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Compte-rendu n°13

Lecture des pages 124 à138


Compte rendu du groupe de lecture de carcassonne. Lecture du « séminaire de Zurich ». Novembre 2012

Lecture des pages 124 à 138 ; séminaire du 11 mai 1965

Dans le dernier séminaire, il s’agissait de comprendre ce que veut dire se rendre présent : un rapport au monde simple, dans le sens où l’homme y est situé et où il n’est pas de présupposés comme par exemple de penser l’homme en tant que sujet et le monde en tant qu’objet, sans recourir à une notion dualiste du monde et de l’homme. Pour autant il y a bien là des processus « somatiques » : le corps de l’être humain participe en quelque façon au « se rendre présent » quelque chose. De quelle nature est cette relation du corporel avec le phénomène ? Dans notre culture habituelle il est pensé comme « d’évidence et bien connu » que le rendre présent s’entend selon un système de représentation physiques et psychiques (biologiques et physiologiques) lorsqu’on l’explique comme cela. Par exemple, la vue s’explique par la présence de cônes et de bâtonnets qui la rendent possible : d’évidence c’est l’œil-organe sensoriel qui voit. Mais ceci ne dit rien sur ce que veut dire rendre présent, le phénomène du rendre présent n’est pas pris en vue. La science fait état d’un manque de clarté, elle n’explique pas le phénomène, par exemple « pouvoir voir ». Le rendre présent est conçu par la pensée scientifique comme un système de perceptions/représentations mentales et biologiques. Par exemple, lorsque nous entendons un bruit, nous pouvons l’interpréter comme quelque chose de vivant, or c’est peut-être le vent. Nous avons néanmoins perçu quelque chose dont la teneur de sens est semblable à la « vivacité » ; nous avons perçu quelque chose auquel nous avons donné sens de « vivant » (un eidos, une essence qui dit une manière d’être possible). Ce que nous avons saisit, le caractère d’essence du « vivant » ne nous aide pas à entendre et connaître ce que vise la recherche scientifique. La science a pris pour visée exhaustive de prendre ce qu’est le monde (un monde compris comme un contenant) dans le but de classer les étants sous l’ ordre de leur caractéristiques substantielles (la science rend compte, classe, décrit) mais cela ne dit rien de la dimension ontologique et donc du rendre présent (ex : percevoir implique nos organes sensoriels, réfère au somatique. Comment peut on répondre à la frustration du corps (somatique et psychosomatique ?) Le phénomène psychique n’est pas mesurable : le poids de l’angoisse ne peut être comparé au poids d’un foie. Le regard phénoménologique nous apporte quelque chose d’autre que le regard scientifique ne peut pas prendre en compte (son projet n’est pas de cet ordre). Heidegger écrit même « le seul apport fondamental » : il insiste sans expliciter davantage. Il nous faut d’abord comprendre ce que le regard scientifique vise, son objet et son projet. C’est ainsi que nous allons regarder l’histoire de l’humanité européenne des trois derniers siècles. Pendant cette période, la science a été comprise sous une nouvelle idée : voulant rendre compte de tout ce qui est (tendre vers un savoir sans ombre) elle a entendu ce qui est comme ce qui est stable et définitif (elle vise la stabilité du concept : la formule vraie dans toute situation). Ainsi la science à découpé le monde en régions : mathématiques, géographie…chacune ayant sa spécificité et détachée des autres domaines. Elle a permis ainsi de connaître/ maitriser les choses à partir de leurs caractéristiques substantielles, elle a dégagé des lois de l’univers. Ce mode de savoir est particulièrement efficace, néanmoins il ne peut tenir compte du phénomène ; de la possibilité d’être ainsi. Le phénomène permet de tenir la question de l’être, la question de comment une chose se rapporte à un pouvoir être qui nous dépasse en quelque sorte. P126 : Pour que quelque chose soit présent, il requiert d’avoir été préalablement perçu. C’est ainsi que pense la science : percevoir est une activité des organes sensoriels : voir, entendre, sentir, goûter, toucher. Le rendre présent ouvre donc à la question du corps (ici Heidegger emploie « leib » :Leib / Körper qui en allemand renvoie au corps de chair/ corps biologique) : la perception relève-t-elle du somatique ? Du psychosomatique ? Lorsque nous avons caractérisé le rendre présent comme phénomène nous ne nous sommes pas occupés du corps (Leib). Comment nous y prendre avec la question du corps/Leib ? Aborder le problème du corps cela nous conduit à la question du « psychosomatique ». La manière humaine d’être corporel, nous la nommons habituellement « avoir un corps ». Heidegger va partir d’une conférence de Mr Hegglin « Qu’attend le médecin spécialiste des maladies internes de la psychosomatique ? » 1964. Le propos va être de « critiquer » ce texte et avant de commencer précisons ce que critique signifie ici : pas question de décrier. Critiquer ne veut pas dire blâmer mais faire apparaître en premier lieu ce qui est commun. Ce n’est qu’ensuite que nous pourrons discriminer, distinguer un point de vue différent. Ici nous partons de cela : le corps est bien digne de question, comment cette question se déroule-t-elle dans cette conférence ? La critique est une manière de faire voir. Quand par exemple nous essayons d’établir la distinction entre le rouge et le vert, il faut d’abord que nous partions d’un commun : la notion de couleur. Il nous faudra rechercher de quelle discrimination il s’agit à partir du psychosomatique. Parler de psychosomatique est une manière d’évoquer le corps pour un être humain. Dans cette conférence, l’auteur revient sur l’origine de psychè = anima, l’âme. Par ce vocable les médecins entendent « les extériorisations de la vie d’un individu » : ses manifestations affectives et ses processus de pensée. Quand les perturbations de la vie affective engendrent des symptômes pathologiques, on parle de psychosomatique. Il s’agit de maladies non causées par des atteintes physiques en premier lieu même si celle-ci ont des conséquences secondaires sur la psyché. Ainsi psychosomatique réunit toutes les influences mutuelles de psyché et de soma et de n’user de ce vocable que pour les maladies d’origine émotionnelle. L’auteur ajoute que les phénomènes psychiques ne sont pas mesurables ni pondérables. Il prend l’exemple de la tension artérielle qui n’est pas toujours signe de tension émotionnelle et qui génère des pathologies organiques : Quels sont alors les modes de tension émotionnelle qui entrainent des pathologies physiques ? Le problème est de décider des principes reconnus permettant de faire ce lien : somatique et psychique ? Nous recherchons là un archè c’est-à-dire ce à partir de quoi quelque chose commence à être, à devenir et à être connaissable : à partir d’où (archè : principe ; qui diffère de aïtion : la cause = liaison d’un jugement déterminant). Pour expliquer ce principe, il faut s’appuyer sur la philosophie, sur une théorie de la connaissance. Il nous faut nous demander si le principe énoncé ci-dessus est suffisamment pensé ? Est-ce que sa portée est établie ? « N’est réel que ce qui se laisse mesurer », la science ne prend en compte que la teneur réale. Pour distinguer donc psyché-soma, on ne peut accéder au psychique que par le mode intuitif et au somatique avec le mode de la mesure, la seule manière de percevoir un objet est de le discriminer. Nous devons donc nous demander d’où cela vient-il que pour accéder au psychique le mode est l’intuition et que pour accéder au somatique le mode est la mesure ? Cela veut dire que le mode d’accès est déterminé par la façon dont on perçoit l’objet soma et l’objet Psyché. Nous voilà dans un cercle herméneutique. Prenons l’exemple d’un tableau de Cézanne : on peut l’examiner d’un point de vue chimique. Mais pour le saisir comme oeuvre d’art, le calcul et la mesure ne sont pas opportuns. Est-ce à dire alors que ce tableau est un objet psychique ? Comme cet objet là n’est pas psychique pour autant, cela nous conduit à dire que le mode d’accès au psychique n’est peut-être pas assez déterminé lorsque nous disons que nous y accédons par l’intuition et cela reconduit notre question à savoir : d’où se discriminent le psychique et le somatique ? Selon quelle méthode pouvons-nous y parvenir ? Cela veut dire que nous devons d’abord réfléchir à ce que veut dire méthode ? Dans l’article, on recherche une preuve scientifique. Or on ne peut prouver scientifiquement la connexion psychique et physique car il nous faudrait utiliser des principes somatiques : seul le somatique répond aux méthodes scientifiques. L’exigence d’une preuve scientifique est alors injustifiée si nous voulons discriminer le psychique et le somatique. L’exigence de la mesure est exigée par le dogme des sciences de la nature qui dit que seul et réel ce qui se laisse mesurer. Peut-être que nous nous trouvons dans une impasse : les connexions psychiques et somatiques sont-t-elles d’ordre psychique ? Somatique ? Ou ni l’un ni l’autre ? Nous voyons là combien la question de la méthode est essentielle : quelle méthode serait appropriée pour envisager notre question si nous ne nous en tenons pas au dogme de la science ? Mais pour ne pas nous y prendre il faut encore que nous l’ayons pris en conscience. 11 mai 1965 : Heidegger nous dit que nous allons faire un saut pour aborder le problème du corps : il nous propose deux citations de Nietzsche tirées de « la volonté de puissance » : « le corps est une pensée plus étonnante que lames séculaire »…. Au paragraphe 25 de « être et temps » il est question de la spatialité du Dasein. La spatialité est un caractère d’être du Dasein, une manière de se tenir dans la question de son être : le Dasein est celui qui peut espacer c’est-à-dire attribuer place et lieu. Être- au-monde c’est toujours être-auprès, autrement dit une manière d’être spatial. C’est cela que Heidegger va définir comme dé-loigner. Cela veut dire une manière de toujours être auprès de, dans une proximité : le bas, le haut etc. sont des directions de sens qui renvoient à la corporéité, c’est-à-dire une façon de pouvoir être. Pouvoir être corporel c’est tout autre chose qu’avoir un corps comme un accessoire qui s’ajoute à un psychique, lui-même compris comme un autre accessoire. Le Dasein est spatialisant c’est-à-dire il est ouverture pour que prenne place, s’aménage un monde. Le monde est l’ensemble des possibilités de se tenir auprès du Dasein. Cela veut dire que le Dasein fait être l’espace : il est être-le-là ; là où se trouvent les choses : auprès de lui s’y trouvant simultanément. La corporéité est une manière de pouvoir être pour un existant. Page 133 nous approchons un peu plus le phénomène du corps : on ne peut pas mesurer la tristesse de quelqu’un, on peut observer ses larmes. Mais pour autant on ne mesure pas les larmes en tant que liquide comme le ferait la méthode scientifique. Mesurer un liquide ce n’est pas être présent aux larmes. Les larmes appartiennent-t-elle au psychique ou au somatique ? De même la rougeur de la honte ? Ni l’un ni l’autre ! En tant que phénomènes, nous faisons bien la différence entre le rougir de honte, le rougir de fièvre et le rougir quand il fait froid et que l’on entre dans une pièce chauffée. Ces trois façons de rougir, nous les distinguons aisément dans notre manière d’être c’est-à-dire notre façon d’être-avec-autrui au quotidien. Prenons l’exemple de la douleur ou de l’affliction : là aussi nous distinguons aisément la souffrance de la perte de l’être cher et la souffrance corporelle. Vouloir mesurer la douleur, c’est perdre le phénomène du souffrir. Pourtant dans la langue courante on dit que l’on est « très affligés » ou « un peu affligé » ; il y a bien en quelque façon une mesure mais elle est intensité : la profondeur d’une manière d’être disposé, d’une humeur ne se mesure pas de la même manière que celle d’un puit ! De même lorsque je me dirige vers la fenêtre, la profondeur de cet acte ne peut pas se mesurer avec un mètre ; l’expérience de marcher vers la fenêtre déplace avec moi la profondeur expérimentée et celle-ci suit mon chemin, par-delà la fenêtre objet. C’est ainsi que nous éprouvons notre spatialité. La profondeur s’espace au gré de ma manière de m’y mouvoir-émouvoir. Il ne s’agit pas ici de distance mesurable entre deux objets préalablement posés. C’est à même ma proximité que l’espace s’ouvre en tant qu’espace, en tant que ce auprès de quoi je me tiens et qui se montre toujours face à moi. La fenêtre et moi-même se tiennent là, dans cette ouverture telle qu’elle prend forme à même mon comportement. L’humeur, la tonalité affective montre comment l’être humain est toujours déjà auprès de, toujours concerné c’est-à-dire lui-même et le monde auquel il a ouverture. Heidegger nous propose ensuite d’évoquer un autre phénomène du corps : voir la croisée de la fenêtre là-bas et saisir un verre. Il nous pose la question : est-ce que la fenêtre est dans mes yeux comme le verre est dans ma main ? Le « dans » que nous employons prend une signification différente et pourtant il s’agit du même mot. Heidegger nous propose de rester au niveau le plus simple est de poursuivre : l’oeil et la main sont également des organes du corps mais qu’est-ce qui les distingue ? Page 135 : quand je dis que voyant la croisée de fenêtre j’ai dans mes yeux une image rétinienne, est-ce que alors l’image rétinienne est le reflet, dans mes yeux, la reproduction, dans mes yeux, de la croisée de la fenêtre ? Cela nous conduit à approfondir la question de la participation du corps : les organes sensoriels, tels que nous les pensons habituellement, n’ont pas la même manière de nous donner les objets : voir et écouter ne nous conduisent pas à prendre en vue explicitement l’oreille et l’oeil. Quand nous saisissons un objet avec la main , là nous prenons en considération l’organe-main. L’oeil est appelé organe des sens ; et qu’en est-il de la main ? Pourtant le sens du toucher lui appartient ? Est-ce la main et l’addition des mouvements du toucher ? Est-ce que alors la main pourrait se définir comme un organe de saisie ? Et alors, comment différencier vision et saisie ? Deux questions par lesquelles Heidegger nous conduit à nous étonner de ce qui habituellement justement de nous questionne pas. Ainsi le toucher est d’évidence compris comme double sensation : seul le toucher permet de toucher simultanément ce qui n’est pas moi et ce qui est moi. Il associe sentir et ressentir. Lorsque je saisis ma main c’est bien ma main que je saisis d’évidence et non « une » main à quoi s’ajouterait ensuite le possessif « moi ». Cela, l’expérience clinique nous conduit à en prendre la mesure. Pour exemple je citerai cette patiente qui sans cesse devait se rappeler que la main était sa main ; ou cette autre qui devait chaque matin reconstruire son visage ; ou bien cette autre qui dit « on parle par ma bouche ». Quand je saisis quelque chose avec la main je suis en contact direct avec. Par contre ce que je vois est toujours devant mes yeux. C’est pour cela que l’on dit que le toucher est un sens rapproché et que, par différence, on a déduit que la vue est un sens lointain. Heidegger nous propose de voir si la physique peut nous aider pour affiner cette différence. Le physicien peut constater des sources lumineuses mais il ne peut voir la fenêtre. Ainsi saisir et voir sont liés à l’espace et cela nous conduit à nous demander de quelle façon le corporel se comporte vis-à-vis de l’espace ? Page 137 Heidegger aborde la distinction entre le corps comme éprouver et le corps biologique. Il prend l’exemple de la douleur : avoir mal au dos. Le phénomène du corps ne nous est pas accessible avec le regard anatomique. À cet endroit, nous vient l’exemple de cette patiente souffrant d’un ictus amnésique : cet épisode amnésique est en train de se produire. Le médecin lui dit qu’elle souffre de cela, qu’elle ne se souvient pas et qu’elle doit donc cesser de questionner. Or cette patiente ne peut entendre le propos du médecin car le phénomène ictus amnésique met à mal la possibilité de faire une expérience c’est-à-dire la possibilité de se situer/ rendre présent ; de retenir. Se situer veut dire se temporaliser : elle se découvre sans cesse, dans le jaillissement même de la présence, et du coup ne peut que sans cesse demander : où est-elle ? Que fait-elle là ? Le médecin ne prend pas la mesure de cet aspect là. On ne peut pas décrire la douleur au dos à partir de l’idée courante que nous faisons de l’espace. Il nous faut chercher sur quoi se fonde cette conception métrique de l’espace : le pouvoir espacer. Pour y parvenir Heidegger nous propose de reprendre ce que nous avons dit à propos de « rendre présent » : à propos de la gare de Zurich, nous avons dit que lorsque nous la rendons présente nous y sommes tout proche mais s’agit-il d’une proximité corporelle ? Page 137 Heidegger nous dit que le corps joue en quelque façon un rôle. Comment comprendre cela ? La question qui se pose à nous est celle de comprendre où est « l’ici » ? Il s’agit de chercher à approcher le phénomène du corporel : où est mon corps lorsque je dis qu’il est « ici » ? Car en effet « ici » n’est pas mon corps. Il y a là un mystère : comment le corps se rapporte à l’espace ? Le corps humain se rapporte à l’espace autrement que la chaise qui est là dans l’espace. Le corps humain prend place dans l’espace il n’y est pas posé comme une chose. Où s’étendent les limites du corps ? Où le corps finit-il ? Il ne s’agit pas ici de mesurer l’étendue métrique du corps mais peut-être de chercher à saisir la portée de notre pouvoir saisir. Heidegger nous demande si la portée du corps humain est la même que celle d’un missile sur une rampe de lancement ? Il nous invite à entendre que lorsque nous sommes absorbés dans quelque chose justement notre corps n’est plus là. Et c’est ainsi par exemple que je peux heurter un poteau tout en marchant. On dira que j’étais « dans la lune », ailleurs… Mais où ? La manière de ne-plus-être-là du corps est un phénomène énigmatique. C’est ainsi que se conclut le séminaire nous laissant en haleine ; surpris d’éprouver ainsi combien le corps « ça devrait nous épater plus »


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