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"L’existant" partie 1


Article d’Henri Maldiney Paru dans « penser L’HOMME ET LA FOLIE » Edition Jérôme Millon

Groupe de lecture IGPL de Carcassonne – 2003 / 2006

Responsable du groupe : Edith BLANQUET

Membres du groupe : Valérie CHANTEPIE Sylvie JUIGNET Yannick MARQUES Guy MINAUDIER Marie-Christine MISTRAL Marie SARDA Denis TOUZET

Problématique : La posture thérapeutique

Projet : Articuler la théorie du self propre à la Gestalt-thérapie et dans un paradigme de champ avec la conception phénoménologique d’Henri MALDINEY

A l’attention des lecteurs sur le site internet : Nous vous proposons quelques éléments de réflexion et une manière de lire ce texte qui nous a semblé particulièrement intéressant et stimulant. Nous avons tenté de développer certains aspects de la Gestalt-thérapie en nous appuyant sur notre façon de comprendre ce texte de Maldiney. Nous avons choisi de vous livrer certains moments de nos échanges transcrits à partir d’enregistrements de nos rencontres. Notre façon de comprendre à évolué au fil de nos échanges. Pour autant nous avons choisi de ne pas reprendre certaines de nos formulations qui aujourd’hui prendrait une forme différente. L’écrit que nous vous proposons se veut invitation à lire cet article, mise en mouvement d’une réflexion. Vous rebonds sont les bienvenus (adressez vos mails ou texte à l’IGPL qui nous les transmettra). Nous vous proposons un premier « lot » qui sera suivi d’autres…

Proposition d’un découpage de l’article selon le plan suivant :

p 295 introduction P 298 « être un homme » p 301 exister et les formes de la présence p 302 le possible p303 « Je suis » p305 « il y a » et « j’y suis » - « ek- » p 306 tenir l’être et non la pose p 307 le « là » p 309 le comprendre et la dimension du projet p 311 le point de vue de la psychiatrie : « l’être-pu » p 313 reprise de la question : « être un homme » articulée autour de la présence, de l’événement p 316 la psychose : une fermeture à l’événement p 320 la crise (en tant que moment d’ouverture des possibles) absente de la psychose p321 Transpassibilité et transcendance du pathique

Moments du verbatim de nos rencontres :

(En bleu des extraits du texte de Maldiney)

« Il arrive que le regard que nous portons sur l’homme malade soit accommodé si fixement sur la maladie que nous cessons de voir l’homme et ne comprenons plus alors ce qu’est sa maladie. »

Ce propos de Maldiney prend sens à partir de la notion de Mienneté qui se réfère à l’Analytique Existentiale du Dasein telle que développée par Heidegger dans « Etre et temps » (Edition Gallimard). Le Dasein est la modalité d’exister propre à l’homme. En ce sens le Dasein n’est pas simplement traduisible par « homme ». L ‘homme a « à advenir en son Dasein ». C’est une guise particulière qui n’est pas celle de son existence quotidienne

« Advenir en son Dasein », c’est prendre la pleine mesure de sa responsabilité, de son « avoir à être ». Nous rompons là avec la métaphysique et sa quête de l’essence au delà de l’existence : l’essence de l’homme, c’est l’existence, c’est à dire l’ouverture pour des possibilités d’être qui échoit à l’homme en tant qu’il lui est donné de vivre. Le Dasein interroge en direction du qui, de être humain et ainsi il suspend le mode d’être quotidien qui oublie le qui pour s’affairer au quoi (faire quelque chose, être préoccupé, vaquer à ses activités). Ce faisant il est convoqué à sa solitude native, à sa facticité : qu’il est en tant qu’il lui est donné de vivre, d’avoir et être ce corps-là. De ce vivant qu’il est, il lui appartient de devenir existant ; c’est à dire de donner sens à cette vie qui lui échoit, en l’existant. En ce sens, l’existence est ouverture pour des possibilités signifiantes qu’il appartient à l’homme de choisir en conscience. C’est en se déterminant pour une forme d’existence que l’humain existe. Ce que nous appelons forme d’existence est simultanément prise en forme d’un je et de sa situation : identification et aliénation de possibilités de signifier tant sa façon d’être présent que sa façon de donner forme à son monde. Pour nous, Gestalt-thérapeutes, cela nous renvoie à l’importance de travailler sur les constructions de signification : le self est alors conçu comme l’hypothèse de la façon dont une signification survient. C’est en travaillant sur les constructions de signification (il nous échoit en tant qu’humains de nous in-former) que nous pouvons solliciter l’entrée en présence de nous même en tant que thérapeute à l’occasion de notre patient, lui même entrant en présence à notre occasion. La notion de Dasein convoque l’homme que je suis à son avoir à être, à sa condition de mortel (être-vers–la-mort comme sa possibilité la plus insigne), à sa solitude, à sa responsabilité quant aux directions de son existence. De ce point de vue, l’existence est mienne, non partageable (je ne peux exister la corporéité d’autrui). Parler de son existence c’est donc parler de la façon particulière dont un je est sommé d’exister à, de se donner sens. L’existence ne peut se concevoir que comme cette façon particulière d’un humain singulier. Elle ne peut s’approcher que dans sa particularité, sa Mienneté (mon corps vivant que j’existe tendu vers ma mort à venir qui signe la mienneté de mon existence). Sa maladie est donc une façon particulière d’exister à, sa façon à lui d’exister la vie qui lui échoit. C’est sa modalité à lui d’exister à (exister à c’est-à-dire toujours déjà au monde, com-pris). Dans « existence » au sens où Maldiney l’utilise, il y a la dimension du vécu et de l’éprouvé et de la forme qu’il prend pour un sujet en devenir (Gestaltung).

« Sa maladie » est donc différent d’un trouble généralisable, catégorisable. Or, le regard que porte le plus souvent le soignant sur l’homme malade, oublie la particularité de cet homme pour ne voir que la maladie conçue alors comme une série de symptômes se référant à une séméiologie nosographique. Ainsi par exemple, le psychiatre va parler du schizophrène, ramenant la rencontre avec le patient à un recueil de données statistiques (cf DSM IV) ou de symptômes. « Sa maladie » pris au sens de Mienneté est donc très différent de la nosographie classique et constitue une manière d’ « exister à ». Une rencontre patient-soignant est alors un temps partagé au cours duquel tous les deux s’in-forment mutuellement. Par là il s’agira de se pencher sur le phénomène et non sur le symptôme, de com-prendre le style de présence à.

La 1ère question philosophique est bien : Quelle est l’essence de l’homme ? C’est donc à l’humain que Maldiney à la suite de Heidegger nous convie de réserver le terme d’existant. Or, bien souvent les notions de vivant et d’existant sont entendues comme synonymes. Ce qui conduit à parler de l’existence biologique. Le biologique renvoie au vivant qui n’est pas, lui, spécifique à l’homme : les animaux vivent, les plantes aussi, mais seul l’homme existe.

Exister renvoie à « éprouver le fait d’être vivant ». L’éprouvé est pris au sens de l’enduré et du pathos : cela in-forme ce vivant en l’existant ; en termes gestaltistes, cela nous renvoie au déploiement du self en ses différents modes, puisque c’est en prenant forme (Gestaltung) que j’existe. Pour l’homme, on parlera d’existence, puisque l’homme s’interroge sur ce qu’il est , où il va, d’où il vient, etc ... Et qu’il lui appartient de donner forme signifiante à sa vie, c’est à dire d’exister. En tant qu’homme, je ne suis pas qu’un corps ! Je l’éprouve : J’ai un corps et je suis ce corps. Je me questionne donc je suis hors - hors soi hors tout Je ne suis pas collé en permanence à mon corps - je suis hors de tout lieu : ek-stase, notamment quand je m’interroge, je suis donc « hors de cela » , de mon corps - je suis décollé décentré, hors du site physique de mon corps - J’EK-iste : je me donne une forme signifiante. Gestaltung de soi au monde : je projette une signification qui m’est propre. Je suis-le-là « le lieu tenant de l’être », ayant rapport à l’être : mes diverses possibilités de me comporter et me signifier au monde.

La phénoménologie invite à la suspension du jugement : Quand quelqu’un pleure, si je lui dis : « Je vous vois triste » il n’y a pas de suspension de jugement : en effet dire « triste » c’est donner une signification aux larmes, une parmi d’autres possibles car la signification n’est pas immanente aux mots. Par contre si je lui dis : « Je vois des larmes » Je suis alors dans une attitude phénoménologique : je projette ma propre signification de manière la plus ouvrante possible, sans oublier que les larmes que je vois correspondent à par où je vois cette personne (plein d’autres possibilités sont aliénées le plus souvent à mon insu : lorsque je dis par où je vois autrui, je ne dis pas le « tout » de sa présence, je dis par où je suis interpellé).

Le but est de ramener le patient à son pouvoir de constitution des choses, de son être au monde en signification (déploiement du Self en ses divers modes), de mettre en lumière sa façon particulière de donner sens à la vie qui lui échoit et de l’amener à prendre conscience des réseaux de significations qu’il construit en existant à et qui dans le mode d’exister propre à la quotidienneté est posé comme une évidence, comme allant de soi. Par là il s’agit de permettre au patient de prendre conscience et d’exercer son pouvoir être. En gestalt-thérapie, on parle souvent de construction, en référence au constructionnisme. Or la notion de construction pose, nous semble-t’il, en premier lieu une action d’un je déjà préétabli. La constitution nous permet davantage de tenir compte de la passibilité de l’être humain.

L’existence est potentielle. Elle relève de la possibilité et non de l’effectivité. Exister, avoir à être et s’interroger : Qui suis-je ?? Sans pouvoir y apporter une réponse formelle et définitive. Lorsque je réponds, je donne un point de vue, une esquisse …la vue en son entièreté se retire à ma vue. Parler de l’existence, c’est donc parler de possibilité. L’existence est ouverture pour des possibles ( le Possible ) Le vivant, le corps vivant (Korper en allemand) est, lui, effectif. Il est par exemple l’objet de la préoccupation du médecin : le corps biologique. La seule façon phénoménologique de parler de l’homme serait de toujours inlassablement en parler : ajuster sans cesse cette forme en voie d’elle même qu’il devient sans cesse (Gestaltung de soi au monde qui nous renvoie au déploiement du self en ses divers modes. Le self est ici entendu comme l’hypothèse des moments de l’élaboration signifiante à l’occasion de laquelle un je s’in-forme-au-monde). Donc l’homme EXISTE : il se rapporte à son être qu’il n’est pas, il ek-siste : se tient hors de tout ici : il est le-là de tout avoir lieu. Et du vivant que je suis, je suis contraint d’exister à dans la mesure ou je me questionne et qu’il m’appartient de donner sens à mon séjour au monde : pourquoi vivre si l’on doit mourir ? Quel sens cela a ? Qui suis-je ? Telles sont les questions auxquelles notre pratique de thérapeute nous convient…

L’essence de l’homme est donc l’existence. Ici il s’agit de renoncer à chercher une essence, une cause première pour s’en remettre au phénomène : ce qui vient à l’apparaître. Il n’est pas de caché derrière à révéler…nous renonçons à la logique médicale du symptôme pour nous pencher sur celle du phénomène : et nous rejoignons là le « here, now and next » de la Gestalt-thérapie. Le next, le ensuite prenant « place » de fondation. L’existence ne peut être réduite à un thème. La seule manière phénoménologique de parler de l’homme, ce serait de toujours, inlassablement, en parler, c’est à dire se taire ! ! !reconduire sans cesse la forme en voie d’elle même . Ainsi la relation thérapeutique est de l’ordre de la rencontre : celle de deux existants et non d’un « cas clinique » en face d’un expert. En effet, si on réduit la dimension d’existence pour ne relever que des symptômes, on perd alors le monde commun partageable, à savoir l’existence à laquelle nous sommes tous deux contraints au sens de Maldiney.

Le langage n’est pas un attribut de la raison - il me traverse- il m’appartient de m’en saisir ( ou pas). L’être humain est pris dans un langage, au sens de l’éprouver. Il est toujours déjà com-pris, livré à l’existence. Donc par là, le langage est le lieu de son séjour. Lorsque je perçois ce qu’il y a dans une pièce, je perçois des significations : des verres, une table, des stylos…. C’est à dire des objets qui font sens à partir de mon usage. Prenons un exemple : un crayon, c’est quelque chose qui va me servir à écrire (ça peut aussi me servir à touiller le café et plus si affinités …), je le nomme à partir de mon usage circonstancié. Ce qu’il serait au delà de cet usage ne m’est pas accessible. Cela rejoint les travaux de HUSSERL sur les modalités de la visée intentionnelle et avant lui, la phrase connue de la plupart des Gestalt-thérapeutes : « toute conscience est conscience de quelque chose » (BRENTANO).

Parmi les formes de perversion du comprendre qui offusquent la communication avec autrui, Ludwig Binswanger cite les diverses façons de le prendre par… ou de le prendre à…, dont la plus commune est de le prendre au mot. Nous prenons l’autre aux mots de la langue, aux mots qui constituent, selon l’expression de G. Guillaume, une « parole de langue » par opposition à une « parole de discours » . Ensuite Maldiney poursuit : « En réalité quelqu’un ne prend vraiment la parole, une parole parlante, qu’à partir de possibilités inédites, à partir d’un « à dire » qu’il anticipe ou pressent sans l’articuler, même en pensée. Le langage opère précisément la mutation de cet indicible en dicible, de cette indicibilité extra-langagière à une dicibilité mentale puis à une dicibilité orale ou scripturale. »

Toute énonciation ne dit qu’un bout ..... et non le tout, notamment de l’expérience que j’éprouve. Donc le langage ne peut pas dire l’existence en son tout ; il dit quelque chose de l’exister à.

En tant que vivant, je suis pris dans un monde et suis déjà dans une compréhension : « l’évidence » qui m’affecte. Je prends donc les mots comme une raison commune, sans en interroger le sens et surtout sans me reconduire à mon pouvoir être. Com-prendre entendu dans l’œuvre de Heidegger c’est littéralement être-pris-avec : toujours déjà disposé en quelque façon, toujours affecté.

Une « parole de langue », c’est entendre les mots sans les reconduire à l’atmosphère qui les accompagne quand ils sont dits, ou à l’atmosphère dans lequel ils baignent. Du point de vue de la théorie du self, nous dirons alors que le self se déploie surtout en mode personnalité. Les mots ne baignent pas dans une atmosphère comme dans un bain de soupline…le langage a une épaisseur pathique et par là une opacité. D’où l’importance de solliciter le déploiement du self en mode ça, afin d’in-former l’indicible, ou le passible de Maldiney, en possibilité langagière. C’est évacuer cela qui produit un dire réifié, désaffecté ; un dire sans chair au sens de la chair chez Merleau-ponty qui n’est pas la viande du boucher…mais la chair du monde… ( cf la bible dit « le verbe s’est fait chair ») Dans une langue à mots (« une parole de langue »), on entend beaucoup de bruit, on ne prend pas en vue la dimension d’épaisseur, le pathos. On utilise le plus souvent la langue instituée qui vise à niveler une « parole de discours » qui serait elle, plus de l’ordre de l’« exister ». Dans la thérapie, c’est souvent à partir de cette parole nivelée, que le thérapeute par son intervention, va contribuer à faire émerger une nouvelle signification ajustée, en sollicitant le déploiement du self en ses divers modes. C’est à dire en reconduisant à cet indicible de ma présence corporelle à même lequel la parole s’articule.

Dans un jeu de mots de langue, on mélange le lexique avec le sens, le langage est incarné ; il devient la « matière », le corps de chair. Quand la langue devient objet (outil, technique de communication au sens où on emploie cette expression de nos jours), le rapport à elle même devient figé, elle ne prend pas sens à l’occasion d’un autre mais détient une signification en elle-même (immanence du sens) . Quand on est pris de langage, c’est le code, l’institution qui nous fige - la langue devient un moule qui me réduit et l’on perd alors la dimension de « dire à... » « me dire à ». C’est alors un langage instrumentalisé, déconnecté du sens où il n’existe plus de rapport signifié/signifiant

CR2

P 298 : conception de l’homme « Car il s’agit de savoir enfin ce que veut dire être un homme » Cette phrase de Kierkegaard permet de clarifier la question de l’existence humaine à laquelle la pratique médicale croit avoir répondu : soit cette dernière présuppose l’homme et se fonde alors sur une théorie idéo-logique (logos = discours = du grec legein : cueillir, rassembler, prendre forme et visage par l’acte de l’appellation ;tissage étymologique), soit elle l’ouvre et in-forme la situation thérapeutique (dans le sens de tendre vers une forme). Cette deuxième possibilité renvoie à l’attitude phénoménologique et à la posture du Gestalt-thérapeute s’appuyant sur les principes du champ pour tisser la rencontre en significations.

P 299 : cette façon d’in-former la situation est une manière de se comporter à l’autre (et pas avec) dans le sens d’une co-advenue, d’un surgissement ; ça me donne une forme et cela en donne une à l’autre (co-advenue de l’ordre du Kaïros, du venir-à-soi-toujours-sans-cesse (pour reprendre la belle expression de Kimura Bin), l’instant de venir à ou l’entrée en présence « il faut y être… en existant », différent du chronos, du temps qui dure). Si l’on articule cela avec la théorie du self, on pourrait dire que la durée –le chronos- se construit par la signification que je suis contrainte de donner à mon exister. Du point de vue de mon existence sur le mode quotidien, je suis dans l’évidence d’une continuité de moi-même et du monde : une chronique de mon existence. L’instant de l’entrée en présence est ce moment où je me décide en conscience pour une forme (Gestaltung) de moi au monde : déploiement du self en ses divers mode et survenue du self en mode ego.

Informe : donne une forme à la situation ( l’excitation prend forme) : la fonder c’est la reconduire au « il y a » ( ce qu’il m’est donné d’être), par où elle s’in-forme (stase différent de extase qui correspond à ce mouvement) En Gestalt-thérapie nous parlerons du déploiement du self en mode ça : le il y a ( cette ouverture au monde par où j’adviens en tant que moi-même situé) s’in-forme alors en situation . Cet espace de surgissement (se donner une forme) s’effectue pour un je en voie de lui-même à même la prise en conscience de la sensation qui informe le il y a en situation (Sentir, être ému c’est être mis en mouvement). Agora (espace ouvert au delà de toute représentation que je peux avoir de moi et de l’autre) = espace de rencontre = idée d’une con-stitution. Toute perception est déjà une construction, ouverture d’un point de vue, d’une façon de com-prendre…

Cette conception de l’homme chez Maldiney ne relève donc pas de l’ordre de la représentation mais de la présence (= épochè ou mise entre parenthèse de ce que je sais, de toute signification pré-établie). Cela suppose que je n’ai pas une idée préconçue de l’autre et de moi-même, une manière de le définir, quand je rencontre l’autre, c’est le pathos qui représente ce que je vais chercher, autrement dit, en situation thérapeutique, je reviens à l’expérience, à ce qu’il m’apparaît tel que je l’éprouve, à ce que je m’apparais par où j’éprouve.

Le là représente l’ouverture chez Heiddeger. Nous pouvons relier la notion de là à « l’ici et maintenant et ensuite » en Gestalt-thérapie. Pour faire un lien avec le paragraphe précédent, lorsqu’on parle de représentation et de présence, on aborde déjà le là et le ici, ici étant fortement liée à la présence, à l’ouverture d’un être déjà là .

Le là englobe plusieurs choses :

- la disposition : je suis toujours disposé dans une certaine affection, d’une certaine manière, intoné, relié à l’être-jeté ( Geworfenheit) : il y a toujours une disposition que je comprends d’une certaine façon au sens d’être pris avec – par exemple, en situation thérapeutique, je ne peux pas dire de mon patient qu’il rétrofléchit ou qu’il est sur un mode personnalité : c’est entre nous que le self se déploie en mode personnalité … le self n’est pas une propriété du sujet.

- Le pro-jet : être jeté à l’avant (toujours tendu vers mon à-être, ma possibilité suivante : le next de la Gestalt-thérapie), rejoint l’être jeté. En tant que je suis disposé, j’ai toujours une façon d’entendre, de comprendre le monde. Je suis jeté au monde et je suis pro-jet de monde dans le sens où je dégage une vue, c’est à dire une certaine façon de donner une signification .Etre projet-jeté = ouverture et pas projet au sens courant. La parole articule le comprendre- à ce titre, le langage n’est pas un attribut de la raison, je suis en effet toujours pris dans un réseau de significations. Elle est à ce titre le lieu du comprendre et du faire silence dans le sens où le faire silence est une modalité de la parole.

Le parler représente le sens fondamental de la communication : son sens existential. Le mode impropre (le on) du parler Heidegger le nomme le bavardage. Explicitons cela dans la situation thérapeutique : quand un patient bavarde en thérapie c’est quand il parle de, ou sur quelque chose (rappelons nous l’articulation « ici et maintenant et ensuite ») : il me raconte quelque chose, il est occupé de faire : dire quelque chose et par là il ne prend pas en vue son pouvoir d’être lui-même à mon occasion. On pourrait dire que le self se déploie en mode personnalité. Le thérapeute essaie de recentrer qu’à cette occasion il se donne forme et me donne forme et par là, peut solliciter le déploiement du self en mode ça : in-former la manière dont il est affecté.

CR3

« Ex-ister (ex-istere) c’est avoir sa tenue hors de soi et hors tout. Cette constitution ek-statique est celle à laquelle Francis Ponge reconnaît une parole parlante. »

Maldiney reconduit ici la signification étymologique qui est : sortir de ; se manifester ; se montrer. De « ex : hors de » et « sistere : être placé ». Ex-ister c’est avoir à fonder son séjour, hors de tout site défini. Il n’est pas de lieu effectif pour un existant, au sens d’un ici que l’on pourrait situer en disant exactement où il se tient. L’existence humaine est de l’ordre de la possibilité, non de l’effectivité et nous retrouverons chez Maldiney cette conception notamment avec les concepts de transpossibilité et transpassibilité.

Du point de vue de la Gestalt-thérapie, nous pouvons articuler cette conception de l’existence avec notre théorie du self, en ce qu’elle nous permet de solliciter la temporalisation d’un je . Plus particulièrement nous pouvons entendre ici la notion d’agressivité : aller vers ; être tendu vers…Le fameux next ! Avoir sa tenue hors de soi , c’est être tendu vers son propre possible, avoir à se décider parmi ses possibles toujours déjà ouverts et par là à advenir en tant que moi-même-au-monde. Maldiney nous précise que cette tenue est « hors tout » c’est à dire a topos ; sans lieu ni refuge au sens d’une intériorité.

« Constitution ek-statique » Qui se situe en dehors de toute stase. Sans cesse j’ai à me donner forme et à me situer à, toute forme est aussitôt altérée… C’est un processus plutôt que quelque chose qui se fige. Elle est de l’ordre du projet jeté : pour Heiddeger, l’existence a la structure du projet ; qui me saisit et me traverse. C’est être jeté à l’avant de soi…tendu vers son à être jusque vers sa mort.

Cela nous conduit à rappeler la distinction entre vivre et exister. Chez les animaux les comportements sont conditionnés, chez l’humain tout est sans cesse à inventer, à donner sens et forme. La constitution ek-statique de l’existence humaine se caractérise par son mode particulier de se rapporter au langage. En tant que nous existons, hors de toute stase, le langage est le lieu de notre séjour. C’est par la parole que nous nous donnons forme, parole qui s’invente à partir de la langue qui nous est donnée. Et c’est cela que Maldiney évoque en citant le poète Francis Ponge. Le sens de la parole excède ce qu’elle nomme et c’est cela que souligne la métaphore de la glace dans la citation de Ponge.

Rappel des modes d’exister tels que développés par Heidegger (être et temps) : Dévoilement/Dévalement : ces deux modes sont des façons de se rapporter à son avoir à être , deux modes toujours co-tendus (et par là non exclusifs)
-  soit nous sommes pris dans la quotidienneté = dévalement, c’est à dire être capté par ce que je fais, occupé de quelque chose. C’est un mode d’être où je me tiens loin de moi ; je suis occupé de ce que je fais et non de qui je suis. Centration sur le quoi et oubli du qui. Je suis dans l’évidence de mon affairement. C’est ainsi que je me tiens le plus souvent…ce qui est bien reposant …et cela fonde l’évidence d’un monde commun. Dans cette façon d’exister à nous pouvons dire que le self est peu mobilisé.
-  Dévoilement : mouvement par lequel je me prends délibérément en vue. C’est un contre- mouvement du dévalement. Ce mode survient lorsque l’affairement quotidien est rompu ; lorsque un problème surgit, qui me conduit alors à moi-même et à mes possibilité d’être, me mène alors à mon pouvoir de me donner forme. C’est l’angoisse existentiale qui ouvre au dévoilement L’angoisse est un contre mouvement au dévalement : elle sollicite l’humain en son Dasein.

Ces deux modes sont modes de la transcendance propre à l’existence humaine.

« Exister c’est tenir l’être en ayant ma tenue hors de l’étant auquel je suis livré, lequel me donne une contenance qui risque de me combler » : ça me « sort de moi », je suis plein (je suis pris dedans).Maldiney évoque se « combler » au sens à la fois d’être rempli, c’est à dire de ne plus se questionner, être repu, et au sens d’être ravi c’est à dire ravi loin de soi. Cela rejoint la notion du dévalement propre à l’existence quotidienne, dans laquelle mon existence ne fait pas question. Je ne suis pas conscient de mon avoir-à-être, de mon pouvoir être. Le mode d’être au monde de la névrose obsessionnelle nous évoque une captation particulière : être pris dans l’ob-jet, sidéré… Dans la sidération c’est le sujet qui est évincé : la sidération est le contre mouvement de l’émotion, et c’est un regard sans sujet, qui ne renvoie pas au sujet s’informant (l’émotion est la façon dont simultanément sujet et monde s’informent : être affecté, ému c’est alors découper et un je et un monde). En quelque sorte l’obsédé est capté par l’objet. Cette captation du regard perturbe les autres modalités de présence à l’expérience : pas de sensation, de souvenir…le mode d’être au monde de l’obsédé est d’être sidéré par l’objet sans pouvoir s’approprier : il est occupé de regarder et par là se trouve devant le monde (le jet de l’ob n’est pas).

« L’image intérieure de son propre personnage est à l’horizon de tous les comportements caractéristiques du maniérisme.. » : l’idée de ce que je suis ( la représentation que je me fais de moi) est à l’horizon de tous mes comportements. Je m’appuie sur les expériences assimilées pour appréhender toutes les situations et ceci leur donne une familiarité, une consistance rassurante. C’set d’ailleurs en cela qu’elles sont « situation » , c’est-à-dire prise en vue , Gestalt. Maniérisme : comme je n’arrive pas à me prendre suffisamment pour quelqu’un, je prends le rôle mais sans l’habiter. C’est dire que j’ai une idée de l’attitude qu’il faut avoir dans cette situation et je m’appuie sur cette idée « mentale » pour prendre la pose adéquate. Dans le maniérisme, le sujet est capté par sa façon de se mettre en scène : il est en quelque sorte toujours en train de s’observer pour correspondre au personnage auquel il pense. Il n’y a pas de signe de surprise mais une sorte de contrôle permanent, de surveillance de ses gestes qui l’occupe et l’éloigne de la nouveauté à laquelle la situation le convie,(défaut de relâchement de l’attitude délibérée…pas de spontanéité). Surtout il n’y a pas prise en compte de l’affect par où il est situé. La mise en forme de soi est mise en scène d’un rôle connu.

« Dans un schème de pure immanence… » La représentation que j’ai de la pose dans laquelle je dois me tenir. Cela vient articuler moi qui le suis et moi que je mets en scène. C’est un succédané de transcendance car je joue mais ce que je joue est l’idée de la pose que je dois adopter donc ça se ferme de soi à soi : pas d’altérité, mais du même . L’acteur = moi qui suis dans l’instant Le personnage = je suis dans l’instant le personnage que je me dis que je dois être au lieu de m’inventer dans la situation. Ici « l’un pour l’autre » revient à moi et moi ; pas de je advenant. Le self ne se déploie pas en ses différents modes .

Evocation du « journal d’un fou » de Nicolaï Gogol / cela : il joue, il est le personnage sans l’être et à un moment il bascule.

Dans la philosophie classique, l’immanence s’oppose à la transcendance car la première désigne l’ici bas par opposition à la transcendance qui désigne l’au-delà. La démarche phénoménologique nous conduit à déconstruire ces notions dans la mesure où il n’est plus question d’un au-delà de l’existence, d’une recherche de l’essence. La phénoménologie suspend toute thèse, tout jugement pour s’en tenir à l’apparaître. Chez Heidegger la transcendance est horizontale, elle signifie venir à soi. L’immanence ici (dans le maniérisme) indiquerait qu’il n’y a pas de dépassement possible, pas d’aller vers…les attitudes que je mets en scène, moi en tant qu’acteur et moi ce que je deviens, font que c’est moi qui suis qui joue l’idée que j’ai de moi . La transcendance est le mouvement de la venue à soi au monde, de moi, ce corps que je suis à cet existant que je deviens sans cesse en me donnant forme. Du point de vue de la théorie du self, elle est le moment ou le self se déploie en mode ego Elle est de l’ordre de la surprise et comporte une invention de soi : c’est le propre de l’ajustement créateur de sens de la Gestalt-thérapie. Le manièrisme est « un succédané et une déchéance de la transcendance » : il est un mode de transcendance, c’est à dire d’entrer en présence …comme une entrée en présence sans cesse suspendue…cela fait penser aux modes de se mouvoir saccadé des automates : cela produit les mêmes gestes qu’un humain mais sans fluidité et comme sans âme, sans relâchement de l’attitude délibérée pour laisser advenir. La déchéance de la transcendance est un échec de l’ouverture à la situation. Il y a bien ouverture mais celle-ci est réduite à une mise en scène ; pas d’ajustement créateur, pas de fluidité dans le déploiement du self en ses trois modes et défaut de déploiement en mode ego .

« Binswanger m’a dit une fois « L’essence du maniérisme c’est la pose » » Qui tient la pose reste fermé sur soi : tenir la pose c’est être occupé de faire un geste et par là ne plus être à dessein de sa propre possibilité.

« Umwelt » : endroit où je séjourne, monde ambiant, alentour la pose atteste en négatif que ce n’est pas possible de diviser les deux (monde et soi)

« Le maniérisme consiste dans une activité intransitive de pose .. » : c’est dire qu’il n’y a pas de transition, de transcendance : je suis toujours dans la pose, c’est le fait d’entretenir, de diriger son propre jeu. En même temps dans le maniérisme, cela va au-delà de diriger ou entretenir son propre jeu car cela nous le faisons toujours en quelque façon sinon nous serions dans l’étrangeté radicale : il y a bien des repères, une manipulation de l’environnement comme disent les gestaltistes (cf dévalement de Heidegger). Que cela soit une activité intransitive nous semble dire qu’il n’y a pas d’espace pour le doute et la sur-prise, pas de suspension et d’invention mais une concentration de poses. Pas de possibilisation car la dimension pathique est en quelque sorte aussitôt rationalisée : plutôt que d’accueillir ce qui advient là nous avons une représentation ( déploiement du self en mode personnalité )qui s’impose et occulte les autres possibilités, suspend le mouvement d’identification-aliénation à. Cette représentation qui vient donner sens et forme nous pouvons la concevoir comme une projection : une scène déjà jouée qui vient suspendre le moment de possibilisation ou d’orientation. Il n’est pas supportable d’éprouver la vacuité, le doute et la responsabilité d’avoir à se décider, à se donner forme,de se laisser aller à l’ouverture des possibles.

« ce jeu dans l’entre-deux qui se nie (personnage acteur) est une tentative pour se donner du champ.. » :

La projection est une restriction prématurée de l’ouverture des possibles qui écourte la prise en forme du sens en signification. Elle est aussi ouverture : dans la phase d’identification-aliénation du cycle du contacter il y a projection et même projections : comment je vise cette situation, qu’est-ce qu’elle m’évoque en termes de significations ; comment elle m’affecte. En ce sens la projection peut est comprise comme saine au sens de PHG . Elle est un moment de l’élaboration signifiante, une esquisse reconduite à la nouveauté de cette situation là survenant. La pose du maniérisme est suspension de la séquence d’esquisses qui permet peu à peu de tisser la Gestaltung du moment. Ainsi le maniéré de se donner « du champ » , de se donner forme en projetant une forme possible : celle d’un personnage qu’il tente d’être et qu’il se trouve réduit à caricaturer dans une série de poses .

« L’absence de possible …définit le simple étant comme tel et l’exclut dimensionnellement de l’existence » : Le simple étant : c’est par exemple l’animal, pauvre en monde, ou le végétal ou le caillou…C’est le propre de l’étant qui n’est pas un existant . Pour un tel étant il n’y a pas de quête signifiante, pas de parole articulant sa transcendance : les comportements sont conditionnés. Dans le maniérisme, il y a un conditionnement des gestes, toujours les mêmes. Ceux-ci sont reconduits comme automatiquement et constituent une façon de se tenir face à l’ouverture de la situation .

Le possible : ce qui n’est pas effectif. Kierkegaard a dit que la possibilité est la plus lourde des catégories : car il suggérait ainsi que la possibilité me renvoie au choix et à la responsabilité…à l’angoisse d’avoir à être moi –même en le devenant . Chez Kant :les catégories de l’entendement sont de trois ordres : possibilité/impossibilité, existence/ non existence, nécessité/contingence, en matière de jugement : la possibilité renvoie à l’ordre du problématique, l’existence à celui de l’assertorique, et la nécessité à l’ordre de l’apodictique Dans le sens logique, la possibilité est un fait. Chez Heidegger et Maldiney, la possibilité est le propre de l’être, cela représente la dimension d’être de l’étant que je suis : j’ai à être mon propre possible (la pleine conscience que je fais cela, que je l’endure et que cela engage mon expérience).

* définition tirée du « le dico de la philosophie » de Bertrand Vergely c/o Milan

CR4

Ce jour là nous avons repris les compte rendus précédents et, à propos de la constitution ek-statique la notion d’auto soutien est venue sur le tapis (y’en avait un)…et nous avons ouvert un chantier que nous vous livrons brut de décoffrage…à vous de le poncer à votre guise ! Est-ce que cela vient dire qu’une rencontre soit possible sans entrée en présence ? Peut-être chez les animaux dont l’essence n’est pas l’existence mais alors pouvons-nous appeler cela rencontre ? Est-ce que je peux dire qu’il n’y a pas rencontre et sur quoi s’appuie ce dire ? Exemple de la relation avec un délirant : il se passe quelque chose ; je suis affecté ; il y a co-présence et celle-ci peut être en échec ou réussie. Pouvons-nous définir la rencontre comme co-présence ?

Notion d’auto-soutien : Une définition très large : En tant qu’il lui échoit d’avoir à devenir lui-même ; qu’il a à être , le sujet humain doit toujours soutenir son exister, du moins nous pouvons regarder ainsi : soutenir est alors une façon d’y être contraint ?. Ma façon de me soutenir est toujours une manière ou d’ouvrir ou de clore la rencontre ; cela dépend de ma façon de regarder la situation. Ainsi posé l’auto-soutien est toujours présent : il signifie la façon dont je me donne forme dans ma vie quotidienne. Mais ainsi définit cela dilue la portée du concept et veut-il encore dire quelque chose ?

Est-ce que clore revient à rétrofléchir ? L’idée de rétrofléchir la rencontre est avancée : mais est-ce la rencontre que je rétrofléchis ou la réalisation de mon désir ? Exemple évoqué : j’ai envie d’aller vers l’autre, de lui prendre la main…je me prends la main. Suit un débat sur la rétroflexion avec l’idée que la rétroflexion clos quelque chose : ici je ne vais pas prendre la main de l’autre. En même temps elle ouvre autre chose : je me prends la main. Me prendre la main = Autosoutien ? et lorsque nous parlons ainsi de rétroflexion le self ne devient il pas le sujet ?quid du champ et de ses principes ???

Vient en question la différence entre les notions de contact et de rencontre : il y a toujours contacter (je suis toujours au monde et par là toujours en contact : cela s’appuie sur les concepts d’être-au-monde et du point de vue de la Gestalt-thérapie : je suis toujours engagé dans une situation …situation que je construis en lui et me donnant sens) . Le contacter ne relève pas de la conscience délibérée mais de l’awareness. La rencontre est elle de l’ordre de la prise en conscience et par là de l’entrée en présence ? D’autre part le concept de rencontre réfère au Mitsein (être-au-monde parmi d’autres Dasein ; être-avec ; existential) : rencontre d’un autre humain . A chercher plus avant : étymologie ?

Plus loin dans le texte, Maldiney écrit : « Rencontrer c’est se trouver en présence d’un autre dont nous ne connaissons pas la formule et qu’il nous est impossible de ramener à nous-même. » Donc rencontre → altérité : et cette opacité de l’autre, irréductible à moi-même me convoque simultanément à ma propre opacité ou altérité. Maldiney souligne là que je ne peux pas réduire l’autre aux représentations que j’en ai : mienneté de l’existence.

Retour à la question de l’auto-soutien : = je m’appuie sur ma propre représentation (déploiement du self en mode personnalité) que je ne convie pas au risque de la rencontre, au péril de la rencontre altérante. Or c’est cela qui permettrait de la reconduire à (déploiement du self en mode ça) la situation et par là d’ouvrir l’entrée en présence. C’est dire qu’il n’y a pas ouverture à la nouveauté. L’auto-soutien serait de l’ordre de la mêmeté / l’altérité de la rencontre ?

Nous avions parlé d’auto-soutien à propos du maniérisme. Dans le texte « Exister c’est tenir l’être en ayant sa tenue hors de l’étant auquel je suis livré lequel me donner une contenance qui risque de me combler ». Me combler := me soutenir moi-même ; auto soutien ? Me combler c’est me prendre pour ce que je suis, être pris au rôle que je tiens. Dans le maniérisme, je prends une pose, je ne l’habite pas. Pas d’entrée en présence « réussie » au sens de l’authenticité Heideggerienne ». Pas de rencontre altérante. L’auto-soutien serait alors un mode de se soustraire au risque de l’expérience altérante. Il est de l’ordre de la mêmeté ou du connu : pas d’ouverture à la nouveauté ou un mode de se rapporter à la nouveauté en la signifiant à partir de ce que je suis été (déploiement du self en mode personnalité). ?

Ainsi le maniéré ne prend pas le risque de la rencontre au sens d’une co-présence réussie.

Question est posée quant au péril de l’existence : pas prendre le risque de cela est-ce possible ? Nous distinguons alors péril de l’existence et entrée en présence. Nous sommes contraints à l’existence. le propre de l’existant est le langage qui taraude tout être humain en quête de sens. Je suis toujours dans un rapport au sens : toujours déjà situé (directions de sens propres à la corporéité) .Ce qui va varier c’est le mode de m’y rapporter. Le dévalement est un mode de faire avec l’eksister dans lequel le qui de mon à être est occulté.

S’ouvre la question du plein contact par rapport au ravissement : La rencontre ouvre à l’événement, la surprise, elle initie un choc. Etre sidéré c’est être pris au loin, hors de soi. La question du je ne se pose pas alors. Peut-être que nous pouvons l’entendre de deux façons :
-  Quelque chose de l’ordre de la fascination, qui met en abîme vraiment, qui n ‘est pas de l’ordre de l’agréable.
-  en même temps cela peut être agréable et alors nous nous rapprochons du plein contact : pas de différenciation. Exemple du « pierrot » de Watteau à l’occasion de l’un d’entre nous. Nous cherchons une différence de vécu. Lorsque je suis pleinement engagé dans la situation, c’est de l’ordre du plein contact. Le plein contact est le moment où je me décide pour un projet : dans la sidération, je suis d’emblée ravi : peut-on dire qu’il y a pré contact, mise en contact…pour venir au plein contact ? Par rapport à la fascination : il y a quelque chose du moment du plein contact. Mais c’est comme si cette phase se fige et devient sidération et ouvre l’angoisse : plus que de la confluence nous serions peut-être dans un effondrement de conjointure mondaine ?

Retour à Maldiney : combler / être repu : C’est l’étant qui risque de me combler c’est à dire que je n’ai plus d’espace de jeu qui permet l’ouverture à la situation et sa prise en forme. Maldiney le dit dans le sens d’être comblé par l’étant. Il n’est plus d’écart entre ce que je suis moi existant et ce que je suis mon corps= je suis pris dedans sans possibilité de symboliser. Exemple d’un patient qui évoque la sexualité comme « entrelacement de viande » : pas d’entrée en présence ; une matière dénuée d’épaisseur signifiante (pas de chair au sens de Merleau-Ponty).

L’étant auquel je suis livré = ce corps vivant ; ma facticité ; le corps sans verbe. Ce corps là peut me combler. Chez les personnes qui se mutilent : peut-être une façon de ramener une sensation à quelque chose qu’ils vivent comme viande, matière.

Reprise de cas du patient / sexualité : désir d’arracher son sexe, de vider tout le sperme prenant forme d’ une compulsion de masturbation. Le corps devient un contenant à vider. L’éprouvé est de l’ordre de la terreur. Pour ce patient il éprouve l’angoisse d’en parler, de trouver les mots. En même temps, dans le mouvement où il m’en parlait, il entrait en présence à mon occasion. Lorsqu’il parvient à m’en parler, il prend forme et tisse du sens ce qui le sort de la terreur.

Retour au « Pierrot » : imaginaire de celui-ci vivant, existant ; « je le faisais vivre ». Je ne sais plus où est je : je suis là, prise entre les deux (moi-le tableau) ; il y a suspension du temps et de l’espace. Merleau-Ponty parle de la rencontre comme quelque chose de l’ordre de la fascination et où tout se repositionne en termes de temps et espace.( « l’œil et l’esprit »)

Du point de vue de la Gestalt-thérapie : il y a bien rencontre au sens de confrontation à l’altérité de l’autre et de moi même. Ce qui peut réussir ou échouer c’est la co-présence au sens d’un ajustement s’in-formant en situation commune.

Immanence / transcendance :

Texte : « un schème de pure immanence » Dans la philosophie classique : transcendance = au dessus (le ciel des idées Platon) Elle est Gestaltung ; élaboration signifiante d’un rapport moi/monde.

/ « Schème de pure immanence » : la représentation que j’ai de la pose dans laquelle je dois me tenir. Cela vient articuler moi qui le suis et moi que je mets en scène. Cela = un succédané de transcendance car je joue mais ce que je joue est l’idée de la pose que je dois adopter donc ça se ferme de soi à soi : pas d’altérité, mais du même. L’acteur = moi qui suis dans l’instant Le personnage= je suis dans l’instant le personnage que je me dis que je dois être au lieu de m’inventer la situation. Il n’y a pas ouverture à un ajustement. Ici « l’un pour l’autre » revient à moi et moi ; pas de je advenant. Le self ne se déploie pas en ses différents modes.

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Que veut dire " je suis" ? Maldiney remarque la différence entre deux expressions apparemment synonymes mais nullement équivalentes : 1- expression courante aujourd’hui : c’est moi 2- expression courante autrefois, dans le langage classique : ce suis-je Les poètes de la renaissance s’exprimaient ainsi, dans un style ampoulé quand par exemple ils déclaraient leur flamme à une dame :" Ce suis-je transis de vous ……quand vous êtes , Madame, l’objet de toutes mes pensées… »

- Dans l’expression : C’est moi (ou cela est moi) moi est en position de prédicat

Le prédicat est ce qui donne sens à la phrase - l’élément structurant de la phrase- Prédicat et sujet sont donc liés, à la condition toutefois de ne pas s’abolir l’un l’autre. Selon PLATON, le prédicat est le moment où le sujet rejoint son essence. Le prédicat est donc le lieu de la participation -de la potentialité - c’est ce qu’on affirme ou nie à propos de ce que l’on palpe.

Exemple : « Je suis là en train de parler ! » C’est le "en train de parler" qui affirme une posture du Je. C’est le PREDICAT qui dit en quoi le sujet participe de son essence Autre exemple : "Je suis un homme " homme est le prédicat en cela qu’il est la forme , la potentialité d’être que j’adopte là

- Maintenant Cela est moi : Dans cette expression je me pose comme objet, je me regarde de l’extérieur, loin de moi comme je regarde une photo, sur un mode très impersonnel sans prendre la responsabilité de l’être ; au contraire de l’expression « je suis » où je prends alors toute la responsabilité d’être ce que je suis .

C’est moi parce que cela me constitue, puisque je suis ce que je fais ; procède d’une expression sur le mode quotidien. Je suis alors centré sur le "quoi" et non sur le "qui" fait quoi.

La posture du DASEIN par contre, c’est ramener à "QUI" dans tous les actes . Advenir en son DASEIN est secondaire à la question "Qui suis-je ???" " Le plus souvent et de prime abord" le Dasein s’ignore. En revanche pour un psychotique cet état de fait ne va pas de soi, un psychotique est toujours en recherche et à chaque instant de qui suis-je ? il est dans l’impossibilité de se décoller de cette question ,de vaquer à des actes quotidiens. L’évidence naturelle propre à la quotidienneté est suspendue.(cf Blankenburg , psychiatre phénoménologue « la perte de l’évidence naturelle », Paris, Puf collection psychiatrie ouverte)

Qui suis-je ? ouvre le Dasein , ouvre l’angoisse. Ce sont souvent les situations de crise qui ouvrent à la question : Qui suis-je ?? - Quand cela ne va plus de soi, la question se pose alors.

Ce suis-je est une affirmation d’être en personne : j’ouvre l’espace de ce par où je me constitue en propre. C’est juste alors une facette des possibilités de ce que je peux être.

Exemple :
-  « Ce suis -je , amoureux de vous , Madame …. » Ici le terme « amoureux » constitue la couleur de "Ce". Couleur que j’ai choisie parmi de multiples autres possibles. Par contre le "Je" de suis-je constitue l’Existant. Etre, en la circonstance, n’est plus un verbe d’état, mais … d’Existence - puisque "ce suis-je" ne fait que signifier une des possibilités de ce que je peux être . Dans « Ce suis-je amoureux de vous », le verbe être a un sens "sui-transitif" car il porte sur un terme que j’ai choisi parmi mes possibilités d’être, terme qui me conduit à mon « avoir à être » - ceci le déplie et ne le réduit en rien. Je ne suis pas que !!! Amoureux !!!.. Et cependant, sur l’instant présent, c’est la couleur que j’ai choisie. Donc " Ce " ouvre un temps et un espace (une situation), selon Maldiney, en cela qu’il me fait exister du point de vue de mon à être, dans un passage de ce que je peux être.

Quand je me dis … (amoureux- dans notre exemple), je suis toujours poussé vers une de mes possibilités d’être

Maldiney écrit donc : Ce que je suis définit à chaque fois une limite qui n’est pas prédéterminée par l’état général des choses, mais celle à laquelle se porte, en se portant à soi, l’être-là qui la pose en l’outrepassant et l’outrepasse en la posant. Tel est le sens des limites pour un être dont l’ex-istence est transcendance.

Il poursuit : "Cette bivalence du verbe "être" emporte avec soi une double diathèse, dont la représentation sous une même sémiologie n’est pas une anomalie linguistique. "Il n’y a jamais en langue coïncidence parfaite entre la structure sémiologique se rapportant au signifiant et la structure psychique se rapportant au signifié."

Le Signifiant c’est le concept, le mot …..Le signifié, l’objet ainsi désigné. Il existe en effet un écart entre le signifié et le Signifiant, une opacité irréductible. Par exemple le sens générique de "Table" ne peut se réduire à cette table là sur laquelle j’écris en ce moment. C’est le cercle herméneutique , c’est le fait que à chaque fois que je nomme quelque chose, je le rate, je ne fais que tourner autour, et en tournant je le touche mais ne le fige pas . « l’être se déclot tandis qu’il se retire dans l’étant » Heidegger… » « Physis cryptes kai philein » Héraclite « je ne suis jamais là d’où je parle » Jacques Lacan L’oubli est la façon dont l’être se manifeste : il ne peut se dire, se saisir à la lumière de l’explicitation.

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« Cette bivalence du verbe « être » emporte avec soi une double diathèse, dont la représentation sous une même sémiologie n’est pas une anomalie linguistique. » :(définition de diathèse plutôt retrouvée dans la terminologie médicale : situation ou il y a un ensemble d’affections qui frappent simultanément ou consécutivement et qui ont une origine commune) « Il n’y a jamais en langue coïncidence parfaite entre la structure sémiologique se rapportant au signifiant et la structure psychique se rapportant au signifié » : le même mot comporte une certaine hétérogénéité, la seconde déborde parfois la première, en Gestalt-thérapie on appellerait cela la différence entre la figure et le fond. Différence qu’il est plus adéquat alors de nommer tension au sens d’une tension signifiante sans cesse reconduite.

« C’est moi » : le procès par lequel je m’engage va au-delà de ce que je nomme (procès dans le sens de processus, quelque chose qui se déroule) le verbe être « dénote un procès qui s’accomplit à partir du sujet et hors de lui » : cela pourrait être mis en relation avec le mode moyen où le sujet est, à la fois, acteur et bénéficiaire de l’action, je suis passible de quelque chose : à la fois je l’endure et je lui donne une forme. (être passif par ex, c’est une certaine façon d’agir -passible /possible se substitue chez Maldiney au couple passif/actif-) Cela rejoint également l’idée du « venir-à-soi-toujours-sans-cesse » de Kimura Bin « A l’actif s’oppose le moyen. Dans le moyen le verbe indique un procès dont le sujet est le siège. » Chez Husserl, il y a intentionnalité de la conscience : le sujet a toujours conscience de quelque chose, l’objet et le sujet sont co-constitués par la conscience elle-même (intentionnalité = conscience) Heidegger ne se reconnaît pas dans l’existentialisme développé par Sartre et Camus. La position métaphysique chez Husserl revient à dire que l’être est un postulat : il demeure dans une position métaphysique (époché de la question de l’existence car non possibilité d’y répondre…). Chez Heiddeger, il s’agit de tenir la question de l’être qui devient le questionné le plus propre (dans la mesure où il ne peut que se questionner sans jamais répondre) : nous sommes dans une position ontologique : l’être reste une question et il ne s’agit pas d’y répondre mais bien de tenir cette ouverture questionnante.

« … L’expression « ce suis-je » ou « je suis cela » unit sous une même sémiologie d’actif les deux diathèses ». Le mouvement du sujet dans le verbe est une diathèse d’actif, « je suis cela » ou « cela est moi » : je me défini comme un quoi, je suis cet étant là, « ce suis-je » renvoie plutôt à qui ? ou s’être. S’être c’est être en vue de soi car soi n’est pas égal à moi. La forme d’être, cependant, n’est pas l’être de Dieu. Elle est un procès qui se déroule hors de moi, cela relève de la métaphysique, il n’y a pas d’autre endroit topologique, pas de lieu, moi est différent de soi : moi c’est l’existence quotidienne (ce que je peux dire de moi tel que je me connais, la chronique de mon existence), l’étant que je suis et soi est l’horizon (toutes mes possibilités de me comporter et comprendre non actualisées).En existant j’actualise une possibilité d’être parmi d’autres possibles : en ce sens ce que je suis maintenant est toujours tendu vers ma possibilité suivante.

Ici et là : exemple du regard et de la vue : exister c’est ouvrir un monde par où je suis, par où je le perçois : selon un certain angle de vue ou de signification qui s’éclaire sur un fond d’opacité se retirant.

Par exemple dans le maniérisme, du point de vue du self il n’y a pas de mode moyen, je me fige dans un moi (et il n’y a plus ouverture à soi) : dans une attitude que je mets en scène et n’éprouve pas. Etre c’est avoir sa tenue hors soi et hors tout : « si exister c’est se tenir hors.. ». Exister revient à assumer que je suis jeté au monde et qu’il n’est pas de lieu localisable où je peux dire que je suis. A la différence des monades de Leibniz, l’existant , selon ce point de vue, est défenestré ; il n’a pas besoin de porte ou de fenêtre pour sortir de lui et aller vers le monde ; il y est jeté, livré : un jour il est venu au monde . Il est toujours-déjà-au-monde, et il lui appartient de donner forme à ce séjour (en signifiant par où il est, comment il y est et se comprend). Le monde ici n’est pas le monde géographique ou physique (la res extensa cartésienne) : le monde est celui des significations, des formes que prennent mon séjour : Gestaltung. C’est ici que nous retrouvons le sens de notre pratique de Gestalt-thérapeute : travailler à accompagner les capacités formelle au sens de Gestalten de nos patients : leur permettre de s’étonner et découvrir leur manière de donner signification, de co-naître au monde. Le tout de l’étant, domaine du connaissable, de la question, on se tient hors tout reviendrait à dire que être au monde, c’est ouvrir un monde. Hors soi serait être auprès de soi, pas dedans, pas de lieu précis ; pas un endroit localisable : l’existant séjourne dans la proximité qu’il entretient et éprouve. Le rapport au monde est ici conçu comme séjourner et non comme être dedans ou dehors.

Selon Heidegger il est deux modes de se rapporter à l’être : celui de la quotidienneté ou je suis affairé, ou je m’occupe de faire ceci ou cela, ou je vaque à mes occupation. Ce mode est qualifié « d’impropre » (uneigentlich) au sens où je ne me prend pas en vue et me tiens en vue de ce que je fais. Celui où j’adviens en mon Dasein qui est le mode « propre » (eigentlich) c’est-à-dire celui ou je suis convoqué à mon pouvoir –être : lorsque ce qui va de soi (l’évidence quotidienne) défaille alors je suis brusquement ramené à mon être à. Le mode de la quotidienneté est aussi nommé dévalement et son contre mouvement est le dévoilement. Ces deux modes sont toujours co-tendus. Authenticité ou mode propre : sans cesse je suis responsable de moi et de l’autre (en thérapie), c’est à moi thérapeute que revient la tâche d’interpeller l’entrée en présence et de ne pas rester dans un « bavardage ».Par ma façon de me tenir auprès du patient je vais le solliciter vers son pouvoir être.

« Le monde n’est ni un étant, ni l’ensemble de l’étant, mais de d’où l’étant comme tel se fait annoncer. Et nous ne saisissons un étant en tant que tel, c’est à dire en le surprenant dans son être même, que là où nous nous surprenons nous-mêmes à exister ». (C’est beau non ?) Là où je lâche tout ce que je sais de moi, je me découvre avec lui (le monde). Dans le projet de la thérapie, la rencontre a lieu et c’est ce que tu n’as pas prévu (c’est la situation d’urgence de haute intensité en thérapie : peu de caractère délibéré afin de laisser émerger une forme nouvelle, une co-création de sens, et de la compassion dans le sens de vibrer avec).

La suite d’ici quelques semaines. Merci de votre patience.