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Compte-rendu N°18

lecture du séminaire du 6 juillet 1965,II,et 8 juillet 1965 ,III ; P156 à170


Groupe de Lecture de Carcassonne. Lecture de « Séminaire de Zurich » Martin Heidegger ; traduit par Caroline Gros. Mai 2013 : lecture séminaire du 6 juillet 1965,II,et 8 juillet 1965 ,III ; P156 à 170

Ce soir nous étudions la méthode pour aborder la question du phénomène du corps. Pour cela, selon Heidegger, nous devons étudier la méthode de la science pour, à partir de la compréhension que l’on en aura, dégager éventuellement une méthode propice concernant le phénomène du corps, ce qui peut ouvrir plein de pistes…

Heidegger, à partir de la question demandant de quoi fait partie « l’objectivité selon laquelle la science de la nature voit l’être de la chose », nous invite à méditer la physis grecque : objectivité (le statut d’objet) et physis ont une communauté : ils nous donnent à entendre ce qui se rend manifeste : un quelque chose présent, soit un phénomène de la nature (physis ; ce qui vient à se manifester de soi-même) soit un objet (ce qui vient à se manifester du point de vue d’un sujet). Rendre manifeste pour un être humain, ou bien laisser se manifester de soi-même ouvrent des nuances. C’est pas pareil un humain qui décide la règle de la manifestation et un humain qui accueille ce qui se montre de soi-même ; ce n’est pas la même posture et du coup ce n’est pas le même mode de voir/accueillir que cela ouvre. Les grecs n’ont pas de mot pour objet qui est un concept moderne. Avec l’époque moderne (Descartes) la présence est comprise d’évidence comme re-présentation : ce qui se représente au sein d’une conscience, pour un sujet donc, et qui est une sorte de copie (mentale) de la chose telle qu’elle se manifeste elle-même. Le sens grec de la présence, physis, ce qui se montre à partir de soi est ici perdu, dans le sens où on ne le prend pas en vue dans la re-présentation. La présence est pensée par un sujet –c’est le sujet qui est au fondement de ce qui se montre, d’où le subjectif : c’est moi qui suis le fondement de ce que je dis ; elle est représentation et ce depuis Descartes où l’être humain est conçu comme sujet pensant. Avant lui la philosophie médiévale est plutôt une onto-théologie. A l’aube du commencement grec de la philosophie il n’en était pas ainsi. C’est « l’expérience de la venue en présence » qui se trouve prendre une autre inflexion à partir des modernes.

Comment s’est opéré un tel changement ? Non point seulement du fait de l’être humain : Reprenons la question de ce qu’il se passe « quand je mesure quelque chose » ? P157 Mesurer = suppose comparer à partir d’un étalon de mesure choisi : un tant de fois cette mesure-étalon préalablement définie. Mais mesurer c’est autre chose que jauger qui aussi compare : pour mesurer il faut « arpenter », parcourir la chose de bout en bout ; un comportement et pas simplement un calcul entendu au sens le plus habituel. Tout comportement humain est un prendre la mesure en se mesurant à ce qui est donné : une manière d’y être concerné soi. Lorsque je saisis quelque chose « en tant que » selon l’exemple une table : je me mesure à cela même que je saisis (en Gestalt thérapie le "figure/fond" si nous nous tenons dans le / qui nous engage et nous espace et où nous quittons ainsi une autre manière plus courante de penser le rapport à quelque chose comme une relation entre un objet et un sujet préalablement instauré). Ainsi la vérité est le plus souvent évidemment adéquation entre ce que je pense et la chose que je vise ; si je considère que l’humain possède un appareil psychique –un peu comme l’appareil physique-, que cet appareil se structure dans la petite enfance par exemple de l’hypothèse de stades du développement du psychisme d’où advient le surmoi et donc la censure, je vais regarder ce qui se passe en adéquation avec ce que je pense, je ne vais pas me laisser surprendre. La chose manifestée est prise au travers de mon filtre de pensée, je ne la questionne pas : il est évident que cela doit être comme cela. Mais lorsque nous mesurons quelque chose, habituellement nous sommes occupés de cela que nous mesurons. Mesurer quelque chose entendu comme s’y mesurer soi à la chose ouvre un sens plus fondamental que la mesure scientifique où nous cherchons à déterminer une quantité, cela rejoint la question philosophique de l’oubli de l’être. Il s’agit bien pour nous d’entendre que lorsque nous recherchons quelque chose nous devons préalablement nous être entendu sur la méthode pour y parvenir et le plus souvent la méthode c’est de formuler une règle et de voir comment ce que je recherche y correspond. Je ne prends plus alors appui sur la chose elle-même mais sur l’idée que j’en ai : comment mesurer les larmes ? Rappelons nous le séminaire précédent… ou bien le cerveau de Einstein/ Einstein ce penseur… 8 juillet 1965,III, P158

Heidegger a développé la manière de mesurer quotidienne pour commencer à nous permettre de prendre conscience de ce que la « mesurabilité » a de surprenant si nous quittons nos a priori ou pour mieux dire si nous les reconnaissons comme a-priori. Et il va revenir à la question du somatique « mesurable » et du psychique « non mesurable ». Cela donne l’occasion de nous pencher sur le «  phénomène du corps » : la manière d’être corporel.

En fait que veut dire psychique et que veut dire somatique : évoquer la mesure possible de l’un ne nous explicite rien de plus. Lorsque nous les distinguons à partir de l’idée de mesure nous mettons en œuvre une méthode c’est-à-dire une façon d’accéder au domaine que nous explorons. La mesure ne nous permet pas de dire ce qu’est le somatique en lui-même ou le psychique en lui-même ; il nous permet de le situer eu égard à la mesurabilité. De même que lorsque nous disons que le monde est là où sont les plantes, animaux et autres végétaux, nous ne disons pas le monde lui-même mais ce qu’on y trouve dedans…le monde y demeure présupposé et pas questionné lui-même. Lorsque Heidegger parle de la mondanéité du Dasein il se tient au plus près du monde comme phénomène. Méthode = meta et odos grec : odos le chemin, meta en arrivant là-bas, de l’autre côté. « La méthode…c’est le chemin par lequel nous faisons des recherches sur quelque chose » P159 Ainsi chaque chose requiert un chemin qui lui soit propice…portée et limités du chemin des sciences, c’est cela que nous ne devons pas perdre de vue…peut-être que la méthode des sciences n’est pas appropriée pour accéder à l’humanité de l’homme ?

Quel chemin pour comprendre le phénomène de l’être corporel ? Quelle mesure devons-nous mettre en œuvre ? Nous sommes tellement pris par la méthode propre aux sciences que nous ne pouvons pus accéder simplement à ce qui se montre, nous cherchons à le circonscrire aux moyens de la mesure. Or ceci n’est pas le « simple » et paradoxalement, à notre époque de la technique et du stock à gérer, le simple ne peut que venir nous bousculer et irriter. Notre capacité de nous étonner est « ruinée » par la pensée scientifique. L’étonnement grec a ouvert cette façon dont à notre époque l’être se donne à voir : l’étonnement s’est infléchi en « idolâtrie », règne du spectaculaire (Debord « la société du spectacle ») : la technique est notre nouvelle idole. Heidegger nous dit alors que nous qui voulons accompagner la souffrance « psychique » des humains et la comprendre, nous devons comprendre ce qu’il se passe autour de nous : développer une conscience politique au sens fort du mot politique, comprendre notre époque et ses pré supposés. Développer une pensée historique cela veut dire sortir de l’idolâtrie du « progrès ». Ce que nous appelons « progrès » n’est pas anhistorique mais dépend du chemin par lequel un tel « progrès » est considéré comme tel…le progrès n’est pas en soi bénéfique ou « progrès ». Son propos est d’une fulgurante lucidité eu égard à ce qui caractérise notre époque : il parle de l’aire de la mondialisation où l’homme occidental n’est plus qu’un caractère « ironique », de culture mass média… Il ajoute que « la médication qui porte sur la mesurabilité...n’est qu’une chose ennuyeuse avec laquelle nous ne pouvons rien mettre en jeu dans la profession médicale » et cela nous convie à prendre la mesure, à nous y mesurer en propre…se laisser voir de quelle façon cela nous concerne…que de parler aujourd’hui de protocoles cliniques quantifiés et autres « bolus » médicamenteux prêts-à-appliquer, la maladie est devenue une abstraction a traiter à coup de bolus chimiques tout-prêts…et le médecin qui est-il devenu ! Idem à l’aire du DSM 5 voire plus où il n’est plus de pathologies mentales mais de troubles de la santé et qui nous offre un catalogue de plus de 400 troubles sur mesure…le catalogue de la Redoute va bientôt « rougir » lui aussi ! Von Uexküll en 1961 se moque des médecins qui philosophent et en appelle « à la « conscience critique » des sciences » nous dit-il p161. Il insiste sur la nécessité « la plus haute » qu’il y ait des médecins qui pensent et qui ne se réduisent pas à être des techniciens. Nous sommes loin de cela nous qui parlons de biologie des passions, de recapteurs de la sérotonine et de pacemakers cérébraux « quand le médecin m’aura correctement réglée je n’éprouverait plus de douleur »…dit une patiente dans le documentaire « Un monde sans fous (2010 Philippe Borrel) ».

Pour comprendre cela, ce péril auquel nous sommes livrés, il nous faut tenter de prendre un autre chemin, une autre méthode et il veut nous en donner quelques indications : Reprise de la mesurabilité : jauger = un mesurer à peu près non effectué Mesurer = accomplir effectivement la mesure à l’aune d’un étalon préalablement déterminé. Arpenter cela veut dire mesurer pas à pas et cela évoque l’ancienne façon de mesurer : deux pieds, 3 pouces…autre que celle que nous indique « tant de cm ». Le pas était alors pensé comme mesure. P 162 .Aujourd’hui mesurer est le propre de la technique et il nous dit «  la technique est déjà sur le point de s’enferrer elle-même » : compter c’est compter sur quelque chose et avec cette chose. Cela signifie avoir une certaine intention sur celle-ci. La technique et la science moderne mettent en œuvre un projet que nous devons méditer à partir de Descartes et son « je pense donc je suis » : ce projet de la technique vise à la maitriser, à la prévoir de manière assurée et certaine. Tout comme le DSM vise à rendre totalement compte des manières de se comporter humaines, à les prévoir et arraisonner, tout comme le projet tout récent européen de lister et contrôler intégralement et avec certitude toutes les espèces de semences…la nature doit être toute calculable et ainsi devenir un stock engrangé et c’est une violence extrême qui se montre là eu égard de physis et sa profusion mystérieuse devant laquelle les anciens s’inclinaient respectueusement. Nous sommes à l’époque du tout prévisible assuré et le climat n’a qu’à bien se tenir sinon nous porterons plainte, de même la procréation est un droit et non plus une grâce mystérieuse et bientôt nous pourrons prolonger la vie, quelques années de plus… « Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ! » …mais l’ivresse ? À arraisonner également. Ce climat de mise à plat de la nature s’appuie sur la méthode de sciences. Cela ne veut pas dire que cette méthode est nocive et que nous devons la rejeter : nous devons impérativement en méditer la portée et aussi les limites, sortir de l’idolâtrie ! Descartes avait pour projet « de nous rende maîtres et possesseurs de la nature » : pour lui la vérité c’est le nécessairement prévisible, la certitude de la raison, le calcul. Pour y parvenir nous devons ne retenir de la chose qui se donne à nous que ce qui est mesurable et conforme au concept que nous en avons . Ainsi le morceau de cire : réduisons le à ce qui en demeure tangible indépendamment de la variété de ses manière de se manifester qui ne sont qu’apparence trompeuse ; une substance étendue…qui ne s’embête pas des aléas de ses manifestations possibles ! Retenons ce qui est pondérable. C’est ainsi que la chose devient objet pour un sujet pensant. Et en Gestalt-thérapie la forme est réduite à la « figure claire et brillante » parfaitement déterminée par des causes dites « Gestalt fixées »….P163. Tenons-nous en à ce qui est parfaitement déductible (P163). P164 : la chose est assignée à l’objet. « Proposer que le thème de la science soit l’objectivité, et à vrai dire comme objectivité d’un genre tout à fait singulier, c’est le trait fondamental de sa méthode ». P164 La vérité des choses = leur certitude objective. Elle n’est plus vérité des choses telles qu’elles se montrent à partir d’elles-mêmes ou alétheia : dévoilement. La vérité c’est la certitude et lorsque nous lisons cela, rien ne nous heurte plus ! Certitude qui découle de la façon dont Descartes par sa méthode du doute hyperbolique à assuré l’intuition d’une seule certitude : je doute = je pense donc je suis. La mathématique repose sur la même évidence et certitude (P165). Cela veut dire que tout ce qui ne rentre pas dans ce chemin –méthode est éliminé, éradiqué car non assuré, non certifié…ne sommes nous pas à l’époque des certifications…le statut de psychothérapeute n’a-t-il pas paru comme nécessaire à bon nombre d’entre nous ? Or que signifie-t-il du point de vue de notre profession ? Certes le temps presse alors ne nous arrêtons pas à ce genre de masturbation intellectuelle… «  ce qui est vraiment étant, l’étant manifeste de soi-même n’en décide pas ; ce qui en décide exclusivement, c’est ce qui vient de l’ego cogito sum, c’est-à-dire de la subjectivité du « je pense » en tant que type assigné de vérité donnant la mesure dans le sens de la certitude. »P165 Heidegger parle d’une « dictature de l’esprit », l’esprit de notre époque auquel nous avons à nous confronter en nous y laissant concerner.

Qu’en est-il alors de la critique ! ? P166 cette science est hégémonique et tout ce qui n’est pas conforme à son plan est à éradiquer. IL est urgent pour nous qui accompagnons d’autres êtres humains, de prendre en vue cette méthode et de nous dégager de l’idolâtrie pour entretenir une critique c’est-à-dire un pouvoir de discriminer, méditer le se-montrer des phénomènes que la science ne peut prendre en compte. Seule l’extension peut être mesurée à l’aune des sciences…au péril même de la présence : la flamme d’une bougie ne saurait se réduire en poids de matière cire ! Kant formulera cela : en disant que l’objectivité est un acte de position par un sujet qui en est le fondement. Autre formulation possible : avec la mort de Dieu est advenu le règne des idoles (cf. résumé précédent)

Alors le problème du corps ? Un problème de méthode : nous prenons la mesure de ce que cela signifie, de l’épaisseur éthique du choix d’une méthode en lisant ce texte. Ce qui est en question : Où est le corps : de quel ici s’agit-il ? Comment le corps est-il concerné/engagé lorsque nous mesurons quoi que ce soit ? P167 La mesure qui concerne et convoque le corporer n’est pas une mesure mesurable selon la méthode des sciences car essentiellement mesurer ne relève pas du calcul technique mais bien d’une épreuve : quand je suis corps et âme auprès de quelqu’un je n’ai pas à me déplacer ! De même que cette proximité essentielle ne peut se réduire à la certitude d’une matérialité sinon comment comprendre la présence d’un mort pour celui qui doit exister encore ! Être-ici pour un existant c’est toujours être-là-bas, auprès de et il n’est pas ici question de localité matérielle mais de proximité, une dimension autre que celle de la mesure objectivée. Cela nous est tellement simple et sobre que nous avons perdu notre capacité de voir cela !

Avant de clore ce séminaire Heidegger insiste pour dire qu’il ne s’agit pas d’être passéiste et anti-progrès. Et pourtant c’est cela même qui sera souvent retenu contre lui…son propos est-il si dérangeant que nous devions sans cesse le cataloguer comme Nazi ou rétrograde ? Pour nous cliniciens, la méthode ne peut se réduire à une technique de recherche. Il y va de nous en tant qu’existant et non en tant que sujet monadique.

Fin de la discussion, le paragraphe suivant n’a pas été discuté plus avant.

8 juillet 1965,IV, : P170 Heidegger nous rappelle le phénomène du rougissement et questionne « que veut dire être relié à, avoir rapport, être obligé de se référer aux autres qui sont en rapport avec nous » ? De quelle façon sommes nous fondamentalement relié les uns aux autres ? Rencontrer Einstein n’est pas être devant son cerveau ! Nous ne pouvons parler de relation « inter-humaine » car cela suppose deux humains préalablement distingués. Il ne s’agit pas d’être là devant autrui à la manière d’être-là-devant de deux objets. Cela met en question toute la psychologie classique reposant sur l’idée d’une structure de l’homme, cela fait vaciller notre manière d’entendre le « entre » : nous devons délaisser l’idée d’un entre comme zone spatiale de jonction/relation. Le « entre » est ici d’un autre ordre. « Le concept de relation barre l’accès au phénomène » que ce séminaire nous invite à nous laisser entendre. Quand nous disons que nous sommes reliés, pour des existants cela réfère à un autre regard que celui de un humain-là-devant face à un autre humain-là-devant…Dasein : être-le-là et non être-là sis en un lieu localisé comme un verre sur la table…les rapports humains ne sont pas rapport d’un être-là-devant à un autre. Nous ne sommes pas dans l’espace, un espace mesurable, mais nous sommes spatialisants (existential ; un pouvoir être). Habituellement nous pensons que nous sommes conscients d’autrui car nous nous transposons en lui : intropathie/ empathie et ainsi nous nous le représentons comme un autre nous-même.


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