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Deuxième compte rendu


Groupe de lecture de Carcassonne ; « phénoménologie des sentiments corporels » deuxième compte rendu. Texte : « Topologie de la douleur » de Jacques Garelli

Dans l’introduction, nous pouvons distinguer déjà deux conceptions phénoménologiques de l’être humain sur ce sujet de la douleur consécutive à un deuil : l’une de type husserlien (théorie de la connaissance), l’autre de type Merleau-pontienne, c’est à dire celle d’une connaissance inscrite directement dans le rapport de l’existant avec les étants (le sentir). Chez Husserl, la problématique de l’intentionnalité s’appuie sur la notion d’époché, suspension de l’attitude naturelle qui suppose donc que l’attitude théorique est autre que l’attitude naturelle et que pour venir à la chose même, dans son apparaître, on doit sortir de l’attitude naturelle. On parvient alors à la chose en soi. La visée intentionnelle qui selon Garelli« porte à vide » dans l’expérience du deuil, , c’est le manque de l’autre, une présence en creux : là où j’attends l’autre il n’y est pas. Ce qui nous conduit à penser que son absence est donc particulièrement présente en fait.

Pour Heiddeger, la connaissance est une variation à même de l’attitude naturelle, on ne sort donc pas de la quotidienneté ou, autrement dit, du dévalement . c’est à partir de la quotidienneté que peut survenir un dévoilement (survenue en mode ego).Ainsi la connaissance est une variation de notre comportement pratique. Garelli nous propose de nous consacrer à la deuxième conception (celle de Heiddeger et de Merleau- Ponty), qui nous permet de comprendre cette expérience de vide, de manque. Le sentiment de mutilation chez l’endeuillé ne peut se référer à aucune théorie : c’est un contexte non représentatif car le survivant et le mort avaient un monde commun qui n’est plus, d’où mutilation d’une expérience commune d’être au monde. Dans cette situation de deuil c’est la valuation du monde qui est en question : plus rien ne vaut .

Chez Merleau -Ponty, il y a d’abord le sentir (qui peut prendre forme d’un chagrin lorsque la chair du monde s’in-forme en subjectivité, ceci en un autre temps. Le sentir précède ou augure toute possibilité de ré-flexion. Nous pourrions dire qu’il est pré-subjectif) : il s’agit d’ connaissance immédiate qui s’inscrit directement dans le rapport originel de l’existant avec les étants (awareness). Le sentir n’est pas m’y sentir, quand je m’y sens, le mouvement de réflexivité est déjà opéré : j’éprouve du chagrin et, à cette occasion, me vient l’image de (et non pas j’éprouve du chagrin à cause de).Au cours de notre soirée nous prenons l’exemple de la toile d’araignée et du verre de vin par où survient l’épaisseur, l’intensité d’un vécu : le chagrin m’est venu et je me suis rappelée que nous avions partagé cela.

En terme husserlien, on dirait que simultanément survient et un pôle noétique (qui) et un pôle noématique (quoi) constitutifs d’une visée. Le noème est l’objet et la noèse c’est l’acte de visée : la conscience c’est celle d’un rapport entre le sujet et l’objet, ce rapport étant défini comme intentionnalité. C’est ainsi qu’il définit la conscience. Chez Husserl, connaître c’est opérer une sorte de conversion du regard pour se dégager de l’évidence naturelle.

Chez Merleau Ponty, quand il parle de la chair il ne parle pas d’un je : pas d’une théorie de la connaissance rationnelle donc mais plutôt d’une connaissance immédiate et instinctive du côté du sentir (awareness en GT) Le thème choisit par Garelli pour évoquer la douleur est le deuil avec une hypothèse que dans le deuil on se retrouverait avec une visée intentionnelle vide (il semble que pour Garelli le manque est un vide, or l’expérience en creux (éprouvé de l’absence de l’être aimé) est particulièrement présente car elle se dérobe à toute prise perceptive, en ce sens ,il nous semble difficile de dire que la visée intentionnelle est vide. Dans le creux il y a des contours, dans le vide non. Si on parle d’intentionnalité et s il y a un pôle noème et noèse elle ne peut pas être à vide puisqu’elle vise l’absence de quelque chose d’attendu : l’absence est une forme possible de la présence puisque toujours intentionnalité. La présence en creux signifie plutôt pour nous :
 je rends présent son absence (consciousness),
 quand je m’éprouve seul, j’éprouve l’absence d’autrui, attente qui ne se comble pas et que j’endure,
 j’éprouve ma solitude

Aucune représentation ne peut rendre compte de l’expérience du deuil puisque c’est justement la représentation qui défaille, c’est le percevoir qui défaille, je peux imaginer sentir la peau de l’autre mais je ne pourrai pas la toucher, je peux imaginer l’odeur de sa peau mais je ne pourrai pas le sentir lui, la perception de quelque chose que j’attendais ne vient pas

Le deuil livre l’existant à une défaillance de toute possibilité réelle de se porter vers celui qui est mort, de se comporter à lui corporellement : effondrement de la conjointure mondaine qui appelle à son remaniement (Binswanger). C’est une situation où tous les ajustements connus jusque là vacillent : cet effondrement est conjointement effondrement de qui je suis et de mes modes de me comprendre un monde (perte de la continuité de l’expérience, de la valuation qui donne sens à mes actes et me destine d’où la dimension para-dépressive ( à quoi bon ?) que traverse l’endeuillé et qui peut prendre style langagier mélancolique parfois . dans ce cas, c’est alors l’endeuillé qui s’éprouve indigne et cela peut le conduire au suicide.

Une telle expérience nécessite de s’ajuster tout un mode de se rapporter à un monde, de se comporter à soi-même et autrui, c’est à dire aux autres étants car il y a effondrement de toute représentation, de ce qui était connu et reconnu (le déploiement du self en mode personnalité ne s’articule plus en déploiement du self en mode ça). Du point de vue des constructions de formes en Gestalt-thérapie, on pourrait dire que l’endeuillé est livré à un éprouver sans pouvoir y donner forme : je m’y éprouve affecté et cette affection ne s’informe pas en émotion et en possibilité de me comporter. Cela le contraint à réajuster toute la continuité de l’expérience, il s’agit d’une crise de l’existence : une nécessité d’ajuster de nouveaux fondements, d’in-former un projet ajusté. Garelli dit que l’endeuillé se trouve dans un état de visée intentionnelle portant désormais à vide, sans cesse il découvre l’absence de celui qu’il attend et qui n’est plus : sentiment de perte, un ne plus pouvoir s’apprésenter (venir à la présence) ce que l’endeuillé ne peut plus que se représenter sur le mode du souvenir et s’éprouver sur le mode du manque et de l’esseulement La douleur s’inscrit dans cet impouvoir de se représenter ce qui s’apprésente : l’absence. Là où je me représente une action avec le mort, s’apprésente (ou se manifeste) un rien, il n’y est pas et j’y suis là…ex-istant.

L’endeuillé et le mort avait en commun un monde familier, un même monde, un monde commun partagé, une conjointure mondaine commune qui n’est plus : la conjointure mondaine vacille, c’est à la fois la continuité de moi qui s’effondre et donc celle de la communauté inter-subjective. Je ne sais plus qui je suis, plus rien ne vaut et rien n’a de sens : je suis désorienté et je ne sais plus comment me définir hors de cette expérience commune. Il y a perte de la signification des lieux et des contextes qui sont toujours présents en tant que topos mais vidés de leur possibilité affective de signifiants, il y a des lieux mais pas de possibilité de s’y éprouver si ce n’est de l’ordre de l’étrangeté, (Heidegger : perte du chez-soi, Heimat) ce qui était connu n’est plus là (différence entre géographie et paysage ce qui nous évoque E. Strauss).

Il y a perte de l’évidence naturelle, ce qui allait de soi ne va plus de soi, si la conjointure mondaine est une manière d’habiter les lieux : perte. Cela suppose un réaménagement (ex de ma patiente : « ce qui me semblait important ne l’est plus, et ce qui me semblait accessoire est devenu important ») : réaménagement de la conjointure mondaine.

La structure du projet vacille, ex de X. qui repasse les chaussettes de quelqu’un de son entourage qui vient d’avoir un grave accident : ce n’est pas un acte banal, c’est peut-être la dernière fois : intensité de présence accrue, c’est là où l’on peut mesurer à quel point cette futilité représente le fondement de toute l’existence, dans ce rien tout se tient, cela redonne de l’épaisseur à ces choses que l’on fait banalement. Ex des mères de la place de mai : on doit relâcher des prisonniers argentins, la mère achète des chaussures à son fils qui est en prison, elle ne sait pas si elle va le revoir, toute la nuit elle se demande si ces chaussures vont lui aller, ce n’est pas une histoire de chaussures ou justement ça en est une ..avec une épaisseur toute nouvelle…. à travers cette préoccupation se dit plutôt est ce qu’il va revenir... A travers ce faire se pose la question d’un y être. A la fois tout vacille et à la fois cela peut provoquer un surcroît d’engagement C’est là maintenant et peut-être on ne se reverra plus, du coup l’intensité de vraiment se rencontrer est présente : cela nous amène en thérapie à la question du dévoilement qui amène à la posture philosophique, on ne vit plus les gestes de la quotidienneté sur un mode banal mais dans leur dimension d’existence.

Le travail avec les para-dépressifs est axé la dessus : comment la rencontre est éphémère et comment faire que celle ci soit l’acte thérapeutique par excellence, car c’est la première et dernière fois que nous nous rencontrons de cette façon, c’est toujours nouveau, toujours différent. Chez Heiddeger c’est la quotidienneté qui fait qu’on vit les choses comme une durée, la mort convoque à la temporalité, dans la GT : comment ce moment là qui n’arrivera jamais plus convoque à l’éphémère de toutes choses.

Chiasmes et entrelacs : tissage signifiant du monde à la fois chair du monde et chair de l’homme : toute signification, tout monde est toujours un monde habité, tissé par les allées et venues des existants La chair du monde et la chair de l’homme ne sont pas d’abord distinctes : physis grec (le jaillissant).

C’est l’habitation mondaine qui est ici mise en abîme, et ce qui se manifeste est désormais vécu et signifié à même l’absence du mort, que l’existant éprouve par où il s’y éprouve, un s’y éprouver en creux, en vide, on rejoint là la question du vivant et de l’existant, du symbolique et du corps.

L’entrelac est un tissage, la chair devient chair de l’homme du même mouvement où elle se fait chair du monde, je suis toujours déjà au monde, on ne peut pas découper les deux, figure/fond indissociable en Gestalt-thérapie. C’est le sentir- se mouvoir qui augure un j’y suis. Garelli, dans un autre texte, définie l’entrelac comme « inconscient phénoménologique qui apparaît dans l’énigme qui croise, lie, associe, rompt chaque instance perceptive sur l’ailleurs de son anticipation, le déjà plus de sa réminiscence, le pas encore de ce qui se dessine, le tout étant éprouvé comme une énigme venant d’un autre monde et pourtant inscrit sur la scène » (Art du comprendre n°3 « constitution et dislocation de l’expérience : le cas Artaud » p 12-13).

L’espace se pense dans le même mouvement où l’esprit se spatialise, rayon du temps, rayon du monde, quand je perçois une chose ce n’est jamais une chose mais toujours une histoire, une manière d’habiter avec.

Comparaison ensuite dans le texte avec le travail classique du deuil chez Freud : la durée du deuil d’un an pour revivre tous les moments, les époques, les saisons, moments inauguraux qui s’éprouvent sans l’autre.

Notion de pathique, de transpossible et de transpassible (p 41) : la mort est la fin et l’effondrement de tous les possibles, la topologie des lieux du deuil s’appuie sur la transpassabilité de l’existant, c’est à dire que chaque nouveauté situante prend sens sur ce fond pathique où l’endeuillé s’éprouve et se découvre tel.

Notion d’action différée : une planète qui est morte va rayonner 100 milliards d’année après, Garelli prend l’exemple de l’action différée des galaxies car c’est là qu’il va illustrer la dimension pathique de l’existant dans sa manière de faire monde auprès du mort qui persiste par delà la situation contingente dans laquelle il est. L’origine de nos pensées n’est pas que subjective (reprend Aristote), le pathein précède toute subjectivation. Garelli dit que d’emblée le monde s’impose à l’homme et que c’est cela l’inconscient phénoménologique, donc d’emblée le pathique c’est nous y éprouver avec et parmi d’autres avant toute propriation subjective : la topologie de la douleur liée à une topologie des lieux du monde qu’on peut rapprocher de l’habiter heideggérien : l’origine de nos pensées est plutôt affective que subjective, les lieux topologiques sont toujours habités et affectés avant de prendre forme signifiante.

L’inconscient phénoménologique indique une rythmique, des entrelacs là ou une forme s’informe peu à peu, c’est la chair du monde de Merleau-Ponty : le il y a est un sentir primordial La transpassibilité est l’immédiateté du sentir, un rapport au tout autre de ce qui peut devenir figure, lorsque le sentir devient sensation, le sentir s’est retiré. Du point de vue du self, processus d’identification/aliénation.

Nous sommes dans une société de la durée, de la distance et de la maîtrise, on banalise du coup le côté éphémère des choses et la vulnérabilité de s’exposer à.

Dans la suite du texte, nous sommes dans une phase plus ethnologique et culturelle sur les rituels autour de la mort (seul l’homme enterre ses morts..), cela souligne le rapport particulier à l’humain qui n’est pas dans un monde ambiant mais qui peut s’extraire et se représenter les choses. La mort a donc une dimension symbolique, celle de sa propre finitude et Garelli va proposer 3 attitudes possibles dans la situation de deuil :

  Les non croyants peuvent s’appuyer sur la théorie des sciences positives, à savoir l’astro-physique et prendre conscience que la mort d’un humain est infime au regard de l’univers lui-même marqué par la finitude (les étoiles mortes qui continuent à briller longtemps). Ainsi l’endeuillé peut prendre une distance par rapport à cet évènement :il nous semble que dans cette proposition, l’auteur convoque à pacifier le phénomène du mourir, à proposer un mode de tenir à distance la manière dont la mort d’autrui nous convoque à nous-mêmes... Pour ceux qui ne croient pas en l’immortalité de l’âme, la mort est la fin totale, un irreprésentable .Les étoiles meurent et deviennent des trous noirs, nous aussi c’est normal, c’est nous resituer comme des humains appartenant à la nature, sorte de théorie de la relativité, impression qu’il nous propose une autre sorte de religion cosmologique et morale, comme si la mort pouvait être relativisée ce qui suppose qu’on pourrait la cerner en quelque façon. C’est une manière de ramener à une généralité raisonnée la particularité d’un vécu éprouvant et nous mettant à l’épreuve ; amenant en conscience notre finitude, notre facticité et notre contrainte à trouver un fondement à notre séjour mondain infondable. .

  l’endeuillé peut se bloquer et ressasser, ne plus changer les lieux où il séjournait auprès de lui le mort, lorsqu’il était vivant : ne plus toucher les objets du mort, sorte d’attitude fétichiste, forme de présence mélancolique ou maniaque témoignant de l’impossibilité d’intégrer cet événement, de l’exister en propre.

  Pour les croyants, le médecin ne doit pas négliger les croyances d’un patient qu’il accompagne.

Garelli dit aussi qu’il faut construire une pensée alors que nous pourrions plutôt parler de qualité de présence en GT : ouverture existentiale face à sa propre mort « laquelle ne peut jamais devenir un événement du monde puisqu’il en constitue justement pour lui même la fin, ce n’est qu’à travers la conscience de sa propre mortalité qu’on peut avoir accès à la mort en général » comme le souligne F Dastur. Lien avec la thérapie : grande vigilance par rapport à la façon dont le patient expérimente secrètement le deuil, pas d’inférences ou le moins possible, le thérapeute soutient juste ce qui est là c’est-à-dire l’in-formation du phénomène mondain en évènement de présence, la mise en crise du tissage des Gestalten et la contrainte à s’identifier/s’aliéner de nouvelles manières de se comporter et orienter le sens et la valuation de l’existence, à la fois Garelli dit ça et à la fois il propose une autre forme d’appui pour endurer cela sur un mode quotidien. Garelli témoigne là d’une manière de raisonner, de s’occuper d’un quoi et non plus de qui je deviens ainsi esseulé. Il s’agit plutôt selon notre posture de Gestalt-thérapeute de nous tenir auprès du patient, d’endurer à son occasion l’insoutenable, la limite de mon pouvoir être et de mon avoir à être le la avec mon patient, jusqu’à la possibilité de ne plus y être, y mourir aussi et d’assumer en conscience la douleur d’exister encore et par là de vaquer à nos occupation. Nous viennent là les propos de Pascal sur le divertissement qui caractérise le séjour humain. La mort d’un prochain me convie à ne plus pouvoir me divertir ; c’est cela qui vacille : la conjointure mondaine et qui me rappelle à ma condition d’être ex-ilé sur terre, seul et responsable. Cela vient toucher à comment c’est de survivre à la mort de mon compagnon par ex, à exister à, la il n’y a pas de prise en compte de l’existence comme mienneté et solitude essentielle, dans la façon de l’auteur, c’est à dire souci comme charge terrible à endurer quand l’autre meurt et me contraint à exister encore. Ici la dimension ontologique de l’existence nous semble occultée au profit d’une attitude de soutien dépossédant l’autre de son exister-en –propre.

Dans la clinique, convocation par rapport au suicide envisagé par ex : quoique je fasse il y a un endroit où je suis dans l’impouvoir.