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Troisième compte rendu

article de G. Charbonneau "Pour une phénoménologie des sentiments corporels"


« Pour une phénoménologie des sentiments corporels » - Georges Charbonneau Groupe de lecture de Carcassonne.

Les passages en italiques sont des extraits du texte P17 à 19 de l’article

Le travail de la sémiologie clinique nous apprend à différencier, entre autre, les sentiments corporels, et nous renvoie à la question de la corporalité ou de la corporéité, en tant que conscience globale de soi. Il nous permet de qualifier le « être disposé à », « sentir- se mouvoir » et le contacter.

La phénoménologie psychiatrique et philosophique, parce qu’elle est d’abord descriptive avant d’être explicative, est en charge de proposer des caractérisations propres à chacun de ces états

Elle nous permet d’envisager comment il est possible qu’un tel état se manifeste ( dimension ontologique de l’existant) et de mieux comprendre les possibilités de cet état chez un humain particulier. Ici le clinicien ne détient pas un savoir sur l’autre, il est sollicité en tant qu’il existe à un autre existant. Chaque vécu singulier (cf principes de champ) témoigne d’une communauté d’existence qui nous échoit. Sa nature descriptive (clinique : un enseignement qui se tisse dans la proximité d’une rencontre singulière : au chevet de) est une base importante pour notre travail de Gestalt-thérapeute. Il s’agit par là de déconstruire/ dé-structurer, d’affiner notre vocabulaire pour pouvoir nommer au plus près ce qui se montre. « Eclairer le struct », nous intéresser à la façon dont chaque expression humaine témoigne de valeurs sur lesquelles elle se fonde et qui ne sont pas explicites : de façon de se donner sens et de se situer au monde. Il ne s’agit pas d’expliquer ou de déplier (ce qui enlèverait le pli !) mais d’expliciter : accueillir la dimension d’opacité de toute forme langagière, son ouverture qui ne peut se calculer exactement.

Charbonneau définit la corporalité comme être disposé à l’action, c’est-à-dire pour nous sentir-se mouvoir.

La disposition ( Befindlichkeit) chez Heidegger renvoie à : je suis toujours déjà disposé en tant que je suis vivant, j’ai un corps s’y trouvant ainsi , une manière d’y être (disposition ou disposibilité, selon les traducteurs). Elle témoigne de notre sensibilité, passibilité foncière. C’est un des existentiaux du Dasein qui s’appuie sur la Stimmung (autre existential qui renvoie à une dimension atmosphérique alors que la disposition renvoie au corporel). Là où je suis disposée, c’est là où je commence à m’approprier ce corps là : la façon dont toujours déjà je me tiens, je me comporte. Le mode de disposition à l’action est une conscience globale, quelque chose qui me dispose pour, en vue de… se mouvoir et faire.

L’auteur pose que le sentiment corporel est ce qui nous affecte globalement. C’est pour lui, une globalité de présence.

Cela nous évoque tout ce qui est du coté du aware ( définit dans le PHG comme « conscience immédiate et implicite ») au sens d’une sorte de conscience diffuse non élaborée en forme signifiante (mais qui est une tonalité déjà aussi.) L’aware est de l’ordre du sentir-se mouvoir. Dans l’aware, il y a une qualité de présence-à, à partir de laquelle je deviens conscient au sens de conscious en opérant une orientation (S’identifier/ s’aliéner de La théorie du Self). L’aware n’est pas saisissable pour moi .Lorsque je prend quelque chose en considération, c’est que j’ai instauré une forme signifiante et par là un je s’est in-formé. L’awareness est d’ordre pathique, ouverture ; elle est le fond se retirant dans la venue en figure, le ensuite.

( clin d’œil gestaltiste, « je suis aware » n’aurait pas de sens puisque alors « dans » l’aware, je n’est pas encore différencié ?.)

Le travail de Gestalt thérapeute autour du sentir va aider nos patients à exister plus pleinement, c’est-à-dire parvenir à une parole incarnée assumant que notre présence ne peut se saisir comme je peux saisir un objet, prenant en mesure que toute forme est simultanément éclairement d’une figure et retirement d’un fond : toujours une part d’obscurité. (Posture axée sur le déploiement du Self en mode majeur ça)

Cette dimension du sentir est prise en compte dans la société comme quelque chose qui n’a pas d’importance, l’important étant la raison ; donc on ne s’y attarde pas : « quand tu ne te sens pas bien, tu avances, tu serres les dents etc. et tu continues ». Notre société se préoccupe de ce qui est clair, d’un objet qu’elle étudie exhaustivement et ainsi la question de l’humain comme ayant à être est évincée ou rabattue sur une série de possibilités calculables.

Charbonneau ne s’intéresse pas, semble t’il, à la douleur ponctuelle, aigüe, dont s’occupe le médecin mais bien à la douleur chronique.

la souffrance est une inscription de la douleur dans un temps d’existence qu’elle va affecter… Une douleur corporelle localisable va générer une souffrance, elle-même histoire de vie de celui qui la ressent : souffrir c’est alors s’éprouver soi au monde, une manière de se comporter soi.

L’auteur propose de différencier douleur et souffrance, en regardant sous un angle double la douleur : est-ce une perception ou une disposition ? Comment définir la douleur ? Peut-on dire que la douleur est une simple perception ? C’est à dire un percevoir (en rapport à) émergeant d’un sentir. La douleur n’est pas seulement sentie, perçue, elle est aussi un éprouvé et un s’y éprouver.

Elle a une importante dimension d’alerte dans la vie quotidienne. Les gens qui n’ont plus de proprioception sont des gens en danger : Nous évoquons l’exemple d’un homme qui n’a plus de sensations corporelles dans certains endroits du corps suite à une intervention pour enlever une tumeur cérébrale. Quand son genou a commencé à s’inflammer, il ne l’a pas senti. L’intensité de l’inflammation n’a été mesurée que quand son genou s’est bloqué…elle était alors très avancée…et beaucoup plus dangereuse pour sa vie. La douleur vise à protéger l’intégrité corporelle. En ce sens elle est un bien pour le vivant.

expérience qui s’ouvre sans rien produire… L’alerte, c’est tout le contraire de ne rien produire Ce n’est pas produire au sens d’une efficacité matérielle Ça suspend l’affairement de la quotidienneté Ça me ramène à moi Je suis, je m’y éprouve aussi, Ça ramène à la question de l’être, ça ouvre à un s’y éprouver Ça me ramène à qui je suis,à ma manière de me comporter, de comprendre et à la probabilité du danger,à ma vulnérabilité et à la mort en bout de course Quelque chose de fondamental Dans la souffrance ou la douleur, je deviens conscient que je suis fragile, mortel, je suis livré à l’existence et ma volonté/ raison trouve ses limites.

une brusque transformation de la temporalité… Ce qui bouge lors de la douleur, c’est la façon de se temporaliser. On peut imaginer que la douleur (en tant qu’alerte) est quelque chose qui arrête tout quand elle survient et qui nous met dans une priorité, en urgence : une contrainte à ajuster notre comportement c’est à dire notre compréhension de nous-même et du monde.

La douleur est un senti qui suspend l’affairement de l’existence quotidienne et convoque à une certaine qualité de conscience de soi ; Occupé à quelque chose ; je ne suis pas occupé de qui je deviens mais de comment je fais et parfois seulement du quoi de mon faire. C’est quand ça me cogne que je prends conscience de mon genou…douloureux (disposition)… et simultanément moi souffrant…(intonation) La douleur ferait récalcitrance, saturation et ouvrirait à la connaissance. Heidegger parle de la récalcitrance et de la saturation quand quelque chose me suspend de la quotidienneté. Exemple du marteau dont le manche se sépare de la tête : le marteau fait alors récalcitrance et le fait que je ne puisse plus l’utiliser comme outil provoque une saturation : la chose parait, ce n’est plus un utilisable, c’est une chose qui survient dans son étrangeté ! Ça a suspendu et ça occupe tout, dans le sens où ça sature l’horizon, le champ de conscience, le monde ne va plus de soi.

Est-ce ce qui se passe aussi avec une douleur installée, genre mal de tête ? …

L’auteur nous invite à chercher la nature du vécu élémentaire de la douleur, en nous intéressant à l’éprouvé, l’esthésie de la douleur. L’esthésie est l’aptitude de sentir.

Nous rencontrons de la difficulté pour partager notre éprouvé de la douleur avec autrui…Il est difficile aussi d’imaginer la douleur de l’autre… Le sentir se retire toujours à toute prise signifiante, il excède toute signification. Dès que je dis, c’est toujours par un petit bout, c’est toujours partiel, contingent. Le vécu est toujours singulier, mien.

Si nous l’articulons avec notre clinique, cet aspect du sentir être mu n’est pas « atteignable », avant qu’il soit formulé. L’awareness peut seulement s’éprouver, mais sans pouvoir lui donner forme (Gestalt)…ou plutôt en prenant forme, il se transforme/ s’in-forme en consciousness (subjectivation). C’est quelque chose qui nous parle mais dont on ne peut pas parler, c’est à la limite de la structuration langagière. C’est un aspect difficile à transmettre à nos patients. Il y a sentir mais dès que je le nomme, c’est déjà ensuite … C’est dans le jeu sentir- se sentir que quelque chose se tisse…et nous amène à voir le langage comme source de malentendu et ainsi de créativité. C’est parce qu’il y a toujours recherche du mot juste, qui dirait exactement l’éprouvé que nous inventons des nuances sans cesse…le langage comme source de richesse de nos paroles … La douleur ne peut pas être « cernée », elle ne peut qu’être éprouvée et est impossible à transmettre. Elle isole de la communauté mondaine, c’est ce qui fait que je m’y éprouve seul parmi les autres. En cela, la douleur nous renvoie à notre propre solitude, à ce corps là qui est mien, et à la mienneté, existential du Dasein.

Penser la douleur comme une disposition est déjà la voir comme une souffrance. On peut aussi être tenté de la penser comme une humeur, une manière d’être intoné. On peut enfin penser la douleur comme la localisation d’une sensation douloureuse. La sensation, c’est là dans mon corps. Une localisation géographique pourrait-on dire alors que la disposition est une tonalité paysagère, si on fait référence à la différence entre la géographie et le paysage d’Erwin Straus. « j’ai mal à la tête (localisation corporelle d’une sensation) ; ça m’énerve (disposition) » La disposition (souffrance) ramène plus à être, et la douleur à avoir mal.

La douleur serait un endroit du corps senti comme douloureux. Et la souffrance serait la façon d’être disposé à l’occasion de cet endroit du corps. Comment ça vient me toucher en tant qu’être et pas seulement en tant que bras… Le mal de tête me met à vif… ce n’est pas forcément une causalité, un parce que… mais ça participe d’une tonalité… quand j’ai mal, je ne suis pas disposé à, ni disponible …ça ressère mon corps Quand le thérapeute cherche la causalité, il sollicite majoritairement le déploiement du Self en mode personnalité . Cette différence entre sensation et disposition va se trouver dans un certain type de travail de Gestalt-thérapie : le thérapeute va solliciter le déploiement du Self en mode ça majoritairement. …quand je me surprends à devenir ce corps là que je suis à l’autre….« je vois le mouvement de ta main et simultanément je sens ma main…. »…quelque chose qui commence à parler de sensations-perceptions et à tisser des corps qui s’approprient en se distinguant… …quand je peux dire quelles sont les sensations qui sont là : « ça serre là ,… etc., et ça m’évoque une anxiété ou une peur, ou une crainte » On passe de la sensation à une disposition qui nomme un vécu global. Le sentir s’approprie en devenant un « se sentir » : je sens, tu sens, etc.

l’instant de la souffrance est saturé de lui-même. Il a perdu l’ouverture temporelle qui le délivre de lui-même… Nous le comprenons comme une suspension de l’articulation du déploiement du self en mode ça et personnalité, un s’y endurer sans in-formation, une intensité c’est-à-dire un mode du contacter de l’ordre du présubjectif avant que je m’y approprie. Ça me convoque à qui je suis et deviens. Simultanément, ça arrête la chronique et me fait m’y éprouver intensément, c’est-à-dire souffrant.

Peut-on se désassigner de soi dans la douleur et s’échapper de sa souffrance… Jusqu’à folie de faire cette désappartenance à soi. Il nous semble que l’évanouissement et le coma à la suite d’un choc, ou d’un traumatisme corporel sont des manières de se désappartenir. Pour autant est-ce dé assigner ? Dans l’évanouissement, tout vacille… je ne suis plus là…mais au moment où j’émerge, c’est avec une conscience aigue et intense du corps … Le coma est aussi un état particulier… il y a tellement d’intensité douloureuse que le corps animé semble se mettre dans un état de déconnexion… Comme une protection contre la violence de la douleur qui amènerait à l’arrêt du coeur…à la mort.

Il existe des douleurs dans lesquelles nous pouvons « entrer dedans »…je me centre sur la douleur, je sens comment tout est tendu, puis je me focalise de plus en plus près de l’endroit et je lâche, je lâche… et ça se traverse et après je n’ai plus mal…peut-on dire que je me l’approprie ?.....que m’y appropriant je m’altère aussitôt ? Il nous semble que cela est possible avec des douleurs connues et pas trop intenses. Dans les douleurs intenses, ou complètement nouvelles, il y a un sentiment de ne plus être soi-même, d’être atteint à sa limite…de s’éprouver autre, d’une altérité que je ne peux pas choisir…qui peuvent amener à ne plus pouvoir s’orienter…ne plus pouvoir être le là de ce truc là… exemple de ce que l’on nomme état de panique.. La seule solution semble de ne plus y être…. Il n’y a plus de possibilité d’être dans une intimité où je m’oriente… Evanouissement et coma… n’est-ce pas se désappartenir de manière fugace ?…. …la discussion nous amène à questionner le sens de ramener une personne à la conscience quand elle s’évanouit ?… Et comment plonger dans un coma peut être une méthode thérapeutique ?

Nous différencions plus précisément douleur et souffrance : Pour nous, la douleur est liée au corps localisé ( Körper), de l’ordre d’un avoir-mal dans sa dimension « viande » et la souffrance est liée à la chair ( Leib) . Elle est le vécu de la douleur, la façon d’endurer la sensation douloureuse et en cela, a à voir avec la durée.. et avec le fait d’avoir mal…

Soirée du 4 février 2010 – Fin de l’article de Charbonneau. P19 à la fin

Douleur et dépression P19

Pourquoi, en quoi, la douleur chronique se lie-t- elle à la dépression ? Il y a un entrelacs entre la douleur physique et la dépression mélancolique, quI nous invite à une clinique des vécus corporels. Il définit la douleur comme une alerte anxieuse, la souffrance comme une saturation par elle-même ; on retrouve ça dans la dépression : un problème de temporalité.

Dans la douleur chronique, se mêlent douleur et dépression avec trois perspectives à distinguer : La première perspective est une altération à minima du sentiment d’appartenance à soi . La deuxième, un trouble de la temporalisation, Et la troisième, un trouble de l’historialité (c’est-à-dire ce qui tisse une continuité temporelle , une succession d’époques : on pourrait dire que douleur et dépression nous contraignent à modifier , ajuster notre façon de faire et par là nos valeurs, le sens de notre existence).

Dans notre pratique, la question est de différencier le sentir-se mouvoir du déploiement du self en mode ça, avant toute subjectivation. Ça nous ramène au « sentir - être mu » plutôt que se mouvoir. La question de la sensation est toujours une appropriation de soi. Et c’est cet entrelacs toujours déjà à l’œuvre, du éprouvé - s’y éprouver, qui achoppe notamment dans la psychose. L’auteur fait d’abord l’hypothèse que douleur chronique et dépression mélancolique sont étroitement liées et qu’on va essayer de les différencier, afin d’enrichir le langage permettant le partage de la douleur.

Il propose d’examiner un premier modèle (P20) : Qu’en est-il de la Conscience de soi et de la dépersonnalisation ? Ici le lieu de la douleur chronique est celui de la conscience intime de soi ,de ce qui permet la continuité du moi et qui achoppe dans le phénomène clinique que nous nommons dépersonnalisation. La douleur nous conduit à ne plus nous éprouver nous-même : elle nous fait toucher notre corps comme étranger, comme quelque chose que nous ne reconnaissons plus d’où ce sentiment de dépersonnalisation. Dans ces douleurs de lésion, je m’éprouve, j’éprouve l’altérité du corps, ce que je sens à minima dans la quotidienneté. Dans le corps douloureux, cette évidence du corps que j’ai et que je suis, est mise à mal. Ce n’est pas moi, ce corps là ! je ne m’y reconnais pas . Cette impossibilité à s’approprier sa propre corporéité, même non souffrante, se retrouve dans la psychose. Les humains qui ont une intimité d’eux- mêmes, comme nous, c’est dans la douleur que nous pouvons éprouver l’étrangeté de notre corps, de cet endroit là du corps. Ce doigt là devient tellement étrange qu’il m’altère ; Je ne me sens plus moi. …..Je suis moi et ce doigt douloureux. Dans la douleur chronique nous ne nous rencontrons plus nous même ; comme l’épreuve d’une étrangeté de se découvrir ainsi, altéré ; une altérité ou une ipséité qui ne peut se tisser dans une mienneté ; Un sentir qui ne peut pas s’articuler à une manière de dire : c’est moi qui… La douleur nous rend autre, aliéné et elle ne peut se reconnaitre comme une expérience de soi s’intégrant dans une identité de soi avec une continuité. La douleur est donc un souffrir soi, qui ne peut être choisi ; c’est une expérience qu’on peut référer à avoir un corps (= lieu d’altérité, d’étrangeté) ; nous le traduisons dans le sens d’une récalcitrance ou une saturation ( sens heideggérien), qui ouvre alors à l’angoisse existentiale, c’est-à-dire à ne pas pouvoir se reconnaitre ou s’accepter comme souffrant, à s’éprouver hors soi. Ça nous convie à l’insupportable de soi. Pour l’auteur, il y a une dépersonnalisation c’est à dire un vécu d’étrangeté plus paranoïde sensitif que schizophrène. La dépersonnalisation est une perte du sentiment de la réalité ; une espèce de vie irréelle qui est comme être observateur de soi ; je me regarde comme un autre ; ça se traduit par de la dysphorie, de l’agressivité, de l’anxiété et un vécu d’étrangeté de soi ; En langage Maldiney : la douleur nous renvoie à une passivité par rapport à ce qui serait le passible (amenant à la possibilité d’une chronique). Dans le passible, j’accueille et je vais tisser vers une possibilité de m’y prendre ; Dans le passif, j’endure, je subis.

L’inconscient phénoménologique… est une expression qui nous interroge. (p20) Ego transcendantal Husserlien : pour Husserl, à la place de l’ouverture d’Heidegger, il y a un « ego transcendantal » qui fonde la possibilité d’une conscience…celui qui ni ne nait, ni ne meurt… Charbonneau semble utiliser de manière synonyme « inconscient phénoménologique » et l’égo transcendantal. …cet aspect reste à approfondir pour ceux qui le souhaitent… nous garderons ici une compréhension de l’ « inconscient phénoménologique » comme étant « tout ce qui fait que nous sommes qui nous sommes sans en avoir une conscience claire…ce qui me dépasse , m’ouvre à devenir moi-même.

Le lieu phénoménologique de cette crise…Une souffrance qui s’éprouve elle-même ; l’éprouvé d’une douleur m’arrive comme quelque chose de l’insoutenable, de radicalement autre que moi, que je ne peux pas reconnaître comme « en propre », de l’ordre de l’altérité,

La rétensivité sensitive est le modèle clinique de cette crise… nous renvoie à la paranoïa sensitive Chez le paranoïaque sensitif, il y a un doute de soi, un repli ; le trou béant est à l’intérieur de soi. Il n’est pas dans une certitude que le monde l’agresse, comme le paranoïaque dit de combat. C’est un rapport au doute qui ne s’articule pas de la même manière, il ne peut parvenir à se reconnaître, il éprouve l’étrangeté de s’y éprouver : comme s’il ne pouvait s’approprier l’éprouvé, le reconnaître comme sien. L’auteur dit que là il y a un phénomène de résistivité sensitive : nous comprenons cela comme une insistance , la douleur dure, une insistance que je ne peut pas s’approprier : un avoir, un subir inacceptable. Ce ne pas pouvoir s’y reconnaître exacerbe le vécu douloureux, l’intensifie.

Le paranoïaque sensitif retient sa perception sensitive, il résiste à accueillir ça ; Ca pose un non qui fait encore plus exister l’intensité ; c’est comme une exacerbation. Si je ne peux pas m’approprier la douleur, elle insiste ! Ça retient ! C’est la sensibilité qui retient, ce n’est pas moi qui… Je ne peux pas m’y identifier ; Elle se retient d’autant plus puisqu’elle ne peut pas s’informer ! Si je pouvais me l’approprier, ça deviendrait quelque chose de connaissable, donc qui m’inquièterait moins ; mais si ça reste, que ça se retient en permanence, c’est encore plus vif.

Dans l’hypochondrie cette question de la continuité de soi s’exprime d’une autre manière, il s’agit d’une expérience corporelle selon une autre modalité . L’hypochondriaque n’est pas douloureux ; il se tient dans la crainte d’avoir mal et de perdre ainsi la familiarité avec lui-même. il a peur de se perdre dans l’expérience de la maladie qui est l’expérience de ne plus être chez soi, d’être « trop loin » (P21) Pour Charbonneau, l’hypocondriaque ne peut s’envisager comme souffrant ; il ne peut pas accepter que le bouton, la rougeur, la petite sensation colique, ce soit lui. La survenue d’une sensation le convoque à quelque chose de l’inconnu, hors de son familier, à un être trop loin ; Le trop loin, ça ramène au hors d’atteinte, hors soi, à l’inconnu, à l’inquiétante étrangeté… Dans le schéma phénoménologique plus classique, l’hypocondriaque est malade de ne pas l’être ! Il est malade de la possibilité de l’être, et tout fait signe comme une possibilité. Tout ce qui se manifeste du coté du corps est entendu comme potentiellement maladie ; il n’y a pas d’autre manière d’écouter le corps que dans un registre de maladie. Est-ce qu’on n’est pas dans une sensation qui tout de suite est symbolisée en signe alerte ?

2ème modèle : trouble de la temporalisation P21

L’auteur veut éclaircir le lien entre la douleur physique d’organe et ce qu’on appelle la dépression. Son projet est d’isoler ces deux niveaux : douleur et dépression. … La modalité du terrain dépressif sous jacent qui va permettre à la douleur de se chroniciser … relie les deux dans le sens du chronique, de ce qui dure et se répète. …l’appel du devenir qui est entravé par l’être en arrière de soi … est la situation existentielle du déprimé ; L’anticipation produit un avenir comme répétition de ce qui a eu lieu ; l’être en arrière de soi prend la place de l’ensuite ; autrement dit, je prévois que ça va être toujours pareil. la retentio infiltrée de protentio est le schéma classique de la mélancolie, en référence à Husserl.

Chez Husserl, le présent vivant, ce qu’on appelle le maintenant, la présentatio se compose du maintenant, et de juste ce qui vient de passer, dans l’anticipation du juste ce qui va advenir. Elle se compose d’une articulation en rétentio : le juste avant, et en protentio : le juste ensuite. Il y a eu confusion entre le juste ensuite et l’avenir, et entre le juste avant et le passé. Quand il y a une mélodie par exemple, je n’entends pas un son, j’entends une musique ; Pour entendre une musique, il faut que j’entende la note qui se joue juste maintenant, et que j’ai encore présent la note qui vient juste de se jouer, et que je puisse anticiper celle d’après. Si je ne fais pas ça, je suis dans une pathologie de l’immédiateté : j’entends des sons. Il en est de même pour les phrases ; il s’agit d’entendre ce qui est là, mais d’avoir encore présent à ma conscience ce qui vient juste d’être dit, et que je puisse imaginer ce qui va venir ensuite ; ( Cliniquement, chez certains patients qui ne se projettent pas, qui paraissent comme tirés en arrière, soit on va dire qu’ils ne peuvent pas, soit que c’est leur manière de se projeter ; Soit nous allons le regarder comme un être en arrière de soi, soit comme une manière de s’ouvrir à l’ensuite, de dire l’ensuite… et alors ça ouvre tout autre chose. Si on le prend comme un être en arrière, on ne peut pas avancer ; Quand je me situe souvent entre maintenant et avant et que je revisite ça, je vais créer du nouveau ; et si on me dit que je répète là, on rate ce que je suis.

c’est avec l’acceptation de la culpabilité reconnue et compensée, que peut se dépasser l’enfermement dans la souffrance… Pour Charbonneau, la douleur est reconnue intérieurement, vécue et le trouble de la temporalisation prend la forme d’une entrave de l’avenir par l’en arrière de soi ; c’est-à-dire rétentio dans protentio selon Husserl ; donc une sorte de rumination du avant au maintenant qui n’ouvre pas l’avenir d’où la culpabilité ; c’est-à-dire cette souffrance qui est d’endurer une pénitence sans rédemption possible. . Je suis toujours déjà en faute : je suis coupable avant même d’avoir commis quelque chose, puisque je ne fais que ruminer quelque chose qui a toujours déjà eu lieu. La douleur dans la mélancolie, renvoie du point de vue heideggerien, à la défaillance de soi, à la finitude…pas à la culpabilité mais à l’être en dette, l’être en défaut au regard de l’existence ; l’être en défaut, toujours en faute…qui ouvre pour l’ ensuite. Dans le moment où je souffre je m’y éprouve comme suspendu : cela n’en finira jamais, impossible d’envisager un après car l’intensité de la souffrance sature tout horizon.

3ème modèle … changement d’époque et de la sortie de crise P22

Il s’agit ici de regarder l’expérience douloureuse chronique dans son rapport à l’histoire de la vie. Le paradigme de l’historialité, c’est l’époque : Un cycle de vie vécue dans le temps, la capacité de recommencer, ce que Ricoeur nomme l’identité narrative :notre histoire se découpe en péridodes ou époques qui constituent des changements , des tournants dans le cours de notre existence : des modifications de notre manière de penser et nous comporter . Une époque comporte un moment inaugural : quelque chose de nouveau qui fait rupture et ouvre une autre période d’existence et elle comporte une fin, celle où la nouveauté s’épuise signant de la fin de cette époque ,appelant à un nouveau commencement) Ce n’est pas juste l’histoire, mais un moment, une période qui fait sens témoigne d’une manière d’être…. La vie vécue dans un temps, qui fait la capacité d’ouvrir d’autres époques et de fermer d’autres périodes… par exemple, l’époque de l’adolescence, des pattes d’éph, etc… L’époque est une manière de dire comment être avec d’autres dans un monde commun à un certain moment… Pour se regarder comme étant dans une époque, il faut imaginer un futur, un recommencement… Pour l’auteur, la douleur c’est un souffrir qui ne permet pas d’ouvrir une autre époque. Lorsqu’ on vit la douleur, que c’est dans une intensité extrême, c ’est déjà dans du trop, ça dure toujours trop longtemps, il faut que ça s’arrête et ça ne s’arrête jamais ; comme quelque chose qui suspend ; on ne peut pas imaginer qu’après, ça va se calmer. On est dans l’époque de la douleur, je suis soumis à la douleur comme quelque chose qui suspend les époques de moi en tant que sujet vécu. « … un basculement dans passer à autre chose qui ne peut plus se faire … »Je passe à autre chose spontanément et dans la douleur ça ne peut plus se faire ; ce n’est plus possible ! plus rien ne sera pareil ! Quelque chose qui n’est pas envisageable, qui fait arrêt ; c’est ce que l’on trouve dans la sinistrose (en tant que pathologie mentale) ; les gens qui sont dans un événement indépassable, et qui revendiquent sans cesse la reconnaissance d’un sinistre, et leur existence devient série de procédures. Le sentiment que la vie s’est arrêtée là ; il n’y aura plus d’autres époques… Rien ne peut plus faire événement ; rien qui puisse faire réparation, être suffisant pour que cela permette de tourner la page… La personne se polarise sur un préjudice, se centre d’une manière préjudicielle sur un événement corporel qui n’en finit plus et constitue une époque indépassable… On va trouver ça chez les personnes qui, suite à un accident ou à un traumatisme, ne parviennent plus à sortir de « avant », et à construire « l’époque du handicap »… Il n’y a pas : comment je fais aujourd’hui, avec qui je suis… mais comment je faisais avant et que maintenant je ne peux plus.. On peut comprendre comme cela, le refus de certains de la rééducation, car cela les confronte à assimiler quelque chose de ça. Comme si à un moment, on figeait le corps tel qu’il était … Et travailler sur une possibilité de mouvement c’est ouvrir une autre époque….et c’est difficile à endurer… difficile de s’approprier, de se dire : « ah je pourrais être comme ça et je suis comme ça… Et en 6 mois, je suis juste parvenu à réussir à faire bouger mon petit doigt ! » C’est l’horreur de se voir ainsi réduit…et la référence est l’époque où je pouvais, avant cette rupture que j’éprouve comme sans cesse renouvelée : une aurore toujours recommencée, sans habituation pour faire vraiment époque.

Dans le dernier chapitre des sentiments corporels, l’auteur tente de différencier fatigue et douleur ; La fatigue est plus une disposition que la douleur, une manière d’être disposé, affecté. Elle peut s’éprouver sans qu’il y ait sensation de douleur. C’est une disposition qui n’est pas une sensation localisée. Ça nous ouvre à quelque chose de l’atmosphérique. C’est un vécu de pesanteur qui plombe tout allant, tout entrain ; « …elle altère le sentiment de déploiement que nous avons vis-à-vis du monde … »Dans la fatigue ce déploiement est un effort ; je ne peux pas imaginer quelque chose et je ne peux pas envisager un monde et moi-même… Si je suis réduit à une peau de chagrin, tout, moi et le monde, sommes comme ça. Ça arrête tout entrain ; le matin que tout est dur…. Le « matinal » renvoie à être reposé. La fatigue est un sentiment de ne pas se pouvoir comme dans la dépression. Il nomme les différentes formes de la fatigue que sont la lassitude, l’acédie, l’ennui, la langueur, le découragement, le à-quoi-bon, et ça affecte la valeur, la valuation de soi et du monde. La capacité de valuation (ce qui « vaut quelque chose » pour moi) est ce qui m’anime : si quelque chose a de la valeur pour moi, ça m’anime. Si ça n’a pas de valeur, alors…

La fatigue et la dépression sont à différencier de la para dépression ; la para dépression est la question de la valuation, ça ramène au problème de l’acédie…état de paresse que vivaient certains moines et dont le remède était le travail…L’acédie est définie comme une pathologie du renoncement à la contrainte, un dégout des choses spirituelles .

Aborder cette question de la fatigue, de la douleur, et de la dépression nous amène également à prendre conscience du sens culturel de ces notions, en fonction des époques. A une autre « époque », il s’agissait plus de « ce qui va faire valeur ensemble ». Et le sens particulier de notre époque, qui est caractérisée par la technique et la psychologisation, ramène le problème à celui d’un individu, quand ailleurs, à une autre époque, il s’agissait d’un phénomène culturel ; c’est-à-dire des soucis du vivre ensemble et de la question des valeurs morales. Aujourd’hui, c’est un problème d’efficacité mise à mal et d’un je construit comme une identité productrice. D’où les antidépresseurs qu’on prescrit beaucoup, dès qu’il y a l’expression d’un sentiment de douleur, de fatigue, de souffrance… On ne différencie plus les douleurs des souffrances et tout est qualifié de dépression…(et qu’on qualifie de pathologie en tant que perte de capacité, la productivité d’un sujet.) C’est un aspect important pour nous.

Il y a une facilité à prescrire pour évacuer le sentir. Nous pensons qu’au contraire ce sont des événements de la vie que nous devons traverser, endurer. Le risque étant de nous laisser souffrir « inutilement »… ?

« … un basculement dans passer à autre chose qui ne peut plus se faire … » Je passe à autre chose spontanément et dans la douleur ça ne peut plus se faire ; ce n’est plus possible ! plus rien ne sera pareil ! Quelque chose qui n’est pas envisageable, qui fait arrêt ; c’est ce que l’on trouve dans la sinistrose (en tant que pathologie mentale) ; les gens qui sont dans un événement indépassable, et qui revendiquent sans cesse la reconnaissance d’un sinistre, et leur existence devient série de procédures. Le sentiment que la vie s’est arrêtée là ; il n’y aura plus d’autres époques… Rien ne peut plus faire événement ; rien qui puisse faire réparation, être suffisant pour que cela permette de tourner la page… La personne se polarise sur un préjudice, se centre d’une manière préjudicielle sur un événement corporel qui n’en finit plus et constitue une époque indépassable… On va trouver ça chez les personnes qui, suite à un accident ou à un traumatisme, ne parviennent plus à sortir de « avant », et à construire « l’époque du handicap »… Il n’y a pas : comment je fais aujourd’hui, avec qui je suis… mais comment je faisais avant et que maintenant je ne peux plus.. On peut comprendre comme cela, le refus de certains de la rééducation, car cela les confronte à assimiler quelque chose de ça. Comme si à un moment, on figeait le corps tel qu’il était … Et travailler sur une possibilité de mouvement c’est ouvrir une autre époque….et c’est difficile à endurer… difficile de s’approprier, de se dire : « ah je pourrais être comme ça et je suis comme ça… Et en 6 mois, je suis juste parvenu à réussir à faire bouger mon petit doigt ! » C’est l’horreur de se voir ainsi réduit…et la référence est l’époque où je pouvais, avant cette rupture que j’éprouve comme sans cesse renouvelée : une aurore toujours recommencée, sans habituation pour faire vraiment époque.

Dans le dernier chapitre des sentiments corporels, l’auteur tente de différencier fatigue et douleur ; La fatigue est plus une disposition que la douleur, une manière d’être disposé, affecté. Elle peut s’éprouver sans qu’il y ait sensation de douleur. C’est une disposition qui n’est pas une sensation localisée. Ça nous ouvre à quelque chose de l’atmosphérique. C’est un vécu de pesanteur qui plombe tout allant, tout entrain ; « …elle altère le sentiment de déploiement que nous avons vis-à-vis du monde … » Dans la fatigue ce déploiement est un effort ; je ne peux pas imaginer quelque chose et je ne peux pas envisager un monde et moi-même… Si je suis réduit à une peau de chagrin, tout, moi et le monde, sommes comme ça. Ça arrête tout entrain ; le matin que tout est dur…. Le « matinal » renvoie à être reposé. La fatigue est un sentiment de ne pas se pouvoir comme dans la dépression. Il nomme les différentes formes de la fatigue que sont la lassitude, l’acédie, l’ennui, la langueur, le découragement, le à-quoi-bon, et ça affecte la valeur, la valuation de soi et du monde. La capacité de valuation (ce qui « vaut quelque chose » pour moi) est ce qui m’anime : si quelque chose a de la valeur pour moi, ça m’anime. Si ça n’a pas de valeur, alors…

La fatigue et la dépression sont à différencier de la para dépression ; la para dépression est la question de la valuation, ça ramène au problème de l’acédie…état de paresse que vivaient certains moines et dont le remède était le travail…L’acédie est définie comme une pathologie du renoncement à la contrainte, un dégout des choses spirituelles .

Aborder cette question de la fatigue, de la douleur, et de la dépression nous amène également à prendre conscience du sens culturel de ces notions, en fonction des époques. A une autre « époque », il s’agissait plus de « ce qui va faire valeur ensemble ». Et le sens particulier de notre époque, qui est caractérisée par la technique et la psychologisation, ramène le problème à celui d’un individu, quand ailleurs, à une autre époque, il s’agissait d’un phénomène culturel ; c’est-à-dire des soucis du vivre ensemble et de la question des valeurs morales. Aujourd’hui, c’est un problème d’efficacité mise à mal et d’un je construit comme une identité productrice. D’où les antidépresseurs qu’on prescrit beaucoup, dès qu’il y a l’expression d’un sentiment de douleur, de fatigue, de souffrance… On ne différencie plus les douleurs des souffrances et tout est qualifié de dépression…(et qu’on qualifie de pathologie en tant que perte de capacité, la productivité d’un sujet.) C’est un aspect important pour nous.

Il y a une facilité à prescrire pour évacuer le sentir. Nous pensons qu’au contraire ce sont des événements de la vie que nous devons traverser, endurer. Le risque étant de nous laisser souffrir « inutilement »… ?