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"L’existant" partie 4


Groupe de lecture Carcassonne ; partie quatre et finale « l’existant » Henri Maldiney CR 13

(P 309) Pourquoi le comprendre perce-t-il jusqu’aux possibilités – ce que ne fait pas, par exemple, l’intuition ? – Parce qu’il a la structure du projet ? Du point de vue du self, l’intuition serait quelque chose qui n’est pas pris en conscience, une figure qui apparaît claire et lumineuse d’emblée ; une projection de signification posée comme évidente – nous pouvons alors le comprendre comme une confluence avec une projection pour reprendre un langage de Gestalt-thérapeute. Quoique "confluence avec une projection" soit un terme problématique car ces termes accolés tendent nous semble-t-il à diluer le moment de la confluence dans la prise en conscience du contacter. Peut être qu’il faudrait réserver la confluence pour les styles de présence "psychotiques" –quand tu es collé dans l’affect, là est nous semble-t-il la confluence.( pas de déploiement du self) "Confluence avec une projection" c’est une façon de dire qui orienterait la théorie du self vers un paradigme individualiste où Je serai un sujet préconstitué, non conscient d’une projection (et une projection est différente d’une direction de sens. Nous la comprenons comme une signification évidente qui s’impose à moi). Nous comprenons donc "une confluence avec une projection" comme une vérité de signification où je ne prends pas en vue que c’est moi qui la constitue, ou plus justement, qui m’y suis déjà identifiée avant de l’avoir accueillie comme une possibilité parmi d’autres possibles. L’intuition n’est pas un don, mais c’est plutôt le fruit de tout un travail de mastication et de questions. J’ai assimilé certaines choses et du coup je peux accéder rapidement à un faisceau de possibilités. Pour résumer, Maldiney veut différencier le comprendre de l’intuition et du projet.

(P 309) Projet n’est pas à entendre dans le sens de l’expression "faire des projets". Le projet, au sens de Heidegger, n’est pas de l’ordre de la pensée représentative qu’évoque la définition courante des dictionnaires : "image d’une situation, d’un état à atteindre". Il est le dessein immanent à l’action elle-même, mais il la transcende de tout l’horizon – qu’il ouvre – à partir duquel elle se décide. Le projet heideggérien est ce qui me met en mouvement. Le projet est ce en vue de qui j’ai a exister : une ouverture potentielle à être proprement moi-même. C’est le toujours être au devant de soi, le jeté devant (pro-jet) qui fonde la temporalité chez Heidegger et rejoint notre cher « here, now and next ». La dimension du projet a à voir avec l’intentionnalité husserlienne, en la radicalisant. Chez Husserl, l’intentionnalité est la conscience, elle n’est pas une qualification de la conscience ; conscience ou intentionnalité sont synonymes. La conscience s’actualise dans le mouvement simultané de la prise en vue d’un Je et d’un quelque chose (Cf. les variations noético-noématiques). Le projet heideggérien radicalise l’intentionnalité dans la mesure où il ne s’agit plus de conscience mais d’être-au-monde, une structure existentiale du Dasein et non plus une définition de la conscience. L’intentionnalité de Husserl prend son sens à même l’idée d’une conscience déjà constituée (Husserl se penche sur la possibilité de connaître pour un je déjà conscient). Heidegger avec la notion de projet se situe en amont d’un mode de se rapporter au monde en tant que sujet connaissant : il s’agit ici de fonder la possibilité d’un je et non de comprendre comment ce je connaît le monde. Le projet est au-delà et en deçà de la venue en conscience ( pré réflexif). Rappelons que Heidegger propose une ontologie et ne se penche pas sur les modalités de la connaissance. Il n’est pas chez lui question d’une conscience « psychologique ». Si je tiens le possible comme possibilisation de soi au monde : cela renvoie à l’ouverture native de l’humain en tant que Dasein ; dès que je nomme les possibles, je suis dans l’effectivité et donc, des possibilités « éteintes », déjà formelles (Gestalten). La dimension du projet est l’un des éléments fondamentaux de l’humain en tant qu’existant. L’humain est jeté en avant de lui-même, il n’y a pas de lieu qui pourrait le réaliser une fois pour toutes : en tant qu’il est né, il est livré à l’existence. L’humain est toujours conduit à des possibles : le venir-à-soi-toujours sans-cesse. Le projet précède en quelque sorte la Gestaltung d’un je et en fonde la possibilité.

Question : le temps existe-t-il sans les hommes pour le mesurer ? Notion heideggérienne de la temporalité : le temps n’est pas ici un lieu dans lequel je séjourne, le temps est lié à ma présence survenante. C’est dans l’instant où je me choisis comme ce possible là que j’ouvre simultanément passé, présent et futur. Il n’y a du passé que dans l’instant où je le reconduis comme passé. Pour Heidegger, c’est l’avenir qui est primordial, le ensuite (le next en Gestalt-thérapie). Lorsque je parle du passé, c’est dans cet instant que je construis, que j’informe mon existence comme un passé pour moi, dans le cours de notre présence l’un à l’autre. De ce point de vue là, quid de la vérité et du mensonge ? Pour Heidegger, la vérité est la justesse de mon entrée en présence, la vérité est dévoilement, reprise instantanée à l’oubli de l’être aussitôt reconduit. Biblio : "Il faut sauver Hispaon" (suite de l’Abyssin) Ruffin. La fin du livre est une méditation sur la notion de vérité.

La vérité dans la posture de thérapeute, c’est –selon un tel point de vue- en quoi ce que j’ai fait là, a une justesse : ce que je fais là actualise la justesse de ma Gestaltung, de ma présentification. Cette vérité du moment m’a permis une entrée en présence et donc il y avait une justesse d’attitude. C’est ce que nous recherchons durant la séance : l’endroit où nos interventions nous permettent de soutenir l’existence du patient/client ; elles sont vraies car justes pour lui à ce moment là : elles me convient à accueillir la justesse de sa manière de devenir ainsi présent à moi jusqu’à nous informer l’un l’autre en une justesse commune…par où nous nous situons dans un rapport signifiant moi-monde. La théorie du self de la Gestalt-thérapie est une théorie qui ne dit rien sur la vérité : elle ne produit pas un contenu a appliquer. Elle questionne le processus de l’élaboration signifiante mais ne dit pas ce qui doit être. La théorie du self est le mythe fondateur (le postulat) qui sert aux gestaltistes pour interpeller l’entrée en présence. Son intérêt est qu’il ne dit rien, il questionne le processus de l’individualisation en sollicitant le déploiement du self (comment une signification de moi à l’autre s’instaure en nous différenciant).

Platon pensait l’être humain comme une « mécanique » où il y a un pilote, l’âme et un piloté, le corps. Le corps est un lieu terrestre un peu comme un véhicule dans lequel l’âme est au volant. L’âme y séjourne un temps avant de rejoindre le monde sublunaire (le ciel des idées) qui est le lieu de la vérité. Le monde terrestre n’est pas le lieu de la vérité. (cf. « le mythe de la caverne ») Nous pouvons regarder la corporéité autrement qu’un corps de viande, un corps biologique, ou une mécanique. Nous pouvons concevoir la corporéité comme le lieu d’où je suis, un lieu non réductible : je ne peux pas dire que je suis cela. Mon corps est un lieu éthique (grec : ethos, l’endroit où je séjourne), on ne peut ouvrir le corps pour me trouver. Je l’habite en y donnant sens et signification comme une possibilité là d’être moi même. Ame et corps ne sont pas obligatoirement d’étoffe distincte mais peuvent s’entendre comme deux modes de la corporéité : être corps et avoir corps et cela nous renvoie à la question du sentir…et aux travaux de Merleau-Ponty (cf. notamment « le visible et l’invisible »)

L’éthique concerne les valeurs fondatrices des relations humaines (la conception de l’homme et de ses modalités d’être avec autrui) ; la déontologie parle des règles professionnelles.

(P 310) Que s’agit-il de rendre possible ? Pour Heidegger c’est clair : l’effectif, l’étant auquel nous sommes jetés. Il est de soi dépourvu de sens, injustifié. La notion même de sens n’y a pas de sens. Cependant, bien qu’injustifiée, notre effectivité à son nom : facticité. Or s’éprouver telle suppose déjà un certain dépassement d’elle-même, introduisant en elle l’inquiétude du sens. De Luther à Heidegger et à Francis Ponge, théologien, philosophe ou poète, l’homme rencontre comme sa question propre, celle de sa justification. "Je veux bien, écrit Francis Ponge, que beaucoup de douleurs humaines soient, d’un certain point de vue, négligeables. Aussi n’est ce pas de telles douleurs, ni celles qui sont dues à tels accidents ou maladies, qu’il serait juste de reprocher à la Nature, mais des douleurs autrement plus graves : celles que provoque chez toute créature le sentiment de sa non-justification, celle par exemple chez l’homme qui le conduisent au suicide, celles chez les végétaux qui les conduisent à leurs formes". Il s’agit de rendre possible que je suis, matériellement, concrètement ; le fait que je suis, que je vis. Il n’y a pas de sens pré-établi, de vérité : c’est ainsi, je suis toujours déjà livré à l’existence. Il n’y a pas d’horizon, de justification, de pourquoi, de comment : c’est …en vue d’un à être encore !. Je suis vivant jusqu’à ce que je sois mort. Et la question du sens de mon exister me taraude… Le fait de s’éprouver comme cet étant là ouvre la question du sens et de la signification : pourquoi je suis là ? Pourquoi moi et pas autre chose ? Pourquoi ce corps là et pas un autre ? Dès que je peux dire "je suis", j’interroge le sens : je ne suis plus une pure effectivité. Nous retrouvons le transpassible et le transpossible : je suis ouvert à l’évènement puisque je suis dans l’horizon de mon â-être encore. Le fait d’être ouvert me contraint à donner du sens car je ne peux pas rester juste dans "je suis". Je suis et je vais me définir, je deviens sans cesse (le vie suit son cours et m’invite à me signifier à chaque instant…à tisser des Gestalten). Nous pouvons penser aux psychotiques : il y a une ouverture pathique sans direction de sens qui permette de se donner forme (nous pourrions dire qu’il s’agit d’un éprouver qui ne S’éprouve pas). Ce qui est mis en défaut, c’est l’articulation signifiante du sentir : sentir et me donner sens en tant que sujet de cet éprouvé là qui me donne forme en ouvrant un monde. Maldiney nous parle du projet et de la dimension du sens. Chez Heidegger, nous allons trouver comment le projet est déloignement, aiguillage (« être et temps »). Ces dimensions du projet peuvent permettre d’entendre, par exemple, ce qui se passe chez les psychotiques. Le projet prend sens comme déloigner le monde (le rendre plus proche), le situer à partir de moi me situant. C’est pourquoi nous parlons ici de se temporaliser, de se spatialiser, puisque le temps et l’espace s’ouvrent à partir de mon lieu – du lieu où je séjourne. L’effectivité, c’est le fait d’être ainsi : par exemple, ici ce soir, j’ai six personnes autour de moi. La facticité, cela a à voir avec le fait que je suis ce corps là. La facticité est l’effectivité de l’homme car moi, je l’éprouve comme un fait, je la ressens, je l’endure ; un verre ne l’éprouve pas comme un fait, ni l’animal. Cela renvoie à la facticité (un état qui m’échoit) d’être né. Dans certaines formes de psychose, je ne peux pas me situer par rapport à l’effectivité. Je ne peux pas m’approprier un projet – projeter (au sens courant du mot) quelque chose qui puisse avoir du sens et de l’action parce que dans le même mouvement, je ne peux m’approprier (d’où le concept d’angoisse de morcellement…qui ici prendrait sens non pas de se morceler mais de ne pas pouvoir se rassembler, s’approprier l’ouvert de sa corporéité). Le monde (compris ici comme réseau de significations) perd sa significativité. C’est la significativité du monde qui est altérée, pas l’effectivité du monde.

(P 310) Justifier un étant c’est le fonder en possibilité. Avoir sens c’est, pour un étant, être inscrit à une place déterminée dans un système de possible. Je reconduis le sol sur lequel je m’appuie. Donner du sens c’est ouvrir – s’ouvrir- des possibilités et se décider pour une, devenir soi-même. Dans la vie quotidienne, quand nous ne retrouvons plus un système de possibles, cela ne va plus et il devient impossible de se tenir : par exemple de supporter une position corporelle : les impatiences qu’évoquent certains psychotiques nous parlent là : cette terrible nécessité de bouger : appuyer sur un pied puis sur l’autre et encore de même…toute position s’avérant insoutenable…et tout comportement aussi évident que faire un thé, s’habiller, s’approcher d’une table, ouvrir une porte devenant un véritable casse-tête... Ce qui fait défaut alors, c’est le sol de l’évidence commune, une communauté de significations qui vont de soi et par là une place définie, un rôle au sens de l’identité narrative de Paul Ricoeur. Le propre de la psychose est de ne pas pouvoir faire autrement, ne pas se pouvoir. Dans la vie quotidienne, chacun peut parfois éprouver cette impossibilité… mais nous pouvons en sortir.

(P 311) Il s’y produit… Pro-duire veut dire en avant de, il vient à se manifester, ce n’est pas un monde qui est déjà là et que je regarde –comme le monde géographique. Le monde survient, il surgit, il se met en avant dans le mouvement même où je me projette et où je le projette, parce que je suis toujours déjà au monde. C’est la dimension de "venir à l’apparaître". Le monde est ce qui manifeste l’acte de l’élaboration signifiante d’un je-en-voie-de-lui-même. Il devient un monde de possibilités signifiantes. A la fois, je prends en vue le monde, je le pro-duis, il se manifeste à même ma présence et en même temps, je l’agis, je le concrétise. Le monde n’est pas un étant. Le monde peut s’entendre comme une construction de signification en Gestalt-thérapie : il survient à même la Gestaltung de soi.

(P 311) Evénement et avènement qui ont lieu co-originairement dans l’être au monde. En Gestalt-thérapie, cela se traduit par le tissage d’un rapport figure/fond. Par le biais de la théorie du self, nous allons interpeller la façon dont il y a événement et avènement d’un je-au-monde au travers de la construction de significations. Alors il semble que nous ne pouvons plus tenir le paradigme de l’individu quand nous travaillons comme cela : devenir sujet, c’est alors prendre forme par l’acte de la signification qui traduit le processus de la Gestaltung.


CR 15

(P 311) « L’immanence réciproque du comprendre et de l’existence signifie à la psychiatrie l’esprit de sa méthode : percer jusqu’aux possibilités de ce qui est à comprendre, à savoir ; malade ou sain, un existant. » Il existe une immanence réciproque entre comprendre et exister. Chez Heidegger, comprendre est un existential, c’est « être pris avec » ; ce n’est pas une modalité de la pensée (comme notamment chez Descartes).Le comprendre renverrai davantage au sentir qu’au percevoir. Comprendre : être pris avec … je suis toujours dans une façon de me comporter à.., de me rapporter à …, je suis toujours co-impliqué et affecté. Ce n’est pas une connaissance objective, ce n’est pas de l’ordre de la rationalité. Comprendre ramène donc au « sentir », il ramène au « déploiement du self en mode ça ouvrant la situation ». Le comprendre est de l’ordre du pré subjectif.

malade ou sain, un existant. Le « comprendre » habituel clôt l’expérience toujours en cours… il convient ici de se laisser résonner à l’autre. Malade ou sain, il s’agit toujours et encore de : comment je résonne à l’autre, comment l’autre m’affecte, comment il me fait exister… Le propre de l’existant est d’avoir à se déterminer parmi des possibles déjà ouverts. Une fois de plus, Maldiney nous donne ici sa définition de l’existant et nous convie à entendre la thérapie comme évènement de rencontre.

(p 311) Il n’est de tel, à la différence d’un simple vivant que par son pouvoir-être. Le pouvoir-être renvoie aux possibilités d’être soi-même. J’ai à transcender le vivant que je suis. La transcendance devant s’entendre ici comme cette façon propre à l’humain de séjourner dans le langage, qui fait que je ne suis jamais complètement collé à ce corps que je suis. Ce vivant que je suis, j’ai à le transcender, à le définir, à lui donner du sens en devenant qui je suis. C’est cela exister. Ce « pouvoir-être » renvoi au transpassible et transpossible. Pour Maldiney, la transpossibilité consiste en cet « au delà de… » des possibilités que je puis nommer, mon « pouvoir-être » excède les possibilités que je puis nommer (déploiement du self en mode personnalité). Il convient ici de préciser deux notions philosophiques :
  L’intentionalité : c’est moi et ce que je vise
  La possibilisation : c’est l’ouverture à ; qui j’ai à être ... il m’est impossible de dire toutes mes possibilités d’être. Toutes mes possibilités d’être ne pourront être énumérées que lorsque je serai mort. Seulement la seule expérience de mort que j‘ai, c’est celle des autres. Personne ne peut rien dire de la mort. La possibilisation est donc comme quelque chose à venir et toujours repoussée. La possibilisation renvoie à l’infini au sens du sans forme, à l’ouvert des possibilités, à l’ouverture, au sens heideggérien du terme. La possibilité renvoie à une idée de choix : de me décider en propre. Egalement, le pouvoir-être est à entendre dans la définition que propose Maldiney pour la maladie : il dit « songez à l’horreur d’être pu », de ne pas pouvoir être soi-même ; éprouver le sentiment de subir et ne pas pouvoir s’ouvrir à de nouvelles possibilités d’être soi-même, de se comporter à.

(p 311) Seule est authentique la compréhension qui s’articule aux structures de l’existence comme transcendance, fût-ce une transcendance en échec. Cet échec, en effet, n’est pas quelconque, il porte la marque de l’existence qui là où elle est en défaut est en défaut d’elle même.

« La compréhension qui s’articule aux structures de l’existence comme une transcendance » peut s’ entendre comme une façon d’y être… qui ne permet pas le déploiement du self en ses divers modes…

En terme de « self », la pathologie se traduit toujours par une perte de la fonction ego (et non une rupture du contacter) Le mode ego peut se définir par : je le sens, je le pense et j’y suis engagé. C’est ce moment qui me permet d’identifier et de me décider pour une forme nouvelle actualisant mon exister à. Quand les modalités du self s’articulent en mode ego, alors la transcendance est réussie. Il y a échec de cette transcendance quand le déploiement en mode ego ne survient pas, ce qui traduit un défaut dans l’articulation de son (le self) déploiement en mode ça et personnalité.

L’existence est en défaut d’elle même quand je n’adviens pas pleinement en mon Dasein, à choisir pleinement cette façon là d’être affecté (que traduit le déploiement harmonieux du self). Par exemple, je tiens une pose (maniérisme élaboré par Binswanger « Trois formes manquées de la présence humaine »), je cherche la justification de ce que je fais, non pas comme un choix qui m’est propre et par où je m’approprie et qui renvoie à mon entière responsabilité, mais comme quelque chose qui devrait être déterminé par l’autre …je fais comme si sans y être pleinement.

(p 311) Ainsi dans la schizophrénie, la défaillance commune de l’être soi et de l’être au monde est celle des deux moments conjugués d’une transcendance dont la déficience implique la leur. Ces deux moments conjugués d’une transcendance peuvent se traduire par : Tu me fais exister- je te fais exister et cela correspond au le déploiement du self en Gestalt-thérapie. Si je n’arrive pas à exister… simultanément ni moi- ni le monde ne s’ouvrent. Je suis toujours au monde et si je ne transcende pas cet état, le monde n’est plus en vue de mon séjour. Je ne suis pas pleinement à la situation présente. Je ne « co-construis » pas. Exister serait donc : se différencier, s’ouvrir, surgir… élaborer une signification de moi et du monde. Ce vivant que je suis – ce corps que je suis – ce corps qui m’est donné – à savoir ce « passible » … je le reçois… et si, simultanément à cette réception, je ne peux pas m’accueillir, me situer… alors je ne peux pas ouvrir de possibles pour m’y comporter de façon ajustée. Pour situer le monde, il me faut me situer moi … Quand transpassible et transpossible sont défaillants, cette déficience implique celle du sujet.

(p 311) Atteint dans son pouvoir-être, réduit à son être-jeté, il est investi par l’étant, que représentent en particulier les figures de l’autre, dont il est impossible de décider si elles sont au dehors ou au dedans. N’ayant plus sa tenue à l’avancée de lui-même, il n’est pas capable de l’éloignement qui seul permet l’approche en ménageant un horizon de présence sous lequel l’autre peut être rencontré. « être-jeté » : je suis vivant (Heidegger) il ne peut pas se situer il ne peut pas se spatialiser N’ayant plus sa tenue à l’avancée de lui-même : il ne peut pas passer d’un « j’ai un corps » à « je suis ce corps ainsi affecté ». Il n’y a pas d’appropriation … il n’y a pas de déploiement du « self » Il est incapable de distance (celle de la re-flexion) qui serait une manière de dire : « ça me fait …… ou je sens …. » Il n’y a pas de survenue de frontière contact.

(p 311) L’espace propre et l’espace étranger ne communiquent plus chacun avec soi par le relais de l’autre- et leur communication mutuelle déchoit en contamination. Contamination : il n’y a plus de différenciation… tout est dans tout… C’est le « schizophrène » devant le panier à linge sale qui voit un tas de linge et est incapable de distinguer une chaussette d’un pull et ne parvient pas à se comporter : il est saisi devant et non plus orienté à dessein d’une action et par là s’orientant en orientant le monde. Il ne peut rien différencier ; il ne peut ni se sentir ni bouger, il ne peut donc rien élaborer…on pourrait dire qu’il est là affecté…et ne peut se reprendre pour ouvrir une situation signifiante.

CR16

(P 311)" Embarqué dans le convoi - ici cahotant - des effets et des causes, le moi consiste de l’entrecroisement de nombreux états de choses : il est fait. La subversion du Soi est encore plus intime ; il est pu.

Il est pu de ne plus pouvoir... de ne plus pouvoir être… il n’y a plus de possibilités de "pouvoir être", le "pouvoir être" étant bien au delà de ce que je décide.

Quant à la "Subversion de Soi", ceci est à relier à l’échec de la transcendance. Ce terme de " subversion du soi " se lit par rapport au moi. Le "moi" est ce que je peux nommer, ce que je reconnais comme moi, je vais le rassembler, le "consister" (con = avec ; sistere = situé) Ce que je suis, moi, est l’entrecroisement de plein d’états qui sont déjà faits. C’est de l’ordre de la continuité. Le moi est fait : Du verbe faire, il ne dépend que de ma volonté, on doit lire ici une dimension active.

Le "soi" est l’horizon des possibilités, tout ce que je ne suis pas mais que je peux être ; qui je deviens. L’altérité de moi que je ne connais pas. Ce n’est donc pas de l’ordre de la continuité.

L’être humain ne peut avoir un rapport aux choses sans y être concerné, il est toujours présence, séjour auprès : con-cerné.

Le Schizophrène ne peut pas se prendre pour quelqu’un, il ne peut pas se constituer en "moi". Il a cessé de se pouvoir. Il est donc "pu" et ne peut plus ouvrir de possibilités.

Le schizophrène a cessé de se pouvoir. Il se trouve dans une injustification totale où il lui est impossible de rendre possible celui ou celle qu’il est dans sa facticité. Le terme de facticité ici, n’a rien à voir avec "ce que je fais". Il convient de l’entendre en terme de "être jeté - livré au monde " c’est la brutalité de tout ce qui résiste. Je suis "de fait" quelque part entre ma naissance et ma mort - je suis né- je mourrai - et cette dimension résiste à mon pouvoir, à tout ce que je peux mettre en œuvre. Nous ne cessons de le marteler dans nos commentaires…une sorte de litanie pathique…

Le schizophrène ne transcende plus l’étant vers le monde. Il ne peut plus ouvrir de possibilités pour inventer une signification de lui-même et conjointement du monde. Il n’est plus dans une façon d’habiter le monde, il est au monde comme un objet ou plutôt, il est « devant », assigné, et non « parmi » dans un rapport de proximité.

Sans le dépassement de tout l’étant vers le monde, dont elle fonde la signifiance en en ouvrant le projet, la présence ne peut pas plus se comporter à soi, aux autres et aux choses que ne le peuvent les choses. Seul un Soi qui est au monde à dessein de soi peut se comporter et se rapporter à … Ici, la présence ne peut plus se rapporter à l’ouverture des possibles, elle ne peut pas plus séjourner près des humains et des choses que ne le font les objets, qui n’ont, eux, qu’un rapport géographique. On pourrait rapprocher cela du sentir non articulé en se sentir.

Etre pu , toutefois, ne peut être éprouvé (et s’il ne l’est, il n’est pas) que par un être pour lequel il y va de son être dans sa déchéance d’être - laquelle n’est possible que sur le fond d’un pouvoir être. C’est en quoi l’existence schizophrénique est encore existence.

« Etre pu » est le propre du schizophrène et c’est encore une façon d’être, c’est encore une manière d’existence, une manière d’actualiser un pouvoir être, une Gestaltung de soi. Cela souligne que malade ou sain, nous avons une communauté indéfectible : avoir à devenir nous même. Et c’est là que prend sens la rencontre entre soignant et patient.

" Vous qui avez affaire à l’homme malade, vous avez affaire à l’homme" Ne pas oublier qu’en tant que thérapeute, nous rencontrons un autre humain. En cela, bien plus qu’un malade que nous aurions répertorié en fonction de symptômes, nous sommes conviés à une rencontre commune : celle de deux existants. Il s’agit là de renoncer à une posture technicienne qui réduirait le malade à une série de symptômes pour se laisser aller à l’étonnement de la rencontre. Nous sommes conviés à une « tâche » commune : exister l’un à l’autre.

Parce que l’impouvoir schizophrénique ne se comprend et n’existe que sur fond de pouvoir être, le schizophrène tente, par son délire, de se comporter à …, de se rapporter à .. Il substitue au règne du monde, sous-tendu par le projet, la construction d’un autre monde, dont la dramatique est la mise en scène de ce qui se passe en lui, sans qu’il sache quoi ni comment, c’est à dire de l’événement même de la psychose, de la métamorphose de l’existence. Il convient ici d’entendre par "impouvoir" une manière de se rapporter à son "pouvoir être". Le délire s’adresse à quelqu’un d’autre. Le « schizophrène » projette une autre scène, dont l’action n’est que la mise en forme de ce qui se passe en lui. Il met en forme un monde dont il n’est ni l’acteur ni le metteur en scène ; Il est agit par ce monde qu’il met en scène. Dans sa façon d’être au monde, il ne peut pas s’approprier et par là se rapporter au monde….il est collé à … il est pu….il est agi… Dans le délire, il existe bien un rapport au monde, mais ce rapport au monde n’est perçu que sur une dramatique qui lui est propre, et il n’existe plus de monde commun, c’est une sorte de non pouvoir ouvrir d’autres manières de comprendre et soi et le monde…le schizophrène ne peut pas faire varier les possibilités et ne peut même pas dire que c’est lui qui crée cette signification par où il advient malgré tout.

Cette dramatique s’entretient d’un combat où il tente de s’exhausser au-dessus de son être-jeté.

S’exhausser : se sortir par le haut, se dresser au-dessus. Cela nous évoque les travaux de Binswanger (« trois formes manquées de la présence humaine » l’art du comprendre) où il est question notamment de la présomption : s’élever trop haut sans appui sur le sol de l’expérience. Il n’y a absolument rien de l’ordre d’une élaboration ajustée. Quoique l’on fasse … il n’y a rien qui puisse ouvrir de possibilité nouvelle … il n’y a que cela a quoi je suis assigné, agit…. D’où l’idée de combat…. C’est ou moi ou l’autre… J’affirme alors une seule possibilité envers et contre tout... Le schizophrène tente par ce combat de se sortir de sa présence brute pour en faire des possibilités.

Le sens du délire se décèle à partir de son dernier état où l’attire son principe même. Au projet qui est la dimension de l’être comme exister, il substitue un succédané. Tout ce qui est projet en jet est ici devenu ob-jet. Se décèle : s’ouvre … Il s’agit ici d’un succédané. un jugement, un raisonnement sur un concept. Là, "l’être en jet" devient "posé devant moi" …devient ob-jet : je ne suis plus sujet des formes signifiantes mais objet les subissant comme de l’extérieur. Il n’est plus ouvreur d’un monde mais assigné à un monde ( le thème du délire). Le sujet retombe toujours dans la même ornière, il retrouve toujours le « même » chemin … tel un disque rayé… il n’y a pas d’ouverture à autre chose … toujours le sujet est ramené au « même » état… de manière lancinante…et terrible … L’ob-jet est sans cesse - sans cesse - sans cesse - le même. Le délirant ne peut donc pas reconduire son "pouvoir être", il l’éprouve comme non son propre. Dans le délire, il y a rigidification en un seul et unique possible. Du point de vue du déploiement du self, nous dirions que celui-ci se déploie en mode personnalité sans articulation en mode ça ; le mode ego ne peut alors survenir.

Ce qui peut être ouvrant pour un délirant, c’est l’affect que, en tant que thérapeute, j’éprouve à son occasion, ce que je peux endurer sans y être saisi, je peux me l’approprier. En validant le délire (le com-prendre, être accueillant de cette manière de se comporter au monde, de cette logique surprenante qui m’inquiète), le thérapeute va déjà créer un monde commun, un sens commun, puis tenter doucement de l’élargir. Il convient de nommer ce sens comme étant une possibilité humaine, il est indispensable qu’il y ait vibration en terme de pathique. Avec un « paranoïaque », le thérapeute va accueillir ce qu’il lui est donné là d’éprouver : l’angoisse de la possibilisation de soi prenant goût d’un abîme…et conduisant à s’accrocher à une signification unique. Cette façon d’être (au goût parano) est bien un auto-soutien ; une manière d’exister à, et le rôle du thérapeute est d’éprouver et de nommer ici comment il peut soutenir cet état.

Ni le monde ni le Soi n’existe en possibilité ouverte. Ils se présentent dans l’en-face et "la totalité de l’étant devient thème". Totalité de l’étant : ouverture des possibilités que je peux être. Or ici ce que je suis devient figé en un seul jugement qui se déroule devant moi et qui m’assigne un rôle : c’est un thème. L’atmosphère devient thème : le sentir se thématise…par exemple l’angoisse devant l’ouvert de ses possiblités d’être devient thème d’être menacé par quelqu’un.

C’est attester négativement le caractère non-thématique de l’existence et du comprendre Pour l’être humain, exister n’est pas un thème défini, je ne suis pas déterminé par, j’ai à me décider en conscience pour une forme de mon exister à.

Ce qui est pu et su dans le comprendre n’est pas quelque chose, c’est l’être comme existence. Ce qui est de l’ordre du pouvoir et du savoir, dans "le comprendre", n’est pas une signification, une forme que je donne, c’est l’être comme exister toujours en avant de soi. Le comprendre est tonalité pathique avant de se signifier en quelque chose. Il est éprouver et non représenter.

Il ne suffit pas que quelque chose soit là, au dehors ou au-dedans, pour être réelle et vraie. Le moi ou un objet, une action, un événement sont réels parce que leur effectivité réalise le Concept, c’est-à-dire parce qu’en eux l’esprit se sait lui-même comme esprit dans son monde. Dans la perspective heideggérienne, le moment de réalité n’appartient pas au Concept mais au pouvoir être impliqué dans le projet. Pour Heidegger, le moment de réalité n’appartient pas au concept (concept : l’idée que j’en ai… ce que je conçois.) mais à mon "pouvoir être" impliqué dans le projet au sens d’être jeté en avant de soi, contraint à transcender… pouvoir être qu’il m’appartient de mettre en œuvre. Pour que l’effectif soit "réalité" il faut qu’il soit fondé en possibilité… qu’il soit reconduit à ses possibles…. car c’est toujours une possibilité parmi tant d’autres…et surtout une possibilisation de soi en tant que moi bien plus qu’une visée objectale. L’important n’est pas le concept que j’élabore mais qu’à cette occasion je me décide en tant que moi-même : Gestaltung de soi. En gestalt-thérapie nous ne nous centrons pas sur les contenus élaborés mais sur la venue en présence que cette élaboration actualise. C’est pourquoi nous sollicitons le déploiement du self : en s’étonnant des manières pour un je de se donner signification, nous permettons la prise en conscience peu à peu du pouvoir être et surtout nous sollicitons l’expérimentation de cela à l’occasion de nos rencontres.

" Deviens ce que tu es. Tu ne l’es réellement qu’à le devenir en propre, qu’à en faire ta propre possibilité" On pourrait dire : " en te choisissant comme ta propre possibilité." - Ce mode est bien différent du mode de la quotidienneté. On pourrait dire encore que : à l’occasion de ce que je dis, je n’y suis vraiment en propre qu’en étant conscient de chaque mot que j’utilise et conscient de ce que cela produit en moi, de ce que cela produit chez les autres et de l’ouvert que cela génère (toute décision m’engage au-delà de ce que je pourrai imaginer), comment cela me fait exister. J’ai conscience là - sur l’instant même- de chacun des mots que je choisis et qui actualisent ma présence. C’est ce que Merleau-Ponty définit comme "la parole parlante" en comparaison à "la parole parlée ».

Dans son effectivité brute tout étant est "impossible". Pourtant nous le disons et le pensons réel. C’est que son fondement est ailleurs, dissimulé dans l’impossible.

Dans son effectivité brute, l’étant n’est pas un choix d’être cela… qui il est à l’instant présent …plutôt qu’un autre. Il ne perce pas du côté des possibilités en ouvrant ses possibilités au-delà de toute possibilité. Et pourtant quand nous parlons et pensons « Catherine » nous la disons et pensons comme cet étant là…qui semble bien localisé et réel. Ce qui le fonde comme "étant" est dissimulé dans l’impossible… dans quelque chose qui n’est pas ouvert comme possibilité raisonnable …la transcendance ; être –le-là de tout avoir lieu sans avoir d’ici localisable. Le langage ne dit pas le réel, il le suggère… Quand je nomme une possibilité, je la pose, quand je la pose, elle devient réelle, effective, elle quitte son" statut de possibilité ouverte".

Ce qui s’ouvre au-delà ou en deçà de tout le possible et qui, au regard de la pensée positiviste est impossible, c’est la transpassibilité. Pensée positiviste - de positiver lui-même de positivus : " poser sur"- Les choses sont posées, les choses sont effectives. Ce qui a fonction originaire sans être un lieu ou un fait, c’est le pathique et le passible, le transpassible : endurer sa corporéité. Ceci n’est pas concevable si nous nous tenons dans un mode de concevoir positiviste.

Fin de nos travaux concernant cet article. Vos réactions sont bienvenues si vous souhaitez témoigner de votre rebond à cette proposition de point de vue.

Le groupe de lecture et recherche de Carcassonne.