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Compte-rendu N°12

Lecture des pages 113 à123


Groupe de Carcassonne octobre 2012

Lecture de « Séminaires de Zurich » par Martin HEIDEGGER éditions Gallimard, traduction Caroline Gros …

Lecture des pages 113 à 123 .Séminaire du 12 mars 1965 Le texte commence par une méditation sur ce que penser veut dire : se laisser découvrir, apprendre de ce qui vient, bien plus qu’énoncer un savoir. Penser : un chemin, une épreuve, cela nous brasse, nous convoque. Une épreuve pour laisser la parole délivrer peu à peu sa dite. Ici penser n’évoque pas maîtriser, raisonner, conceptualiser, transmettre un savoir sur quelque chose. Déjà, là, nous trouvons un passage vers la Gestalt-thérapie : avec le patient il s’agit bien d’apprendre, de se laisser éprouver à cette occasion de d’y prendre forme : s’étonner des formes survenantes bien plus que de donner des conseils ou résoudre un problème.

Une telle posture n’est pas celle de notre quotidienneté : nous sommes pris dans la pente du « on », dilué dans un faire. Le mode de nous rapporter à la question de notre avoir à être dans la quotidienneté n’est pas celui du penser évoqué ci-dessus. Le dévalement quotidien serait-il un obstacle ou bien aussi une manière voilée d’endurer notre pouvoir être ?La question du temps est une question qui nous concerne nous, les existants…et ce, même lorsque nous disons « je n’ai pas le temps pour faire ceci ou cela »…Simplement nous ne nous arrêtons pas à ce que nos propos nous donnent à entendre d’essentiel. En quoi cela nous concerne la différence entre « rendre présent » et « se souvenir » ? Pour accéder au phénomène dont il est ici question il va nous falloir nous demander :
  Sur quoi suis-je axé lorsque je me rends présent par exemple la gare de Zurich ? Quel est ce dont je me rends présent ce faisant ?
  Quel est le caractère du « rendre présent » lorsque je l’accomplis ? Nous devons partir de notre expérience quotidienne sans autre présupposé : voir ce qui se montre et le nommer sans appliquer nos connaissances… Affaire délicate car souvent nous appliquons des connaissances sans même les prendre en vue…pris que nous sommes dans une parole publique et ce séminaire va nous faire toucher cela encore.

Donc sur quoi suis-je axé lorsque je me « rend présent » quelque chose ? Dans l’exemple du séminaire, je suis axé sur : la gare de Zurich elle-même (p114) et nous remarquons la graphie particulière de « elle-même ». La gare elle-même, non pas une image mentale de la gare ! Non pas une représentation mentale comme nous serions enclin à le formuler dans notre langage quotidien ! La gare elle-même ? Ce que nous visons se montre selon divers angles de vue. Mais dans chacun de ces cas il s’agit de la gare « elle-même » insiste Heidegger. Nous visons la gare en entier et ce que nous voyons est un de ses aspects, par où nous la visons « Néanmoins il s’agit toujours de la gare elle-même »P115 Cela nous convie à entendre différemment : « voir » et à nous y arrêter : voir c’est viser et je perçois un étant-présent. Etre-présent est une manière d’être, une forme possible d’être : un étant-présent, quelque chose ou quelqu’un pour le dire selon notre langage familier. C’est une manière d’être, rendre présent, un présentifier, et du coup cela nous fait prendre en vue qu’il ne s’agit pas d’une représentation comme nous l’aurions dit …la représentation est une manière de penser la présence qui va de soi et témoigne de notre manière d’avoir toujours déjà compris : la représentation c’est alors ce qui n’est pas là « en chair et en os »… et qui se trouve où ? Dans ma tête ! C’est une représentation mentale…et pas une présentation…mais comment puis-je affirmer cela ? Selon quel présupposé non questionné ? C’est cela que Heidegger va expliciter. La représentation mentale de quelque chose c’est ce que j’en construis de cette chose qui est hors de moi, dans ma tête, une copie mentale sise dans l’immanence –le pur intérieur- de ma conscience comprise comme une boite qui se remplit de représentations…. De fait lorsque je me rends présent la gare de Zurich il s’agit d’elle. Mais lorsque nous essayons de rendre raison de ce phénomène nous évoquons qu’il s’agit d’une représentation ? Nous sommes pris dans l’évidence de la manière scientifique de penser la perception : voir veut dire alors ce qui est dans mon champ visuel (théorie classique de la perception)…mais qui a déjà vu une représentation mentale ? Et où sont-elles stockées ? comment prouver cela de manière scientifique ?. Cela me fait penser à un de mes patients qui me téléphone atterré : « ma femme a été voir un médecin et thérapeute méthode Hammer qui l’a reçu pendant quatre heures. Il lui a affirmé que pour guérir de son cancer elle devait impérativement divorcer. Elle a loué un appartement aussitôt et entrepris les démarches de divorce sans rien me dire auparavant. »

Quand je me rends présent quelque chose je me tiens auprès de lui : le rendre présent à le caractère de l’être-auprès de P116 « il a le caractère de notre être quand nous sommes auprès de la gare » P117. Voir ne veut pas dire seulement que quelque chose entre dans un champ visuel, voir est une manière de se tenir auprès de. Rendre présent est notre manière d’être auprès de quoi que ce soit. Etre auprès de c’est ainsi que le rendre présent s’effectue. Il nous est difficile d’entendre ce dont il est question là car nous sommes imprégnés de présuppositions. Effectivement, effectuer est employé selon des sens différents (les sens ne sont pas dans le mot mais dans notre manière de nous rapporter à la question qu’ils nous posent et qui nous concerne en notre pouvoir être) : effectivement par la pensée : la gare de Zurich est effectivement présente lorsque je me la rends présente parla pensée, et effectivement dans le sens de en chair et en os, matériellement. Dans tous les cas il s’agit bien de rendre présent, la façon dont se rendre présent s’informe est ici secondaire à l’acte même du rendre présent : imaginer que je suis à la gare n’est pas me rendre présente la gare elle-même. Lorsque j’imagine, je suppose quelque chose. Quand je pense la gare de Zurich je me la rend présente, je ne la suppose pas. Je me la rends présente cela ne veut pas dire que j’y suis en chair et en os (P119). Le rendre présent est un pouvoir être du Dasein qui est dé-loignant : toujours auprès-de, une caractère d’être, un existential.

Heidegger poursuit avec l’exemple de la gare : si je veux aller à la gare de Zurich pour y chercher quelqu’un : pour pouvoir m’y rendre, je dois me la présenter, m’y diriger, m’y tenir auprès. Quand je vais vers la gare, je ne vois pas une image dont je me rapproche, j’y vais ! C’est ainsi que je m’y rends présent, auprès. S’ouvre alors la question d’être « ici » ? nous ne sommes pas ici de la même manière qu’une tasse est ici…le monde est un pouvoir être du Dasein, une manière de se trouver auprès de qui n’est pas de l’ordre de l’inclusion dans quelque chose (la tasse dans le placard) mais une manière d’être proche, auprès de , d’habiter. Etre-auprès de quelque chose ne veut pas obligatoirement dire que j’y suis en chair et en os…le percevoir dans sa teneur corporelle n’est pas exclusif ! Rendre présent est une modalité d’être auprès de bien plus large que être-là-devant pour un étant matériel ou subsistant. Pour un Dasein (être-le-là et non être-ici ou être-là), être auprès de c’est se tenir ouvert selon diverses possibilités d’être qui lui donnent forme de monde. Dans la schizophrénie c’est cela qui est problématique : le schizophrène ne peut pas s’approprier son pouvoir être mondain, qu’il se tient auprès de et que se tenir auprès de lui donne lieu à lui et à ce auprès de quoi il est : une forme de présence. Dans la schizophrénie le pouvoir faire monde défaille, les choses ne renvoient plus les unes aux autres à partir des allées et venues de Dasein. Le schizophrène ne peut pas se rendre présent de diverses manières telles que par exemple être ici dans la pièce et être auprès de la gare de Zurich. Nous disons qu’il est pris dans la matérialité des choses, il ne peut pas es-pacer c’est-à-dire séjourner auprès de.

Il nous faut renoncer à ces théories scientifiques qui veulent que penser quelque chose = en produire une image mentale, une copie de réalité puisque la réalité c’est ce qui est substantiel…or les pensées sont volatiles… Pouvoir être-au-monde c’est pouvoir-rendre-présent quelque chose selon diverses manières d’être : l’être présent subsistant n’est pas la seule manière d’être tangible.

Du point de vue de la Gestalt-thérapie ce passage nous donne à penser… ce qui importe c’est comment (la manière dont) un existant exerce son pouvoir être. Autrement dit, comment il est-au-monde et peut se rendre présent c’est-à-dire se tenir auprès de, se donner forme. Ici nous ne nous tenons pas selon le mode d’être de l’enquête policière qui cherche une vérité objective, factuelle. Nous accompagnons le procès de la forme qui nous implique l’un-à-l’autre. Pour cela nous nous mettons en oeuvre diverses modalités d’un pouvoir être qui nous est toujours ouvert : comment et auprès de qui sommes nous présent ? en quelle façon il y va de notre pouvoir être et en quelle façon nous le prenons en considération et en charge ? Par exemple nous pouvons penser que le délire est une perception de quelque chose qui n’existe pas, une perception erronée…et alors nous ne le prenons pas au sérieux. Nous ne partageons pas le délire car sinon nous le « nourrissons ». Telle est la posture clinique la plus classique : un patient délirant dit n’importe quoi et il doit cesser… Ou bien le délire est une manière de rendre présent ce auprès de quoi ce patient se trouve et en quelle façon cela le concerne. Ici il ne s’agit plus d’une fausse perception, mais d’une in-formation de la présence qui nous concerne.

Un vécu de séance : J’ai un client, un monsieur qui entre dans l’âge. Son horizon se rétrécit. Il est dans une atonie de projet. Longtemps les séances ont eu la forme d’une partie de ping-pong, jusqu’à ce que je m’intéresse à sa conception de l’architecture, à ses œuvres – ce monsieur est, était, architecte. Son attitude physique, sa voix, son regard changent : un corps qui se redresse, une voix qui porte plus loin, des yeux qui brillent. L’atmosphère de la séance est plus chaleureuse, plus profonde. Je peux penser qu’il s’agit d’une advenue en mode ego à l’occasion de ce que nous parlons ce soir, à savoir se rendre présent quelque chose. Ici c’est le passé professionnel de ce monsieur, non pas le souvenir de ce passé mais un passé présent aujourd’hui, que nous vivons ensemble. Quelque chose a bougé qui change le cours des séances. Fin des parties de ping-pong, la thérapie se continue sur le mode de la rencontre, de l’intime, dans un présent enfin situé – la reconnaissance du passé permettant l’ouverture au présent.


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