles lui appartiennent vraiment. d) Freud nomma une autre de ses découvertes importantes : « Durchgehende Sinnenhaftigkeit », « la relation totale aux sens » qui traverse tous les phénomènes de la vie d’un homme. e) Enfin, Freud osa « l’hypothèse audacieuse » - qu’il nomma ainsi lui-même – que chaque rêve pourrait s’intégrer et prendre une place repérable et sensée dans le cadre de l’activité de l’âme humaine vigile.

La praxis de la Daseinsanalyse qui s’oriente à partir des nouvelles compréhensions philosophiques de Martin Heidegger, se tient dans la suite de tous ces faits que Freud a découverts dans la relation immédiate à ses patients et qui témoignent de son génie. D’un autre côté, il se révèle dans la même lumière de la compréhension de l’homme de Heidegger, que Freud, à travers ses propres trouvailles, a mis en œuvre une sorte de suicide en essayant de faire entrer ses trouvailles, théorétiquement, dans un monde de représentations scientifiques. Avec cette tentative, Freud se révéla être un authentique enfant de son temps : les sciences naturelles étaient pour lui la seule entrée qui menait à la vérité concernant les choses et les hommes de ce monde. Pourtant la philosophie, qui prend appui sur les sciences naturelles, se tient dans la croyance que seul est vraiment vrai ce qui peut être mesuré. Les sciences naturelles ont érigé en dogme immuable l’opinion que la nature, dans sa totalité, consiste en des liens causals de l’ensemble des objets entre eux, liens qui sont calculables et sans faille. (Page 209) Ce dogme qui soutient toutes les sciences de la nature est tout autre qu’une loi que l’on pourrait vérifier scientifiquement. Il est et demeure un préjugé. Sous la dictature de l’esprit du temps de l’époque, Freud croyait aussi que, pour être pris au sérieux en tant que chercheur, il devait théorétiquement « étayer » sa psychanalyse autant que possible comme une science de la nature. Comme pourtant la nature de l’homme est loin d’être complètement calculable, la métapsychologie freudienne signifie un viol monstrueux des phénomènes humains. Par chance, Freud nomma lui-même sa métapsychologie comme une superstructure dont tous les aspects qui s’avéreraient inutiles pourraient être laissés de côté. Si la métapsychologie de Freud était seulement une théorie, nous pourrions tout simplement la laisser de côté. Pourtant, on voit toujours davantage que, dans le domaine de la psychothérapie, des théories erronées ont souvent des conséquences désastreuses pour la pratique thérapeutique avec les personnes en souffrance. Ainsi se pose la question de savoir comment la théorie psychanalytique passe complètement à côté de ce qui est le propre de l’existant humain. Cette question va bien au-delà d’une simple signification scientifique. Pour la même raison, les nouvelles compréhensions fondamentales de Martin Heidegger concernant la constitution de l’existence humaine sont d’une importance éminente pour la compréhension de la psychanalyse elle-même dans toutes ses dimensions. Avant tout, quatre domaines doivent être évoqués, domaines dans lesquels la théorie approximativement scientifique et inadéquate de Freud retentit souvent de manière tragique sur la pratique psychanalytique. Il s’agit de : l’enseignement tiré des « actes manqués de la vie quotidienne », la théorie du rêve et l’enseignement tiré de l’interprétation des rêves, sa théorie du transfert et, prenant appui sur elle, la méthodologie de la cure en relation avec le « transfert ». De plus, cela concerne l’invention thérapeutique du concept central théorétique de la métapsychologie de Freud, et de la représentation d’un « inconscient » dans le sens d’une localité intrapsychique (page 210) ou bien d’un système intrapsychique dynamique-libidinal. Ces quatre thématiques furent cependant déjà largement traitées ailleurs. C’est pourquoi cette partie de notre conférence d’aujourd’hui qui concernait la signification d’une compréhension de la psychanalyse à partir de Martin Heidegger se clôt avec les indications suivantes : Ce que nous avons pu dire à propos des « actes manqués de la vie quotidienne » en lien avec le concept psychanalytique central de « l’Inconscient », vous le retrouverez dans l’essai présent dans cet ouvrage :« L’Inconscient qu’est-ce que c’est ? ». Un nouvel enseignement phénoménologique à propos du rêve était déjà préparé et déplié dans le livre paru en 1954 : « Le rêve et son interprétation », ainsi que dans le nouvel écrit « Il m’est venu en rêve »... Les conséquences souvent tragiques de la théorie du transfert de Freud ont été exposées dans l’œuvre « Fondement de la médecine et de la psychologie ».


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé| www.8iemeclimat.net|